Les Naufragés de l’Esprit

Samedi 2 mars 2013 — Dernier ajout jeudi 2 mai 2013

En 1996, un livre tirait une sonnette d’alarme : Les naufragés de l’Esprit. Des sectes dans l’Église catholique. Près de 15 ans plus tard, ce livre reste malheureusement d’actualité.

Si les fondateurs ne sont plus (pour la plupart) en charge du gouvernement, il semble que certains modérateurs, dans l’une ou l’autre de ces communautés, reproduisent le schéma précédent, tout en s’étant présentés comme des authentiques redresseurs de la communauté, défenseurs de la liberté.

Fondateur a été remplacé par Supérieur ou Modérateur. Cela témoigne de l’impossibilité de certaines communautés à sortir de leur schéma initial, parfois même, après une visite canonique mais qui n’a pas été suffisamment accompagnée.

Voici un petit florilège de cet ouvrage magistral.

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1/SILENCE

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Silence des analyses

« Quand à la sociologie des religions, si elle a fourni de nombreuses analyses fort intéressantes sur divers aspects du phénomène charismatique, ses chercheurs n’ont pas, pour de diverses raisons, rendu compte des relations de violence institutionnelle et symbolique au sein des communautés ni même réellement posé le problème. »P 11

« Tout se passe aussi bien à l’intérieur des communautés qu’à l’extérieur au sein de l’Église comme s’il régnait un tabou, un interdit de fait mais jamais énoncé. Les problèmes sont systématiquement éludés ou occultés, quand ils ne font pas tout simplement l’objet d’opérations de désinformation. D’une certaine manière, l’Église dans ses lieux institutionnels, tout comme les communautés charismatiques elles-mêmes, manifeste une incapacité étonnante à se confronter avec la réalité. (…)

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Sur les raisons des départs

« On parle beaucoup, le plus souvent à des fins apologétiques et naïvement édificatrices, des personnes et des familles qui ont choisi de consacrer totalement leur vie dans une communauté de type charismatique, mais on ne parle pratiquement jamais de celles qui en sortent. Pourtant, de nombreuses personnes ou familles, qui avaient dans un premier temps engagé toute leur existence dans un de ces groupes, durent en sortir, parfois d’elles-mêmes, dans le silence de l’humiliation, quand elles ne furent pas exclues purement et simplement au terme d’un processus de marginalisation qui faisait bon marché de leur dignité de personnes et de baptisés. » P. 13

« Nous étions enfermés dans un système qui explique tout et dont on ne peut sortir. Le mettre en doute, c’est s’en exclure. Même ceux qui souffrent par ce système ne peuvent pas et ne doivent pas être entendus : ils remettent en cause un fonctionnement fondé sur la certitude, sur l’engagement inconditionnel. Les questions sont des manques de foi, il ne peut rien en sortir de bon. » P. 77

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Des membres eux-mêmes

« Le souci de ne pas se singulariser, voire la peur d’apparaître suspects, les a souvent conduits, de consentement en petite compromission, à inhiber eux-mêmes toute velléité de réaction. » P.272

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Idéalisation de la communauté et rêve de fusion

« Trop de membres des communautés du Renouveau sont incapables de supporter l’idée « qu’au nom de la vraie communauté, la fausse soit détruite ». Un exemple flagrant réside dans le refus de tirer les leçons des échecs ou des dérives de certaines communautés sœurs, ce qui exigerait en effet une confrontation sans concession ; on s’en sort en fait par une opération qui s’apparente à de la conjuration. » P.285

« Les mots d’ordre sont alors : « Il ne faut pas scandaliser la foi des simples » ; « il ne faut pas troubler les esprits » ; « Attention à la division qui pourrait germer » ; « il faut protéger les plus faibles et donc leur cacher certaines vérités qu’ils ne pourraient supporter » ! (…)

