ARCHIVE : La lettre du frère Dominguez sur le père Maciel (1954)

Mercredi 26 mars 2014

Le document qui suit est une lettre écrite par le père Federico Dominguez, un religieux espagnol qui avait quitté le séminaire des jésuites pour rejoindre la Légion du Christ. Elle est adressée au vicaire de l’archidiocèse de Mexico. Malgré la gravité de ses accusations, cette lettre sera sans effet.

Que ton Règne Vienne !
Tlalpan, le 24 août 1954

Son Excellence Mgr Francisco Orozco Lomelí Vicaire Général de l’Archidiocèse de Mexico

Monseigneur,

Obéissant en conscience à l’ordre que vous m’avez donné d’exposer, sous serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, les faits relatifs à la vie et aux agissements du Révérend Père Marcial Maciel, Supérieur Général et Fondateur de l’Institut des Missionnaires du Sacré Cœur, moi, soussigné Federico Dominguez Moreno, âgé de 28 ans, prêtre, licencié en théologie, religieux profès, actuellement préfet des études et gérant de l’Ecole Apostolique du Sacré Cœur de Tlalpan, avec une grande tristesse, tout en faisant remarquer que je ne me permets en aucune façon de m’immiscer sur le terrain des intentions, ni sur les responsabilités morales du père Maciel, je déclare les faits suivants :

1. Cela fait au moins dix ans que le père Maciel ne prie pas le bréviaire, prétextant avoir des empêchements physiques (dus à ses problèmes de santé) ou manquer de temps. Il a cependant le temps de lire en détail la presse quotidienne, voire des revues superficielles comme Life ou Selecciones. Personne n’a pu vérifier qu’il ait effectivement obtenu une dispense de la prière du bréviaire.

2. Depuis que je suis entré dans la congrégation, il y a huit ans, personne n’a vu le père Maciel – sauf en de très rares occasions – effectuer sa méditation du matin d’une heure, comme l’exige notre règle. Le père Maciel prétend qu’il fait son oraison la nuit, pendant ses insomnies, mais c’est une information que personne n’a jamais pu vérifier.

3. On ne le voit jamais faire de longues visites au Saint Sacrement ni même passer quelques instants pour faire une prière devant le Saint Sacrement ou à la chapelle. Il affirme qu’il lui suffit de garder son âme unie à Dieu au milieu de ses occupations quotidiennes. Pourtant, l’Eglise a toujours enseigné que le contact avec Dieu dans la prière est particulièrement nécessaire à une âme qui s’épuise dans les tâches spirituelles.

4. La régularité des religieux qui l’accompagnent dans ses voyages et dans ses affaires ou qui le soignent quand il est malade ne semble pas le préoccuper le moins du monde : aucun horaire fixe de réveil, pas de temps prévu pour la méditation, les examens de conscience et la lecture spirituelle (sauf rares exceptions). Il donne le mauvais exemple.

5. Le père Maciel a beaucoup de mal à garder pour lui ce qu’il sait de manière confidentielle, parfois sous le seau du secret. Il s’est permis de faire lire à mon frère, qui est également religieux à Rome, certains de mes écrits personnels (en l’occurrence, une confession générale de toute ma vie que j’avais faite pendant mes exercices spirituels et dans laquelle je parlais de tout, y compris de mes tentations). Je m’en suis rendu compte quand j’ai découvert un mémo dans mon cahier sur lequel il était était écrit à peu près ceci : « Nuestro Padre, je vous rends ce cahier après la lecture déplaisante que nous avons faite ensemble de certains passages. Signé : José Dominguez ». Par égard pour le père Maciel, et parce que cette affaire remonte à l’année dernière – alors que j’essayais encore de lui trouver des excuses – j’ai déchiré ce mot. Mais il suffit d’interroger mon frère pour vérifier la véracité des faits.

6. De même, le père Maciel m’a rapporté de façon confidentielle un certain nombre de faits concernant d’autres religieux que je ne peux pas révéler sans trahir le secret de conscience. Une fois (il y a un peu plus d’un an), il m’a même demandé d’écrire à tous les religieux qui font leurs études à Rome, afin que je donne à chacun des conseils pour les aider à affronter leurs difficultés avec la chasteté et avec la vocation. Ces lettres, une trentaine environ, ont été ensuite signées par le père Maciel.

