La carità disarmata

Lundi 26 février 2018

Nous publions aujourd’hui un article écrit par Milana, une personne proche de ce site, qui s’intéresse depuis plusieurs années à Communion et Libération, un mouvement fondé par Don Luigi Giussani, qui est régulièrement cité par la presse italienne dans des affaires de corruption.

Fin mai dernier, le pape François a définitivement réduit à l’état laïc le prêtre italien Don Mauro Inzoli, condamné en 2016 par la justice à près de cinq ans de prison pour avoir abusé sexuellement de cinq adolescents.

Cette décision a été rendue publique mercredi 28 juin par Mgr Daniele Gianotti, évêque du diocèse de Créma, où officiait l’ancien prêtre plus connu sous le nom de « Don Mercedes », en référence à ses goûts de luxe.

Le lecteur de « la Croix » non averti aura surtout retenu un scandale de plus lié à la pédophilie.

Le lecteur averti de « l’envers du décor » y voit aussi un triste épisode dans une suite sans fin de scandales émaillant depuis sa création l’histoire du mouvement Communion et Libération. En effet, ce que ne dit pas la presse française, c’est que Don Inzoli était également président de la Banque Alimentaire et que cet établissement avait été fondé en 1989 par Danilo Fossatti et Don Luigi Giussani, fondateur du mouvement Communion et Libération. La Banque Alimentaire fait partie de la « Compania delle Opere » (Compagnie des Œuvres, CDO) qui est la branche économique et financière du mouvement, pudiquement qualifiée « d’économie sociale et solidaire » et drainant en fait près de 5% du P.I.B. italien.

Ce lien permanent entre ce mouvement d’inspiration religieuse et les milieux d’affaires a été la source permanente de scandales révélés dès 2007 quand les juges de l’opération « Mains propres » ont mis à jour les dessous du dossier « Why not » (pourquoi pas), du nom d’une agence temporaire de travail en Italie du Sud.

La publicité d’autres cas de corruption s’est poursuivie depuis cette date sans discontinuer quand il s’est agi de Roberto Formigoni président de la région Lombardie, membre des « Memores Domini », mouvement opaque et hybride mi-laïc, mi-consacré par des vœux monastiques et supposé être l’élite de Communion et Libération. Plus récemment le scandale de la coopérative « la Cascina » liée à la mafia centrale de Rome et supposée s’occuper de façon désintéressée du sort des migrants dans les camps de réfugiés a porté un nouveau coup à l’image d’un mouvement que les italiens surnomment désormais « Communion et Facturation ». Il serait fastidieux de reprendre en détail toutes ces affaires, les corruptions liées à l’organisation de l’Expo Universelle, les rétro-commissions sur divers marchés publics, etc.

Aussi revenons plutôt, pour comprendre les fondamentaux de ce curieux mouvement, à ce que disait « Don Mercedes » lors de l’inauguration de l’entrepôt de la Banque Alimentaire. Il faisait référence à Don Luigi Giussani, le fondateur du mouvement qui jouit en interne d’un culte incontesté, dont tous les propos sont cités sans discernement, dont tous les ouvrages, quoique incompréhensibles, doivent être étudiés par les adolescents dans des groupes d’endoctrinement appelés « écoles de communauté ». C’est cette admiration béate de la personnalité du fondateur qu’exprimait alors Mauro Inzoli :

« Tout d’abord, la reconnaissance.

Aucun d’entre nous ne se serait déplacé, aucun d’entre nous n’aurait pris d’initiative, si nous avions pas d’abord reconnu que sur notre propre vie quelqu’un a pris l’initiative, nous a souhaité du bien ; et il nous a souhaité bonne chance dans la réalité concrète de la vie, il a pris soin de nous.

Ce fut le premier regard qui nous a fait imaginer et entrevoir une réalité qui est à l’intérieur et au-dessus de nous, qui est la raison pour laquelle nous sommes mobilisés quand nous nous conformons aux demandes d’une autre personne ». [1]

Depuis ses origines Communion et Libération a exclu tout débat interne, la seule et l’ultime référence étant la pensée, les écrits et – même dans le cas présent – le regard de Luigi Giussani décédé en 2005. Ce regard qui aurait été assez fort pour mobiliser, du moins le prétend-il, Mauro Inzoli.

Le successeur et porte-parole de Luigi Giussani, Don Julian Carron, s’est risqué onze ans après son décès à manifester sa personnalité en publiant à son tour un livre « la bellezza disarmata », (la beauté désarmée) destiné à reprendre et amplifier l’œuvre de son maître.

La parution de cet ouvrage a été évidemment un grand événement dans la « bande des quatre », le cartel des mouvements qui font et qui sont « l’Eglise dans l’Eglise » : les Focolari, les Néo-Catéchumènes, Communion et Libération et l’Opus Dei. Tout en s’accordant entre eux comme peuvent le faire en France des opérateurs téléphoniques jaloux de leurs parts du marché, ils se surveillent, s’épient et se copient mutuellement. Julian Carron a donc pris l’avantage sur les trois autres en créant le « buzz » autour de son livre « la bellezza disarmata » et en invitant les représentants des autres mouvements qui ne pouvaient se dérober à livrer en public leurs commentaires devant une salle comble à craquer. C’était il y a un peu plus d’un an le 20 juin 2016 au théâtre Manzoni à Monza.

