Le déni de réalité : double peine imposée aux victimes de dérives sectaires

Lundi 2 février 2015 — Dernier ajout mercredi 15 juillet 2015

La commémoration de la libération du camp d’Auschwitz a provoqué un certain nombre de cérémonies et d’articles. On ne saurait, en la circonstance, faire l’économie d’une réflexion sur ce qu’est le négationnisme ainsi que sur son expression abâtardie et heureusement affaiblie que nous rencontrons constamment à propos de la dérive sectaire et qui s’appelle le déni de réalité.

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A. Mais arrêtons-nous tout d’abord sur le négationnisme.

Le terme « négationnisme » est un néologisme créé en 1987 par l’historien Henry Rousso pour désigner le fait de contester la réalité du génocide mis en œuvre contre les Juifs par l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre Mondiale, c’est-à-dire la négation de la Shoah. Le négationnisme consiste ainsi à prétendre, soit qu’il n’y a pas eu d’intention d’exterminer les Juifs, soit que les moyens de réaliser cette extermination, notamment les chambres à gaz homicides, n’ont pas existé.

Le négationnisme est un délit.

Il est important pour nous de bien saisir les 3 familles d’arguments utilisés par les négationnistes.

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1. Argument de la rétro analyse

Les différents témoins seront de fait présentés comme autant d’agents manipulateurs (stipendiés par le KGB, la CIA, la DGSE, par exemple). Leur faible nombre (dû au génocide) sera utilisé comme une preuve du caractère « secondaire » de l’événement.

Cette approche renversée de la réalité implique inversement de gonfler un événement réel ou de créer un événement imaginaire (théorie d’un « complot juif international », théorie du complot prémédité, de la part de la victime cherchant un prétexte, ou d’une tierce partie ayant intérêt au déclenchement des hostilités). Ainsi, le fait qu’un événement ait servi de prétexte à une action (militaire, judiciaire, etc.) pourra servir à remettre en cause sa réalité en tout ou partie, bien qu’il n’y ait aucune implication logique entre les deux termes de l’argumentation. L’effet recherché est de « saper » la légitimité de l’action et de renverser les responsabilités

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2. Neutralisation des témoins

Le silence sur les événements par tous les moyens, la neutralisation (de la ridiculisation à l’élimination) des personnes qui affirment l’existence de génocides sont des constantes de ce type de démarche (que l’on peut résumer par la formule « aucun témoin ne doit survivre »).

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3. Utilisation des médias

L’argument principal de X consiste à exprimer, sur le ton le plus élevé qui soit, son propre mépris pour toutes les preuves qui parlent contre lui […]. Tout cela provoque Y ou Z à publier une mise au point telle que celle-ci. X devient désormais le très discuté professeur X et son livre reçoit des comptes rendus respectueux écrits par des non-spécialistes dans des magazines influents. Puis s’ouvrent la radio, la télévision et les colonnes de la presse quotidienne.

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B. Maintenant réfléchissons aux causes du déni de réalité quand est observée une dérive sectaire.

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Trois arguments des négationnistes

Nous retrouverons inévitablement les trois arguments des négationnistes :

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la rétro analyse

toujours facilitée par le faible nombre de témoins, l’ancienneté des faits incriminés (souvent le délai de prescription est dépassé), le renversement des responsabilités : c’est la victime, laisse-t-on entendre, qui a un intérêt à saper une réputation, à obtenir des dommages-intérêts indus, etc.

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la neutralisation des témoins

par le chantage, l’achat du silence, la pression indirecte par tous moyens, l’internement psychiatrique. Ou encore, parce que la victime a besoin de se faire suivre par un psychiatre on inverse la relation de cause à effet : « elle nous a quittés parce qu’elle était en proie à des troubles mentaux. Ayons pitié d’elle. La pauvre ! ». Condescendance qui tue une seconde fois.

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l’utilisation des médias

l’outrecuidance est payante. Une dénégation catégorique de la part d’une institution ayant pignon sur rue, d’un fondateur de communauté beau parleur donne toujours à réfléchir aux médias. La naïveté des intellectuels, la crédulité de certains universitaires (ou théologiens, ou même cardinaux pourquoi pas) peut aussi être utilisée.

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Deux autres raisons d’ordre psychologique

Ajoutons à ces trois arguments deux autres raisons d’ordre psychologique :

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1. La difficulté à penser l’impensable

L’impossibilité de se représenter ce qu’on n’aurait soi-même jamais pu imaginer : l’industrialisation en chaîne de la mort dans le camp de concentration dans le cas de la Shoah.

Mais dans le cas de la dérive en milieu ecclésial : « Il est impensable que l’aumônier de mon petit garçon ait pu lors du camp de vacances se permettre de… ». « Ces racontars de la jeune novice ne peuvent être qu’une calomnie contre son confesseur ». « Comment croire un instant que cette Communauté à laquelle je verse une offrande annuelle pour ses bonnes œuvres fricote avec les marchés publics en versant d’énormes dessous de table à ses Supérieurs ? ». « Pourquoi oser dénigrer l’Église à propos des jeunes africaines et asiatiques qui nous ont servi nos repas lors du pèlerinage paroissial à Lisieux en prétendant que ce sont des travailleuses immigrées, abusées, exploitées, sans papiers, sans ressources et sans soins médicaux : elles n’auraient pas été si souriantes ! ». « Il est tout à fait normal que cette vieille dame sans héritier direct ait légué toute sa fortune à la Communauté Machin – chose ; il faut vraiment être mal intentionné pour parler de captation d’héritage », et ainsi de suite… Les exemples sont fort nombreux.

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2. Le déni de réalité

peut également être la seule façon de survivre à une situation intenable.

Ne plus y penser. Éviter qu’un système de valeurs ne s’écroule, qu’une représentation du monde ne s’effondre. C’est vrai pour les victimes. Cela l’est également pour leurs proches, mais aussi pour les bourreaux ou manipulateurs pervers eux-mêmes. Ce mécanisme psychologique peut très bien être inconscient aussi bien que conscient. Il est libérateur, du moins en apparence car il permet à la vie (ou plutôt à l’existence) de se poursuivre. C’est la raison pour laquelle tant de victimes ne souhaitent pas parler, ne souhaitent pas témoigner, n’aiment pas qu’on les questionne, que des parents ferment les yeux sur ce qu’ils ne veulent pas voir concernant leur enfant.  Enfin à ces trois arguments et à ces deux raisons, il convient d’en ajouter une dernière, et non la moindre : la mauvaise foi. « Il ne faut jamais ajouter foi aux paroles des ex-religieux quand ils disent du mal de leur ancienne communauté. Ils veulent se justifier parce qu’ils sont partis ».

Jean-Christophe Dartimon

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