ARCHIVE : Les victimes s’adressent à Jean-Paul II (1997)

Jeudi 24 avril 2014

Nous publions aujourd’hui les principaux extraits de la fameuse lettre envoyée par huit anciens légionnaires du Christ au Pape Jean-Paul II, en novembre 1997. Une lettre, qui sera suivie d’une plainte canonique quelques mois plus tard.

Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II Auteur de la Lettre Encyclique Veritatis Splendor Cité du Vatican

Très Saint-Père,

c’est avec la voix de la Bible et appuyé sur l’esprit de la tradition chrétienne, comme seulement on devrait s’adresser à vous, que nous nous tournons vers vous pour demander justice et pour que, faisant écho à votre lettre encyclique homonyme, la splendeur de la vérité se manifeste au-delà de tous les calculs et les intérêts humains. Le Concile mineur de Sardique, qui a fait suite au Concile de Nicée, a en effet établi que tout chrétien a le droit de s’adresser directement au pape. C’est donc sans crainte de ne pas être reconnus ou écoutés que nous nous approchons de vous, malgré les murailles dans lesquelles le Vicaire du Christ se voit parfois enfermé lorsqu’un groupe mineur, sans pouvoir politique, ni économique, social ou ecclésiastique, tente de se faire entendre par delà le tumulte des forces que nous venons d’évoquer.

Le but de la présente lettre

Nous sommes un groupe de chrétiens qui avons été doublement victimes à deux époques distinctes de notre vie : d’abord dans notre adolescence et jeunesse ; et puis ensuite, dans notre maturité, à cause d’un prêtre et religieux, qui est très proche de vous. En effet, il y a bien longtemps, cet homme a commis sur nous des abus sexuels ainsi que d’autres types d’abus, alors que nous étions sans défense, loin de nos parents ou tuteurs, dans des pays étrangers et très éloignés du nôtre. Et quand, l’année dernière, nous avons révélé la triste vérité sur notre histoire à deux journalistes américains de bonne foi, cet homme a réussi à obtenir nos noms grâce à ses avocats (alors que nous n’avions intenté aucune démarche juridique), et il est allé trouver ou a donné des instructions pour que certains de nos anciens compagnons, actuellement hors de la congrégation (fondée et dirigée par notre agresseur), fassent de faux témoignages contre nous, devant un notaire, et nous accusent d’avoir fomenté un complot contre lui – et à travers lui, contre l’Église – en ayant fait de fausses accusations, et en ayant essayé de les contraindre à mentir. Ces personnes, Saint Père, travaillent pour la congrégation des légionnaires du Christ, ou ont fait partie de ses proches collaborateurs, si bien que nous n’avions même pas imaginé un instant qu’elles puissent s’aventurer à dire la vérité. Cependant, nous n’avons jamais eu la moindre raison de conflit avec ces mêmes personnes, depuis l’époque où nous chantions ensemble « … congregavit nos in unum Christi amor… ».

Nous sommes un petit groupe d’anciens membres de la Légion du Christ qui, de plein droit, et maintenant de surcroit en situation de légitime défense, avons décidé de révéler la terrible et douloureuse vérité au sujet d’un mal obscur, et dissimulé pendant plus de quatre décennies, relatif à la double vie immorale du fondateur et Supérieur Général de la Légion du Christ, le père Marcial Maciel Degollado, en qui nous avons péniblement continué à croire de quelques façons, avant de découvrir que les abus dont nous avions été victimes n’étaient ni isolés ni uniques, mais étaient un phénomène général, et avaient été enrobés par des paroles trompeuses, que notre jeune âge de l’époque, ainsi que la dévotion et l’obéissance aveugle avec lesquelles nous étions tenus de le considérer comme notre père et notre supérieur, nous avait conduit à croire.

Pourquoi maintenant ?