7. Les mensonges, tergiversations, exagérations et déformations sont choses « habituelles » chez le père Maciel. J’ai été son secrétaire particulier pendant quatre ans (depuis mon entrée dans la congrégation, en 1948, jusqu’en 1952, quand je suis arrivé au Mexique). Or, un jour, j’ai voulu lui faire prendre conscience de cela. Il m’a répondu que j’étais bien trop naïf et que je ne connaissais rien sur la manière avec laquelle les supérieurs devaient procéder. J’ai eu l’occasion de constater (puisque c’est moi qui ai rédigé la plupart des documents qui ont été envoyés à la Congrégation pour les Religieux de la part des membres de notre congrégation) les arguties et les procédés douteux dont s’est servi le père Maciel pour répondre, l’une après l’autre, aux accusations présentées à Rome par le Révérend Père Lucio Rodrigo, S.J., au nom du Père Sergio Ramirez. J’ai également été témoin de la manière violente et contrefaite avec laquelle le frère Rafael Cuena, qui était à l’époque théologien à l’Université de Comillas, a du présenter un rapport sur certains faits. En fait, tout porte à croire que le père Maciel, pourvu d’obtenir un appui moral, une collaboration économique ou de se libérer d’une accusation, applique le principe que « la fin justifie les moyens. »

8. Le père Maciel m’a donné un jour la permission de rassembler les informations relatives à son histoire personnelle. Et ce faisant, j’ai pu me rendre compte des exagérations et des déformations de faits, allant jusqu’à paraître surnaturels, que le père Maciel faisait dans son récit, afin de toujours le faire apparaître comme un protagoniste et un héros. Parmi les éléments que j’ai pu récupérer, j’aimerais insister sur ce que le Dr. Ramon Suarez, de Morelia (Michoacán), a dit au sujet de sa mystérieuse maladie (mystérieuse parce que le père Maciel passe son temps fuir les médecins, et essaye de faire croire qu’il ne s’agit que d’une affection du foie) : à savoir que c’est « la maladie la plus humiliante dont peut souffrir un prêtre ». Cette information a été complétée il y a peu par le père Maciel, en ces termes : « l’urologue de New York (qui est juif) m’a dit que les catholiques sont des gens brutaux et cruels (sic) parce qu’à cause de leur morale, ils ne me permettent pas de m’appliquer le remède qui serait pourtant le plus simple pour ma maladie. Il suffirait en effet que j’accomplisse un acte contre la loi de Dieu pour me soigner ». Pour toutes ces raisons, j’en suis venu à la conclusion que le père Maciel devait souffrir en fait d’une affection des glandes sexuelles.

9. L’esprit de pauvreté le plus élémentaire pour un religieux ne se trouve pas chez le père Maciel. Quand il prend l’avion, il voyage toujours en première classe, et réserve souvent une couchette dans l’avion. Il mange très rarement les repas préparés pour la communauté et ceux qu’on lui prépare doivent être exquis et parfaitement assaisonnés. Si ce n’est pas le cas, il n’hésite pas renvoyer les plats à la cuisine.

10. Le père Maciel affirme que la pauvreté du « légionnaire du Christ » (Il présente la congrégation depuis cinq ans sous ce nom, mais personne n’a pu vérifier qu’il a bien reçu l’autorisation de la Congrégation pour les Religieux pour cela.) doit être « digne », et cette dignité, il l’interprète dans un sens très particulier : en se logeant dans des hôtels de luxe (comme le Waldorf de New York ou le Plaza de Madrid) et en prenant ses repas dans les restaurants les plus chers.

11. Lorsqu’il est au Mexique, il loge très rarement à l’Institut Cumbres ou à l’Ecole Apostolique, qui sont nos deux maisons religieuses sur le territoire. Il préfère se faire inviter par Mme Consuelo Sanchez Fernandez, ou plus récemment par Mme Flora Barragan Garza (bien que cette dernière habite à Monterrey). Il se couche et se lève à n’importe quel heure, et il suffit qu’il ait eu une indisposition pendant la nuit pour qu’il ne célèbre pas la Sainte Messe ni ne reçoive la sainte communion le jour suivant, même si ensuite, il passe le reste de sa journée à travailler et à faire des visites.

