Le cardinal Schönborn confie qu’on ne l’a pas cru au sujet des victimes, et critique Ratzinger.

Mercredi 4 décembre 2019

Schönborn prend ses distances vis-à-vis des analyses du Pape émérite selon lesquelles la cause des abus seraient liée à la crise de 1968. Il attaque ensuite l’ancien secrétaire d’Etat du Vatican, Angelo Sodano.

Par Giovanni Panettiere

Vienne, le 30 novembre 2019 – Au sujet des affaires de pédophilie dans l’Église, le linge sale ne se lave plus en famille. Quitte à devoir lyncher le doyen du collège cardinalice et à corriger le pape émérite. Lors de sa dernière leçon à l’Université de Vienne, Cristoph Schönborn, l’archevêque de la capitale autrichienne, a montré que les choses ont changé au sein du peuple de Dieu sur cette question. A cette occasion, le cardinal, l’un des interprètes les plus autorisés de la réforme pastorale de Bergoglio, a évoqué l’accroc qu’il a eu en 1998 avec le secrétaire d’État du Vatican, Angelo Sodano, aujourd’hui âgé de 92 ans, au sujet des prédateurs en soutane.

Ce n’est pas un mystère qu’un différend a éclaté entre les deux cardinaux, mais jamais auparavant les détails sur l’origine de cette querelle n’avaient été divulgués. « Au sujet des victimes de pédophilie, Sodano ne m’a pas cru », a déclaré Schönborn dans son discours de 50 minutes. Pour comprendre les circonstances exactes de cette lourde accusation, il faut remonter dans le temps, en 1995 pour être précis : c’est au cours de cette année que l’archevêque autrichien a rencontré des personnes qui affirmaient avoir été abusées dans leur enfance par son prédécesseur, le cardinal Hans Hermann Groer. Ce dernier, écrasé par le poids des accusations, avait été contraint de démissionner. Aucune condamnation n’a jamais été prononcée contre le prélat pour la simple raison que les faits litigieux étaient prescrits. Le journaliste Hubertus Czernin, dans son livre d’enquête Das Buch Groer, parle de 2 000 enfants et adolescents qui auraient été violés par le cardinal décédé en 2003.

Au cours des trois années qui ont suivi sa nomination comme archevêque de Vienne, Schönborn, comme lui-même l’a raconté lors de son élocution, a pris le temps d’écouter de nombreuses personnes se présentant comme des victimes de Groer. Cela l’a profondément ébranlé, et il a été tellement convaincu de la véracité de leurs récits qu’en mars 1998, avec trois autres évêques autrichiens, il a déclaré publiquement qu’il était parvenu à la « certitude morale » que les accusations contre l’évêque émérite étaient « substantiellement » exactes. Quelques mois plus tard, les évêques autrichiens ont rédigé un rapport adressé au pape critiquant la manière dont l’Église avait procédé pour recueillir les plaintes contre Groer. Le document a été remis à Jean-Paul II lors de la visite canonique ad limina. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu le dialogue houleux entre Schönborn et Sodano. Voici comment Schönborn a évoqué cet échange lors de sa conférence : « Moi non plus, lors de ma controverse avec le cardinal Sodano, celui-ci n’a pas voulu me croire sur la pédophilie. Il m’a même lancé en me dévisageant : "Victimes ? C’est ce que vous dites ! » Mgr Kurt Krenn, évêque autrichien de Sankt Poelten, est également intervenu pour ajouter son grain de sel. Cet évêque a carrément accusé les autres membres de l’épiscopat autrichien d’avoir menti sur l’affaire Groer. Précisons qu’en 2004, Krenn sera à son tour contraint de démissionner à la suite d’un autre scandale de pédophilie : celui qui a éclaté dans son séminaire diocésain où plusieurs prêtres ont été accusés d’avoir téléchargé des vidéos pédopornographiques et d’avoir eu des relations homosexuelles. A l’époque, ces évènements avaient été qualifiés par l’évêque de « stupides jeux d’enfants ».

Mais le conflit entre Schönborn et Sodano ne s’est pas arrêté là. En 2010, lors des célébrations de Pâques sur la place Saint-Pierre, le cardinal italien a affirmé que les révélations sur les affaires de pédophilie dans l’Église n’étaient que des « jacasseries ». C’en était vraiment trop pour Schönborn qui, un peu plus tard, lors d’une réunion réservée aux journalistes, a fait part de son embarras, qualifiant les propos de Sodano de "lourde faute à l’égard des victimes". Des propos qui lui ont valu d’être convoqué au Saint-Siège par le pape Benoît XVI. À cette occasion, le cardinal, en présence de Sodano lui-même et du nouveau secrétaire d’État du Vatican, Tarcisio Bertone, a été ni plus ni moins contraint d’exprimer ses "regrets" pour le tintamarre suscité par sa déclaration, qui aurait dû rester confidentielle.

Cet épisode semble avoir jeté un froid sur ses relations avec Benoît XVI, qui avait été son mentor pendant longtemps. Ancien élève de Ratzinger, Schönborn, religieux dominicain de formation plutôt conservatrice et doté d’une bonne capacité de médiation (comme on l’a vu lors du récent synode panamazonien) et d’un enthousiasme pastoral progressif, avait contribué dans le passé à la rédaction de la dernière édition du Catéchisme de l’Église catholique, sous la direction du cardinal Ratzinger. Ce dernier avait même désigné à plusieurs reprises son jeune confrère comme étant son "fils spirituel". Peu de personnes s’attendaient à ce que le cardinal fasse une correction publique aussi franche du pape émérite. Et cependant, lors de sa conférence à l’Université de Vienne, Schönborn a voulu revenir sur le récent écrit controversé de Benoît XVI (le style soulevait des doutes quant à la paternité du texte) consacré aux causes de la propagation de la pédophilie dans l’Église.

« Le Pontife émérite a élaboré un diagnostic que je ne veux pas critiquer - a déclaré l’archevêque de Vienne -, mais je veux simplement offrir une correction en citant quelques chiffres. Benoît XVI estime que les abus sexuels commis par des prêtres sont les fruits du mouvement de 1968. Les statistiques pour l’Autriche révèlent une image complètement différente. » Dans le pays alpin en particulier, 60% des cas ont eu lieu entre 1940 et 1969. Comment expliquer cela ? « Dans les systèmes fermés, les abus sont beaucoup plus fréquents que dans les systèmes ouverts », a expliqué Schönborn, prenant ainsi ses distances du système ecclésial antérieur au Concile Vatican II (lequel s’était ouvert en 1962 et s’était achevé en 1965).

Source : quotidiano.net

Voir en ligne : https://www.quotidiano.net/esteri/a...

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