Bien qu’étant sortis de la congrégation, il nous a été difficile de vaincre les mécanismes psychologiques de prudence et de discrétion que nous nous étions douloureusement auto-imposés pendant de nombreuses années. Or, Saint-Père, c’est précisément la lettre de soutien et de félicitation que vous avez adressée au père Marcial Maciel Degollado, et qui a été publiée le 5 décembre 1994 dans les sept plus importants quotidiens de Mexico – une lettre portant votre signature et l’écusson des armes pontificales – dans laquelle vous avez présenté le père Maciel comme « un guide efficace pour la jeunesse » et comme quelqu’un qui « a voulu faire du Christ (…) le principe, le centre et le modèle de toute sa vie et de son travail de prêtre… », qui nous a poussé à rompre enfin le lourd silence et à révéler la douloureuse vérité. En effet, nous étions consterné de voir que le Vicaire du Christ, à l’instar de ses prédécesseurs, ait pu se faire tromper à ce point.

Et la raison qui nous a conduit à vous adresser cette lettre ouverte – que nous vous faisons parvenir par l’intermédiaire de votre nouveau nonce apostolique au Mexique, Mgr Justo Mullor Garcia – c’est l’annonce officielle de la nomination du père Marcial Maciel Degollado comme l’un des 21 dignitaires chargés d’organiser et de diriger le Synode des évêques d’Amérique, qui se déroulera du 16 novembre au 12 décembre de cette année pour considérer certains points de la doctrine et de la praxis chrétienne, à l’aune du nouveau millénaire. Il nous semblait inconcevable, Saint Père, que vous ne portiez pas attention à nos graves révélations et doléances : car s’il est vrai que dans la justice des États, il y a des temps légaux à respecter pour porter plainte, c’est précisément devant une Église pérenne, dont nous continuons à croire qu’elle porte des valeurs permanentes, et parce que celle-ci a été la principale offensée dans son corps moral à travers nos propres personnes, que nous voulons une nouvelle fois exposer, de façon privée et publique, notre indignation devant le peu d’attention et le silence arrogant, sans parler des offenses, que certains représentants importants de sa hiérarchie, devant de tels abus et de telles injustices, ont eu à notre égard. Aussi bien l’État que l’Église doivent prendre en considération le fait que si nos témoignages présents étaient faux, nous serions susceptibles de recevoir des sanctions civiles, pénales et ecclésiastiques. Alors, pourquoi aurions-nous pris un tel risque ? Croyez-vous vraiment que se cachent derrière nous, comme l’ont prétendu certains, quelques personnes ou groupes de pouvoir ayant un intérêt quelconque à discréditer le père Marcial Maciel Degollado ? Ou – comme ce dernier le prétend – à attaquer l’Église à travers sa propre personne ? Nous retrouvons ici l’une des vieilles méthodes employées par le père Maciel : l’amalgame. Ce qui est juste, nous semble-t-il, c’est que tout homme puisse faire l’objet d’une enquête, sans acception de personnes, à moins qu’il ne s’agisse d’une discrimination positive en faveur des plus faibles et des victimes. Deux d’entre nous, qui étaient à l’époque prêtres en activité, ont déclaré en 1978, puis en 1989, par les voies et les protocoles canoniques officiels et auprès des instances vaticanes compétentes, une partie des terribles maux que nous avons subis et que nous décidé de révéler cette année, mais cette fois en tant que groupe (Cf. Hartford Courant, Connecticut, USA, Dimanche 23 février 1997).

