« La pédophilie est tellement enracinée que l’Eglise craint une hécatombe »

Vendredi 21 février 2014 — Dernier ajout vendredi 28 février 2014

La vice-présidente du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Sara Oviedo, s’exprime sur la comparution du Saint Siège devant le comité et sur le rapport accusateur qui a été produit à la suite : Les représentants du Saint Siège ont refusé de jouer le jeu de la transparence.

Sara Oviedo Fierro (née le 28 Juillet de 1952, en Equateur) a été élue en 2012 vice-présidente du Comité de la Convention sur les droits de l’enfant à l’ONU devant lequel le Vatican a comparu le 16 janvier passé. La sociologue équatorienne, qui a commencé à l’âge de 13 ans à défendre les droits des populations autochtones, des femmes et des enfants, a été témoin des réponses évasives et du refus des représentants du Saint-Siège de fournir des données et des faits concrets sur les affaires d’abus sexuels au sein de l’Eglise. En tant que co-auteur du terrible rapport publié à l’issue de cette comparution, dans lequel l’Organisation des Nations Unies exige que l’Eglise livre les prêtres pédophiles à la justice et protège les enfants, Oviedo affirme dans cette interview, réalisée par vidéo-conférence, que le problème de la pédophilie est « tellement enraciné dans l’Eglise » que ses responsables ont peur de traiter le problème.

Question : Jusqu’à ce jour, personne n’avait jamais réussi à interpeler le Saint-Siège. Est-ce que cela a été difficile d’obliger le Vatican à s’assoir ?

Réponse : Nous avons simplement suivi la procédure normale consistant à examiner tous les pays signataires du Traité des Droits de l’Enfant, mais la différence c’est que nous avions la conviction qu’il fallait évoquer la question de la pédophilie. Le dialogue avec le Saint Siège a eu lieu au moment où cela était possible. Il y a aujourd’hui une plus grande ouverture de la part du Saint Siège, et d’autre part il y a une grande attente de la part des victimes et de la société de reconnaître ces problèmes.

Q. : Le Vatican va-t-il tenir ses engagements ?

R. : J’insiste sur le fait qu’il y a déjà eu quelques avancées. La première, c’est la reconnaissance du problème de la pédophilie à l’échelle mondiale. Jusqu’à ce jour, aucune instance – comme l’ONU dans le cas présent – ne l’avait dénoncé comme un problème important et réel, devant être traité. Une autre chose, c’est la reconnaissance de la douleur des victimes, qui ont vécu avec un sentiment de culpabilité et l’impression de ne pas être écoutés. Le Comité a été courageux, et cohérent. Je sais qu’ils ont perçu dans nos paroles une prise de position mûre, lorsque nous avons demandé aux représentants du Vatican de présenter des informations qu’ils ne nous ont jamais donné, qu’ils rendent compte des actions qu’ils mènent actuellement et qu’ils livrent les prêtres criminels devant les tribunaux civils.

Q. : Comment évaluez-vous les réponses des intervenants devant le Comité ?

R. : La comparution a été une sorte de farce. Ils ont commencé par reconnaitre qu’il y avait effectivement des pédophiles (dans le clergé), que c’était une grande honte pour eux et qu’ils étaient en train de prendre des mesures pour remédier à ce problème. La discussion est devenu un long dialogue de sourds. Nous avons insisté sur le fait que nous voulions avoir connaissance de cas concrets et nous leur avons expliqué les mesures qu’il fallait prendre. Ils répondaient qu’effectivement, il fallait faire quelque chose, mais ils n’ont apporté aucun fait concret. Ils ne nous ont transmis aucune liste de prêtres exclus du sacerdoce pour pédophilie. Au final, je ne les crois pas. Ou bien ils font très peu de choses, ou bien ils ne font rien du tout. C’était une situation ambigüe, et très confuse.

Q. : Comment qualifieriez-vous leur attitude ?

R. : J’ai noté beaucoup de peur, l’inquiétude typique de ceux qui sont pris en défaut et qui savent qu’ils défendent l’indéfendable. Quand on sait tout le mal qui a été fait à tant de vies humaine, il faut avoir un certain cynisme pour répondre ainsi.

Q. : Est-ce que les représentants du Vatican ont menti lors de l’audience ?

R. : Je ne pense pas qu’ils aient menti. Et je crois, comme ils l’affirment, qu’ils sont vraiment préoccupés et qu’il ont pris quelques mesures. Mais le problème, c’est que je pense qu’ils l’ont fait ça juste pour nous faire plaisir, et pour que nous arrêtions de faire pression sur eux. Ils ont utilisé cette manière de faire ambiguë, espérant qu’on tomberait dans le panneau et qu’on leur dise à la fin : « C’est formidable que vous pensiez à tout et merci ! » Mais on ne s’est pas fait avoir et on leur a dit clairement que nous ne les croyions pas, avec diplomatie, de façon cordiale et sans cri : « Nous ne vous croyons pas. On ne peut pas voir ce que vous faites. Les victimes continuent d’attendre des réponses. »

Q. : L’Eglise se considère-t-elle au dessus des lois ?

R. : Si on analyse les réponses qu’ils nous ont offertes ce jour là, ce n’est pas l’impression qu’ils nous ont donnée, bien que, dans les faits, ils ont effectivement agi ainsi, avec cette logique de continuer à protéger les pédophiles. Si on prend un militaire en flagrant délit dans ce genre de situation, on le livre immédiatement à la justice, alors il est difficile de comprendre pourquoi ils ne font pas pareil. La seule conclusion que j’en tire, c’est que les problèmes de pédophilie sont structurels, et tellement enracinés dans l’Eglise, qu’ils craignent qu’en traitant ces problèmes, cela ne provoque une hécatombe, et que toute la structure et tous les responsables soient compromis. Quand on voit la protection avec laquelle ils traitent ce sujet, on imagine que le problème est bien plus grand.

