Interview d’Alberto Athié par Carmen Aristegui

Dimanche 23 décembre 2012

Voici le témoignage d’Alberto Athié, un prêtre diocésain mexicain qui a eu le malheur de prendre la défense des victimes du père Maciel… et a subit la foudre de son Église à cause de cela, au point de devoir quitter le sacerdoce.

A partir de maintenant, nous allons chercher la justice

Né à Mexico en 1954. Docteur en philosophie par l’Université Saint Thomas de Rome. Figure importante au sein de l’épiscopat mexicain et du secrétariat latino-américain de Caritas International. Il a renoncé au sacerdoce en 2003, dénonçant les actes pédophiles commis par des prêtres catholiques au Mexique et dans d’autres pays. Il réalise un travail actif dans des organismes non-gouvernementaux comme « Fin Comun », dont il est le fondateur, pour promouvoir l’initiative civique et la culture du dialogue.

Ton histoire relative à l’affaire Marcial Maciel est longue et complexe. Elle t’a même conduit à devoir renoncer à ton ministère sacerdotal. Tout a commencé avec ta première et seule rencontre avec Juan Manuel Fernandez, ex recteur de l’Université Anahuac. L’histoire qu’il t’a raconté et l’engagement moral que tu as pris devant lui. Comment tout a commencé pour toi ?

L’une de mes activités, comme prêtre, était d’accompagner, à titre personnel, un groupe de femmes qui faisait un cercle d’étude biblique, coordonné par « Mayaya » Obregon de Caire, qui appartient à l’une des familles qui est à l’origine de la Légion. Elle et sa famille ont énormément donné à l’œuvre. Une de leurs filles est même devenue consacrée dans le mouvement Regnum Christi, mais a ensuite quitté dans des conditions étranges. Elle aidait beaucoup Maciel, organisant des réunions dans sa maison, comme cela se faisait au début de la fondation, lorsque Maciel rendait visite à des femmes importantes de la société mexicaine. Mayaya est l’origine du contact avec Fernandez Amenabar, qui avait été le bras droit de Maciel : celui qui avait fondé les écoles du Cumbres et de l’Irlandés, ainsi que l’université de l’Anahuac. Beaucoup de personnes l’aimaient énormément, et parmi eux Andrea, qui allait ensuite faire partie de ce cercle de femmes, ainsi que son fiancé, Federico Toca.

Quand ces derniers ont décidé de se marier, ils ont cherché le père Amenabar, mais à l’Anahuac on leur a dit qu’il n’était plus là, que la Légion ne donne pas d’informations et qu’elle envoie ses membres là où Dieu le veut, à travers les décisions de Nuestro Padre, et c’est tout. Quelques temps plus tard, ils ont demandé de nouveau de ses nouvelles à l’Université, et on leur dit que le père Amenabar était mort.

Cependant, quelques temps plus tard, au cours d’une rencontre de son groupe d’études bibliques, Mayaya a dit à Andrea : « Devine qui j’ai rencontré à l’hôpital Espagnol, très malade, très pauvre et complètement abandonné ? Le père Juan Manuel ! » Ils avaient fait croire qu’il était mort ! En fait, il était sorti de la Légion, avait quitté Mexico, s’était marié et avait ensuite divorcé… je crois qu’il a essayé de construire une relation avec une autre femme, mais que cela a encore échoué, et alors, il a commencé à s’écrouler, jusqu’à tomber très très malade. Il a fait une embolie qui lui a paralysé la moitié du corps. La personne qui l’a conduit à l’hôpital, c’est Guadalupe Espinosa, la fille de Don Manuel Espinosa Yglesias.

Quelques années plus tôt, Don Manuel avait suggéré à sa fille d’aller voir le père Amenabar – qui était proche de la famille – afin de voir avec lui s’il n’était pas possible de faire annuler son premier mariage d’avec Gerardo Larrea. Mais le père Amenabar avait reçu la consigne de Maciel de ne pas se mettre dans des embrouilles avec l’une ou l’autre des familles, toutes deux très puissantes. En entendant cela, Juan Manuel avait dit : « Comment ça, je ne dois pas me mettre dans des embrouilles ? Tu vas voir si on ne s’y met pas ! », et il a appelé Maciel depuis son bureau. Après un petit moment, il est sorti et a dit à Guadalupe : « C’est fait, ma fille. On va te transmettre l’annulation ».

Le fait est que quelque temps plus tard, Guadalupe a découvert qu’Amenabar avait disparu et qu’il avait abandonné la Légion. La réponse de son père avait été : « Ma fille, ne le cherche pas. Son supérieur a abusé de lui, et c’est pour cette raison qu’il s’en va. Il ne faut pas le juger ». Don Manuel Espinoza Yglesias était au courant qu’Amenabar avait été abusé par Maciel ! Et voilà le problème : tu sais certaines choses, et pourtant tu continues à entretenir des relations. C’est terrible !

Dans l’histoire de Juan Manuel on retrouve le modèle de Maciel, dans le sens où il fonde des écoles, il fait des choses très importantes, les élèves l’apprécient, il contribue à l’expansion de la Légion… mais d’un autre côté, il vit une situation personnelle de crise et de dualité. C’est lui, par exemple, qui a organisé la stratégie pendant la crise du Cumbres, afin que l’affaire ne parvienne pas jusqu’au ministère publique.