Hélas, nos révélations ont semblé si insignifiantes aux yeux de la hiérarchie catholique, que malgré l’horreur des faits que nous avons dévoilé, nous n’avons jamais obtenu la moindre attention ou réponse, ni même bureaucratique, de la part de notre Mère l’Église. Le père Marcial Maciel Degollado, au moyen de la très puissante représentation du cabinet d’avocat Kirkland & Ellis, de Chicago et de Washington D.C., à travers son porte-parole en Amérique du Nord, le père Owen Kearns, L.C., et ensuite, dans une lettre personnelle dont nous reparlons plus loin, a menti en affirmant que nos témoignages manquaient du moindre fondement. Ce faisant, il a trahi une fois de plus la vérité et piétiné la charité chrétienne. Mais il a également montré qu’il manquait du plus élémentaire sens de justice et de valeur humaine, quand il a refusé de répondre aux demandes d’interview des journalistes qui désiraient avoir, en décembre dernier, sa version des faits. Contrairement au Christ à Gethsémani (« Qui recherchez vous ? […] C’est moi »), il ne s’est pas appuyé sur la Parole de Dieu, comme on pourrait l’attendre de la part d’un serviteur de Dieu, mais derrière une puissante et coûteuse représentation légale. Et lorsque cette stratégie, purement humaine, s’est avérée vaine, il a écrit une lettre à M. Clifford L. Teutsch, l’éditeur en chef du Hartford Courant, dans laquelle il affirmait, après nous avoir accusé de façon abjecte de coups bas, de mensonges et de calomnies – et comme si ses propres accusations étaient anodines – qu’il nous pardonnait. Quelle hypocrisie ! Les hommes qui singent et travestissent la vertu, le Christ les qualifie de sépulcres blanchis ! Saint-Père, le simple bon sens et l’expérience des choses humaines suffisent à comprendre qu’un homme de Dieu qui a la conscience tranquille et propre, n’agirait jamais de la sorte !

En ce qui nous concerne, en plus d’être catholiques, nous appartenons à la société civile, et notre silence nous a rendu particulièrement vulnérables pendant des décennies. Ignorés par les différentes instances ecclésiastiques auxquelles nous avons inutilement fait appel par la suite, nous avons été contraints d’avoir recours aux médias de communication pour exposer la vérité, sans désir de provoquer un scandale, mais afin de nous protéger, puisque l’un de nous, il y a quelques années, a même reçu des menaces de mort de la part du père Marcial Maciel Degollado ; et il y a des témoins de cela.

Pour cette raison, Saint-Père, pour nous-mêmes, pour les autres victimes qui continuent de garder le silence, pour l’Église et pour la société, nous considérons qu’il est de notre devoir moral d’insister pour manifester la vérité « opportune et importune » [1].

L’attitude de la hiérarchie catholique

Saint-Père, s’il y a eu une conspiration, comme ils l’affirment, alors que trois anciens membres inconditionnels de la Légion du Christ n’ont pas hésité à faire devant un notaire des déclarations mensongères qui ont ensuite été données aux avocats du cabinet Kirkland & Ellis, et alors que d’autres membres de la Légion du Christ, soumis à l’obéissance, ont fait de même dans les médias, ce n’est pas nous qui l’avons fomentée, mais les personnes qui se trouvent en position d’autorité au sein de la Légion du Christ et de l’Église. En effet, nous considérons que notre action était un service, difficile et risqué, pour le bien de l’Église et de la société.

Il s’agit d’une conspiration faite de silence, de dissimulations honteuses et d’une très injuste victimisation élaborée contre nous par certains membres de la hiérarchie catholique romaine, par certains fonctionnaires bien informés du Vatican et par quelques hauts représentants de l’Église mexicaine. Quelques faits : après les révélations détaillées que nous avons fait dans le quotidien La Jornada, les 14, 15, 16 et 17 avril de cette année, l’évêque « émérite » Genaro Alamilla, sans même nous connaître, sans savoir si nous disions la vérité ou pas, et sans prendre le soin de nous écouter, nous a insulté devant les médias, disqualifiant nos témoignages et affirmant que nous étions des menteurs pleins de ressentiment (La Jornada, édition du 24 avril 1997). Quant à l’archevêque de Mexico, Mgr Norberto Rivera Guerrero, il nous a diffamé publiquement (La Jornada, édition du 12 mai 1997), de même qu’il a diffamé le journaliste Salvador Guerrero Chiprés, auteur d’une série de quatre articles sur le sujet, lui lançant sur un ton menaçant : « Tu devrais nous dire combien ils t’ont payé ! » (Cette séquence a été enregistrée).

