Comment Maciel a échappé à la 1re visite apostolique ? Une ancienne victime témoigne.

Mercredi 16 avril 2014 — Dernier ajout lundi 14 avril 2014

Francisco Gonzalez Parga a été l’une des victimes du père Maciel. Il a raconté son histoire dans un petit livre (Yo acuso al padre Maciel y a la Legion de Cristo), qui devrait bientôt être publié en français. Dans un chapitre, que nous publions ci-dessous, il explique comment Maciel a réussi à manipuler les choses à son avantage et sortir indemne de l’enquête du Vatican.

Comment le père Maciel a-t-il réussi à manipuler en sa faveur la première visite apostolique auprès de la Légion du Christ (1956-1959) ?

Bien que de nombreux détails aient été irrémédiablement oubliés, j’aimerais vous partager quelques éléments sur la visite pontificale ordonnée par la Curie Romaine en 1956. Les légionnaires et les personnes qui, d’une façon ou d’une autre, ont intérêt à ce que la vérité ne soit jamais révélée (Au moment où Francisco Gonzalez Parga écrit ce témoignage, la Légion n’a pas encore reconnu la double vie de son fondateur, ndt), affirment aujourd’hui que le père Maciel avait fait l’objet d’une enquête approfondie et avait été blanchi. Et ils ajoutent que ceux qui l’accusent aujourd’hui avaient eu l’opportunité de le faire à cette époque, mais ne l’avaient pas fait. Ils demandent aujourd’hui : Pourquoi avons-nous attendu tant de temps ? Quel est notre véritable objectif et les vraies raisons de notre action ? Quel crédit donner à des témoignages qui semblent sortir du chapeau aujourd’hui, alors que nous aurions pu parler autrefois, mais nous ne l’avons pas fait ?

La vérité que je voudrais confesser ici sur ces faits – et je prends Dieu à témoin de ce que je dis – c’est que quelques jours avant que les visiteurs n’arrivent au centre d’études, le père Maciel, qui avait reçu l’interdiction formelle de rester à Rome ni d’avoir le moindre contact avec nous, s’est fait hospitaliser pendant une semaine au moins dans une clinique située à la périphérie de Rome. Et là, il a convoqué personnellement de nombreux religieux et novices, dont moi-même, afin de nous donner des indications directes sur ce que nous devions dire et ne pas dire aux visiteurs.

Tout a été fait dans le secret le plus absolu, très rapidement et avec discrétion. On nous appelait un par un, et on nous conduisait à la clinique pour un entretien individuel avec le père Maciel. Pour cette raison, aucun d’entre nous ne pouvait savoir quels autres frères avaient été convoqués. Je me souviens juste d’avoir croisé le père Félix Alarcón et le père Valente Velásquez. En ce qui me concerne, c’est le père Arumi qui m’a amené là-bas, dans une voiture conduite par le père Valente. Il me semble que c’était une clinique spécialisée dans les désintoxications et les troubles mentaux [1], bien qu’en fait, je n’ai jamais vraiment su quelle était cette clinique. En effet, à cette époque, je ne connaissais pas encore la ville de Rome. Je venais d’entrer au noviciat, et j’avais tout juste 16 ans. – Plus tard, quand le père Maciel m’a proposé de m’envoyer dans une clinique pour me calmer « parce que j’étais sur les nerfs », j’ai pensé qu’il s’agissait de celle-ci. – Pendant le trajet, je me souviens que nous étions en silence. Nos esprits étaient comme polarisés par le terrible danger qui pesait sur la Légion et sur son fondateur. On nous avait fait comprendre que « certains religieux légionnaires, malveillants et mal intentionnés, avaient dénoncé Nuestro Padre aux plus hautes autorités de l’Église, en l’occurrence au cardinal Valerio Valeri et au cardinal Larraona, qui étaient devenus, de façon très injuste, des ennemis jurés du père Maciel et de la Légion. »

