ARCHIVE : La lettre de Juan José Vaca au père Maciel (1976)

Mardi 25 décembre 2012 — Dernier ajout dimanche 27 janvier 2013

Voici la fameuse lettre de l’ancien légionnaire, Juan José Vaca, qui a été abusé par le père Maciel pendant toute son adolescence. Après un long temps de reconstruction, il a décidé de dénoncer le père Maciel, sans succès. Juan José Vaca est devenu professeur de psychologie à New York, USA.

St Christopher’s Rectory
11 Gale Avenue
Baldwin, New York 11510

Rev. P. Marcial Maciel, L.C.,
Supérieur Général des Légionnaires du Christ,
Via Aurélia Nuova, 677,
Roma, Italia.

Le 20 octobre 1976

Très estimé dans le Christ, Père Maciel,

Je voudrais commencer cette lettre en vous remerciant sincèrement de m’avoir envoyer la photocopie de mon Indulgence de sécularisation, avec la lettre jointe. Je dois vous informer cependant que ce courrier ne m’est parvenu que la semaine dernière, le 12 décembre exactement. Je vois que votre lettre a été postée au service de courrier du Vatican le 26 août, mais celle-ci a été timbrée au tarif ordinaire, et pour cette raison, elle a été envoyée par bateau et est arrivée en très mauvais état (un peu déchirée et mouillée par endroit). C’est à cause de ce retard que je n’ai pas pu accuser réception.

J’ai ensuite pris huit jours de plus pour vous répondre, parce que j’ai voulu me donner le temps pour prier et pour méditer sur le contenu et la forme de cette réponse, en prenant le temps que requière la prudence, afin de l’écrire avec la plus grande modération et le plus grand respect possible.

J’aurais aimé ne jamais avoir à vous envoyer cette lettre. Lorsque, en décembre 1962, je vous ai écrit quelques pages dans lesquelles, en citant des faits concrets, je vous demandais, au nom de Dieu et, pour la tranquillité de conscience d’un certain nombre d’entre nous, une explication à propos des contradictions morales de votre vie, votre réponse a consisté à m’envoyer à Ontaneda, un mois et demi avant la date à laquelle je devais recevoir l’ordination sacerdotale (J’ai moi-même rédigé le document approprié à la Congrégation des Religieux) et votre réponse a consisté, en plus, à retarder mon ordination pendant un temps indéterminé, qui a duré six douloureuses années.

Bien qu’aujourd’hui, vous ne puissiez me faire pratiquement plus aucun mal, après les dommages inimaginables et tellement graves que vous nous avez fait, à tant d’entre nous, sachez que ce n’était pas mon désir, Père, mais bien vous-même, et votre lettre, qui m’ont conduit à rédiger cette lettre.

Je le fais devant Dieu et je dépose mon espérance en Lui de vous voir corriger, vous, Père, et d’une façon définitive, les contradictions aberrantes de votre vie, afin que vous n’exposiez pas plus longtemps votre propre personne, l’Institution de Dieu qu’est la Légion, la réputation de notre sacerdoce catholique et de l’Eglise entière, au très grave scandale qui s’en suivrait, si cela apparaissait à la lumière, si les abus sexuels (considérés par la loi comme des actes de dégénération et d’ordre criminels, et par la médecine comme une anomalie pathologique) parvenaient à la connaissance des autorités compétentes), que vous avez commis sur tant d’entre nous pendant de si longues années. Et cela seulement, sans mentionner le reste, comme les différents aspects de votre vie sécularisée, tellement en contradiction avec les vœux religieux, ou comme votre malheureux passé d’addiction, qui vous a causé tant de peines et vous a conduit à de telles manipulations et tant de dépenses pour étouffer le scandale.

Pour moi, Père, le malheur et la torture morale de ma vie ont commencé au cours de cette nuit de décembre 1949. Utilisant le prétexte de vos douleurs, vous m’avez ordonné de rester dans votre lit. Je n’avais pas encore treize ans. Vous savez que Dieu m’avait préservé intact et pur, jusque-là, sans jamais avoir gravement souillé l’innocence de mon enfance. Au cours de cette nuit, profitant de l’angoisse et du trouble qui m’habitaient, vous avez déchiré ma virginité masculine, pour la première fois. Moi, qui étais arrivé à la Légion dans mon enfance, sans jamais avoir eu quelque expérience sexuelle que se soit, sans même savoir qu’il existait des actes comme la masturbation et autres dégénérescences contra naturam, vous avez initié au cours de cette nuit des abus aberrants - et sacrilèges de votre part - qui se sont prolongés douloureusement pendant treize années. Treize années d’angoisse et de terribles troubles, en ce qui me concerne.

Combien de fois m’avez-vous réveillé au milieu de la nuit pour m’avoir à votre disposition, et pour abuser de mon innocence ? Des nuits de terreur. De si nombreuses nuits sans sommeil, qui, en plus, mirent en danger de si nombreuses fois ma propre santé psychique. Vous en souvenez vous, Père ?

