En quoi lire dans ses écrits, sa biographie que MD Philippe était sous l’emprise de son oncle qui lui a dicté sa façon de voir la vie, le monde, Dieu, l’autre, ses théories, constitue un procès à l’oncle ?
Comprendre cela, c’est simplement rendre à César ce qui est à César.
C’est aussi comprendre pourquoi cet oncle dispose d’une telle importance.
J’ai été frappée à la lecture de la biographie écrite par Marie-Christine Lafon, de voir que le père Dehau disait (de la bouche même de MD Philippe) : tu dois, il faut que tu étudies ceci, cela, que tu développes ceci, cela pour parler correctement,etc . Le père Dehau cité par MD Philippe manifeste constamment un rapport de domination vis à vis de MD Philippe en se situant toujours dans l’ordre impératif. Et il revient constamment dans la conversation, quel que soit le sujet abordé.
MD Philippe n’a pas d’espace pour se penser lui-même hors de cette influence alors qu’il a seulement 18 ans quand il démarre son engagement religieux. Et on le voit aussi dans le cadre de l’ordre des Prêcheurs (le même ordre que celui auquel appartient l’oncle Dehau), il n’aura de cesse de rechercher le même genre de rapport maître-élève avec certains de ses profs mais qu’il ne définira jamais vraiment comme maîtres. Il ne se situera jamais avec eux, au niveau de l’emprise du père Dehau sur lui.
MD Philippe dira d’ailleurs dans un entretien qu’on peut lire sur le site même de la communauté St Jean :
« J’ai eu un maître dans ma vie, un dominicain, le père Dehau, qui était le frère de ma mère. Il était aveugle et je lui ai fait la lecture de six à quarante ans. Grâce à ce contact humain, je pouvais lui poser toutes les questions. »
Et moi je rajoute parce que c’est induit par sa dernière phrase : et obtenir de lui -du père Dehau- toutes les réponses.
Je donne le lien pour que vous visualisiez bien la totalité de l’entretien. Parce que cette interview est très éclairante sur le rapport de MD Philippe tant avec ses profs à l’Ordre des Prêcheurs, qu’ avec Dehau.
http://www.stjean.com/articles-et-entretiens
Nous avons donc un oncle dominicain qui dirige, de la bouche même d’un de ses neveux, complètement l’orientation de sa vie.Et que MD Philippe considère comme son maître. Le mot n’est pas anodin. Il est au contraire essentiel pour comprendre le rapport qu’entretient MD Philippe avec son oncle.
Mais alors quelle place tient le père biologique de MD Philippe dans cette famille ?
Puisque manifestement, la paternité affective, psychologique, spirituelle (MD Philippe a pour directeur spirituel le père Dehau son oncle), intellectuelle vient de cet oncle et que cette paternité devient une domination de maître selon les propres termes de MD Philippe ?
Il y a comme une dépossession du père au profit de l’oncle.
MD Philippe explique dans le livre de Marie-Christine Lafon, que comme le père est parti à la guerre et que la maman a dû faire face à tout, finalement lui et ses frères et soeurs sont devenus plus proches de leur maman que de leur papa. D’accord, mais ça ne nous explique pas comment l’oncle Dehau a finalement destitué implicitement mais aussi factuellement de son rôle, Henri Philippe.
Il faut donc aller enquêter sur la famille Dehau. Pierre-Thomas Dehau est un des deux garçons de la famille avec huit soeurs. Comme c’était souvent le cas à l’époque, les garçons sont mis en avant par les parents. Parce que héritiers du nom.
Problème, Pierre-Thomas est à demi aveugle. Il ne pourra donc pas reprendre l’héritage familial ni le nom. Ce sera donc son frère non handicapé qui s’en chargera, se mariera et aura des enfants. Déjà entre les deux frères Dehau, il y a une différence, ils ne sont pas dans un rapport égalitaire en tant que garçons du fait du handicap. Pierre-Thomas en aura souffert très certainement. Mais tout ça, à l’époque on en parle pas. Et les parents très cathos vont sans doute, comme ça se fait plus ou moins toujours face au handicap d’un enfant dans un milieu très religieux, y voir l’occasion d’une rédemption familiale, avec une exigence de sainteté encore plus grande.