Q. : Les représentants du Vatican vous ont accusé d’empiéter sur la liberté religieuse. Qu’en pensez-vous ?

R. : Je pense que c’est une autre tentative d’esquive, afin de faire diminuer la pression. Ils ont prétendu que non seulement nous étions durs et injustes sur la question de la pédophilie, mais qu’en plus nous nous permettions d’interférer sur d’autres questions, comme celui de l’avortement, de l’homosexualité ou sur la question du genre. Mais ils savent aussi bien que nous qu’il n’y a eu aucune insistance sur ces questions-là.

Q. : Comment interprétez-vous le silence du pape François après le rapport ?

R. : En ce qui me concerne, j’aime bien les personnes qui prennent le temps de répondre, mais de façon cohérente et honnête. Il me semble logique qu’il n’ait pas pris la parole immédiatement : il doit parler avec des faits et présenter des propositions. S’il s’exprimait maintenant pour répéter ce que disent les portes-paroles du Saint Siège, il décevrait beaucoup de gens. Je pense qu’il prend du temps pour donner des réponses concrètes.

Q. : Pour les victimes, cela a été une grande victoire. Quelle est la prochaine étape pour elles ?

R. : Les victimes sont celles qui ont la haute main sur cette affaire. Je pense que nous avons accompli notre devoir, de façon mature et cohérente. Maintenant, c’est à elles de faire des réclamations dans leurs pays respectifs, de revenir à la charge et de bien s’organiser afin de voir comment obtenir que les faits que le Saint Siège a reconnu devant le comité soit suivis de mesures concrètes.

Q. : Les associations mexicaines demandent à ce que le Vatican soit jugé pour crime d’État. Pensez-vous qu’il y ait suffisamment d’éléments pour un tel procès ?

R. : Honnêtement, je ne sais pas quels sont les éléments nécessaires pour cela, et je ne me sens pas compétente pour en juger.

Q. : Le représentant du Vatican a déclaré qu’il y a autant de pédophiles dans l’Église que dans d’autres professions.

R. : Justement, en tant que guides spirituels, ils sont censés donner l’exemple. En outre, ce n’est pas parce que les autres le font que cela les exonère de toute responsabilité : ce sont eux qui ont choisi d’être des guides spirituels et qui ont choisi le célibat. La protection des prêtres criminels a créé des zones morbides, avec des situations malsaines, où la sexualité humaine est complètement déformée.

Q. : Pensez-vous qu’un jour la justice sera rendue aux victimes ?

R. : Je crois que l’homme progresse et que l’humanité posera un jour des limites à ceux qui en ont besoin. Peut-être que nous ne le voyons pas, mais la justice viendra.

Q. : Êtes-vous croyante ?

R. : C’est compliqué. Je crois en Dieu, mais dans le Dieu des pauvres. J’ai beaucoup de mal à croire dans l’institution ecclésiale, qui a commis tant d’erreurs, et qui se place toujours du côté de ceux qui ont le pouvoir. Cela ne m’aide pas à croire en elle.

Voir en ligne : “La pederastia está tan enraizada que la Iglesia teme una hecatombe”

Vos réactions

  • Lionel 21 février 2014 09:46

    Merci pour cet article extraordinaire qui met beaucoup de lumière sur cette affaire. Ces derniers jours, j’ai reçu des pétitions de catholiques en colère, exigeant des excuses de la part des Nations Unies… Comme quoi, il faut faire attention avant de lancer des accusations, et de jouer à la victime.

    Lionel

  • Xavier Léger 21 février 2014 07:24

    Il est indéniable que l’Église a fait de réels progrès au cours des 15 dernières années dans la gestion des affaires de pédophilie, en particulier sur le territoire français. Aujourd’hui, dès qu’un prêtre diocésain est soupçonné d’abus sexuels, l’affaire est transmise aux autorités civiles. Il est dommage que le Saint Siège n’ait pas apporté d’éléments de preuves concrèts et comptabilisés de tout cela lors de sa comparution, car cela aurait été tout à son honneur.

    Cependant, comme l’a très bien compris Sara Oviedo, nous savons qu’il reste des zones d’ombre et d’impunité, en particulier lorsque ces abus ont lieu dans des communautés surprotégées par l’Église en raison de leurs succès apparents.

    Xavier Léger

    • Inacceptable de la part du Vatican de se dérober ainsi !Honte à eux qui sont de véritables imposteurs de l’amour de Dieu qui lui n’a pas cessé de répéter par l’intermédiaire de son fils jésus que les enfants sont les premiers dans le royaume des cieux et qu’il fallait leur ressembler. Il est temps que ces imposteurs disparaissent !et la justice divine est en marche pour cela…Alléluia !

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