C’est une autre illustration du si singulier déni de la puissance de l’Esprit, puisqu’il est implicitement établi qu’il ne lui serait pas possible d’éclairer la perception qu’auraient les fidèles de la vérité, de les consoler et de les raffermir dans la foi. Pour demeurer dans une vision spirituelle de ce type de phénomène et pour reprendre une formulation ignacienne dans les Exercices spirituels, on peut voir dans ces conduites de fuite et de travestissement de la vérité un exemple probant et destructureur de la « tentation sous apparence de bien » !P. 286

« La force de cette dynamique narcissique se mesure aussi aux conséquences qu’elle implique. Elle engendre des exigences de vie quotidienne intenables. Il importe que chaque membre, individuellement et communautairement, réponde à cette image divinisée, expression de la volonté de Dieu. La vie quotidienne devient ainsi une course-poursuite épuisante derrière cette image paradisiaque dont l’envers du décor se révèle infernal par les exigences exorbitantes qu’il implique. Nécessité d’une communion qui commande la négation des différences, nécessité de la soumission qui écrase les aspirations à l’autonomie, nécessité de répondre aux exigences liturgiques, professionnelles, familiales, communautaires…, pour témoigner de la vérité et de la grandeur de la vocation communautaire. L’acceptation par les membres de telles exigences montre l’intérêt que chacun tire de cette image communautaire idéale : une gratification narcissique qui vaut bien tous les renoncements. »P 312-313

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2/RESPONSABLES D’ÉGLISE

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Lenteur

« Ils interpellèrent les évêques, qui eux-mêmes s’enquirent timidement auprès du prieur et des responsables régionaux de notre communauté,(…). La préoccupation des évêques arrivait trop tard car le dérapage de notre communauté était déjà largement entamé, du fait de la personnalité de notre fondateur-animateur, des structures mises en place par lui (avec la caution de la hiérarchie) et du surgissement du charismatique qui, en donnant une place centrale, exclusive, démesurée, folle, à l’affectivité, à l’émotion, avait brutalement amplifié des défauts déjà là, et interdit toute distanciation critique et toute régulation (non extraordinaire). P. 80

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Méconnaissance

« La deuxième faut commise par la hiérarchie fut celle de notre évêque-protecteur, en l’occurrence celui de Saint-Jean-de-Maurienne qui avait admis et officialisé nos Constitutions. » P. 82

« Une rapide visite de courtoisie, autour d’un repas festif, au milieu d’adeptes euphoriques et au sourire angélique, n’est pas suffisante pour savoir ce qui s’y passe réellement (…). Il est en effet très difficile de cerner la structure informelle qui fonctionne derrière toute structure officielle, y compris celle qui crie la générosité et le désintéressement. »P 83-84

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Dissimulation

« Les chefs de la communauté ayant un comportement autoritaire-totalitaire excellent en général dans l’art de la dissimulation et pour imaginer des artifices leur permettant d’être reconnus à l’extérieur, voire adulés, tout en faisant dans le même temps régner, grâce à un système d’organisation adéquat, une sorte de peur régressive à l’intérieur de leur famille.

Le drame, c’est qu’au lieu de remplir sa fonction de contrôle, de vigilance, de « discernement », une visite aussi formelle et rapide de la hiérarchie cautionne indirectement un système en train de devenir, ou même déjà, totalitaire. Il est vrai que, dans la situation délicate de l’Église actuelle et devant l’effondrement de beaucoup de congrégations religieuses traditionnelles, certains responsables ecclésiastiques sont tellement heureux de voir émerger des communautés nouvelles qu’ils préfèrent, de peur de les contrarier ou de les voir quitter l’Église, être à leur égard le plus discrets possible, et sur leurs théologies et sur leurs pratiques communautaires. Il faut reconnaître qu’à leur décharge cette vigilance n’est pas facile à exercer pour les raisons que nous venons de voir. » P.84

« Certains responsables d’Église, trop confiants, trop gentils, se font régulièrement « rouler dans la farine », par naïveté, lâcheté, incompétence, impuissance. » P.85