L’orientation religieuse va donc s’imposer pour le fils handicapé. Sans peut-être que Pierre-Thomas ait vraiment le choix. S’il tirera son épingle du jeu par l’engagement religieux et de hautes études, est-ce qu’il pourra exister à lui-même vraiment ? Rien n’est moins sûr. Parce qu’il se trouve de par son handicap, dans une position d’infériorité vis à vis de ses frère et soeurs. Et dans une époque où l’on obéit sans discuter aux parents, où le handicap est considéré comme une tache familiale, une calamité, c’est surtout pas évident. C’est aussi une époque où pour exister vis à vis des parents, on va chercher à correspondre absolument au désir de ces mêmes parents. Ce qui à un moment donné, devient une conduite impossible à tenir. Parce que cela nie qui l’on est profondément.
Pierre-Thomas était d’après MD Philippe, très musicien, très artiste. Il aurait peut-être rêvé d’un autre destin. Mais il n’a pas cherché à s’émanciper du fait de son handicap principalement, peut-être aussi par peur de déplaire à ses parents. Et puis fin 19e, le statut d’artiste, surtout dans les familles bourgeoises cathos, c’est la calamité, c’est vu comme la bohème, la décadence, la perdition morale, la dèche financière. A moins d’avoir un tempérament assez rebelle, difficile de pouvoir devenir artiste dans ce genre de famille.
On l’a vu pour Camille Claudel, pour Jeanne Hébuterne. Ca s’est terminé tragiquement pour l’une et l’autre. C’était un peu plus facile pour les hommes, mais le problème, c’est que Pierre-Thomas était demi-aveugle. Ce qui pour la société de l’époque, le plaçait dans la même situation de discrimination qu’une femme. Donc lui interdisait d’exister artistiquement d’une certaine façon.
Etre à demi-aveugle n’est pas facile. Cela implique une dépendance incessante vis à vis des autres qu’on soit enfant, ado ou adulte. C’est très rude pour l’ego. Pour l’image de soi, pour la construction identitaire, pour le développement personnel. On ne se voit pas, mal, on ne voit pas les autres. On est donc sans arrêt dans la difficulté de maîtrise de soi, dans la difficulté de maîtrise de son environnement, en difficulté dans la relation aux autres dans la mesure où eux n’ont pas le handicap visuel. C’est une situation très déstabilisante.Et qui place l’individu en état d’infériorité et de dépendance quasi perpétuelle.
Si l’on veut marquer son autonomie, être véritablement sujet et égal aux autres, il faut sans cesse se dépasser physiquement, se distinguer, retrouver un certain contrôle de soi et une approche relationnelle plus égalitaire vis à vis des autres . Pierre-Thomas le fera par les études et la religion. Et donc ne pourra exister et être reconnu des autres qu’au travers de ce prisme. Ce qui ne correspond pas forcément à son moi profond, mais beaucoup plus à la concrétisation idéalisée de lui que projetaient ses parents.
C’est ainsi qu’il aura emprise intellectuelle, spirituelle sur ses soeurs.
Il va même être le parrain de sa soeur Julie, mère des frères Philippe.
Ce titre de parrain et l’influence qui va avec, il va donc l’exercer prioritairement sur cette soeur qui est, selon les termes de MD Philippe, une femme effacée. Pas seulement vis à vis de son mari, mais aussi vis à vis de son frère.
Les enfants Philippe, très admiratifs de leur mère, vont donc entrer dans une sorte de mimétisme du comportement de leur mère vis à vis de Pierre-Thomas.
D’autant plus facilement que Marie-Dominique Philippe dit de son père Henri qu’il est froid, austère, n’aime pas la ville ni la musique ni les arts (Julie sa femme a dû arrêter le violon mais en jouait en cachette à ses enfants). Alors que le père Dehau y est sensible.
On comprend bien donc que le père Dehau paraissant plus ouvert, plus fantaisiste, plus brillant intellectuellement que Henri Philippe, l’oncle Dehau va briller de mille feux aux yeux de MD Philippe alors que son père va se ternir.
Pierre-Thomas qui n’a pas d’enfants va compenser par les enfants de sa soeur Julie, la paternité qu’il aurait sans doute désirée. On lit sur la biographie de Marie-Christine Lafon mais aussi dans les interviews de MD Philippe, qu’il vient régulièrement dans la famille, passe ses vacances chez sa soeur. Il est donc très souvent présent chez les Philippe.
Et l’on sait quel poids il aura puisque sur les 12 enfants Philippe, 7 partiront en profession religieuse dont une bonne partie chez les dominicains. Exactement comme Pierre-Thomas.
On comprend donc que Pierre-Thomas est vraiment, même s’il ne l’est pas biologiquement, le père et le véritable chef de cette famille.
A partir d’une telle influence qui déplace les rôles familiaux, qui évacue le père biologique réduit à être le géniteur nourricier, met la mère comme un être soumis, tous les abus sont possibles.