Et donc, comment se fait-il que tu sois allé le voir à l’hôpital ?

Andrea a été très surprise quand elle a appris qu’il était vivant. Federico et elle vont le voir à l’hôpital, et alors, Juan Manuel leur raconte son histoire. C’était violent ! Il avait du mal à parler, à cause de l’embolie qui lui avait paralysé la moitié de son corps. Les Légionnaires ont dit plus tard qu’il ne pouvait pas parler, mais c’est faux. Ils ont dit cela pour discréditer la rencontre que j’ai eu avec lui. Son récit était tellement brutal que Federico, le mari d’Andrea, a dit : « Je ne peux plus continuer à écouter. Je ne comprends pas. Vous êtes en train de me couper en deux ! ». Il était en effet très proche des légionnaires, et la soeur d’Andrea était en plus mariée avec un neveu de Maciel. Vous voyez l’ampleur du problème.

Federico s’en va, mais Andrea reste et découvre que Juan Manuel a gardé des blessures et un ressentiment énorme. Alors, elle lui dit : « Je connais un prêtre qui pourrait parler avec toi ». Juan Manuel lui répond : « Non, pas de prêtres… ! Je ne supporte plus l’Eglise ! » « Parle avec lui, cela ne t’engage à rien ». Au final, il a accepté, à la condition que je ne cherche pas à le confesser, ou à l’obliger à quoi que ce soit. Il ne veut qu’une chose : que je vienne l’écouter. C’est ainsi que j’ai été à l’hôpital Espagnol. C’était en décembre 94, vers midi. Il m’a dit : « Je t’invite à manger en face, dans un restaurant espagnol. Je veux parler avec toi ». Il avait toute son esprit. Nous nous sommes installés à une table où il avait l’habitude de se mettre. Le gérant et les serveurs le saluaient avec estime. Il a commandé une bouteille de vin espagnol, et nous avons commencé notre conversation.

Permets-moi ici de faire une petite parenthèse, parce que, quand je donnais des cours de morale, j’expliquais ce qu’est l’expérience morale, qui rend possible une décision éthique. Je disais à mes élèves : il s’agit d’une rencontre inattendue avec la réalité, qui prend la forme d’un appel auquel tu peux répondre, ou pas. Si tu ne réponds pas, tu passes ton chemin, comme le prêtre ou le Lévite dans la parabole du Bon Samaritain, parce que tu as plein de choses à faire. Tu peux être très religieux, et tout ce que tu veux, mais ton prochain se trouvait là, blessé, sur ton chemin – sur ton chemin ! - et toi, tu t’en va. Ta réponse fera de toi un sujet éthique… ou non.

Et c’est ce qui s’est passé avec le père Amenabar ?

Absolument. Il avait un conflit terrible, entre pardonner et chercher la justice. Alors qu’en fait, on peut pardonner, et en même temps chercher la justice. Il m’a dit : « J’ai un profond ressentiment dans ma vie, et je ne veux pas mourir de cette façon. Mais je ne veux pas me contenter de pardonner et de tourner la page ». Je lui ai demandé ce qui s’était passé. « Le père Maciel a détruit toute ma vie. Je suis entré très jeune dans la Légion, avec le rêve de participer à cette nouvelle fondation. D’un côté, il y avait tout cet aspect merveilleux, avec les piscines, les terrains de jeux, une chapelle magnifique. On se fait avoir avec ce genre de choses. Et puis, l’autre côté commence à apparaître. Le père Maciel m’appelle à l’infirmerie et commence à raconter qu’il a des douleurs terribles au ventre qui l’empêchent d’accomplir sa mission dans le monde, qu’il en avait parlé avec le pape Pie XII et que, voyant comment cela l’empêchait de servir l’Eglise, le Christ et le monde, il lui avait donné l’autorisation qu’on lui fasse des massages afin de soulager ses souffrances. »

Quel âge avait-il ?

Douze ou treize ans. « Alors – raconte Amenabar - il m’a pris la main et m’a dit : ’Aie confiance, aide-moi’. Il a fait en sorte que je lui masse le ventre. Ensuite, il a commencé à baisser la main et a fini en voulant que je le masturbe. J’ai eu très peur, mais Maciel m’a dit : ’Ne t’inquiète pas, j’ai la permission du Pape pour faire cela. Et puis en plus, je vais te donner l’absolution. Comme ça, si tu as encore des inquiétudes, tu sais que tu peux communier sans problème ».

C’est ainsi que Maciel a semé le trouble en lui, en utilisant un prétexte religieux. Il m’a raconté que plusieurs fois il avait abusé de lui, de cette façon ou d’une autre. « J’ai commencé à vivre une sorte de prédilection du père pour moi, et également une sorte de solitude, parce que je me suis rendu compte que d’autres compagnons vivaient la même chose. Mais nous ne communiquions pas entre nous, parce qu’il était interdit de critiquer ou de parler mal du supérieur. » C’était la grande autorité sacralisée que Maciel se construisait à travers la sainteté de la Légion, qui était une grande œuvre de Dieu, qu’il fallait protéger parce qu’il y avait des ennemis à l’extérieur qui voulaient la détruire.