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Insuffisance

« Cette incapacité manifestée par certains responsables d’Église à voir ce qui se passe sur leur territoire et avec leur caution (implicite ou explicite) ne peut qu’être à terme dommageable aux communautaires, d’autant que le syndrome sectaire et totalitaire peut toucher n’importe quelle communauté (fût-elle institutionnelle). Se contenter de dire à leur endroit « on jugera l’arbre à ses fruits » est tout à fait insuffisant, pour ne pas dire irresponsable. » P 86

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3/ABUS D’AUTORITÉ

« Dans les rencontres auxquelles j’ai participé avec d’anciens communautaires – dont certains coauteurs de cet ouvrage -, la question de l’abus d’autorité dont ils avaient souffert de la part des responsables de communauté était l’un des thèmes dominants ; et ce avec d’autant plus de force que certains des participants à ces réunions avaient eux-mêmes commis des abus et donc lésé parfois gravement leurs « frères » et « sœurs » du temps où ils étaient détenteurs d’un certain pouvoir au sein de telle ou telle communauté charismatique. La présentation de certaines problématiques relatives à la pathologie de la communication, et plus particulièrement celle de la double contrainte, a donné lieu à des discussions passionnées et s’est révélée éclairante pour les participants. » P. 267-268

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Manque de liberté

« Pour le groupe de travail qui s’est constitué, le Renouveau, particulièrement dans ses formes communautaires, souffre de troubles et de dysfonctionnement graves, liés à des dérives, voire à des perversions, de l’exercice de l’autorité et, d’une manière plus générale, à l’incapacité quasi complète de faire la place qu’il convient à la relativisation, à l’exercice de la critique, bref au droit de s’exprimer librement. L’existence de telles caractéristiques est problématique pour tout groupe humain, quel qu’il soit ; s’agissant de groupes qui prétendent vivre de l’exigence évangélique sous l’action de l’Esprit, un certain nombre de chrétiens – laïcs et clercs – y voient désormais quelque chose de l’ordre de l’imposture. » p 14

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Double contrainte

« Pour des membres, observer une certaine prudence ou demander un temps de vérification sont des attitudes facilement interprétables par le Berger ou les instances de direction comme un grave manque de confiance, une indocilité à l’« action de l’Esprit » ou un « combat spirituel ». P.271

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Raidissements

« Je constatais en même temps le raidissement de plus en plus grave des responsables des « Fondations du Monde Nouveau » et leur infantilisme croissant. Ils n’étaient plus capables du moindre recul critique ». P.222

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Freins à la remise en question

« L’opération qui consisterait à objectiver un abus de pouvoir (d’un « supérieur » ou d’un sous-groupe de la communauté sur un membre) et à y remédier impliquerait la mise au jour de fonctionnements complexes et difficiles à intégrer. La communauté n’est pas armée pour supporter de telles remises en question (…). Elle nécessiterait un état d’esprit radicalement autre, le passage par des médiations de connaissance, de discours et de langage qui devraient résolument quitter le seul registre des métaphores spirituelles pour puiser dans des lexiques et des pratiques plus adaptés, empruntés notamment aux sciences humaines, mais aussi à l’expérience et au langage religieux traditionnel, celui par exemple des communautés monastiques.

Une communauté charismatique n’admet pas facilement un arbitrage extérieur. Même soumise à l’évêque, elle dispose de stratégies adéquates pour déjouer et détourner son autorité ; ceci dans l’hypothèse – fort rare – où l’évêque se sentirait la volonté et la possibilité d’exercer lui-même ou de déléguer une mission d’arbitrage. Seule une situation de crise devenue trop dangereuse et irréversible – comme le cas de la Sainte-Croix - peut éventuellement entraîner une intervention extérieure. »

« Là où la tradition de l’Église – par exemple, dans les communautés contemplatives – a imposé la venue régulière d’un « visiteur » étranger à la communauté et légitimé le recours, à tout moment, de l’un de ses membres à une autorité extérieure s’il le juge nécessaire, le Renouveau invente et impose des règles qui ne font qu’accentuer la dépendance de ses membres envers l’institution ». P.288-289

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Soumission ou exclusion

« Le groupe entre dans une évolution où chacun trouve une satisfaction. Le Fondateur assure ses disciples dans leur quête de certitude et de sécurité. Il offre le modèle auquel le groupe va s’identifier. En retour, le regard admirateur des membres sécurise le Fondateur dans une image « édifiante » de lui-même. Toute personne qui tente de prendre distance est rejetée par le Fondateur comme par le groupe. Car l’un et l’autre sont déstabilisés par cette remise en cause. La dynamique relationnelle se simplifie à l’extrême : la soumission ou l’exclusion.

