Comment lutter contre la pédophilie ?

Jeudi 15 mars 2018

Le pire c’était ceux qui disaient : « Ah mais vous comprenez : Dieu lui a pardonné, il faudra bien que vous lui pardonniez ». C’est terrible comme expression ! Combien de victimes ont entendu ça ! C’est absolument insupportable ! Imposer le pardon !… dans l’Eglise on est un peu obsédé du pardon. Par exemple, l’année de la miséricorde a été terrible pour les victimes, parce qu’on avait de la miséricorde pour tout le monde… sauf pour elles.

Il n’y a malheureusement pas un seul jour qui ne fasse pas état d’affaire d’abus sexuel sur des mineurs en France quel que soit l’environnement (famille, école, Eglise…). Plus de 156 000 mineurs seraient victimes de viols ou tentative de viol chaque année. Un fléau que la société et les institutions ont dû mal à combattre pour protéger les plus vulnérables. Qui sont les délinquants sexuels, pourquoi abusent-ils ? Dans quel cadre ? Pourquoi les laissent-on faire ? Que faire d’eux ? La société ouvrira t-elle un jour les yeux sur ce scandale et les conséquences pour les victimes dont la vie est parfois détruite à jamais. Il faut en moyenne 35 ans avant de dévoiler un abus dont on a été victime. Parole aujourd’hui au micro de Sophie Nouaille à un spécialiste de cette question :

Père Stéphane Joulain : Psychothérapeute et prêtre, membre de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) ; le père Joulain travaille cette question depuis plus de quinze ans, il accompagne les victimes et participe au traitement des auteurs d’abus sexuels au Canada. Il enseigne à Rome et en Afrique sur la prévention des abus sexuels. Il vient de publier « Combattre l’abus sexuel des enfants – Qui abuse ? Pourquoi ? Comment soigner ? » aux Editions Desclée de Brouwer. C’est, à ce jour, le seul livre qui traite le thème dans le monde francophone >> Le Centre for Child Protection (CCP) de l‘Université pontificale grégorienne est dédié à fournir des ressources pédagogiques – formation de base et formation spécialisée – aux personnes travaillant dans le domaine de la protection des mineurs.

https://radionotredame.net/emissions/enquetedesens/15-03-2018/

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Vos réactions

  • Françoise 18 mars 2018 01:08

    Une émission intéressante, en tout cas un premier pas fait par un prêtre qui peut parler de ce sujet en étant critique et informé suffisamment. J’ai écouté attentivement Stéphane Joulain, d’autant plus attentivement en tant qu’ancienne victime d’inceste, car je voulais comprendre où il se plaçait et ce qu’il pensait des violences sexuelles (pas seulement des crimes sexuels cléricaux).

    Cependant, je constate aussi de très gros manques informatifs dans cette émission :

    • Il faut en moyenne 16 ans à une victime d’abus sexuels pour parler. Pas 35 ans. C’est la victimologue Muriel Salmona qui l’a noté au travers d’une enquête à laquelle j’ai participé ainsi que de nombreuses autres victimes d’inceste mais aussi victimes de pédophilie.
    • Contrairement à ce que prétend Stéphane Joulain, l’Eglise s’est occupée dès 1947 du problème pédophile clérical en créant, via l’Ordre du Paraclet, toute une kyrielle de cliniques spéciales prêtres pédophiles dont la première clinique était établie à Jemez Springs au Nouveau Mexique aux US. Suite à cette création vaticane, ce type d’établissement en lien avec l’Ordre du Paraclet a été reproduit à l’identique dans un grand nombre de pays catholiques dont un établissement en France, mais dont personne ne parle. Il y avait également un établissement en Angleterre qui a fermé en 2004. Et il y en avait un en Italie aussi. Pourquoi Stéphane Joulain n’en parle pas alors qu’il est au courant de ce passé ? Je me suis posée la question.