Et le conditionnement de la vocation : si tu ne fais pas ce que je veux, je vais t’empêcher de parvenir à l’étape suivante. Tout ce genre de pressions sur les plus jeunes. Ensuite, il m’a raconté que Maciel l’avait conduit lors de plusieurs voyages en Espagne, et il l’utilisait afin que ce dernier lui procure la Dolantine, avec des fausses ordonnances, des ordonnances volées ou d’autres techniques. Juan Manuel était un jeune garçon à l’époque. Plus tard, il s’est servi de lui pour fonder le Cumbres, l’Irlandés et l’Anahuac.

C’est-à-dire qu’en même temps qu’il lui procurait la drogue et le protégeait, il fondait de grandes œuvres. « Je suis arrivé à un point où je ne pouvais plus exercer mon ministère. » Il m’a dit : « J’avais de terribles crises, des dépressions épouvantables. Alors j’ai dit à Maciel que j’allais partir, et lui m’a répondu que non, que sous aucun prétexte. Il m’a alors fait un tas de promesses. J’ai insisté et alors il m’a menacé : « Si tu t’en vas, je ne réponds plus de ta vie. Et si quelqu’un découvre ce qui s’est passé dans la Légion et que je sais que c’est à cause de toi, alors tu auras à répondre de cela ».

Quand il m’a raconté tout cela, il était très angoissé. Il avait peur et il transpirait. Alors je lui ai dit : « Tout ce que tu me racontes me plonge dans le désarroi. Tu es en train de parler de Marcial Maciel, le fondateur de la Légion, qui est très proche du pape, lequel vient de le décrire comme un guide pour la jeunesse !

Regarde, dans l’Evangile, pardon et justice ne sont pas contradictoires. Jesus n’a pas dit : « Pardonne, et ensuite on verra bien si la justice se fait ». Non. Jésus te dis qu’il faut pardonner à cet individu qui t’a fait un mal épouvantable et qui a détruit ta vie, mais en même temps, il t’enseigne que tu peux cheminer vers la justice. Je t’invite à pardonner au père Maciel, et que nous allions ensemble pour obtenir la justice ».

Et c’est à ce moment là que tu as engagé ta vie à ses côtés.

Oui. Il a baissé la tête et a commencé à pleurer, mais d’une façon… Dans le restaurant, imagine ! Je me disais : on va croire que je lui ai fait quelque chose ! Son visage était couvert de larmes pendant, je ne sais pas, peut-être cinq minutes. Et moi, je me disais : « Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je lui dit… ? » Il a arrêté de pleurer, il a levé la tête et il m’a dit : « Je pardonne, Alberto, je pardonne, mais je demande que justice soit faite ». Je l’ai embrassé et je lui ai dit : « Au nom de l’Eglise, je te demande pardon pour tout ce qu’on t’a fait, et à partir de maintenant, on va chercher la justice ensemble. Je te remercie de ce que tu viens de faire ». Alors, il est entré dans une profonde paix intérieure. Nous n’avons plus parler de ce sujet. Il m’a simplement dit : « Si tu es d’accord, j’aimerais te demander de célébrer la messe de mes funérailles, quand je mourrais, et que tu dises aux personnes qui assisteront à la cérémonie, des gens que tu ne connais pas, que j’ai pardonné, mais que je demande la justice ».

Andrea m’a dit après que cette conversation avec Juan Manuel avait eu des conséquences extraordinaires : il avait changé, du tout au tout. Il avait retrouvé la foi et la paix ».

Cela a été ta seule rencontre avec lui ?

Oui, il n’y en a pas eu d’autres. Cette rencontre a duré environ cinq heures.

Qui ont changé sa vie, et également la tienne.

Sans aucun doute. En février, Andrea m’a appelé pour me dire que Juan Manuel était mort, qu’il se trouvait à Gayosso de Sullivan et qu’il lui avait demandé que je célèbre la messe. Apparemment, il était mort en s’étouffant alors qu’il mangeait. Il n’était pas mal au point de ne pas pouvoir avaler. Mais bon, le fait est qu’on a appelé Andrea : « Juan Manuel est mort. Viens vite. »

Maciel était venu le voir et lui avait dit : « Viens, je t’emmène en Espagne ». Cette rencontre avait eu lieu entre notre rencontre et sa mort, en février. La soeur de Maciel était également passé pour le voir. Juan Manuel disait : « Et cette femme, que fait-elle ici ? ». C’était comme pour l’intimider. Il m’avait dit qu’il avait un porte-documents dans sa chambre, au dessus du placard, avec des documents très importants. Mais Andrea raconte que la chambre a été fouillée, et qu’il n’y avait plus aucun de ses effets personnels. En plus, il y a eu une discussion entre elle, José Barba, Guadalupe Espinosa et le recteur de l’Anahuac, parce que ce dernier disait : « Mais si personne ne le connait, pourquoi allons-nous faire une messe publique ? Faisons-la tout de suite et enterrons-le ». Il voulait se débarrasser de lui vite fait, bien fait. Dans son cercueil, il n’était pas habillé comme on le fait d’habitude, avec ses vêtements, mais on l’avait recouvert de bandes ! On ne pouvait même pas voir son visage. Comme une momie. Et donc la question, c’est : qu’est-ce qu’on a bien pu lui faire, pour qu’on ne puisse même pas voir son son corps. Cela pouvait être un empoisonnement, qui laisse le corps tout bleu…

Tu sais s’il y a eu une autopsie ?

