L’Église aux mains de mouvements sectaires

Lundi 4 mai 2015

Le père Joseph Comblin (1923-2011) était un prêtre missionnaire belge (naturalisé brésilien) très investi dans l’action sociale. Dans un livre publié à titre posthume en 2012 (« O Espírito Santo e a Tradicao de Jesús »), il analyse avec lucidité l’essor inquiétant de mouvements sectaires au sein de l’institution ecclésiale.

La dissolution progressive du christianisme avec ses structures sociales a donné une opportunité au développement des mouvements sectaires extrémistes et leur a permis de conquérir des positions impressionnantes dans l’Église. Ils ont profité du sentiment de désolation des nostalgiques de la chrétienté pour se présenter comme les sauveurs de l’Église. Mais ils comprennent le salut de l’Église comme un mouvement fasciste ultra discipliné, totalement manipulé par certains dirigeants en général très déséquilibrés au plan psychologique. La hiérarchie est hésitante. Il leur a été permis d’occuper une grande place dans la visibilité de l’Église, surtout grâce au pontificat de Jean-Paul II, un pape tout à fait insensible à la démocratie et très favorable aux mouvements autoritaires. En Amérique latine, ces mouvements sont particulièrement actifs et politiquement très importants. Voici quelques-uns de ces mouvements nés en Amérique latine.

L’ « Institut du Verbe Incarné », d’origine argentine, présent dans 30 pays. Il a été fondé en 1984 à San Rafael et avait son centre à Mendoza jusqu’en 2001, lorsque le centre a été transféré à Rome. Le fondateur en est le père Carlos Buela, une personnalité exceptionnellement autoritaire, récemment démis de ses fonctions par le Vatican au vu du nombre de dénonciations d’abus de pouvoir au sein de son institut. En 2001, l’épiscopat argentin est resté dans la crainte des visites fréquentes des « Visages peints » – mouvements extrémistes paramilitaires – et a tenté de fermer le séminaire de Mendoza, mais n’y est pas parvenu. C’est à ce moment que le cardinal secrétaire d’Etat du Vatican, Angelo Sodano, les a transférés à Rome, et leur a proposé un hébergement à Rome. Le Père Buela dit avoir appris avec l’Opus Dei qu’il était nécessaire d’avoir son centre à Rome, parce qu’ainsi on peut obtenir tout ce qu’on veut. Avec l’aide d’Angelo Sodano, il ne fut pas difficile d’ouvrir le noviciat au Chili. Le mouvement pratique le latin, et bien sûr les membres se promènent en soutane et renient radicalement en interne le Concile Vatican II. Il s’agit d’une caractéristique commune à tous ces mouvements : lutter contre le Concile Vatican II. Avec l’aide de la Curie romaine.

La « Congrégation de vie chrétienne ». Mouvement fondé au Pérou en 1971 par un avocat péruvien Luis Fernando Figari. Il dispose de 2 évêques dans le sud du Pérou, où ils ont naturellement détruit toute la pastorale indigène. Le mouvement a généré plusieurs branches : La Communauté mariale de la Réconciliation, les Servantes du Projet de Dieu, L’Association de Marie Immaculée, la Confrérie de Notre-Dame de la Réconciliation.

Les « Légionnaires du Christ » ont été fondés en 1941 par le prêtre Maciel Marcial au Mexique. Ils sont dans le monde entier. Au Mexique c’est une puissance de 470 maisons, de nombreux collèges, 9 universités. Mais ils sont aussi dans toute l’Amérique latine. Ils ont accumulé une immense fortune estimée entre 25 et 50 millions de dollars. Les membres s’engagent à visiter les bienfaiteurs. Ils ont des listes de bienfaiteurs potentiels classés en fonction de leur capacité financière. L’une des principales activités des membres est de visiter ces familles pour leur demander de l’argent. Ils sont connus pour la rigidité de la structure et, comme tous les mouvements, pour la manipulation psychologique des candidats et des membres. Ils se sont fait connaître par une nouvelle à sensation lorsque Benoît XVI, accédant au pontificat, a destitué le fondateur et l’a forcé à se retirer dans une vie privée et lui a interdit d’exercer toute fonction sacramentelle. Enfin, Benoît XVI a révélé ce que Jean-Paul II a toujours gardé secret. Marcial Maciel était un pédophile et a pratiqué une activité sexuelle avec de nombreux séminaristes, il avait une femme et trois enfants au moins et de nombreux amants. Tout était officiellement inconnu, mais tout le monde en parlait au Mexique. Les dirigeants du mouvement disent qu’ils ne savaient rien, ce qui paraît incroyable. Le pape a nommé un contrôleur pour prendre la direction du mouvement et prendre toutes les décisions qu’il jugerait nécessaires.