Alors que nous sommes pratiquement tous mexicains, et que Mgr Norberto Rivera Carrera est le pasteur ecclésial correspondant à la majorité d’entre nous, celui-ci ne nous a jamais convoqué pour connaître notre version complète des faits, afin d’examiner la possibilité d’une procédure judiciaire canonique ou, le cas échéant, auprès des instances civiles ou pénales correspondantes. Non. Il a simplement manqué à l’une de ses fonctions d’epi-skopos, c’est-à-dire de sur-veillant (car si le père Maciel Degollado ne dépend pas de lui, plusieurs d’entre nous, en tant que fidèles, si), préférant nous insulter devant des caméras et des micros, et prendre parti pour la partie la plus puissante, qui est précisément celle que nous accusons d’avoir jadis porté atteinte à nos corps et de nos âmes, et maintenant, à notre bonne réputation. Si la raison de son mépris, c’est que nous ayons informé les média, plutôt que lui, l’archevêque de Mexico, sur les faits en question, il aurait pu nous le dire. Ce n’est pas donc pas la manière, mais le contenu de nos accusations qu’il a démenti par pétition de principe, sans procéder à la moindre enquête. Et si nous ne nous sommes pas adressés à lui, c’est parce que les dicastères ecclésiastiques du Vatican, chargé de s’occuper de ce genre d’affaires, n’ont jamais fait suite aux témoignages que deux d’entre nous avons fait, en 1978 et 1989, en suivant les procédures officielles. De votre ancien nonce apostolique, Mgr Girolamo Prigione, sur lequel l’opinion ecclésiastique et laïque s’est exprimée si souvent et de façon extrêmement négative [2], et dont il est préférable de ne pas rappeler le mauvais souvenir, il était inutile d’espérer la moindre écoute à l’égard de nos doléances. Pourtant, lui-aussi avait la possibilité de nous interroger, pour vous servir, ainsi que pour servir la vérité et l’Église, de sorte que l’information obtenue parvienne à la congrégation romaine correspondante. Mais il a choisi de se taire et d’apparaitre intentionnellement en compagnie du père Marcial Maciel Degollado et de l’archevêque Rivera Carrera, dans une photo notariée qui a fait la une de la presse (La Jornada, du 22 avril 1997), quelques jours à peine après la publication de nouvelles révélations dans ce même journal, indiquant à travers cette juxtaposition d’images, et à défaut de faire la moindre investigation, qu’il disqualifiait aussi totalement nos révélations. (…)

Pourquoi avons-nous gardé le silence si longtemps ?

Votre Sainteté, nous devons avouer qu’en raison d’un phénomène d’emprise psychologique et d’une loyauté mal comprise envers l’institution et envers le père Maciel, sept d’entre nous (l’un de nous avait déjà quitté la congrégation) avons caché la vérité et menti aux enquêteurs du Vatican, lorsque, en 1956, nous avons été interrogés à Rome sur sa conduite morale. Il est également vrai que, par la suite, nous avons continué à nous taire pendant de nombreuses années. Des psychologues, des psychiatres et autres spécialistes des sciences annexes expliquent que le silence des victimes de certains types d’abus, surtout lorsqu’il s’agit des effets perdurables d’une soumission psychologique et religieuse intense, est révélateur de dégâts qui sont d’autant plus profonds qu’ils se sont prolongés dans le temps. En effet, les déprédations spirituelles, perpétrées par celui dont on aurait le mois pu s’y attendre, ont généré en nous, non sans douleur et confusion, une puissante inhibition intérieure.

Ah, Saint-Père ! Si tous ceux qui se taisent à l’intérieur et à l’extérieur de la Légion du Christ se mettaient à parler, avec une fidélité courageuse à l’égard de la vérité et de l’Église, et cessaient de se sentir tenu à se taire, à cause de leur sentiment d’appartenance inconditionnelle à l’institution, ou par crainte de perdre, une fois sortis, leur réputation ou certains avantages liés à leur silence !

