« Dans la Légion, vous êtes la pièce d’un engrenage. Quand cette pièce ne fonctionne plus, ils vous jettent »

Vendredi 27 décembre 2013 — Dernier ajout samedi 28 décembre 2013

Voici la lettre de départ envoyée par le père Deomar de Guides au père Sylvester Heereman, le vicaire général de la Légion du Christ. Cette lettre donne un aperçu du problème auquel se trouve actuellement confrontée la congrégation, quelques semaines avant le début du Chapitre Général censé achever son processus de rénovation.

Rome, le 8 Novembre 2013

Cher père Sylvester dans le Christ,

Puisque ma sortie de la congrégation est décidée, j’aimerais vous offrir une relecture personnelle sur les raisons qui m’ont conduit à m’en aller. Je le fais après avoir beaucoup prié, sans rancœur et sans haine, mais avec un désir sincère de collaborer avec cette institution dans laquelle j’ai milité pendant les 21 dernières années de ma vie. J’espère que ma sortie, comme celle de tant de nos frères, vous aidera à comprendre les raisons de ce phénomène.

Même si vous le savez déjà, je vous fais un bref résumé de ma vie dans la Légion : Ingénieur civil diplômé de l’Université de Brasilia en 1985, j’ai travaillé six ans et demi pour des entreprises de Brasilia. Mon dernier poste consistait à superviser des travaux à l’échelle nationale, avec une équipe d’ingénieurs sous ma responsabilité. C’est là que j’ai découvert la vocation sacerdotale, après un long discernement effectué avec mon directeur spirituel. Invité par le père Adolfo Flores, je suis entré au noviciat en mars 1992, après avoir fait la candidature à Curitiba, au Brésil. Je prononcé mes premiers voeux en avril 1994, et je suis resté à Curitiba quelques mois de plus afin d’achever les travaux du noviciat.

En août 1994, j’ai été transféré à Rome pour commencer la philosophie. J’ai terminé le baccalauréat de philosophie en juillet 1996, avec de très bons résultats. De là, j’ai été transféré au Collège pontifical international Maria Mater Ecclesiae à Castel di Guido, comme assistant du recteur. En même temps, j’ai préparé un baccalauréat de théologie, que j’ai obtenu en juillet 1999. Après cela, j’ai été ordonné diacre, et j’ai été transféré à la ville de Mexico, pour m’occuper du Centre de Medicina, le centre de formation des laïcs consacrés du Regnum Christi. Le 1er Janvier 2000, j’ai été ordonné prêtre par Mgr Lucas Moreira Neves, devenant ainsi le premier légionnaire du Christ brésilien à recevoir l’ordination sacerdotale. Je suis resté à Medicina jusqu’en février 2001, date à laquelle j’ai été transféré à Curitiba, afin de diriger une tournée vocationnelle, dans l’Etat du Paraná. Au cours de cette année 2001, j’ai fait venir de nombreux garçons à l’école apostolique de Curitiba. Sur tous ces jeunes, 22 ont participé au cours d’été et 15 sont entrés à l’école apostolique.

En avril 2002, j’ai été transféré à Madrid, comme Directeur Territorial d’Espagne, et je suis resté là-bas jusqu’en décembre 2005, quand j’ai été envoyé à Buenos Aires, comme coordinateur local d’apostolat et supérieur de la communauté. En décembre 2008, j’ai été transféré à São Paulo avec la charge de recteur du Séminaire Maria Mater Ecclesiae, et je suis resté à ce poste jusqu’en mars 2012, quand j’ai été nommé second conseiller général, poste que j’occupe jusqu’à ce jour. Comme vous le savez, je me suis dédié avec amour et passion à ma mission, et je pense pouvoir affirmer que j’ai servi fidèlement l’Eglise et la Légion.

Maintenant, je vous expose les raisons de mon départ. D’abord les raisons personnelles, et ensuite les raisons institutionnelles :

Les raisons personnelles :