    Car l’Eglise institutionnelle cléricale a exercé une expertise qu’elle a elle-même désavouée quand elle a désavoué le père Gérald Fitzgerald (de l’Ordre du Paraclet) qui avait réclamé depuis 1952 l’internement perpétuel des prêtres pédophiles et leur exclusion de toute responsabilité cléricale car il avait constaté dès 1952 et après cinq ans d’observation et de tentatives de traitement psy de ces prêtres pédophiles, que leur mal était incurable. Et donc que ces hommes présentaient un réel danger pour les enfants. Sa demande réitérée jusqu’en 1965 aussi bien auprès du Saint Office que des papes, a été rejetée et pire, le Vatican a décidé de réhabiliter et déplacer les prêtres incriminés tout en destituant Fitzgerald de ses responsabilités. La politique que nous voyons s’exercer actuellement au sein du clergé et du Vatican découle de ces faits. Ne pas les mentionner ne permet pas une parole vraie complète sur le sujet. Et ça me paraît grave puisque du coup, on ne comprend pas la raison des errances cléricales et vaticanes sur le sujet ni le pourquoi du déni et des déplacements et réhabilitations diverses cléricales pédophiles. Même après jugement pénal.

    • Autre élément, cette fois mentionné par Stéphane Joulain mais qui m’a choquée en tant qu’ancienne victime d’inceste : l’inceste serait motivé selon lui par la recherche du plaisir sexuel pour l’adulte agresseur. Or c’est complètement faux. La recherche du plaisir sexuel n’est pas la principale motivation chez les agresseurs incestueux. C’est au contraire la quête du pouvoir absolu, totalitaire qui les conduit d’abord à des conduites incestuelles vis à vis de l’enfant, mais aussi à des violences physiques, psychologiques, puis au passage à l’acte incestueux utilisé comme ultime moyen d’anéantissement et de contrôle totalitaire.

    La plupart des agresseurs intrafamiliaux n’ont pas de recherche de plaisir sexuel au travers de l’enfant. Le plaisir sexuel, ils l’ont dans une relation sexuelle adulte qu’ils assument et dans la masturbation. Par contre, l’inceste leur permet d’assouvir une quête de pouvoir absolu qu’ils ont et qui ne trouve pas satisfaction malgré la violence qu’ils imposent aussi bien dans leur vie amoureuse que familiale. L’enfant ne pouvant pas se défendre ou très peu, il est la cible idéale pour exercer sans contestation ou presque, des violences abusives de toutes sortes dont des violences sexuelles. C’est ce qui différencie les agresseurs incestueux des pédophiles faisant des fixettes sexuelles uniquement sur des enfants et ne pouvant pas envisager une sexualité avec des adultes.

    Ce qu’il faudrait poser comme question, c’est pourquoi certaines personnes adultes sont dans une recherche de pouvoir totalitaire et s’attaquent prioritairement à des enfants, à des personnes qui ne peuvent pas se défendre ou très peu ? C’est il me semble la question centrale à se poser et qui n’est pas abordée par Stéphane Joulain. Mais aussi en miroir intervient une autre question non abordée dans l’entretien : pourquoi notre société humaine valorise tant cette notion de pouvoir qui constitue l’origine des agressions et des violences sur l’ensemble des individus de tous âges et toutes conditions. Et constitue la principale motivation d’exclusion, d’oppression qu’elles soient pour des raisons religieuses, physiques, sexistes, racistes, etc.

    Je trouve vraiment dommage que Stéphane Joulain passe totalement à côté de cet aspect en mettant en avant dans l’agression sexuelle des mineurs, la recherche de plaisir par les agresseurs. Car en réalité, la recherche plaisir n’est pas si centrale qu’il le pense et le dit. C’est beaucoup plus la recherche de pouvoir qui entre en jeu.

    J’ai pu le constater en tant que victime d’inceste à différents âges et face à deux agresseurs très différents (homme et femme). Et je l’ai constaté au travers de témoignages d’autres victimes d’inceste sur différents forums et dans le cadre de différentes rencontres associatives de victimes.

    Dans le cadre clérical, il s’agit concernant les crimes sexuels sur mineurs et majeurs d’une recherche de pouvoir temporel et divin. On est dans un abus qui même dépasse le cadre habituel existentiel mais qui s’ancre aussi comme pouvoir totalitaire dans le domaine spirituel.

    Or cette quête du pouvoir totalitaire reste un aspect fondamental religieux, toutes religions confondues. Dans toutes les institutions religieuses, c’est une valeur centrale, ce pouvoir vécu comme sacré par le clergé comme les croyants, et donc devant rester impuni car prétendu d’essence divine. Et c’est bien pour cela que l’Eglise catholique romaine exactement comme les autres institutions religieuses ne peut pas traiter la problématique pédophile cléricale en son sein. Parce qu’elle est basée sur le pouvoir totalitaire temporel et spirituel. Donc s’oppose à toute forme de contrainte sur le clergé, même si ce dernier peut se révéler criminel.