Et puisque nous sommes pratiquement tous entrés très jeunes dans la congrégation, il reste encore de nombreuses personnes en vie qui sont au courant de la triste vérité. Même si beaucoup ne l’ont pas fait, nous avons écrit des témoignages qui prouvent que les abus sexuel du père Marcial Maciel Degollado, son addiction à la morphine (que nous devions même lui procurer), le mauvais exemple qu’il nous donnait en privé, et son habitude – profondément enracinée – à la simulation et à la tromperie, étaient présents dès le début. Nous sommes convaincus que ceux qui ont parlé ou écrit pour dénoncer ces vicissitudes ne représentent en fait qu’une infime partie de la totalité des victimes de ces dommages perpétrés pendant de longues années : des âmes innocentes et des jeunes dont les familles, qui étaient si loin et avaient une telle confiance en l’Église, ne pouvaient hélas pas protéger ! (…)

Et l’Église, nous a-t-elle protégé ?

Et quid de l’Église ? Est-ce que le cardinal Giuseppe Pizzardo, que l’on disait être un grand ami du père Maciel Degollado, pouvait seulement suspecter notre situation, avec toutes les activités liées à ses nombreuses responsabilités [3] ? Etant donné que la Légion du Christ était à cette époque reconnue seulement par le droit diocésain (depuis le 25 mai 1948 jusqu’au 6 février 1965) et qu’elle n’avait pas encore reçu d’approbation pontificale, est-ce que Mgr Alfonso Espino, l’évêque de Cuernavaca, au Mexique, aurait pu se rendre compte des atteintes contre la moralité et contre notre intégrité que nous subissions, alors que nous étions si loin de son diocèse, soumis à un régime de censure absolue, avec un « voeu secret », empêchant tout type de communication interne et externe, et sans que nous n’ayons connaissance des règles du Droit Canonique qui auraient dû assurer notre protection ?

Jusqu’à ce jour, Saint Père, aucun de nous ne sait à quel endroit du Vatican ou sous le contrôle de quelle congrégation ou de quel dicastère romain sont conservés les témoignages transcrits sous la forme de livrets notariés que nous avons signés, en novembre 1956, devant les enquêteurs du Vatican, à savoir le Supérieur Général de l’Ordre Carmélitain, le père Anastasio del Santissimo Rosario, et son assistant, le père Benjamin. Et jamais, comme le voudrait n’importe quelle commission des Droits de l’Homme, concernant une affaire aussi grave, on ne nous a remis la moindre copie de ce document – quel qu’ait été notre témoignage – que nous avons ratifié par nos signatures.

De son côté, le père Marcial Maciel Degollado, pour sa défense, a répondu aux journalistes du Hartford Courant par l’intermédiaire du cabinet d’avocat Kirkland & Ellis en essayant de circonscrire les accusations à la période allant de 1956 à 1959 (période pendant laquelle le Vatican l’avait mis à l’écart de sa propre congrégation). Or, contrairement à ce qu’on serait en droit d’espérer, il n’a présenté aucun document officiel d’acquittement, signé par quelques hauts responsables du Vatican, comme par exemple par le vénérable cardinal Valerio Valeri, membre du Collège Cardinalice depuis 1953 et Préfet de la Congrégation pour les Religieux, qui a été informé de tout, et qui, au mois d’avril 1956, a même été le témoin oculaire de l’addiction du père Marcial Maciel Degollado ; ou bien par le cardinal Alfredo Ottaviani, qui était conseiller du Saint-Office depuis 1935, avant d’être nommé Pro-Secrétaire de ce même dicastère ; ou encore par Mgr Arcadio Larraona, C.M.F., qui deviendra plus tard cardinal, et dont a dépendu, selon toutes vraisemblances, le déroulement de cette enquête ratée.

