ARCHIVE : Quand le Vatican désavoue ses propres enquêteurs (1957 - 1958)

Vendredi 18 avril 2014 — Dernier ajout dimanche 20 avril 2014

Le 13 octobre 1956, Mgr Valeri nomme le père Anastasio Ballestrero comme visiteur apostolique. Il s’agit du Supérieur Général des Carmes Déchaux, un homme d’expérience, qui perçoit très vite les dérives sectaires de la congrégation du père Maciel.

En février 1957, il écrit un rapport de vingt pages (dont nous présentons ci-dessous un résumé en français. L’original, en italien, est disponible sur le site lavoluntaddenosaber.com : doc. n°140).

Résumé du rapport :

Le visiteur commence ce rapport en affirmant que les religieux semblent tous avoir été préparés pour protéger le père Maciel. Il ajoute que les supérieurs passent leur temps à mentir, et n’arrêtent pas de se contredire ; il semble même que ces derniers aient fait disparaitre certains documents !

Il note ensuite que la situation de l’Institut au regard du Droit Canonique est un véritable chaos :

  • La Légion du Christ est théoriquement une congrégation diocésaine qui dépend de la juridiction du diocèse de Guadalajara… et pourtant elle ne possède aucun centre dans ce diocèse !
  • La plupart des fondations ont été faites sans les autorisations du Saint Siège ;
  • Les prêtres de la communauté sont beaucoup trop jeunes ;
  • Les Constitutions de la communauté ne sont pas celles qui ont été approuvées par le Saint Siège ;
  • Les supérieurs n’ont pas été élus de façon régulière.

Le père Ballestrero note ensuite que la discipline est « quasi militaire » et que tout est centralisé autour du père Maciel. Il explique qu’à cause du fameux vœu privé, les religieux sont devenus paranoïaques : certains sont même persuadés que cette visite apostolique est due à quelques traitres qui auraient violé leur vœu. Et d’ajouter : « Il résulte de tout cela un culte exagéré pour ’l’inviolabilité des supérieurs’, et si on ajoute que pratiquement tous les religieux se confessent et sont dirigés par leurs propres supérieurs, on comprend facilement que ces derniers exercent sur eux non seulement une fascination, mais une véritable domination interne et externe, laquelle produit ensuite une sorte de fanatisme exalté à l’égard du fondateur, chez qui le moindre geste apparait comme extraordinaire. »

Le visiteur va jusqu’à dénoncer « un climat de peur et de silence qui rend difficile, voire impossible, toute enquête : une sorte d’omertà de bonne foi ? »

A propos de la spiritualité, le père Ballestrero note son côté grandiloquent et idéologique. Derrière les apparences, rien de très consistant ! Pire : les légionnaires se persuadent qu’ils sont ce qu’il y a de mieux dans l’Église, et donc qu’ils sont supérieurs aux autres ordres religieux. Et d’ajouter que toute la spiritualité tourne également autour du père Maciel.

En ce qui concerne la situation économique, le père Ballestrero dénonce un grand cafouillage ainsi qu’un certain nombre de transgressions canoniques. « En réalité, l’institut n’a qu’un seul système économique, et c’est la personne du fondateur : c’est lui, tout seul, qui pense à tout, fait tout, pourvoie à tout et s’occupe de tout faire avancer. Il est parfaitement conscient que les choses sont ainsi, comme le prouve le fait qu’à peine relevé de ses fonctions, il a senti le besoin de déclarer au Saint Siège et à moi-même qu’il déclinait toute responsabilité économique dans l’avenir. (…) Il en résulte qu’il n’y a aucun contrôle. Selon la déclaration explicite du père Maciel, il n’existe aucune comptabilité des entrées et sorties de ce véritable fleuve d’argent qui lui passe entre les mains. »

Le rapport contient ensuite quatre pages d’analyses sur la figure du père Maciel : Le visiteur relève d’abord la médiocrité affligeante de sa formation intellectuelle ; quant à sa piété, « bien que l’amour de Jésus Christ soit toujours sur ses lèvres quand il s’adresse aux religieux », celle-ci est en fait bien superficielle ; il a une personnalité à la fois charmeuse et exubérante : « son esprit est un volcan en constante éruption d’idées et de projets. Il aime la splendeur, la grandeur, l’apparence. »

Le père Ballestrero affirme que le père Maciel s’est apparemment construit un réseau d’amitiés au sein même de la hiérarchie catholique et civile. Il est tenu au courant de choses extrêmement confidentielles et interfère même dans les décisions du Saint Siège sur les nominations d’évêques au Mexique !

A propos des accusations du père Ferreira et du frère Dominguez, le visiteur note que l’ensemble de la communauté défend le père Maciel avec une telle rage qu’il ne lui a pas été possible d’obtenir des aveux sérieux, en particulier concernant les accusations d’abus sexuels. Cependant, aux yeux du visiteur, une chose est claire : le père Maciel ment comme il respire.