« Les Hérauts de l’Évangile » sont nés au Brésil d’une division de l’ancienne Tradition, Famille, Propriété (TFP), fondée par Plinio Correa dans les années 40 et condamnée par l’épiscopat brésilien. Lorsque Plinio est mort en 1995, le prêtre Joao Clá est allé à Rome pour obtenir la reconnaissance de la nouvelle association fondée par lui, sans passer par la CNBB, pour s’assurer la reconnaissance romaine, car il savait les résistances qu’il pourrait rencontrer de la part de certains évêques. Rome a approuvé, comme elle soutient toujours ces mouvements extrémistes ultra-fondamentalistes et les ennemis du concile Vatican II. Les Hérauts veulent être une nouvelle Cavalerie au service à l’Eglise. Ils portent un uniforme qui est copié sur l’habit des Croisés du Moyen âge. Comme tous les autres, ils pratiquent la manipulation psychologique, infantilisent leurs membres et créent des fanatiques. Ils ont déjà leurs propres prêtres.

– Au Chili, la « Pieuse Union Sacerdotale du Sacré-Cœur de Jésus » fondée par le prêtre Karadima, dont sont déjà issus 5 évêques. Récemment, le Père Karadima a été dénoncé pour avoir un comportement pédophile et a été démis de ses fonctions.

Ils s’inspirent tous du modèle de l’Opus Dei fondé en Espagne en 1928 par José Maria Escriva de Balaguer, aujourd’hui canonisé par Jean-Paul II. Tous vivent une discipline extraordinaire, pratiquent la manipulation de leurs membres qui sont comme esclaves de l’organisation, tous pratiquent le chantage religieux pour amener des candidats et fidéliser les membres. Tous sont des adversaires de Vatican II et pratiquent le fanatisme religieux les rendant incapables de tout esprit critique. Tous produisent des membres techniquement très efficaces mais fanatiques. Tous sont très riches, parce qu’ils fréquentent le monde des puissants et exercent un chantage pour obtenir de l’argent. Tous ont de l’influence dans le monde politique de l’extrême droite. Tous occupent des positions fortes à la Curie romaine et obtiennent la nomination d’évêques et d’autres autorités qui leur sont favorables et défendent les mêmes causes qu’eux. Ce sont eux qui organisent des campagnes électorales pour l’élection du pape. Bien que les Légionnaires aient commis une erreur en faisant la campagne électorale d’Angelo Sodano. Nous ne pouvons pas imaginer ce qu’aurait été comme pape Angelo Sodano, le grand défenseur de Pinochet !

Cette situation n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé dans la dernière phase du pontificat de Pie X quand, dans la lutte contre le modernisme, le mouvement de la Sapinière a lancé une campagne de dénonciation dans l’Eglise toute entière. Aujourd’hui, c’est différent, mais le résultat est le même. Les nouvelles sectes pratiquent un chantage constant et disposent d’un immense pouvoir politique, économique, culturel. Ils intimident par leur arrogance, leur fanatisme. Ils paralysent la hiérarchie qui se sent sous pression sans être en mesure de résister. Ils entrent dans la hiérarchie et pratiquent le même chantage.

Quel poids du passé ! En Europe, le fascisme envahit le monde politique et de là passe dans le monde ecclésiastique. La démocratie est en déclin, et le clergé reprend les vieux réflexes de l’époque où l’église commandait. Les mouvements sont la présence du fascisme dans l’Église. L’Amérique latine ne fait pas exception et subit la mainmise de ces mouvements dans plusieurs pays, dans la plupart.

Ce qui inquiète le plus dans ces mouvements extrémistes, c’est leur richesse accumulée en quelques années, et leur soif de pouvoir. C’est tellement contraire à l’Evangile que cela fait peur, et que fait peur le pouvoir qu’ils ont obtenu de l’Église, en tout cas de l’institution ecclésiastique. Jean-Paul II leur a permis de se transformer en entreprises à finalité économique avec de nombreuses pratiques externes de religion, vécues comme des mécanismes sacrés qui assurent le salut sans passer par l’Évangile. Cela peut être l’équivalent ecclésiastique des multinationales financières de la société contemporaine, ce qui est encore plus effrayant. La hiérarchie ouvrira-t-elle un jour les yeux ?

José Comblin – Brésil

Note : traduction du portugais en espagnol par John Subercaseaux Amenábar du livre posthume de José COMBLIN « O Espírito Santo e a Tradicao de Jesús »( Le Saint-Esprit et la Tradition de Jésus ), pages 449-451. Editeur Ñhanduti, Sao Bernardo do Campo, SP Brésil, 2012. Traduction française : Pierre Collet.

Voir en ligne : http://nsae.fr/2013/03/12/leglise-a…

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