12. Bien que le père Maciel passe son temps à expliquer que la médisance est l’un des pires fléaux de la vie religieuse, j’ai reçu à plusieurs reprises des confidences de sa part sur des faits ou des avis contenant de graves critiques, spécialement à l’égard de la Compagnie de Jésus.

13. Le père Maciel élabore des plans d’apostolat éblouissants afin d’impressionner l’imagination des plus jeunes : il parle de radio, de presse, de télévision, de formation des leaders de la société, d’organisations internationales pour les universitaires et les ouvriers. Il considère que l’un de ses plus grands succès, c’est d’avoir réussi à introduire dans les Constitutions un canon stipulant que le Directeur Général de la congrégation peut adopter n’importe quelle forme d’apostolat. Il change souvent ses plans et, encore plus fréquemment, ses plans sur tel ou tel religieux, si bien que ces derniers ne savent jamais vraiment à quoi s’en tenir pour leur prochain apostolat, même si, à côté de cela, il assure qu’il veut toujours respecter la « seconde vocation » de chacun. Et le pire, c’est qu’il présente très souvent de vagues projets, voire des plans fugaces, aux bienfaiteurs comme s’il s’agissait de réalités déjà existantes.

14. On peut noter chez le père Maciel une grave méconnaissance de certaines obligations canoniques. Encore récemment, par exemple, il a célébré la messe, puis il a cédé la place à un autre religieux pour aller écouter des confessions, tout en faisant en sorte que l’autre religieux entende les confessions, n’ayant aucune des deux autorisations nécessaires pour faire cela dans ce diocèse. Du reste, le père Maciel n’avait pas le droit de célébrer la messe dans ce village sans l’autorisation du curé (c’était un jour ordinaire), selon ce que lui a pourtant affirmé le sacristain. J’ai été témoin de tout cela. J’ai d’ailleurs pu constater moi-même que la manière de procéder du père Maciel a beaucoup choqué (Il s’agit de la paroisse Quitupan, dans le village d’Agua Blanca, qui appartient à l’archidiocèse de Guadalajara).

15. Malgré les mises en garde de plusieurs médecins sur les graves conséquences psychologiques et organiques que cela peut entrainer, le père Maciel, pour traiter sa maladie, s’injecte (et autant qu’on sache, de façon très fréquente) un médicament contenant des stupéfiants. Il arrive à se procurer ces injections où qu’il soit, à n’importe quel prix et par n’importe quels moyens. Bien que je ne connaissais pas la nature exacte de ce médicament, j’ai pu me rendre compte que, quand il est en période de crise, il s’injecte environ une dose toute les cinq heures. Le père Maciel a fait tout son possible pour cacher cela aux religieux, mais beaucoup sont déjà au courant. Quand il n’a personne sous la main, il se fait lui même les piqûres. Sous l’effet de ces drogues, il se met à faire des plans grandioses d’apostolat et il raconte publiquement à ceux qui l’entourent ce qu’il pense d’eux et de leurs défauts personnels. Certains religieux qui ne connaissent pas le fond du problème, imaginent que le père Maciel a un don de « clairvoyance spirituelle ».

16. Le père Maciel m’a dit une fois qu’il ne savait pas comment une personne (il s’agissait d’un prélat travaillant à la curie) pouvait lui dire certaines choses et lui donner certaines informations… (J’ai compris, en entendant ses réticences, mais surtout parce que j’étais au courant des faits en questions, qu’il s’agissait de choses soumises au très délicat secret du Saint Office). La réalité, c’est que le père Maciel, grâce à certaines personnes placées dans certains dicastères, dont il entretient l’amitié en leur faisant fréquemment des cadeaux, se tient au courant des accusations qui parviennent au Saint Siège contre la Congrégation. C’est ainsi qu’il a réussi à savoir, en 1948, ce qui posait problème, aux yeux de la congrégation du Saint Office, pour lui concéder le « Nihil Obstat ». Il a également reçu des confidences à propos de sujets très délicats, comme par exemple le récent processus de nomination de l’archevêque de Mexico, ce qui l’a conduit à faire deux allers-retours en un seul mois entre Rome et Mexico. Après quoi, il m’a dit sous forme de confidences qu’il avait contribué à la gestion et à l’évolution de ce dossier. Je peux également témoigner (parce que j’ai été le responsable des archives secrètes de la congrégation pendant deux ans) qu’on y trouve les photocopies des accusations envoyées par le père jésuite Lucio Rodrigo, depuis Comillas, à la Congrégation pour les religieux.