Le père Maciel avait l’air inquiet, irrité, larmoyant. On l’entendait gémir et pester amèrement contre « les traitres », parmi lesquels se trouvaient le père Carlos de la Isla, le père Federico Domínguez et le frère Saúl Barrales, des êtres ingrats et orgueilleux, frustrés de ne pas avoir obtenu les postes de gouvernement qu’ils convoitaient dans la Congrégation. A cette fronde s’était ajouté – par ambition, ignorance ou bêtise – le père Ferreira, à qui on avait proposé de prendre le poste de Directeur Général, sans avoir pourtant le charisme nécessaire pour une telle mission. Ils l’avaient accusé d’être un toxicomane, alors que nous, qui étions à ses côtés, nous savions bien qu’il ne prenait ces drogues que par nécessité, à cause de ses problèmes de santé. A cette époque, j’étais encore un jeune inexpérimenté et cela faisait trop peu de temps que j’étais à son service pour avoir accumulé des soupçons sur sa conduite, si bien que j’ai gobé tous ses bobards. Je me sentais même flatté de faire partie de ses hommes de confiance qui avaient accès à ses secrets. Je me jurais à moi-même que moi, jamais je ne le trahirai !

Après avoir discuté de certaines choses avec l’ensemble du groupe, le père Maciel a demandé à me parler seul à seul. Il m’a dit : « Les visiteurs vont surement vous appeler un par un, et ils vont t’appeler, toi, pour t’interroger. Ils te demanderont si tu as vu des choses dans la Légion qui vont contre la morale. Surtout ne leur raconte pas des choses qu’ils ne peuvent pas comprendre et qu’ils risqueraient de mal interpréter ! Sache que la seule chose qu’ils veulent, c’est trouver un prétexte pour détruire la Légion. C’est pourquoi, s’ils t’interrogent sur ce qui se passe quand je suis malade, ou sur n’importe quel sujet qu’ils pourraient utiliser contre la Légion, ne leur dis rien. Ils ré-interpréteront tout selon leurs intérêts personnels, et la seule chose qui les intéresse, je te le répète, c’est de me détruire pour ensuite détruire la Légion. Tu sais bien que j’ai été très malade, mais eux ils ne croiront même pas à ma maladie, et ils ne la comprendront pas, c’est pourquoi ne leur en parle surtout pas. S’ils t’interrogent, réponds-leur que tu n’es pas au courant. Tu as compris ? Les visiteurs vont essayer de vous faire peur avec l’argument du Secret et du Serment Pontifical, mais garde ton sang froid. Tu n’as pas besoin de leur parler de choses qu’ils ne seraient pas capable de comprendre et qu’ils risqueraient de mal interpréter, faisant au passage des dommages irréparables à la Légion. »

Il a ensuite ajouté : « Par contre, n’hésite pas à leur raconter que le père Ferreira, quand tu étais enfant, abusait de toi en tripotant ton sexe, et qu’ensuite il te confessait. » Le père Maciel m’avait raconté en effet que le père Ferreira abusait des apostoliques, et je lui avais avoué qu’il l’avait également fait avec moi. Il m’avait alors répondu que ce n’était pas bien, et qu’il allait intervenir et on en était resté là. Mais maintenant, il fallait défendre la Légion. Il m’a dit que si je racontais aux visiteurs ce qui m’était arrivé avec le père Ferreira, et que je leur disais que je m’étais également aperçu qu’il faisait cela à d’autres apostoliques avant de nous confesser, cela les aiderait certainement à comprendre d’où provenait les accusations contre lui et à les décrédibiliser.

Puisque, par principe, les actes du père Maciel ne pouvaient pas être peccamineux, je n’y ai vu que du feu. Le seul point qui me posait problème, c’était de le voir ajouter de façon mensongère l’accusation « d’absolution du complice » aux abus commis par le père Ferreira (l’absolutio complicis est un délit extrêmement grave selon le droit de l’Eglise, et je le savais). Je me suis senti mal quand j’ai compris qu’il me suggérait de mentir sur un sujet aussi grave, et je lui ai répondu que ça, je ne le ferai pas. D’abord, parce que je n’avais jamais noté que le père Ferreira faisait cela avec d’autres, et ensuite, parce que lui-même ne m’avait jamais avoué avoir commis des péchés sexuels, étant donné que je n’avais jamais considéré que ces attouchements étaient des péchés. En fait, j’imaginais que c’était un passage obligé lors de la direction spirituelle (peut-être pour mesurer la force des tentations que j’éprouvais, à l’âge de 12 ans)… et par conséquent, je ne pouvais pas accuser le père Ferreira de m’avoir confessé tout en étant complice d’actes peccamineux. La réaction du père Maciel a été immédiate et violente : « Mais pourquoi refusez-vous de leur dire cela si je sais, moi, qu’il le fait et que je vous le dis ! » Je ne me rappelle plus ce que je lui ai répondu, mais le fait est que je n’ai pas accusé le père Ferreira d’avoir fait des attouchements sur d’autres apostoliques, ni de m’avoir donner l’absolution pour ces actes.