Non, les avocats du père Maciel Degollado n’ont présenté, en décembre 1996, aux journalistes d’investigation du Hartford Courant, Gerald Renner et Jason Berry, qu’une lettre manuscrite et NON DATEE, malgré la gravité de cette affaire, de Mgr Polidoro Van Vlieberghe, évêque belge franciscain, aujourd’hui retiré à Illapel, au Chili, lequel NE NOUS A PAS INTERROGÉ à Rome, et qui, en tout état de cause, ne possédait pas les attributions d’un juge, n’ayant été qu’un simple observateur « technique » au milieu de l’enquête. En outre, il est surprenant que les avocats du père Maciel Degollado aient présenté pour sa défense une autre lettre, soi-disant l’exonérerant des accusations de toxicomanie, tamponnée et signée par le docteur Riccardo Galeazzi Lissi, le médecin personnel du pape Pie XII, mais étrangement aussi NON DATÉE. Il convient d’ajouter que ces difficiles événements se sont déroulés au moment de la conjoncture transitionnelle entre la fin du glorieux Pontificat de Sa Sainteté le pape Pie XII et les débuts du Pontificat mémorable de son successeur, Sa Sainteté le pape Jean XXIII.

Comment tout cela a-t-il été possible ?

Comment de telles dissimulations et un si long silence ont-ils pu avoir lieu au sein même de l’Église ? Juste à côté du Pape ? Nous savons, par la simple logique et par les enseignements de l’Évangile, que le blé et l’ivraie n’ont pas la même racine. Alors comment expliquer, Saint-Père, que surgissent apparemment d’une même source de bonnes choses et tout le mal moral que nous dénonçons, et dont nous ne pouvons nier l’existence pour en avoir été les victimes pendant si longtemps ? S’agit-il d’une seule racine et d’un seul tronc, ou ne s’agit-il pas plutôt du talent quasi-démoniaque d’un homme qui a su dissimuler le mal derrière le bien objectif produit par différentes personnes de bonne volonté ?

Nous reconnaissons que, pour différentes raisons, il est difficile d’établir la frontière sans se tromper (car, en dernière instance, la vérité d’une chose se trouve dans l’assemblage de toutes ses parties : et c’est là que se trouve tout le problème !) ; mais nous affirmons que c’est bien la responsabilité de l’Église Catholique, laquelle organise des rencontres nationales et internationales pour traiter de points de doctrine et de pratique chrétienne, et qui possède tous les moyens nécessaires pour chercher la vérité, si elle le veut fermement et le décide institutionnellement.

En tant que victimes, et aussi en tant qu’adultes tenus seulement à la vérité, en s’appuyant sur nos expériences personnelles directes dans l’intimité du fondateur et Supérieur Général de la Légion du Christ, nous affirmons devant vous, devant l’Église et devant la société, sans nier le charisme énigmatique qui l’a toujours accompagné et qui, précisément, n’est pas l’apanage des bons esprits, que la personnalité apparente qu’on lui connait n’est que le produit légendaire d’un effort institutionnel élaboré de toutes pièces. (…)

Qu’avez-vous à craindre ?

Que soit affecté le prestige et la notoriété de cet homme, à cause de l’enquête que nous demandons ? Pas plus que le prestige et la notoriété de n’importe quel homme appartenant à une société bien constituée, avec des lois qui sont les mêmes pour tous, sans acception de personnes, et pour laquelle l’Église aspire à être un modèle, quant à la doctrine et la pratique de la justice.