Le vicaire général de l’Opus Dei pour l’Italie, Don Matteo Fabbri a tenu alors, dans son discours resté théorique, tout en exprimant sa pleine concordance de vues avec Julian Carron et la pensée de Don Giussani à marquer sa différence en se référant à José Maria Escriva Balaguer, fondateur de l’Opus. Après avoir dit que chaque page de Julian Carron stimulait sa pensée et exprimait des points de vue remarquables, il lui fallut bien trouver le ton juste pour une communication permettant d’établir un parallèle pertinent entre Saint José Maria et Don Luigi Giussani dont tous les adeptes espèrent avec impatience la canonisation qui permettrait de rattraper le retard pris en ce domaine sur l’Opus Dei.

S’appuyant sur la pensée abstraite de Giussani qui a toujours soutenu le primat de la raison et de sa raison [« La ragione è immanente a tutta l’unità del nostro io »], Matteo Fabbri, sans plus de justifications, considéra qu’il s’agissait, bien plus que d’une pensée brillante, d’un réel charisme, « au sens propre ».

Le mot était lâché.

Don Fabbri ne le justifie pas : il l’affirme. Pour couper court à toute discussion il le martèle : Giussani a reçu cette irruption de l’Esprit saint, ce cadeau pour l’édification de l’Eglise, dit-il, « ce pouvoir qui vient de l’Esprit Saint qui est la source de lumière et d’inspiration. C’est un regard qui résiste au temps. Et ce regard n’est pas celui d’un visionnaire : ce regard est celui d’un prophète ». La cause est entendue.

Ce regard aussi qui a tant influencé Mauro Inzoli…

Et, pour mieux enfoncer le clou, il convenait d’affirmer que Giussani est tout comme San Josémaria Escriva, le fondateur de l’Opus Dei. Alors Matteo Fabbri devient lyrique et parle de « charisme dans l’histoire » : « accepter, recevoir et transmettre un « charisme dans l’histoire », comme l’ont fait bien entendu Josémaria l’espagnol et Luigi l’italien, c’est reconnaître les signes des temps. »

Et tout le public conquis d’avance d’applaudir.

Il fallait toutefois reprendre en fin d’exposé l’avantage au profit de l’Opus Dei. Pour cela Don Fabbri a rappelé l’exigence de sainteté du mouvement : « nous voulons être saints ». Dans l’Opus Dei, ce volontarisme vient de l’homme avec toujours une pointe d’orgueil : on ne dirait jamais : « nous voulons être sanctifiés ». Mais On répétera : « nous voulons être saints ». « Ainsi, malgré tout, le charisme devient l’histoire dans notre vie, dans la vie de chacun d’entre nous » s’écrie Don Fabbri et il cite Escriva Balaguer pour terminer sa prise de parole sous les applaudissements nourris de l’auditoire.

Epilogue :

Après quoi les affaires continuent : ils veulent bien être saints, mais il leur faut également continuer à signer des contrats, faire de petits arrangements. C’est la vie…

Dans ce type de réunion il n’est guère question des bénéficiaires de la Banque Alimentaire, ni des migrants que reçoit l’Italie : mieux vaut s’en tenir aux généralités et aux belles envolées.

La charité est désarmée.

[1"Innanzitutto la gratitudine. Nessuno di noi si sarebbe mosso, nessuno di noi avrebbe preso iniziativa, se non avessimo innanzitutto riconosciuto che sulla nostra stessa vita Qualcuno ha preso iniziativa, ci ha voluto bene ; e ci ha voluto bene nella concretezza della vita, si è preso cura di noi. Questo è stato il primo sguardo che ci ha fatto immaginare e che ci ha fatto presentire una realtà che è dentro e sopra di noi, che è la ragione che ci mobilita quando ci pieghiamo sul bisogno di un’altra persona."

Vos réactions

  • Françoise 1er mars 2018 01:17

    Merci pour ce document précieux sur Communion et Libération. Très intéressant cette concertation entre différents groupes dérivants sectaires et cette mise en compétition cordiale. Ca rappelle les rencontres de Paray et à Béziers en France ces dernières années, entre l’Emmanuel, les Béatitudes, l’Opus Dei, Civitas pour préparer leurs offensives politiques et religieuses.

    Dernièrement, un documentaire passé sur la chaîne Arte, évoquait Inzoli et ses dérives, par l’intermédiaire de l’enquête de John Dickie sur la pédophilie cléricale, historien qui avait déjà enquêté par le passé sur la mafia et le Vatican.

    Voici le lien de présentation du documentaire. Il est encore visible en replay avec quelques minutes sur l’affaire Inzoli :

    http://www.leblogtvnews.com/2018/02/l-eglise-face-aux-scandales-pedophiles-document-accablant-diffuse-sur-arte.html

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