Au sujet de la consommation de drogues, la ligne de défense des légionnaires consiste à affirmer que le père Maciel souffre de coliques hépatiques très violentes, obligeant le pauvre fondateur à s’administrer des calmants puissants. Rien à voir avec une soi-disante toxicomanie, donc. Cependant, le père Ballestrero n’est pas dupe, et informe le Saint Siège qu’une enquête plus approfondie est nécessaire et que cette affaire pourrait générer « un scandale retentissant ».

A propos du non respect du secret de conscience, les choses semblent avérées, au moins un cas… Mais le visiteur ajoute : « A noter que le père Maciel a essayé de faire disparaitre ce religieux de Rome pendant les jours de ma visite. »

Le visiteur raconte ensuite les circonstances étranges du passage du père Maciel dans une clinique de Rome, à commencer par le fait qu’il s’agisse d’une clinique gynécologique. Le père Ballestrero, qui se trouve connaitre de longue date la supérieure de cette clinique, a reçu un rapport détaillé sur le père Maciel, un personnage mystérieux au comportement très inapproprié.

Dans les deux dernières pages du document, le père Ballestrero propose ses conclusions ainsi que les solutions qu’il envisage pour l’institut :

  • Il faut envoyer la congrégation au Mexique, afin qu’elle soit de nouveau sous la tutelle des autorités locales.
  • Il faut stopper le recrutement et les nouvelles fondations, jusqu’à ce que la situation ait été assainie.
  • Il faut nommer un Supérieur Général extérieur à l’Institut pour résoudre toutes les irrégularités, en particulier administratives, ainsi que pour garantir la liberté de conscience des religieux.
  • Il faut déposer le père Maciel de ses responsabilités de supérieur, de façon définitive : « celui-ci, privé de toute voix passive ou active, après un mois d’exercices spirituels, devra être contraint à résider dans une maison au Mexique, sous la vigilance spéciale de l’ordinaire désigné par le Saint Siège et du Supérieur Général, lui interdisant de voyager et d’interférer dans les affaires de l’Institut. »

Le Vatican veut passer l’éponge…

Du côté de la Congrégation pour les religieux, coup de théâtre : une nouvelle visite apostolique est annoncée, et apparemment, on reprend tout à zéro. Les nouveaux visiteurs seront Mgr Alfredo Bontempi, pour le centre de Rome et le père Polidoro Van Vlierberghe, pour les centres du Mexique et d’Espagne.

Aussi incroyable que cela puisse paraitre, les deux visiteurs, non sans une certaine naïveté, s’enthousiasment pour la jeune congrégation et déclarent rapidement que « un mauvais arbre ne pouvant donner de bons fruits » les accusations contre le père Maciel ne peuvent être que des calomnies !

C’est ainsi que le 12 décembre 1957, le père Van Vlierberghe envoie un rapport, dans lequel il accuse les pères Dominguez et Ferreira d’être les instigateurs d’une mutinerie, et les autres accusations, notamment celles des jésuites de Comillas, d’être d’affreuses calomnies motivées par de la jalousie et de la rancœur !

Le père Anastasio Ballestrero, consulté sur ce nouveau rapport, manque de s’étrangler. Il intervient en dénonçant sans ambages le manque de discernement des deux nouveaux visiteurs.

Le père Ballestrero tire la sonnette d’alarme [1] :

Rome, le 15 Janvier 1958

Son Exc. le Rév. Père Arcadio Larraona Secrétaire de la Congrégation pour les Religieux

Votre Excellence,

Alors que je vous retourne les documents que vous m’avez confié il y a quelques jours pour examen, je vous renvoie également tous les autres documents qui étaient restés en ma possession lorsque, en mon absence, les actes de ma Visite Apostolique ont été restitués à la Congrégation pour les Religieux.

Après avoir lu avec attention les rapports de la Visite effectuée au Mexique, je me permets de vous faire observer les points suivants :

I. Le rapport du Révérend Père Visiteur apparaît comme une défense polémique du père Maciel et une accusation violente à l’encontre de tous ceux qui ne partageraient pas son enthousiasme. Voilà exactement l’atmosphère dans laquelle le père Maciel s’efforce de conduire tous ceux qui mettent leurs nez dans ses affaires. C’est pourquoi je crois que toute la difficulté de cette visite consiste précisément à éviter d’entrer dans le jeu des passions, pour ou contre. Dans ce sens, je dirais que, au moins pour le moment, il est nécessaire de faire abstraction des personnes et de juger la réalité des faits, avec des critères strictement juridiques.

II. Dans cette perspective, certaines données semblent évidentes :

  1. La négligence chaotique qu’il y a dans l’Institut sur l’observance de nombreuses et graves dispositions du Code de Droit Canonique ; des négligences qui semblent parfois volontaires, étant donné le recours à des manières de faire tortueuses et peu glorieuses.
  2. Le chaos administratif, où seul le père Maciel sait tout, fait tout et quand on lui demande des comptes, il rédige juste quelques rapports approximatifs, qui en plus de ne pas clarifier les choses, offrent des informations qui ne concordent pas entre elles.
  3. A côté de cela, ils ont des réseaux d’amitiés, de protections et d’informateurs extrêmement organisés au Mexique, en Espagne et à Rome. Le résultat, c’est que certains imaginent que l’Institut est vaste et florissant, alors qu’en fait, il ne compte que quelques prêtres très jeunes et inexpérimentés. Difficile de ne pas conclure qu’il s’agit d’une habile manipulation, qui va un peu dans tous les sens.