Si ce que nous avons dit, et ce que nous continuons à dire, n’est pas vrai, alors que cette même justice nous l’impute de façon argumentée, qu’elle nous le prouve sans tergiverser et que nous soyons châtiés sévèrement ; et que devant Dieu et devant tous les hommes brille la splendeur de la vérité toute en faveur du père Marcial Maciel Degollado. Mais si, en revanche, nous pouvions être tous soumis, lui comme nous, à une enquête impartiale, réalisée par une commission libre et compétente, composée d’hommes et de femmes, laïques et ecclésiastiques, de quelques spécialistes des différentes sciences appropriées pour ce genre d’affaires, et que cette enquête détermine que ce que nous disons est vrai, comme nous l’avons affirmé dans nos accusations, alors que la vérité resplendisse aussi, et que la justice soit appliquée. Puissions-nous être tous traités avec la même mesure, comme il convient à des hommes libres et adultes, membres de l’Assemblée Catholique, dans une société et dans une Eglise digne. (…)

Saint-Père, est-ce que le fait de reconnaître la culpabilité du père Maciel serait trop coûteux pour l’Église ? Elle a su reconnaître de plus grandes erreurs au long de son histoire. Permettez-nous d’oser ajouter que, pour de multiples raisons, ce qui serait vraiment honteux, de la part de l’Église, serait de refuser de faire la vérité et de rendre la justice. En effet, cela provoquerait un scandale encore plus grand et, pour beaucoup de gens, cela mettrait en doute la crédibilité même du magistère de l’Église, laquelle, d’un côté, présente parfois quelques excuses générales pour les fautes commises par des membres de son clergé, et publie de magnifiques documents, riches en sources scripturaires sur la pureté attendue du prêtre, sur la dignité de la personne humaine et sur le respect qui lui est du, et, d’un autre côté, cache et se tait quand les accusations se réfèrent à quelqu’un protégé par son propre système.

Devant ce dont nous avons été témoins directs, et dont nous avons souffert dans notre chaire et notre esprit, et après ce que nous avons observé et su pendant de longues années, nous nous demandons maintenant, consternés : comment est-il possible qu’une sagesse aussi expérimentée que celle de l’Église ait pu se faire tromper aussi facilement, et à de si hauts échelons de sa hiérarchie, durant autant de temps, en tant d’endroits différents, malgré tant de victimes et tant de plaintes insistantes ? L’Église est vraiment efficace quand il s’agit d’enquêter et de découvrir les irrégularités et les ravages commis par ses dignitaires ? Aurait-elle peur de s’en enquérir ? Craindrait-elle le scandale ? Mais existe-t-il un scandale plus grand que cette immense collection cachée d’âmes en diaspora spirituelle, déformées et abîmées à vie dans leur intimité la plus sacrée par « des loups déguisés en brebis », qui vont jusqu’à prendre les habits de pasteurs, corrompus et corrupteurs, séducteurs et incapables de guider les âmes, bien que s’étant rendus puissants par leur influence économique, sociale et ecclésiastique, sans pour autant avoir pratiqué les valeurs que prêche le véritable Évangile du Christ ?

Saint-Père, vous savez comme nous que « Deus non irridetur » [4] et que la parole finit par trahir celui qui trahit la Parole. Tout n’est qu’une question de temps. Comme le rappelle un écrivain peu connu, « Malgré la clameur et les acclamations, les grands mensonges n’ont jamais eu un succès historique permanent ». (…) .

Serment

C’est ainsi que, nous, les signataires de cette lettre, catholiques croyants, sans aucun désir de vengeance pour les offenses corporelles et spirituelles que le père Maciel nous a fait subir autrefois et qu’il continue de nous faire subir aujourd’hui, sans intérêt personnel de quelque nature que ce soit, sans avoir reçu de pressions de personne, ni d’aucun groupe de n’importe quel type de pouvoir, conscients de notre devoir, difficile mais incontournable, envers l’Église et la société, nous jurons solennellement devant Dieu, qui un jour sera notre juge ; devant vous, qui avez la lourde responsabilité de sous-peser et de connaître profondément les hommes que vous proposez comme guides et modèles de vie ; devant l’Église Catholique, peuple en chemin vers la cité de Dieu ; et devant toutes les instances divines et humaines, religieuses et civiles, qui peuvent et doivent nous soumettre, s’ils désirent, à des interrogatoires dures et exhaustifs ; nous jurons que dans nos déclarations actuelles, dans les révélations que nous avons faites de vive voix, et dans les témoignages individuels rédigés récemment, au sujet de la conduite immorale du père Marcial Maciel Degollado, nous avons n’avons dit que la vérité.