Non, il n’y a pas eu d’autopsie. Quand je suis arrivé au funérarium, j’ai vu Andrea et les dames du groupe d’études bibliques. Il y avait des personnes qui avaient plus ou moins l’âge de Juan Manuel. Je ne les connaissais pas. J’ai vu qu’ils étaient tristes, vêtus comme des anciens prêtres (parce que nous ne sommes pas très doués pour nous habiller !). J’ai célébré la messe et je leur ai dit : « j’ai eu la chance d’accompagner Juan Manuel un mois et demi ou deux mois avant sa mort. Au cours du cheminement que j’ai eu l’occasion de partager avec lui, Juan Manuel m’a confié un message pour vous : Il a pardonné, mais il demande la justice ».

Et boum ! A ce moment, les visages des personnes qui étaient présentes… J’ai vu leurs visages, les larmes… leurs visages étaient rouges, ils transpiraient ! J’ai fini la messe et José Barba, que je ne connaissais pas, s’est approché de moi : « Pouvons-nous parler un moment avec vous ? Nous voulons vous dire que nous comprenons parfaitement le message de Juan Manuel. Nous avons également été victimes de Marcial Maciel ».

Alors, j’ai pris rendez-vous avec José Barba, et alors que je ne lui avais rien dit à propos de Juan Manuel, il m’a raconté son propre témoignage : l’infirmerie, les douleurs, les prétextes… Je lui ai dit : « Je te remercie pour ta confiance, parce que nous ne nous connaissons pas. Il y a beaucoup de choses dans ce que tu racontes, qu’il m’avait déjà raconté. Il m’a dit que Maciel lui avait détruit sa vie. Je l’ai invité à lui pardonner, il l’a fait, et moi, je me suis engagé devant lui à ce qu’ensemble, nous obtenions la justice. « J’aimerais te dire que je suis disposé à faire ce que je peux, et voir comment on peut traiter cela dans l’Eglise, parce qu’il n’est pas possible que la vocation d’un enfant qui désire devenir prêtre s’achève ainsi. » José m’a répondu : « Ecoute, nous avons déjà essayé d’agir à travers l’Eglise, et on ne nous a pas écouté. Des lettres ont été envoyés au Pape, et cela n’a jamais servi à rien. Pour nous, cette phase est déjà terminée. Nous avons décidé de parler dans les médias, parce que nous avons vu qu’il n’y a plus d’autres moyens.

Et en plus, le Pape vient de décrire Maciel comme étant un exemple pour la jeunesse ! C’est incroyable ! Nous voulons te demander de déposer devant un notaire le témoignage de ce que Juan Manuel t’a raconté, afin que nous puissions le joindre aux autres témoignages que nous sommes en train de préparer.

Et puisqu’ici, au Mexique, c’est impossible de faire sortir cette affaire dans les médias, nous allons passer par les Etats-Unis, où nous avons plus de chances d’y arriver. Mais nous devons être tous très bien préparés, parce que sans cela, le plan échouera ». Je lui ai dit que je respectais sa décision, mais que je m’étais engagé auprès de Juan Manuel à chercher la justice à l’intérieur de la communauté. « Faisons un dernier essai. Donnez moi tous les témoignages. Je connais un évêque dont je sais qu’il les apportera au pape, et je suis certain que le pape fera quelque chose. »

Talavera ?

Oui, Carlos Talavera, l’évêque de Coatzacoalcos. Mes rapports avec lui étaient extraordinaires. Je le connaissais depuis la mort de mon père, parce qu’ils étaient très amis. Après une profonde crise liée à la mort de mon père, qui m’avait même amené à mettre Dieu aux oubliettes, je l’avais rencontré et il m’avait invité à le suivre dans les quartiers pauvres. Il m’avait dit : « Viens, nous n’allons pas parler. Nous allons voir ce que nous pouvons faire avec l’Evangile de Jésus dans la main ». J’ai quitté ma petite amie, j’ai abandonné mes études de médecine ; Je suis entré au séminaire. Tout cela grâce à lui, Talavera. J’avais une confiance infinie en lui. J’étais certain qu’il serait de la partie pour exiger la justice. Et j’étais persuadé que Jean-Paul II allait rendre la justice au sein de l’Eglise, comme il disait qu’il fallait rendre le justice à l’extérieur. J’en étais certain, parce qu’il parlait du respect des Droits de l’homme, de la Pologne, de la liberté. N’est-ce pas ?

Et donc je suis allé voir Talavera, je lui ai raconté toute l’histoire, et il m’a dit : « Maintenant, je me souviens (parce qu’il était à Rome à ce moment là) qu’il avait rendu visite aux Légionnaires : quelque chose de très étrange, parce qu’on ne comprenait pas bien ce que se passait. Ce que je sais, c’est que j’ai un cousin qui a quitté la congrégation, dans des conditions curieuses : Saul Barrales. J’ai cherché à le rencontrer plusieurs fois, mais il n’a jamais voulu me parler. C’est pourquoi cette histoire expliquerait beaucoup de choses… Dis leur que j’apporterais avec plaisir ces témoignages à Rome ».