Et ils sont manifestes quand MD Philippe avoue que la théorie d’amour d’amitié vient de son oncle et qu’avant même son entrée dans l’Ordre des Prêcheurs, il a déjà toutes les bases de cette théorie.
Ils sont manifestes quand MD Philippe dit que c’est LE SEUL MAITRE de sa vie. Quand on dit cela de son oncle, même en admettant l’admiration, l’affection, le respect d’un neveu, on voit bien qu’il s’agit d’autre chose. D’un rapport d’influence qui l’a entièrement façonné dans tout ce qu’il exprime.
Ce qui explique aussi pourquoi il voit l’autre comme un bien matériel, comme un bien spirituel. Pourquoi il mélange l’amour et l’amitié. Ce n’est pas simplement en référence avec les philosophes grecs qu’il écrit cela. Mais parce qu’il vit ce rapport d’amour d’amitié avec cet oncle.
Dans ce rapport sans limites, tout est mélangé. Plus rien n’a de sens. La dimension relationnelle n’existe que dans le rapport maître-élève-disciple. J’allais dire presque maître-esclave. Et je ne vois pas le rapport unilatéral avec Pierre-Thomas maître et Marie-Dominique élève-disciple-esclave. Je pense que ce rapport s’inverse régulièrement du fait du handicap de l’oncle. Et que la dépendance physique, psycho-affective, spirituelle et intellectuelle se situe des deux côtés et chez les deux hommes. Pour des raisons différentes chez l’un comme chez l’autre.
Pierre-Thomas meurt en 1956. 20 ans plus tard, Marie-Dominique créée la Communauté St Jean. Entre temps, il va aider Mgr Lefèvre à fonder la FSSPX. Il va comme son oncle, rencontrer Marthe Robin, il va devenir le directeur spirituel de nombreuses personnalités. Il perpétue dans ses actes, l’oncle décédé. Dans toutes ses entreprises. Il reprend le rôle de prédicateur également qu’avait Pierre-Thomas.
Et St Jean sera l’incarnation matérielle et spirituelle de sa relation avec l’oncle. Mieux, MD va devenir l’unique référence pour ses adeptes. Comme l’oncle Dehau l’était pour MD Philippe.
Il va jusqu’à appeler la communauté, la famille St Jean. Ce nom donne bien le ton. Mélange famille et religion, exactement ce qui se passait pour lui sous emprise de l’oncle dominicain.
Si après tout cela, et avec ce qu’en dit déjà MD Philippe de son vivant, on ne comprend toujours pas de quelle nature totalitaire était le lien avec Pierre-Thomas Dehau, et ce que les écrits, la communauté, la biographie disent de ce lien fusionnel, franchement il faut s’acheter des lunettes. Parce que c’est plus qu’évident.
Et si l’on a un vécu de l’amitié comme de l’amour vrai dans sa vie, on comprend bien que la théorie philippienne relève de la confusion et d’une objétisation de l’autre, autre qui finalement n’existe pas. Sauf dans le prolongement de soi. Comme une forme d’effet miroir.
Si Pierre-Thomas n’avait pas été dans la concrétisation observante du désir parental, et avait vécu à une autre époque, dans une famille un peu moins religieuse, dans un milieu un peu moins fermé, il aurait peut-être osé s’émanciper par la musique, même en étant à demi aveugle.
Et il aurait peut-être osé se marier, avoir des enfants.
L’époque, la soumission presque servile à l’autorité, l’emprise religieuse, la vision sociétale du début du 20e siècle vis à vis du handicap qu’il soit physique ou psychologique, étant celle d’ une tare, une honte, une nécessité de réparation de faute…bref une culpabilisation des parents, n’ont pas aidé à son épanouissement ni à son émancipation.
Il a donc compensé comme il a pu.
Le problème, c’est qu’il est rentré dans un comportement relationnel abusif et totalitaire. Qu’il a transmis à ses neveux. Qui ont eux aussi abusé les autres. Est-ce qu’il aurait pu agir autrement ? Difficile à dire. Mais peut-être pas étant donné le milieu et l’époque.
Pour ce qui est de ses neveux, ils auraient pu s’émanciper davantage parce qu’ils ont vécu dans une époque différente, mais il est fort possible que le milieu ultra catho familial et l’influence idéologique dominicaine de l’époque ne le permettaient pas ou très difficilement.
Pour s’émanciper, il faut sortir ne serait-ce qu’un peu de son milieu d’origine. Force est de constater que les deux frères Philippe n’en sont jamais sortis. Ils sont restés dans le même giron toute leur vie. Et sous la même coupe idéologique. Ca n’aide pas à grandir ni à s’émanciper.
Cordialement
Françoise