La Légion compare Maciel à Marie de Magdala

Samedi 30 août 2014

La sulfureuse congrégation des légionnaires du Christ, toujours confrontée aux conséquences non résolues de son infâme fondateur, va peut-être connaître un retour en grâce avec le développement du Magdala Center, sur les rives de la mer de Galilée, en Terre Sainte. La congrégation mène une grande campagne de collecte de fonds pour couvrir les dépenses estimées à 100,000,000 $.

Le complexe, installé sur les ruines d’une synagogue que Jésus a peut-être fréquenté, possèdera un parc archéologique, un institut pour la promotion de la femme, une médiathèque et un hôtel de luxe dont la Légion du Christ sera propriétaire. Eduardo Guerra, le directeur adjoint du centre, a affirmé que la Légion avait déjà récolté 40 millions de dollars grâce à ses bienfaiteurs.

Que le centre réussisse à surmonter la triste réputation de son fondateur et les retombées de l’interminable scandale est une question qui reste ouverte. Alors que l’ordre est encore sous le choc des révélations sur son fondateur, le père Marcial Maciel Degollado (qui s’est avéré être un prédateur sexuel qui abusait de jeunes séminaristes et qui menait une double vie, ayant eu, entre autres choses, trois enfants avec deux femmes différentes) a encore des partisans qui lui sont restés fidèles.

Une brochure destinée à promouvoir le nouveau centre, « Magdala : Dieu aime vraiment les femmes », contient des éléments qui prouvent sans ambiguïté que certains légionnaires de haut-rang sont encore attachés à leur défunt fondateur. La brochure compare Maciel à Marie de Magdala et prétend que le fondateur de la Légion a été victime d’un jugement sans pitié. Voici ce qu’écrit, avec son cœur, le père Juan Maria Solana, qui dirige le projet Magdala :

« Les initiales de Marcial Maciel sont MM, tout comme Marie-Madeleine. Cette dernière a eu un passé compliqué, avant sa délivrance, si bien qu’on peut faire le rapprochement. Notre monde a deux poids deux mesures quand il traite de questions morales. Il arrive que certaines personnes aient une vie publique formelle qui ne corresponde pas avec leur vie réelle. Mais quand nous accusons quelqu’un et que nous sommes sur le point de le lapider, nous devons nous rappeler que nous avons tous nos propres faiblesses et imperfections. Avec les moyens de communications modernes qui échappent à tout contrôle, il est facile de détruire la réputation de quelqu’un sans même avoir enquêté sur la vérité. Nous ferions mieux de garder le silence, et cesser de porter des jugements. »

Le développement de la Légion en Terre Sainte contraste avec la « liquidation » de ses actifs en Amériques, selon les termes utilisés par un prêtre, conséquence des scandales à répétition impliquant la Légion du Christ. L’essor économique de la Légion en Israël contraste également avec les différents démêlés judiciaires en cours que la congrégation affronte aux États-Unis.

Dans le Connecticut, la Légion a été poursuivie par le propre fils de Maciel, ainsi que par le demi-frère de ce dernier, alléguant que Maciel aurait abusé d’eux sexuellement à l’adolescence.

Deux autres procès en cours dans le Rhode Island visent à récupérer des millions de dollars transmis à la Légion par des personnes âgées qui, selon les accusations de leurs familles, auraient été victimes d’abus de faiblesse. Dans ses techniques de collecte de fonds, la Légion présentait en effet le père Maciel comme un saint vivant.

Le père Solana, le directeur du Magdala Center, est un prêtre d’origine mexicaine qui a passé de nombreuses années au siège de la Légion, à Rome. Il apparaît dans une vidéo d’appel aux dons, sur le site Internet du centre. La partie séculière de la congrégation, le Regnum Christi, a travaillé en étroite collaboration avec le père Juan Solana et le père Eamon Kelly, un légionnaire irlandais, afin de cultiver des bienfaiteurs pour ce projet.

Après les révélations des supérieurs de la Légion en 2009 sur le fait que le père Maciel avait eu plusieurs enfants et la reconnaissance officielle de la part de la congrégation des abus sexuels perpétrés sur des séminaristes, des dizaines de prêtres ont quitté l’ordre religieux. Le réseau des bienfaiteurs de la Légion du Christ s’est effrité. Mais la Légion avait déjà réorienté sa stratégie de collecte de fonds vers les pèlerinages en Terre Sainte, courtisant en particulier ses donateurs pour le projet du Magdala Center.