J’ai apporté la nouvelle à José, mais il m’a dit qu’il avait consulté ses compagnons entre temps et qu’ils ne voulaient pas agir ainsi. « Ecoute Alberto, cela fait des années que nous nous travaillons sur ce problème, et nous n’avons jamais eu de réponses. Et nous ne voulons pas en venir à ce que le pape reçoive tous nos témoignages, mais ne fasse rien. Parce qu’alors, notre foi s’achèverait complètement. »

C’est ainsi que nous nous sommes séparés et que j’ai commencé à regarder ce que je pouvais faire, de mon côté, dans l’Eglise.

Le temps passe et la publication de Jason Berry et de Gerald Renner aux Etats-Unis, qui sera ensuite reprise par Salvador Guerrero Chiprés, dans La Jornada, et ensuite sur la chaîne 40.

Et vient ensuite la nouvelle de la rencontre de Salvador avec Norberto Rivera, où il lui demande ce qu’il pense de ces accusations et où le cardinal lui répond : « Ce sont des mensonges. Combien as-tu été payé pour faire cela ? Dis nous combien ils t’ont payé ? ».

Alors, je me suis dit : « Mon Dieu, la réponse de l’archevêque est brutale. Il n’est pas à la hauteur. » Je suis allévoir un ami commun que j’avais avec Rivera, qui s’appelle Rodrigo Guerra. Je me permets de mentionner ce fait, parce qu’après Rivera a nié qu’il m’avait reçu pour traiter de cette affaire. J’ai dit à Rodrigo : « Tu as vu cette déclaration de l’archevêque ? Il parle de Maciel. J’ai des informations de première main et je crois qu’il est important que nous aidions l’archevêque à voir l’ensemble du tableau, parce que ce tableau est vraiment tordu, et quand ça éclatera, sa déclaration va lui revenir à la figure ». Il m’a recommandé d’aller le voir, et c’est ainsi que j’ai obtenu un rendez-vous dans les deux jours. J’avais amené une copie du Hartford Courant, en anglais, que j’avais collé avec du scotch, parce que c’était un document très grand. Je l’ai ouvert et posé sur son bureau, et je lui ai dit : « Je suis désolé de vous importuner, mais je veux vous dire, au sujet de votre déclaration sur l’affaire du père Maciel, bien sûr il peut s’agir d’un complot, il y aura toujours des gens pour attaquer l’Eglise, mais j’ai des informations de première main… » Et boum ! Il s’est levé à ce moment et m’a dit : « Tu n’as pas entendu ce que j’ai dit ? Tout cela est un complot ! Je n’ai rien d’autre à ajouter. Au revoir, père Athié ». J’étais stupéfait, éberlué.

Il n’a rien voulu entendre.

Rien.

Combien de temps a duré la réunion ?

Quinze minutes, pas plus. J’ai plié la feuille et je l’ai laissé sur son bureau. Son attitude m’a fait comprendre qu’il y avait là quelque chose qui ne tournait pas rond. Et quelques jours plus tard est sortie une photo dans La Jornada, dans laquelle on pouvait voir Maciel, Rivera et Prigione, parlant de façon très amicale. Alors je me suis dit : « On ne peut faire plus clair ». Il faut bien voir tout ce qui était en train de se préparer à ce moment là… Ce que la chaîne 40 était sur le point de diffuser, et tu as vu ce qui s’est passé. Maintenant, je sais que Maciel est allé voir toutes ces personnes avant que ne sortent les informations. Rivera avait été prévenu qu’une bombe, provenant d’anciens légionnaires, allait exploser. Maciel avait rencontré tous les personnages clés. Il avait rencontré Norberto Rivera, et l’avait préparé, parce que, si tu regardes bien, tu vois que la réaction de Rivera avait quelque chose de préfabriquée.

Avec qui d’autre as-tu discuté ?

Pour mon travail, il m’arrivait de me réunir avec Don Justo Mullor, le nonce apostolique. Or, il se trouve qu’une fois il s’était énervé, parce que les anciens légionnaires lui avaient demandé de le rencontrer, et qu’ils avaient cependant fait publier une lettre ouverte dans la revue Milenio. Il était furieux et il disait : « Et zut ! D’un côté ils disent qu’ils veulent me voir pour traiter du problème, et d’un autre, ils le rendent publique. »

Alors, je lui ai dit : « Monseigneur, j’ai un problème que je n’ai pas réussi à résoudre. C’est un problème de conscience. » Il m’a répondu alors : « Vous avez écouté le témoignage du père Juan Manuel ? Et avec l’archevêque que vous avez ! » C’est là que je me suis rendu compte qu’à l’intérieur de l’Eglise, ils étaient au courant. C’était très clair. « Ce genre de cas, c’est le cardinal Ratzinger qui s’en charge, à Rome, à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Je vais donc vous demander une chose : je veux que vous écriviez au cardinal Ratzinger pour lui raconter votre histoire. Ne faites aucun jugement de valeur. Racontez-lui également les problèmes que vous avez actuellement avec votre archevêque, et à la fin, demandez lui qu’on ouvre une enquête, parce que vous jugez important que cette affaire soit analysée. Et, de grâce, je vous demande deux choses : premièrement, ne me mentionnez pas dans votre lettre… »

Ne dites pas que c’est moi qui vous ai dit de le faire…

Exactement. « Et deuxièmement, transmettez-lui cette lettre personnellement. N’allez surtout pas la transmettre à d’autres personnes dans la congrégation, parce que là-bas, il y a plein de légionnaires. » Alors, j’ai écrit la lettre, mais avec les antécédents que j’avais eu, j’ai pris soin d’écrire : Mgr Justo Mullor m’a recommandé de faire cela ». Et en plus, j’ai laissé une copie à la nonciature, afin qu’il ne s’en sorte pas avec un « je n’ai rien dit, je ne savais pas ».