La relation de soumission qui s’établit dans un groupe de jeunes envers l’animateur prend divers visages au bout de quelques années. Soit la personne accède à des responsabilités et devient elle-même un modèle pour d’autres, possibilité offerte par le développement de la communauté à travers les fondations qui ouvrent des postes de nouveaux « Bergers ». Elle trouve un équilibre en exerçant à son tour un certain pouvoir. Soit, pour des raisons diverses, elle ne peut bénéficier de cet itinéraire. Elle se durcit alors dans une attitude de soumission parce qu’elle n’a pas la force psychologique de s’affirmer. Ou bien encore, elle entre dans des dynamiques de souffrance intérieure et de contestation. À terme, elle est rejetée par le groupe. » P.307

« Il se joue, dans l’espace confiné de la communauté, les conflits et les rivalités habituels propres à la vie professionnelle au sein de l’entreprise. Mais l’impossibilité d’exprimer ces souffrances autrement que comme orgueil et manque de conversion explique la violence des exclusions. » P. 308

« Une parole différente, suscitant le doute, crée l’angoisse dans le groupe et met en branle les mécanismes de défense que ces exclusions expriment. À l’intérieur du groupe, l’altérité est insupportable. » P. 308

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4/EXPANSION et INSTABILITÉ

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Main-d’œuvre

« S’il existe un grand nombre de groupes de prière, parfois de quelques membres (…) les plus importants sont animés par les grandes communautés dont ils constituent une dimension très visible et publique. À ce titre, ils sont portés par un dynamisme très ambitieux en termes d’objectifs pastoraux et de moyens matériels. Leurs membres les plus engagés peuvent être regardés comme des « paracommunautaires », en ce sens qu’ils participent activement à la politique d’expansion de la communauté de rattachement. À bien des égards, on peut considérer ces groupes de prière comme des « réservoirs de main-d’œuvre », où les communautés viennent chercher l’aide nécessaire à l’organisation de leurs missions. »P. 22

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Instabilité

« Quand on passe son temps à se réadapter chaque année à une situation entièrement nouvelle, à des frères nouveaux, à un travail nouveau…, on vit un peu d’expédients, de situations d’urgence, on ne peut pas réellement réfléchir sur soi, on est maintenu dans une instabilité intérieure, et, à chaque chapitre d’été, on peut difficilement faire autre chose que « gober » les nouvelles paroles « fondées sur le roc » que tu as pris le temps de réfléchir, et foncer aveuglément vers la nouvelle situation. » P.271

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Témoignage d’un ancien membre de la Communauté de la Théophanie devenu moine d’En Calcat.

« Première surprise dès le seuil : le portier, une célébrité locale, exerçait dans une grande liberté un don de la parole dont il n’était jamais avare. Il était en poste là depuis quelque… trente ans ! Pour moi, c’était la nuit des temps. Inimaginable. En seize ans de vie communautaire, j’avais participé à huit « fondations » sur deux continents. J’avais rempli les charges de jardinier, boulanger, apiculteur, plombier, hôtelier, portier, prieur, sous-prieur, maître des novices, et maçon, et coursier, et cuisinier, et linger, en cumulant souvent plusieurs services, non sans poursuivre quelques études ! (…) Cette dimension de la durée m’était complètement étrangère. Elle manifestait un autre rapport au temps qu’il me restait à découvrir.