Et, par un devoir de conscience ecclésial et social, à la lumière de tout ce dont nous avons été témoin pendant des années, et de tout ce que nous avons pu expérimenter, qui contredit, à notre plus grande peine, les paroles que vous avez prononcées à propos de l’exemplarité morale du père Marcial Maciel Degollado dans votre lettre du 5 décembre 1994, déjà citée, nous affirmons sans détour, appuyés sur la doctrine de l’Evangile du Christ et sur la tradition chrétienne, que prendre exemple sur le père Maciel Degollado (par rapport au sexe, à la consommation de drogue, à l’attitude de déni devant la vérité et à d’autres valeurs spirituelles et humaines) pour guider sa vie serait une erreur funeste, d’un point de vue spirituel, psychologique et éthique.

Nous jurons tout cela par le Christ, en suivant l’exemple de ces hommes dignes qui en différents lieux et différentes époques de notre histoire ont souffert pour défendre la vérité ; pour la mémoire de nos parents qui ont été trompés dans leurs convictions religieuses ; à cause des souffrances psychiques et morales de nombre de nos anciens compagnons ; dans l’espoir d’une société moins complaisante, et plus courageuse et déterminée à chercher la vérité ; pour la nécessité d’un gouvernement civil plus attentif et vigilant ; et en espérant une Église juste, honnête et propre. Conscient qu’il sera bien difficile de nous comprendre, Saint-Père, tant que l’enquête nécessaire et un jugement canonique ne seront pas réalisés, nous prions que le Seigneur vous éclaire, et qu’il vous donne la santé, la paix et la prospérité. Et nous vous exprimons notre désir de toujours rester unis à vous, avec notre espérance posée dans la splendeur de la vérité et dans le triomphe de la justice.

Etats-Unis d’Amérique / Mexique, mois de novembre 1997,

Signataires :

Félix Alarcón Hoyos
José de J. Barba Martín
Saúl Barrales Arellano 

Alejandro Espinosa Alcalá
Arturo Jurado Guzmán 

Fernando Pérez Olvera 

José Antonio Pérez Olvera 

Juan José Vaca Rodríguez

Les signataires de cette lettre de dénonciation – qui sera suivie par une plainte canonique déposée le 17 octobre 1998 au tribunal de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi – sont tous des hommes de bonne réputation :

Le père Félix Alarcón Hoyos est un prêtre espagnol, qui exerce son ministère aux Etats-Unis ;
José de J. Barba Martín est professeur titulaire à l’Institut Technologique Autonome du Mexique ;
Saúl Barrales Arellano est professeur dans un collège catholique ;
Alejandro Espinosa Alcalá es un importante rentier ;
Arturo Jurado Guzmán est professeur à l’Ecole de langues du Département de la défense des Etats-Unis ;
Fernando Pérez Olvera est ingénieur chimique ;
José Antonio Pérez Olvera est avocat ;
Juan José Vaca Rodríguez, ancien prêtre, proche collaborateur de Maciel pendant trois décennies et ancien directeur des légionnaires du Christ aux Etats-Unis.

[1Expression qui apparaît dans la seconde lettre de Saint Paul à Timothée (2Tim2 ;4), que l’on traduit généralement ainsi : « à temps et à contretemps ».

[2Cf., par exemple, El Universal, supplément spécial Bucareli Ocho, Année 1, n°14, du 24 août 1997

[3Le cardinal Giuseppe Pizzardo était Secrétaire de la Congrégation du Saint-Office, Préfet de la Congrégation pour les séminaires et les universités et GrandCchancelier de l’Université Pontificale Grégorienne.

[4« Deus non irridetur » (Cf. Gal 6 ;7) : On ne se moque pas de Dieu impunément.

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