Je me suis rendu à Rome, pour des raisons de travail, mais je n’ai pas réussi à obtenir un rendez-vous avec le cardinal. A mon retour, j’ai cherché Talavera. « Monseigneur, vous souvenez-vous de cette affaire ? » Mais lui m’a dit : « Ecoute, arrête-toi avec cette histoire ». C’était au début de 1999. « Le nonce m’a recommandé de faire cela, et je veux vous demander de nouveau si vous, lors de l’un de vos voyages à Rome, vous pourriez transmettre ma lettre au cardinal Ratzinger. » « D’accord, je lui donnerai. » Je lui ai dit : « Ecoutez, cela s’est très mal passé avec l’archevêque Rivera : il piétine tout ce que je fais pour l’épiscopat et dans la commission de Chiapas ». Il se trouve que Mgr Obeso m’avait demandé d’être son secrétaire pour cette commission. « Je veux que vous informiez votre archevêque, mais que vous ne lui demandiez pas son autorisation. Dites-lui de ma part que je vous ai invité. »

Afin que Rivera ne puisse pas l’empêcher…

De fait, je suis allé le voir, et la seule chose qu’il m’a dit c’est : « Quelle tristesse vous me donnez, père Athié, parce que la chaîne se brise par les maillons les plus faibles ! Cela me fait de la peine. Au revoir. » Je lui avais dit que j’avais besoin qu’il me donne ses conseils pour Chiapas, à propos d’un problème très délicat. « Je n’ai aucun conseil à te donner, je n’ai rien à te dire. »

La rupture d’avec Rivera s’est faite à ce moment là ?

Oui, oui, oui. Là, je me suis rendu compte qu’il ne supportait pas le père Samuel Ruiz et qu’il cherchait l’occasion pour en finir avec lui. Et moi, j’avais l’information de Rome, d’Echegaray, que Justo Mullor allait dans une autre direction que Prigione. Prigione voulait en finir avec le père Samuel. Justo Mullor voulait reconstruire la relation, parce que le cardinal Etchegaray m’avait dit : « Quelle erreur que de vouloir isoler un diocèse quand celui ci est en guerre ! Soit cela va générer une situation de violence dans laquelle on ne pourra plus rien faire, soit cela conduira au schisme de ce diocèse. Quelle bêtise ! Le nouveau nonce va dans une autre direction : suivez le ! »

Le fait est que Talavera est allé à Rome, et à son retour, je suis allé le chercher pour lui demander comment cela s’était passé et s’il avait pu transmettre la lettre. La réponse de Talavera est très importante, tant pour le contenu de la réponse de Ratzinger que pour l’attitude de Talavera. Talavera est un évêque à 100% institutionnel. C’est un homme qui m’a appris, ou a essayé de m’apprendre, que l’obéissance était la chose la plus importante pour un prêtre. Il m’a dit deux phrases qui retracent parfaitement ce qu’il avait vécu. La première a été : « Alberto, j’étais pétrifié ! ». Et ensuite, il m’a raconté ce qui s’était passé : il avait bien transmis la lettre et Ratzinger l’avait lu devant lui. Mais la réponse du cardinal avait été : « Monseigneur, je suis vraiment désolé, mais le père Maciel est une personne très appréciée par le saint père, et il a fait beaucoup de bien à l’Eglise. Il n’est pas prudent d’ouvrir une enquête. ». Et Talavera m’a fait ce commentaire : « Ratzinger m’a lâché ! » Que lui dise une telle chose, c’est terrible.

Tu étais indigné ?

Oui, et furieux. Talavera s’en est rendu compte et m’a dit : « Non, je suis désolé, mais c’est non ». Comment est-il possible qu’une autorité réponde d’une façon aussi arbitraire ?

Mais tu t’es rebellé ?

Oui. « Je ne suis pas d’accord. Le pape a dit de mille manières qu’aucune personne, pour aucune raison, pour sa dignité et pour ses droits, ne peut souffrir de violence de la part de personnes, d’institutions ou d’idéologies. Et il se trouve que ce discours n’avait plus aucune valeur ici. A l’intérieur de la communauté, il ne valait plus rien. A l’intérieur de la communauté, il y avait un autre critère : celui de la discrétion. Et celui-là, ils l’apprécient beaucoup. « Je ne suis pas d’accord » : Avec cette réponse, j’ai perdu tout espoir de voir l’Eglise faire quelque chose.