Dans un contraste frappant avec les 40 millions de dollars que la Légion prétend avoir investi en Galilée, la congrégation a enregistré une perte de 16 millions de dollars sur la vente du centre de Thornwood, dans l’État de New York, qu’elle espérait jadis transformer en campus universitaire. La Légion a vendu la propriété à la société Efekta IA Inc., une filiale d’EF Academy International Boarding Schools, pour 17 millions de dollars selon le Westchester County Business Journal.

« La propriété de Thornwood a été vendu à un prix dérisoire. En ce moment, la Légion vend ses propriétés les unes après les autres, et cependant la congrégation continue d’aller de l’avant avec cet énorme projet en Israël, » explique le père Peter Byrne, un ancien légionnaires installé à Dublin. « Comment peuvent-ils encore se développer ? » s’interroge-t-il. Le père Byrne, qui vient de quitter la congrégation, est en train de rejoindre le clergé diocésain.

Le nouveau projet en Israël est une entreprise ambitieuse pour un ordre religieux qui doit dans le même temps faire face à tant d’actions en justice et qui subit un chaos interne si fort qu’un avocat ecclésiastique jésuite, le père Gianfranco Ghirlanda, a récemment été nommé comme conseiller spécial pour la congrégation. La Légion n’a pas encore reçu l’approbation du pape François pour ses nouvelles Constitutions, lesquelles ont été présentées au pape il y a quelques mois.

Pendant ce temps, la réduction des biens de la congrégation dans d’autres parties du monde a été considérable. La Légion a :

  • vendu 4 des 10 hectares de son centre situé à Orange, dans le Connecticut, pour 800,000 dollars. Ce site était autrefois le quartier général de la Légion aux États-Unis.
  • fermé l’Université de Sacramento en Juillet 2011, pour manque de fonds. Lorsque l’école avait ouvert en Californie en 2005, la Légion espérait en faire son université phare aux États-Unis.
  • fermé la Gateway Academy, une école (collège / lycée) située à l’extérieur de Saint-Louis, à la fin de l’année scolaire 2011, invoquant « la diminution des capacités financières de la Légion du Christ. »
  • fermé des séminaires au Chili, en Argentine, au Brésil et au Canada, deux noviciats en Irlande et un autre en Espagne, en raison de problèmes de financement et à cause des nombreux départs de la Légion et du Regnum Christi, d’après article publié le 23 mars 2014, dans la revue mexicaine Milenio.
  • vendu six propriétés en Espagne, toujours d’après la revue Milenio, et deux écoles au nord de Madrid ont fusionné pour fonctionner sur le même campus.

Pour un ordre religieux implanté dans le monde entier, la Légion du Christ est petite. Elle dispose de 800 prêtres et d’environ 2.400 séminaristes. À son apogée, en 2004, avec un budget de fonctionnement annuel de 650 millions de dollars, elle arrivait à couvrir le réseau de ses écoles, ses séminaires et ses universités en Amérique latine, en Amérique du Nord et en Europe.

Au début de cette année, lors du premier chapitre général de la Légion depuis 10 ans, la congrégation a élu de nouveaux dirigeants et publié une longue déclaration dans laquelle elle présentait des excuses aux victimes de Maciel et analysait ses échecs tout en promettant de se réformer.

« Plusieurs d’entre nous espérions que le chapitre allait mettre en place des moyens objectifs pour communiquer les changements internes – et ce que cela signifierait, » explique le père Byrne. « Mais ils n’y a personne pour surveiller si la Légion accomplit vraiment ses engagements et ses promesses, il n’y a pas de contrôle extérieur. La même culture est toujours présente. »

Le document de 138 pages « Magdala : Dieu aime vraiment les femmes » est très révélateur. En suggérant que Maciel aurait perdu sa réputation injustement, « sans même avoir enquêté sur la vérité », le document contredit la déclaration de Benoît XVI dans Lumière du monde (2010), le livre d’interview écrit par le journaliste Peter Seewald. Benoît XVI y fait en effet allusion à l’enquête de deux ans qui a abouti à la destitution de Maciel en 2006.

« Malheureusement, ces informations ne nous sont parvenues que très lentement et tardivement, » expliquait le pape. « Elles étaient très bien dissimulées et nous n’avons eu d’indices concrets qu’à partir de le l’an 2000. »

Benoît XVI ajoutait que la vie de Maciel se situait « au-delà de la morale, une vie aventureuse, dissipée, pervertie. D’un autre côté, nous voyons la dynamique et la force avec lesquelles il a édifié la congrégation des Légionnaires. »

La même année, le Vatican affirmait que Maciel avait eu une vie « sans scrupule et privée d’un authentique sentiment religieux. »

La brochure « Magdala : Dieu aime vraiment les femmes » a été préparée pour l’opération médiatique dirigée par la Légion à l’occasion du voyage du pape François en Terre Sainte, en mai 2014. Le copyright est crédité à Soeur Viljoen, de Pretoria, en Afrique du Sud. Imprimé à Jérusalem, le livret porte l’indication : « Supervisé par les Légionnaires du Christ. »