III. Plus j’examine cette affaire, et plus je suis convaincu qu’en réalité, on n’a pas à faire face à une coalition qui serait en guerre contre l’œuvre du père Maciel, mais exactement au contraire, à savoir à la mise en place d’une « campagne favorable » très habile et d’une défense non moins astucieuse. C’est seulement ainsi que j’arrive à m’expliquer les proportions et les complications incroyables que prend cette affaire.

IV. Je réitère ma conviction que les nombreuses et graves violations du Droit Canonique, établies et vérifiables, sont largement suffisantes pour prendre des mesures décisives, sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire d’approfondir l’aspect strictement personnel du père Maciel.

V. Dans le cas où l’on jugerait au contraire opportun de passer outre, je pense qu’en raison de l’impossibilité de faire s’écrouler le mur de l’omertà que j’ai pu observer dans l’Institut, on n’obtiendra rien sans l’intervention de la police, aussi bien pour les examens relatifs à la consommation de drogues, que pour le contrôle nécessaire du passeport – ou des passeports – du père Maciel.

VI. L’insinuation très habile faite par le père Maciel, avec une telle insistance (et que le Visiteur du Mexique semble adopter), selon laquelle il y aurait une conspiration montée par la Compagnie de Jésus contre les Légionnaires du Christ, me semble si grave que je pense qu’il serait juste et nécessaire de donner à la Compagnie de Jésus la possibilité de se défendre et de clarifier les choses.

VII. En raison des liens de parenté entre quelques évêques mexicains et le père Maciel, il convient d’être très vigilant sur la défense quasi unanime, ainsi que l’estime, dont jouit ce dernier de la part de l’épiscopat mexicain ; A cela, il faut ajouter que ses efforts systématiques pour se faire des amitiés parmi les hauts prélats sont aujourd’hui des faits établis. Un exemple typique de ses intrigues, concernant la nomination de l’Archevêque de Mexico, m’a été raconté personnellement par le Cardinal Piazza, qui était alors le Secrétaire de la Sacrée Congrégation pour les Evêques.

VIII. Je dois souligner la réponse extrêmement ambiguë donnée par le père Ferreira à certaines questions par le Révérend Père Visiteur du Mexique, quant à la consommation de morphine et aux actes contre VI (« VI » fait référence, dans le jargon ecclésiastique, au sixième commandement, à savoir les péchés contre la chasteté. Ndt). Je n’arrive pas à comprendre comment des telles réponses aient pu être retenues, tant il est évident que ce dernier sème la confusion ou esquive.

IX. L’un des éléments mis en lumière dans le rapport du Père Visiteur du Mexique me semble grave. Le père Ferreira déclare, hors confession, avoir commis des fautes contre VI avec six élèves de l’Institut. Ces faits ayant été notifiés au père Maciel et à l’un de ses conseillers, D. Angelo Morta, ces derniers n’ont jamais empêché le père Ferreira de reprendre les plus hautes charges dans l’Institut et de continuer à avoir des responsabilités d’éducation, au milieu d’enfants et de jeunes garçons. Comment une telle chose est-elle possible, et pourquoi ?

X. Pourquoi le père Maciel, alors qu’on ne lui avait rien demandé, a déclaré expressément qu’aucun de ses religieux n’avait jamais commis le moindre péché dans cette matière ?

XI. Et sans vouloir donner trop de poids à l’affirmation récente du père Ferreira selon laquelle le silence complaisant du père Maciel serait la contrepartie d’un chantage visant à ce qu’il retire ses accusations, il y a quelque chose de pas très clair là-dedans, mais extrêmement grave, à mon avis. Compétence du Saint Office ?

XII. L’épisode mentionné au numéro précédent m’oblige à porter aujourd’hui un jugement beaucoup plus sévère sur les étudiants du Collège de Rome. Dans mon rapport précédent, j’avais cru pouvoir dire qu’ils avaient été « fanatisés » à leur insu, et donc encore sains et récupérables. Maintenant, sachant que parmi eux se trouvent les protagonistes de l’épisode référé plus haut, et que personne n’a rien voulu avouer malgré le serment qu’ils ont tous fait de dire toute la vérité, et malgré les questions explicites posées à chacun sur le VI, je dois en conclure que la réticence généralisée cache un manque de sincérité spécifique, dont la gravité est évidente, tant comme un fait en lui-même que comme un symptôme d’ambiance générale.

Salvo meliori iudicio.

Père Anastasio del Santissimo-Rosario

[1Cf. lavoluntaddenosaber.com, doc. n°159

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