Il insistait : « Tu dois obéir à ton évêque, même s’il s’est trompé ». C’était ça le modèle d’autorité de Jean-Paul II, que les légionnaires ont utilisé à leur manière : « Nous, nous sommes obéissants au pape. Nous lui obéissons d’une façon inconditionnelle. Ceux qui sont avec nous sont avec le pape. Mais ceux qui nous critiquent… Attention ! »

Tu as eu un désaccord avec Norberto Rivera ?

Oui. Nous préparions le document pour le Jubilé de l’an 2000 et le cardinal est venu à une réunion pour en être informé. Je me souviens qu’il est arrivé en colère contre moi. Enragé ! A la fin, je l’ai accompagné dans l’ascenseur et il m’a dit : « Bien sûr, en novembre tu arrêteras ton travail à l’épiscopat. Tu arrêteras tout. Préviens les autres ! » « D’accord, lui ai-je répondu. J’accepte, mais c’est à vous de les prévenir par écrit, parce que vous êtes celui qui me demande de partir. » « Tu n’as rien compris. » Aujourd’hui, je fais ma relecture personnelle et je pense qu’on lui a donné la consigne depuis Rome, parce que là-bas, il y a plein de légionnaires.

Ils l’avaient informé de la lettre que tu avais envoyé à Ratzinger et ils étaient furieux contre toi ?

Non, je pense qu’il y a une autre raison qui a provoqué une telle colère et les a poussé à me retirer toutes mes responsabilités. A l’époque, j’étais en effet responsable de la commission pour Chiapas, de la pastorale sociale, de la Caritas et de la rédaction des textes officiels de l’Episcopat mexicain. J’ai rédigé un petit mot à chaque évêque : « Je vous informe en ce jour que mon archevêque m’a demandé que j’arrête tous mes services à l’Episcopat, à partir du mois de novembre ». Sans autre explication.

Les évêques ont prévenu le nonce Justo Mullor et ce dernier m’a appelé : « Ecoute, père Athié, qu’est-ce qui s’est passé ? » « Il s’est passé cela » « Et il ne t’a rien dit d’autre ? » « Non, rien » « Bon, laisse-moi voir ». Et il a appelé Rivera, et ce dernier m’a convoqué immédiatement. Il était furieux. Je suis arrivé dans son bureau et il m’a dit : « Comme d’habitude, tu commets des erreurs. Je voulais te dire qu’il y a plusieurs personnes qui auraient aimé qu’on te fasse évêque, mais le Saint Siège m’a expliqué que si je ne donne pas mon accord, cela ne sera pas possible. Je vais te donner une responsabilité, et tu vas te soumettre à mes indications. Si je vois que tu te comportes comme je te le demande, alors je donnerai mon accord pour que tu sois fait évêque. »

J’étais épouvanté. Je lui ai dit : « Et bien non, cette responsabilité ne m’intéresse pas, et encore moins de devenir évêque ». J’ai été voir Talavera qui m’a dit : « Tu dois obéir à ton évêque ». « Quoi ? Mais il ne cherche qu’à acheter mon silence ! Ecoute, si cette affaire ne concernait que moi, s’il s’agissait de ma propre vie, et bien, peut-être qu’au pire, j’accepterais ses conditions dans un acte d’obéissance extrême. Mais il ne s’agit pas de ma vie. Il s’agit de la vie d’une autre personne. Un enfant qui a été abusé au sein de l’Eglise, qui cheminait vers le sacerdoce et qui a été écrasé par son supérieur. Tout ce que je demande, c’est qu’une enquête soit ouverte. Je ne sais pas s’il est coupable ou pas, et je ne comprends pas pourquoi une enquête n’est pas ouverte. Alors non, je ne peux pas renoncer à cela. Je suis désolé, mais je ne vais pas obéir. » « Mais tu dois obéir ! Ou si non, tu sors de la communion et Dieu ne sera pas avec toi. Il faut que tu penses sérieusement à tout cela, parce que c’est très grave. » Et je lui ai dit : « Tu sais quoi ? Je suspends intérieurement l’exercice de mon ministère. Je ne vais le dire à personne, mais en ce moment, je suis très indigné de tout ce que je vois, et je ne l’accepte pas ». Je suis allé parler au cardinal ; je lui ai demandé un rendez-vous.

A Norberto Rivera ?

Oui. « J’ai beaucoup réfléchi à ce que vous m’avez dit. Je n’accepte aucune responsabilité. Ce que je veux, c’est m’en aller d’ici. » J’ai appelé plusieurs prêtres et à Chicago j’en ai rencontré un, avec lequel j’étais très ami et qui m’a dit : « Si tu veux, je peux te faire un peu de place ici ». Alors je me suis rendu à Chicago, début 2001.

Et à Chicago, tu te heurtes à la réalité du scandale des prêtres pédophiles.