Ce temps marquait profondément les visages ridés des frères dont je faisais connaissance. Je n’avais côtoyé jusqu’alors que des visages jeunes. Les « vieux » étaient complètement absents de nos communautés, relégués dans un ailleurs que nous ne rencontrions jamais ou presque. Ici, leur nombre s’impose très largement. Je me trouve dans la minorité des « jeunes » de moins de quarante ans. Enthousiasme, impatience, fébrilité, exubérance ont trouvé depuis longtemps leur mesure. Le temps n’est pas comprimé dans la hâte comme s’il allait manquer ; il est reçu comme un compagnon. Il est dompté par un horaire que l’on croirait immuable tant il change rarement.(…) (On ne conçoit pas, ici, que l’abbé bouscule cet horaire, au retour d’un voyage par exemple, sous prétexte qu’« on est fatigué et qu’on dise, par conséquent, que les laudes gagneraient à être célébrées plus tard ! La confusion, chez un supérieur, entre le corps-communauté et son propre corps serait un symptôme alarmant.) Ce temps que l’on se refuse à manipuler, à triturer, et qui nous « advient », qui nous est « donné », est un instrument de prise sur le réel tout à fait privilégié. Le non-respect de cette contingence fait bousculer au contraire dans une atemporalité, sœur jumelle de l’utopie, qui dissout dans le rêve la consistance du quotidien. Dans le cadre d’un monastère où toute une vie est orientée vers un « au-delà », cet ancrage dans le temps est fondamental. » P.123-124

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5/COMMUNICATION

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La relation de double contrainte

« Rappelons qu’en pathologie de la communication la double contrainte (en anglais, double bind signifie double lien) manifeste une situation paradoxale entre deux locuteurs : le premier (qui a un rôle de « bourreau » et peut au demeurant être peu conscient de la nature réelle de cette communication) impose un singulier message au second (qui joue le rôle de « victime »). Ce mode de communication conduit inéluctablement la « victime » à une impasse logique et émotionnelle totale. La singularité de ce message consiste en ce qu’il est double et simultané, et que ses deux composantes sont irrémédiablement contradictoires. Il ne s’agit pas d’un simple dilemme qui autoriserait une résolution plus ou moins acceptable. Ladouble contrainte n’a jamais de résolution saine, elle est de facto déstructurante (au demeurant, mais de façon différente pour les deux locuteurs) et génératrice de troubles graves. Par extension, elle peut être généralisée et observée dans des relations de communication qui ne mettent plus aux prises deux personnes seulement, mais une personne et un groupe. Gregrory Bateson concevait en ce sens la double contrainte « en termes de personnes prises dans un système permanent qui produit des définitions conflictuelles de la relation ».P 268

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Injonctions paradoxales

« Dans certaines communautés charismatiques, on a un magnifique exemple d’injonction paradoxale : « sens-toi libre ! ». P.270

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Situation de double contrainte

« Illustrons rapidement ce propos par une reconstitution type. Elle s’ordonne en deux temps, et son existence et son fonctionnement nous semblent éminemment récurrents dans les communautés du Renouveau.

  1. Dieu a fait connaître sa volonté–à un interprète élu par lui-, et celle-ci implique un changement radical de trajectoire communautaire ; ce « message » est relayé par la bouche du Berger ou d’une autre autorité à la légitimité incontestable. Il est très naturellement demandé à chacun de « porter dans la prière » cette nouvelle option,puis de s’exprimer « librement » à ce sujet.
  2. Soit un membre qui se trouverait en son for intérieur en violent désaccord avec pareille proposition. Il est, rappelons-le, théoriquement libre d’exprimer publiquement son avis. Mais la perception – même un peu confuse - de son expérience des mœurs communautaires constitue, en même temps que l’incitation à prendre position, le double message irrémédiablement contradictoire, inconciliable, présent en même temps qu’est affirmé le souhait de laisser chacun s’exprimer librement. Il est de fait conduit :
  • a.Soit à s’exprimer « en son âme et conscience », quitte à euphémiser un peu de la crudité de sa pensée ; une telle situation amorce ou renforce le conflit ;
  • b.Soit à taire sa pensée et à ne manifester son désaccord en aucune façon ; et cette situation renforce la confusion.