  1. Après que la nouvelle sur la véracité des accusations contre le fondateur eût explosé, ainsi que le système de dissimulation qu’il avait mis en place pour se protéger, j’ai commencé à m’interroger sur ce système, auquel j’avais appartenu et collaboré, croyant alors que la vie religieuse était comme ça, parce que j’avais été formé dans ce même système. Une obéissance totale, où tout était considéré comme étant « la volonté de Dieu ». C’est ainsi que j’ai commencé à comprendre combien on avait pu manipuler ma conscience au nom de ce principe. J’ai compris que j’avais été utilisé, et, hélas, que j’avais collaboré également à ce système dans lequel l’institution a toujours plus de valeur que la personne. Un système dans lequel tu n’es qu’une pièce d’un engrenage, qu’on jette à la poubelle quand elle ne marche plus. Des hommes qui ont ainsi donné 20 ou 30 ans de leur vie ont été jetés à la porte comme des malpropres, invités par leurs supérieurs à quitter la congrégation.
  2. A partir du moment où j’ai commencé à exposer mes idées et ma manière de penser, on m’a ôté petit à petit toutes occasions de prêcher. Avant, je prêchais deux ou trois retraites par an. Mais à partir de 2009, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai plus prêché que deux retraites à des consacrées, au Brésil. On ne m’a plus jamais invité à prêcher aux légionnaires. J’ai commencé à percevoir que j’étais déjà considéré comme un « mauvais » par le système. Il n’y avait pas de place dans la Légion pour ma manière de penser. Et lorsque j’ai fait partie du Conseil Général, j’ai toujours été minoritaire et mes opinions ont rarement été prises en compte.
  3. Mon discernement, dans ce système exigeant une « obéissance totale », a toujours été imposé par les supérieurs. Ainsi, lors de ma profession perpétuelle, le supérieur a exigé que je fasse un triduum, parce que j’allais prononcer mes voeux définitifs, et l’année suivante, être ordonné prêtre. Cela n’a pas été une décision personnelle, mais un acte d’obéissance. Cela n’aurait certainement pas affecté ma décision, mais je désire insister sur le fait que mon discernement personnel n’a pas été fait dans la liberté.
  4. Petit à petit, ma frustration est allée grandissante, car je me rendais compte que ma vision de la Légion était de plus en plus minoritaire (avec de moins en moins de personnes), et que mon combat était vain. Aujourd’hui, devant Dieu, je vois que j’ai fait tout ce qui était à ma portée, mais que je luttais en grande partie pour une cause perdue d’avance, et cela par orgueil personnel, et non parce que Dieu me l’aurait demandé. Un signe de cela, c’est le manque de paix intérieure, ainsi qu’un fort sentiment de frustration.
  5. J’ai pris ma décision, comme je vous l’ai déjà expliqué, après un discernement personnel, effectué avec mon directeur spirituel, et devant Dieu : Je ne peux plus continuer dans cette voie, car je mets en danger ma vocation sacerdotale et mon équilibre psychologique. Je n’en peux plus, et continuer serait un acte de témérité.

Les raisons institutionnelles :

  1. Je ne peux pas croire en une rénovation qui ne passe pas par une révision du passé obscur de la congrégation, et des abus répétés et systématiques perpétrés par le fondateur sur les enfants qui entraient au séminaire pour devenir prêtres. Si nous ne purifions pas ce passé ; si nous refusons de le reconnaître ; si nous ne demandons pas pardon aux victimes et que nous ne rendons pas publique cette reconnaissance… alors, je pense que nous construisons sur du sable.
  2. Je n’ai jamais compris le système administratif de la Légion, et je crois que peu de personnes le comprennent. La gestion de biens effectuée à travers des sociétés civiles qui font fi des lois ecclésiastiques… Je ne peux pas accepter qu’il y ait des différences de niveaux de vie, les uns vivant dans l’abondance, les autres dans la misère, alors que nous sommes censés avoir une économie centralisée. Je n’accepte pas non plus le détournement des dons pour d’autres intentions que celles des donateurs.
  3. La formation qui ne croit pas en celui qui est formé, et qui s’appuie sur la méfiance et la surveillance. Des supérieurs qui contrôlent, fouillent les chambres et vérifient les emails grâce à un logiciel espion, leur permettant de fouiner dans les ordinateurs de tous ses sujets.
  4. Le non-renouvellement des supérieurs, lesquels se maintiennent à leur poste depuis des décennies, ou bien changent d’un endroit à un autre, mais restent supérieurs. Il y a des légionnaires qui n’ont jamais été soumis à une autorité supérieure, durant toute leur vie. Aucune véritable rénovation de la Légion n’est possible sans un renouvellement des supérieurs.
  5. Je crois qu’un changement des mentalité est nécessaire. Il faut retirer tout ce qui reste des méthodes et du système « macieliste », qui continuent à exister à travers certaines personnes qui occupent les mêmes postes depuis des années, et qui ont beaucoup de poids dans les décisions et dans l’élaboration de documents, même s’ils n’ont pas de charges officielles.
  6. Quel est le charisme de la congrégation ? A-t-elle seulement un charisme ? Les documents de l’Eglise invitent à observer le charisme du fondateur… alors quel est celui de la Légion ? Je crois que nous devons encore trouver une réponse à cette question.
  7. La centralité de la légion au niveau apostolique. Je vois qu’on cherche beaucoup plus un service pour son propre compte, qu’un service désintéressé pour l’Eglise. Le peu d’insertion dans les pastorales diocésaines, et la résistance à offrir des personnes pour des services pastoraux, manifeste cette culture de sur-exaltation des intérêts personnels.
  8. La Légion vit une forte crise de confiance, et peut-être que c’est là son problème le plus grave. Il n’y a pas de confiance, parce qu’il n’y a ni estime ni soin pour les personnes. La confiance ne se gagne pas par des décrets ou avec un supérieur qui exige que toutes personnes qui sont soumis à son autorité lui fassent confiance. La confiance se gagne, en faisant le pari de la confiance, en donnant du crédit aux personnes, en leur montrant de l’estime. Je crois qu’il y a beaucoup de travail dans ce domaine.

Il me semble que j’ai fait le tour de la question, mon père, et j’espère que cela vous aidera. Je continuerai à prier pour vous, dans votre processus de rénovation. Je confie aussi dans mes prières la Légion et son processus de rénovation lors du Chapitre Général.

Père Déomar de Guedes, L.C.

Voir en ligne : http://www.periodistadigital.com/re…

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