Oui. J’arrive aux Etats-Unis avec une image très forte, mais assez partielle du problème. C’est-à-dire que Maciel était protégé par le Vatican, lequel se refusait d’ouvrir son dossier. Cela s’arrêtait là. Tout à coup, j’arrive à Chicago et la nouvelle éclate. On apprend que l’Eglise a payé plus d’un milliard de dollars dans des arrangements extra-judiciaires et que plus de 90% de ces arrangements touchaient à des affaires d’abus sexuels sur mineurs. Plus de 3000 enfants ont été abusés dans ce pays, dans une période de 15 à 20 ans, par plus de 150 prêtres. Le thème à la mode était la dissimulation des coupables. C’est à ce moment que je me suis dit : « Mais, là, il ne s’agit pas de défendre une personne puissante. Il s’agit d’une conduite structurelle, d’une façon de faire institutionnelle. Allez, basta, c’en est fini pour moi ! » J’avais déjà contemplé l’idée de me retirer du ministère, mais avec ça, une autre décision s’est imposée à moi : « Il faut dénoncer tout cela publiquement ». Et c’est alors que j’ai accepté l’entrevue.

Avec Berry et Renner.

Cette entrevue est sortie dans le National Catholic Reporter, et ensuite il y a Javier Solorzano et toi-même, avec ton enquête pour « Cercle Rouge », sur la 2e chaîne. Aux Etats-Unis, l’indignation des laïcs me paraissait majestueuse. Des laïcs disaient : « Je ne donnerai plus un centime à tel ou tel diocèse jusqu’à ce qu’ils fassent la vérité sur cette affaire ! » Et boum ! Sept ou huit diocèses font faillite. Il y a eu des mouvements laïcs d’indignation, de pression. Des manifestations à l’extérieur des cathédrales. « Vous avez utilisé notre argent pour payer ces horreurs ! » C’était assez brutal. Comme j’aimerais voir une telle chose au Mexique ! Je suis retourné à México, et la première chose que j’ai faite, c’est de chercher le père Antonio Roqueñi, un type vraiment extraordinaire. Il a toujours joué un rôle de médiateur, à l’intérieur de l’Eglise.

Sans doute. Dommage qu’il soit mort et qu’il n’ait vu tout cela.

Il me disait : « On va cabosser l’auréole de sainteté de Maciel ! C’est déjà ça ! » Je lui ai expliqué que je voulais quitter le ministère. « Présente ta lettre de démission et voyons ce que répondra le Saint Siège. » J’ai rédigé ma lettre, et j’ai ajouté que la raison de ma renonciation venait du fait que je ne pouvais plus exercer pleinement mon ministère sacerdotal, qui ne consistait pas seulement à prêcher la Parole de Dieu ou à célébrer des sacrements, mais également à assurer la justice au sein de la communauté, en s’appuyant sur l’Evangile. Et comme il m’était devenu impossible d’exercer mon ministère, j’avais décidé de me retirer. Une démission irrévocable.

Roqueñi m’a dit : « La seule différence entre nous, c’est que toi, tu as osé faire le pas. Mais je suis entièrement d’accord avec toi : ce qui est en train de se passer est une abomination. Moi, je ne vais pas quitter le sacerdoce, mais je respecte ta décision. Le cas de Juan Manuel est emblématique : tu as aidé à faire revenir quelqu’un qui était dehors, et maintenant tu t’en va. Quelle souffrance ! »

L’une des rares personnes qui était venue me voir à Chicago, par amitié et solidarité, c’est Josefina Vazquez Mota, qui était la secrétaire du Sedesol (NDT. Le Sedesol est l’organisme gouvernementale chargé du développement social au Mexique). Elle m’avait dit : « En ce moment, qui doit être bien difficile pour toi, je veux te dire que je crois en toi. Mes filles sont dans une école de la Légion, et j’en ai parlé à mon mari qui m’a conseillé de ne pas les retirer maintenant, parce que cela risquerait de créer des rumeurs imprévisibles. Mais je veux te dire que je suis avec toi. Quand tu reviendras à Mexico, préviens moi. Si je peux faire quelque chose pour toi, je le ferai avec joie. »

C’est la première personne du milieu de la politique qui a pris position et a parlé de Maciel comme d’un délinquant, avant même la publication du communiqué. Je crois que cela a été un bon message pour tous ses proches au gouvernement.

Et que penses-tu du communiqué du Vatican ?

Maciel n’était pas seulement un homme dépourvu de sentiments religieux, c’est un pervertisseur de la conscience religieuse des enfants ! Il leur faisait croire que Dieu était d’accord pour qu’ils le masturbent ou pour qu’ils aillent lui procurer de la drogue : il leur a appris à jouer un double jeu avec la volonté de Dieu. C’est la pire des perversions ! Il ne peut pas y avoir de fondateur comme ça ! Il n’y a pas de charisme !

Le Saint Siège aurait du dire : « Messieurs, nous sommes vraiment désolé, mais nous ne pouvons pas continuer à vous soutenir ». Pourquoi continuer à tromper les gens ? Tout cela est un mauvais tour de Ratzinger. Quand j’ai rencontré Scicluna, il m’a dit : « Le cardinal Ratzinger veut que vous sachiez personnellement qu’il a décidé de faire cela ». « Dites-lui que je le remercie d’avoir ouvert une enquête. Mais dîtes-moi : est-ce qu’il va y avoir un procès ? ». « Oh, mon ami, que puis-je vous dire ? Que pouvons nous faire ? Quel châtiment peut-on donner à un homme qui a presque 90 ans ? » Je lui ai dit : « Il ne s’agit pas d’un problème de châtiment, mais de vérité. Il faut que la vérité soit connue ».

D’après « Marcial Maciel, Historia de un criminal » de Carmen Aristegui
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