    Un aspect profond de l’importance du pouvoir dans l’acte pédophile clérical, c’est l’argument développé par les prélats auprès de leurs victimes : ils parlent d’acte sacré, d’étreintes mystiques, d’initiation façon illumination religieuse…On retrouve aussi ces termes quand il s’agit d’agresseurs religieux de victimes adultes. Se sont les mêmes arguments qui sont développés pour justifier viols et abus et éteindre toute forme d’opposition et de contestation.

    • Autre oubli malheureux de l’entretien : il faudrait quand même expliquer que l’Eglise catholique romaine a durant longtemps recruté moines, moniales, prêtres directement dans les familles quand les candidats étaient des enfants pour les amener enfants dans des abbayes pour les former à leur future profession religieuse. La plupart de ces enfants avaient 8-9 ans au moment de leur départ dans ces couvents, monastères, petits séminaires. Et la première chose qui se passait pour que les adultes religieux puissent disposer d’une pleine autorité sur ces enfants enlevés à leurs familles, c’était très souvent un acte de violence et parfois de pédophilie. Différents ouvrages anciens y font référence qu’il s’agisse d’auteurs comme Diderot, Sade, Hugo, Crébillon fils, Restif de la Bretonne, Pierre-Jean de Béranger…

    C’est pourquoi dès ses débuts institutionnels, l’institution cléricale romaine est déjà engluée dans des affaires pédophiles cléricales. Qui ne cesseront en France qu’au moment de la Révolution de 1789. Mais qui reviendront à partir des années 1830 quand l’institution peut refonder monastères, couvents, petits séminaires, etc. Et l’institution va trouver un moyen supplémentaire de pouvoir reprendre ce type d’emprise pédophile, se sont les colonies pénitentiaires pour garçons et les couvents prisons pour filles. Au niveau de la formation cléricale à partir de 1830, l’âge requis pour entrer en religion c’est non plus 8 ou 9 ans comme avant la révolution, c’est 16 ans. On le sait via différentes vies de saints du 19e siècle. Et cet âge ne cessera de grimper pour s’aligner sur la majorité, c’est à dire l’âge adulte capable de discernement (21 ans au départ, puis 18 ans actuellement). Cependant, nous pouvons remarquer que concernant certaines communautés catholiques dérivantes et sectaires, que le recrutement se fait très tôt, par le biais de l’engagement familial parental (je pense notamment aux communautés charismatiques mélangeant familles et engagés religieux), ou d’embrigadement par le biais d’activités périscolaires, d’écoles hors contrat, de retraites et camps proposés pour les enfants par des religieux (Opus Dei, Focolari, Légionnaires du Christ, par exemple). Il y a donc toujours des tentatives religieuses d’instrumentaliser et de formater suffisamment tôt les enfants pour rapidement en faire des membres du clergé avant leur majorité.

    • Là où je rejoins Stéphane Joulain, c’est dans ce qu’il dit dans les 15 dernières minutes de l’émission. Mais à ce qu’il dit sur l’accueil, l’écoute de la parole des victimes et sur comment faire pour les aider, j’ajouterai qu’il faut raconter l’histoire de l’Eglise vis à vis de la pédophilie cléricale. Pas la passer sous silence pour que ces crimes sexuels continuent. Tant que cette histoire dont je fais mention en partie sur ce message n’est pas racontée aux croyants et n’est pas admise par l’institution elle-même, tout continuera comme avant.

    Et l’on voit bien à quel point le déni de l’institution cléricale est profond. Combien l’institution cherche à protéger ses clercs de toute forme de sanction pénale par rapport à la pédophilie de certains de ses clercs. Que ce soit par des manœuvres juridiques pour obtenir des délais judiciaires supplémentaires en cas de mise en cause, plainte au pénal, que ce soit par des pressions sur les victimes et leurs familles, par des pressions médiatiques, du révisionnisme historique, que ce soit par un désaveu des sanctions pénales, par une réhabilitation cléricale et pontificale, que ce soit par le déplacement des prêtres pédophiles en toute connaissance des faits et des conséquences…

    Et oui, il y a une vie après les abus et les viols. Qui peut être heureuse et épanouie. Mais, car il y a un mais, l’abus sexuel, le ou les viols reviennent cycliquement en terme de souffrance majeure chez les victimes par des résurgences tout au long de la vie, souffrances qu’il faut au fur et à mesure traiter si l’on ne veut pas être à nouveau submergé(e).