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Avec de telles racines, vous pouvez facilement imaginer qu’il y a une multitude de petits détails, qu’il serait trop long d’énumérer, dans lesquels apparaît le manque d’exemplarité religieuse qu’un Supérieur Général, et surtout un Fondateur, est supposé avoir à l’égard de ses propres fils en Religion.

Vous vous demanderez peut-être, ainsi que son Excellence Mgr Darío Miranda, Archevêque de Mexico, qui vous a délégué la tâche de traiter cette affaire, comment, devant l’accumulation de toutes ces déviances, j’ai pu persévérer aussi longtemps dans la congrégation du père Maciel, et comment font les autres religieux pour supporter tout cela. A cette question, je dirais que nous avons tous été influencés par différents facteurs. En premier lieu, il faut dire que le père Maciel n’a pas toujours été comme ça : la courbe de sa décadence spirituelle s’est accentuée sensiblement au cours des dernières années. Ensuite, je dirais que la santé du père Maciel, au moins depuis que je le connais, il y a huit ans, s’est considérablement dégradée. Or, sa maladie, dont un nombre restreint de religieux connait ou croit connaître la vraie nature, nous a obligé à avoir une très grande bienveillance à son égard. A cela il faut ajouter que cette auréole de sainteté, cette atmosphère de vénération dont le père Maciel a toujours été entouré (une ambiance psychologique qu’il alimentait en racontant à chacun, et en secret, des détails sur ses soi-disantes apparitions du démons et sur d’autres faits surnaturels), nous empêchait de voir les choses avec réalisme et objectivité. Nous avons toujours essayé d’interpréter ce qui lui arrivait, même si cela était source d’inquiétude pour nous, comme quelque chose de surnaturel, ou de bénin, comme les limitations d’une personne malade. Cependant (mais je ne suis peut-être pas absolument objectif, pour avoir vécu à ses côtés et avoir été son secrétaire particulier pendant quatre ans), je crois pouvoir affirmer qu’une partie des religieux qui ont une plus grande maturité spirituelle et une plus grande préparation intellectuelle à l’intérieur de la congrégation sont conscients de certains aspects du problème, même s’ils diffèrent quant à l’interprétation (Pour certains, il est absolument impossible que le père ait pu déformer sa conscience). Mais surtout, ils ont beaucoup de mal à se mettre d’accord pour trouver une solution pratique à ce problème. Je vous avoue qu’en ce qui me concerne, j’ai d’abord pensé à me séparer de la congrégation du père Maciel, sans informer la hiérarchie ecclésiastique de mes motivations. Et si je me suis donné la peine de rédiger ce rapport, c’est seulement parce qu’un supérieur compétent me l’a demandé, en conscience. Et pour cela, j’ai dû me faire violence. Mais je ne peux fermer les yeux sur le fait que de grands intérêts pour l’Eglise et pour les âmes dépendent de la résolution de ce problème, et qu’en continuant dans cette direction, tout ce qu’on peut espérer, c’est la déformation et la ruine spirituelle de nombreuses âmes. Déformation et ruine, que le Saint Siège peut encore empêcher s’il prend les mesures adéquates, étant donné que la grande majorité des religieux et des futurs religieux qui militent dans la congrégation du père Maciel ont un bon esprit, et un désir sincère de servir Dieu en esprit et en vérité.

Après m’être senti obligé, en conscience, de rédiger ce rapport, j’ai le grand honneur de vous témoigner mes humbles et respectueuses salutations, et restant à votre disposition, je vous demande votre bénédiction pastorale.

Federico Dominguez, L.C.

Le 10 avril 2005, soit cinquante-et-un ans plus tard, une photocopie de cette lettre a été envoyée par Fernando Gonzalez à son auteur, qui est encore en vie, pour être authentifiée. Celui-ci a répondu en écrivant à la main le mot suivant : Ceci est bien la lettre que j’ai écrite, personnellement. Et malgré le poids du temps, je me souviens parfaitement d’avoir dit la Vérité, toute la Vérité et seulement la Vérité. Quant à la lettre du père Ferreira, qui a été la cause immédiate de la mise à l’écart du Père Maciel, c’est moi qui l’ai écrite sous sa dictée. Elle était remplie de détails que j’ignorais totalement. Federico Fernandez L.C.

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