C’est le 30 novembre 2004, au cours d’une cérémonie pour célébrer les 60 ans de sacerdoce du père Maciel, que le pape Jean-Paul II a placé l’Institut pontifical Notre-Dame of Jérusalem Center sous le contrôle administratif de la Légion du Christ. Une décision encouragée par le secrétaire d’État du Vatican de l’époque, le Cardinal Angelo Sodano. Depuis 1998, les allégations de pédophilie portées par d’anciens légionnaires contre Maciel avaient pris la poussière dans le bureau du cardinal Ratzinger, à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et avec le soutien de Sodano pour une telle proposition, le centre de Jérusalem a été offert sur un plateau à la Légion. Dans une séquence vidéo de la cérémonie de 2004, on voit Maciel s’agenouiller devant un pape souffrant, puis échanger deux baisers dans une accolade.

« Le désarroi, la honte et les traumatismes n’arrivent pas qu’aux femmes », explique la brochure, citant « les histoires de femmes qui ont beaucoup souffert à cause de problèmes de mœurs. » Le texte continue ainsi :

Lorsque les faits relatifs à Marcial Maciel ont éclaté dans les médias, cela a provoqué des ondes de choc à travers le monde entier. Pour avoir été le fondateur des Légionnaires du Christ, beaucoup de gens voyaient en lui un exemple à suivre, et étaient certains de son intégrité. « Pour nous, c’était un saint homme, le chef d’un grand mouvement spirituel », explique le Père Juan Solana. « Il est au départ de plusieurs dizaines d’universités, de centaines d’écoles, de centaines de centres éducatifs, de milliers de vocations… Et tout d’un coup, sa réputation s’est effondrée comme les tours jumelles. Lorsque vous idéalisez quelqu’un pendant des années, qui est votre modèle, votre père spirituel, et que tout à coup, d’une seconde à l’autre, il n’est plus rien, c’est extrêmement douloureux. »

« Plusieurs dizaines d’universités » est une affirmation inexacte. A son apogée, et en comptant les centres pour la formation de ses propres séminaristes, la Légion avait environ deux dizaines d’universités.

Sodano s’était lié d’amitié avec le fondateur de la Légion lorsqu’il était nonce apostolique au Chili, sous le régime Pinochet. Maciel essayait de fonder au Chili des écoles et des séminaires. Lorsqu’il est retourné à Rome, Sodano a reçu des dons financiers de la part de la Légion du Christ. Il a fait tout ce qu’il a pu pour empêcher Ratzinger de poursuivre son enquête sur Maciel.

En tant que propriété du Vatican, le centre pontifical Notre-Dame of Jérusalem Center est un énorme atout, avec une bibliothèque, un hôtel cinq étoiles, une salle de conférence et une école hôtelière pour les chrétiens arabes. Le Vatican a confié la direction de ce centre à la Légion pour 49 ans. Toutes les recettes de Notre-Dame of Jérusalem Center sont réinvesties, explique le père légionnaire Benjamin Clariond, dans un email envoyé depuis Rome. Solana fait un rapport annuel au Vatican.

Le Notre-Dame of Jérusalem Center est un arrêt obligatoire lors de toute visite papale, parce qu’il appartient au Vatican. Benoît XVI s’y était arrêté lors de sa visite en Israël. Le pape François, lors de sa récente visite éclair, a rencontré le Premier ministre Benjamin Netanyahu au Notre-Dame of Jérusalem Center. Lors d’un événement séparé, il a béni le tabernacle et l’autel du Magdala Center, d’après une information affichée sur le site Web du futur complexe.

C’est la Légion du Christ – et non le Saint-Siège – qui est en charge du Magdala Center, explique le père Clariond. « Ce projet comprend le parc archéologique, le centre de spiritualité, un restaurant et une maison pour les pèlerins [un hôtel]. La dimension de l’investissement pour l’ensemble du projet se situerait entre 80 et 100 millions de dollars. Les dons pour ce projet servent exclusivement à financer le projet. »

Clariond ajoute que l’hôtel ne rapportera aucun profit à ses investisseurs. Est-ce que la Légion possèdera cet hôtel ? « C’est le plan, » a-t-il répondu par e-mail. « Mais les travaux pour l’hébergement des pèlerins ne sont pas encore achevés. »

[Jason Berry est le producteur de « Vows of Silence », un documentaire sur Maciel, et est l’auteur de Render Unto Rome : The Secret Life of Money in the Catholic Church.]

Voir en ligne : http://ncronline.org/news/global/ro

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