    Toutes les victimes le savent. Et malheureusement, toutes n’ont pas la force ni le réflexe de se faire aider ponctuellement pour traiter et surmonter chaque difficulté qui se présente en lien avec ces violences sexuelles originelles. D’où de nombreux suicides, de nombreux comportements à risque (addictions sévères, automutilations alimentaires mais aussi tortures physiques et mentales, mises en danger, négligence de sa santé, de ses droits et de ses besoins fondamentaux).

    Par delà les actes criminels pédophiles, les victimes doivent faire face suivant leur âge, leur genre, à des tas de problématiques qu’elles n’auraient jamais affrontées si elles n’avaient pas subi des violences sexuelles. C’est en cela que ces souffrances extrêmes qui se manifestent longtemps après les actes criminels sont un frein immense à la libération de la parole des victimes, mais aussi un frein à la résilience et à une vie heureuse.

    Ce qui fait dire à nombre de victimes et à moi la première, que ces crimes sexuels sont des crimes contre l’humanité, que se sont également des bombes à fragmentation qui continuent de faire des dégâts tout au long de la vie et notamment sur les aspects les plus intimes, les plus privés de l’existence humaine, souffrances pouvant mener les victimes au suicide.

    Ne pas oublier que le viol, les abus sexuels sont utilisés comme des armes de guerre. La recherche de pouvoir absolu et aussi de destruction complète d’autrui jusque dans son intimité la plus vive, est donc au cœur des abus et violences criminelles sexuels.

    C’est en cela que ces crimes sont les plus dérangeants pour toute la société humaine. Parce qu’ils lui rappellent qu’elle a, vis à vis de ses congénères, aussi bien des élans de partage, d’entraide que des aspirations de destruction complète par le contrôle totalitaire y compris au plan de l’intimité et de la sexualité.

    Et c’est d’autant plus dérangeant quand ces crimes se passent au sein de la famille mais aussi d’institutions sensées protéger les individus de toute forme de violence et d’abus. D’où la difficulté de légiférer vraiment sur ces questions et de façon nette aussi.

    Actuellement, concernant les crimes sexuels sur mineurs, des lobbies masculinistes mais aussi des lobbies fondamentalistes religieux tentent d’inverser les responsabilités pénales en les replaçant sur les victimes et ceux qui dénoncent les crimes sexuels (notamment par le biais de l’invention du Syndrome d’Aliénation Parentale) tout en donnant au crime sexuel sur mineurs et notamment concernant l’inceste sur mineurs, une fonction d’initiation, d’éducation et d’épanouissement.

    https://www.huffingtonpost.fr/patric-jean/inceste-syndrome-alienation-parentale-negationnisme-tribunaux-francais_b_10257316.html

    Ces arguments imprègnent aujourd’hui nombre de jugements concernant les crimes sexuels sur mineurs en France et en Europe. C’est aussi un frein à la prise en charge pénale et judiciaire correcte des crimes sexuels et dans la prise de conscience des dégâts que ces crimes font sur les victimes. C’est aussi un frein considérable à la parole libérée des victimes, tout autant que peut l’être la mémoire traumatique ou la peur de l’agresseur, la peur des réactions de l’entourage.

    En France, les professionnels de santé y compris en secteur hospitalier sont très peu formés sur ces questions. Il en résulte un défaut de prise en charge des victimes. Il existe pourtant des documents à destination des professionnels de santé, documents créés par l’AIVI (association internationale des victimes d’inceste) mais aussi créés par des victimologues spécialistes des crimes sexuels. Mais la diffusion de ces documents reste assez confidentielle, située essentiellement dans les villes où les associations de victimes de crimes sexuels font de la diffusion régulière d’information sur le sujet et donc déposent de la documentation. C’est donc souvent aux victimes qu’il revient d’informer les professionnels de santé. Ce qui peut constituer une triple peine. Malheureusement à ce jour, c’est la seule façon de pouvoir faire un peu évoluer les mentalités et les comportements vis à vis des violences sexuelles, sur le secteur médical et santé.

    Et j’ai l’impression, malgré la présentation d’un diplôme universitaire et d’une formation sur ce sujet, qu’il faut surtout compter sur la pression internationale et judiciaire des associations de victimes sur les instances religieuses protégeant et tentant de soustraire leurs clercs criminels à la justice pénale.

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