Et puis un jour ou deux avant que les visiteurs n’arrivent au centre d’étude pour commencer leurs interrogatoires, le père Rafael Arumi, maître des novices et le père Antonio Lagoa, recteur du centre d’études de Rome, ont réuni l’ensemble des communautés (Novices, humanistes, philosophes et théologiens) et ils nous ont dit, grosso modo, la même chose que ce que le père Maciel m’avait dit en privé. Et ainsi, lorsque les visiteurs sont arrivés, nous étions tous parfaitement endoctrinés pour esquiver les questions épineuses, et répondre des généralités, ajoutant au passage quelques éloges sur la Légion et sur les supérieurs, sauf en ce qui me concerne, sur le père Ferreira qui « avait en effet abusé de moi quand j’étais apostolique. »

Officiellement, le père Maciel a été envoyé en exil et banni de la congrégation, sous serment pontifical (ce qui signifie que s’il transgressait ce serment, il commettait une faute extrêmement grave que seul le pape pouvait absoudre), pendant deux ans. Cependant, en deux occasions, il s’est réuni avec tous les frères, pendant plusieurs semaines. Quant aux plus intimes, il nous faisait appeler en secret pour l’accompagner et l’aider à « soigner ses problèmes de santé ».

Un jour, le père Rafael Arumi, qui était à l’époque le maître des novices à Rome et mon supérieur immédiat, est venu dans ma cellule avec un billet d’avion et m’a dit que Nuestro Padre m’avait appelé et voulait que je le rejoigne à Madrid. En bon soldat du Christ, j’avais une demi heure pour préparer mes valises. Je l’ai fait, plein d’émotions, devant un tel signe d’amour et de prédilection de la part de Nuestro Padre.

Là, je suis resté avec le père Maciel pendant environ un mois, mais je mentirais si je disais que je me souviens de tout ce qui est arrivé pendant cette période. A vrai dire, la seule chose dont je me souvienne, c’est que j’ai effectué le voyage avec la compagnie TWA et qu’en arrivant à Tunis, nous avons failli avoir un accident à l’atterrissage. Je me souviens également du nom de l’hôtel : le Ritz. Tout le reste a disparu… comme si j’avais passé tout cet épisode dans l’obscurité, enfermé dans une chambre obscure. Et c’est d’ailleurs probablement ce qui s’est passé. Je ne me souviens pas avoir eu des contacts avec qui que se soit, ni m’être rendu en quelque autre endroit. J’ai le vague souvenir d’avoir commencé à écrire mes mémoires sur « la vie et les souffrances du père Maciel ». Un récit que j’ai continué à rédiger pendant plusieurs années, mais que j’ai ensuite détruit quand j’ai compris que j’avais été berné. Aujourd’hui, je regrette de l’avoir perdu car il m’aurait été certainement très utile pour mesurer la fascination qui était la mienne à cette époque à l’égard de cet homme qui m’exploitait. Je ne me souviens même pas de mon retour à Rome. Je ne sais pas si nous sommes rentré en avion, ou par un autre moyen de transport. A quoi est due cette amnésie ? Au fait que j’étais un novice de première année un peu trop dans la lune ? Ou bien ne s’agit-il pas ici un phénomène psychologique similaire à celui qu’on observe chez les prisonniers envoyés en cellules disciplinaires, dans un espace confiné ? Il ne me reste qu’un seul et vague souvenir : à savoir que ce sont les frères José Vaca et Enrique Martinez qui sont venus pour me substituer. Mais je ne me souviens de rien. Même pas de les avoir accueilli.

[1En fait, il s’agissait d’une clinique spécialisée dans la gynécologie. Jusqu’à ce jour, on ne sait toujours pas pourquoi, ni comment, le père Maciel a été hospitalisé dans cette clinique.

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