Dans le premier cas, s’il choisi de s’exprimer, il sait qu’il prend le risque de s’opposer au Berger, ce qui peut être interprété facilement comme une opposition à la volonté divine. De toute façon, les mœurs charismatiques n’intègrent guère la dimension dialectique dans le discernement communautaire. Il devra donc faire face à la critique du Berger ou de ses représentants et d’une partie du groupe, critique qui s’exprime selon des thématiques récurrentes et qui ont toutes pour fonction de consolider un processus de dénégation. A travers ce processus, c’est une véritable stratégie de défense de l’institution qui se met en place. Cette perspective engendre automatiquement une grande angoisse, mêlée de culpabilité, chez celui qui est concerné.

Ainsi, le frère « rebelle » -ou à tout le moins atypique- peut très classiquement se voir opposer, avec toute la force que donne le statut de Berger ou de membre du « noyau », un renvoi à sa propre histoire et une incitation vigoureuse à se pencher sur elle pour trouver la genèse véritable de pareille opposition ; ou bien on fera valoir qu’il vit en fait un authentique « combat spirituel » d’autant plus pernicieux qu’il se déguise en pseudo-désaccord intellectuel ; ou encore on lui reprochera d’attenter à l’unité du groupe, voire à l’intégrité du « Corps du Christ », et de permettre ainsi que s’y introduise la division, et de faire in fine le jeu de « l’adversaire ».

Au fauteur de trouble, il ne reste qu’une issue : changer radicalement son attitude et faire amende honorable, ce qui se traduit en langage charismatique par l’incitation à « s’abandonner dans la confiance », à accepter de se laisser déposséder, à « avancer en eaux profondes », etc. Une telle attitude est d’autant plus encouragée que, de toute façon, rien de grave ne peut arriver à la communauté : elle est tout entière dans la main du Seigneur et, de ce fait, pour le cas où le rebelle aurait malgré tout raison, l’avenir ne manquerait pas de le manifester au moment choisi par le Seigneur ; il a donc tous les motifs du monde pour « rester paisible » !

En toile de fond demeure pour cette personne une menace voilée : celle de la mise à l’écart, voire de l’exclusion pure et simple. Même perçue de façon confuse, cette menace peut être tout à fait supportable, sauf à envisager l’annihilation de toutes ses années d’investissement communautaire, et à être capable d’envisager une réinsertion dans la « vie civile ».

Dans le second cas, s’il renonce à s’exprimer, peuvent se manifester des situations réelles très diverses.

Le désir de conformité peut prendre le pas sur l’intégrité de ses convictions, tout simplement parce qu’une telle option est plus vivable, fait moins souffrir, cause apparemment moins de dégâts. L’intéressé peut se trouver dans un cas de figure analogue à une des multiples situations de type expérimental classique, qui ont pour but de mesurer la résistance d’un sujet à la conformité du groupe. S’agissant d’un contexte communautaire et religieux, un tel désir de conformité peut puiser un important matériau de soutien dans le champ spirituel ou pseudo-spirituel, à travers, notamment, la valorisation traditionnelle, dans les Écritures, de l’obéissance et de l’autorité.

La mise de soi-même au pas peut aussi obéir à des impératifs de diverses natures :

  • Euphémisation : « Après tout, cela n’est peut-être pas aussi important que ça en a l’air ! »
  • Culpabilisation : « Je dois être malade ou trop indocile pour abriter des sentiments pareils ! »
  • Accablement : « Qu’importe ! De toute façon, je serai toujours mieux, quoi qu’il arrive, dedans que dehors. »
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En guise de CONCLUSION,

« Se soumettre ou se révolter, c’est un dilemme. Se révolter, cela durcit l’autorité ; se soumettre, cela l’encourage dans son autocratisme. À chacun de prendre ses responsabilités devant Dieu et de dominer ses démons intérieurs. » MARCEL LEGAULT, Patience et Passion d’un croyant.

Cité dans « Les Naufragés de l’Esprit », p. 267, chapitre « La communication sous «  double contrainte ».

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Les Naufragés de l’Esprit : Des sectes dans l’Église catholique

Thierry Baffoy, Antoine Delestre, Jean-Paul Sauzet,

Éd. du Seuil, 1996.

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