En octobre 1950, vous me conduisez à Rome, seul adolescent au milieu du petit groupe de philosophes et de théologiens, dans l’intention de pouvoir continuer à abuser sexuellement de moi. Trois mois plus tard, au lieu de me faire rentrer à Cobreces, vous tentez de me convaincre de rester à Rome, en me proposant de m’inscrire dans une très bonne école pour me faire entrer par la suite, quand viendrait le moment, au Noviciat, à Rome. Je bénis le Seigneur, qui m’a permis d’échapper à votre proposition. Cependant, à chaque fois que vous reveniez à Cobreces, puis ensuite à Ontaneda, je devais de nouveau souffrir de vos abus. A ce moment, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul. Un bon nombre de mes compagnons étaient aussi victimes de votre luxure. Quelle horreur !

Et ainsi, alors que vos abus sur nous devenaient de plus en plus graves, j’ai passé mes deux années de noviciat, mes deux années d’Humanités classiques, mes trois années de philosophie et les trois premières années de ma théologie.

Au mois de septembre 1956 le scandale de votre addiction apparaît en plein jour. Vous craignez que l’on découvre également vos activités homosexuelles et vous faites d’habiles remaniements de fonctions, en nommant comme supérieurs des communautés de Rome ceux parmi nous qui vous aimaient le plus et qui avaient conservé à votre égard la plus grande fidélité (Nous vous considérions alors comme un père, saint et extraordinaire, pour qui nous avions tout donné ; vous nous aviez littéralement envoûté ; vous pouviez faire ce que vous vouliez de nous, de nos volontés, de nos esprits, de nos consciences…). Vous nommez Jorge Bernal comme supérieur des théologiens, Alfonso Samaniego comme supérieur des philosophes et Cristoforo Fernandez et moi-même comme supérieurs des novices. Vous nous donnez des instructions, afin que nous ne révélions rien de négatif au sujet de votre vie personnelle aux Visiteurs Apostoliques.

Au mois de mai 57, vous me faites appeler à Madrid. Là, vous me retenez presque un mois. Comme à Madrid il vous devenait très difficile de vous procurer la Dolantine, vous m’envoyez d’abord à Medilla, puis à Tetuan, et finalement à Céuta. Quel moment d’angoisse j’ai passé au cours de cette soirée à Céuta, quand, après être resté deux heures dans la baignoire, sans répondre à mes appels, il a fallu que j’entre dans votre appartement pour vous sortir, complètement inconscient, à cause des injections…

En février 58, vous êtes réhabilité par le Saint Siège. Cependant, nos tourments continuent, parce que vous recommencez à abuser sexuellement de nous. Le nombre de jeunes religieux que vous touchez s’agrandit. Combien de journées entières et de nuits qui se succèdent, enfermés dans cette infirmerie du Collège de Rome… dans votre appartement en face du chœur de la chapelle, avec la porte coincée par le lit, le trou de la serrure bouché et les volets des persiennes soigneusement fermés…. Combien de fois nous avez-vous obligé, non seulement à un, mais également à deux religieux, de se faire mutuellement les aberrations que vous nous faisiez… Tous ces voyages aller-retour entre Rome et l’Espagne, au cours desquels vous nous conduisiez dans votre voiture et vous vous arrêtiez, de façon inattendue, soit dans un hôtel, soit dans une auberge, soi-disant pour dormir, vous faisant accompagner par l’un de nous… (à Solares, Nice, Genève…). Ces huit jours à Bruxelles… Et comment ne pas avoir honte de ce qui s’est passé dans cet hôtel de Montmartre, à Paris, alors que vous veniez de finir une bouteille de Cognac ?…

Après quoi, à Mexico – de juillet à décembre 1961 – alors que vous nous envoyez, Fdo. Martinez et moi-même, pour demander des bourses d’étude à Javier Orozco, avec l’interdiction formelle de nous permettre de voir nos parents et notre famille – après avoir passé douze ans sans les voir ! – peut-être aviez-vous peur que nous parlions ?… Ces quelques jours à Acapulco… Le voyage de Dallas, m’emmenant avec vous pour que je vous accompagne à l’hôpital de Temple, au Texas… Et puis enfin, ces longues semaines d’angoisse à Salvator Mundi (Je remplaçais alors Ramiro Fdez.), jusqu’à ce que, de façon inattendue, le Cardinal Valeri vous surprenne, un matin, dans un état pitoyable… Combien de lieux et combien de moments de si triste et terrible mémoire !

Lorsque je commençais à avoir des angoisses et que j’étais pris par de terribles problèmes de conscience, vous me rassuriez, au début, en m’affirmant que vous ne vous rendiez pas compte de ce que vous faisiez dans certaines circonstances ; que vous ne vous souveniez de rien du tout, et par la suite, vous m’avez donné plusieurs fois l’absolution vous-même (abusant du sacrement, absolutio complicis !). Et, lorsque ma conscience ne me permettait pas d’être en paix, vous me conduisiez, en incognito, vers quelques confesseurs, m’expliquant la façon par laquelle je devais exposer les choses au confesseur, afin que je ne vous dénonce pas.

Vous connaissez bien, Père, le mal si grave que vous m’avez fait, jusqu’à me conduire au bord de l’aliénation psychologique et mentale. D’abord, comme enfant, puis comme adolescent et ensuite comme jeune homme et adulte, j’étais soumis à une discipline religieuse tellement rigide, moi, qui avais conservé un amour si sincère et qui avait une vénération si grande pour une personne qui, en plus d’être prêtre, fondateur et supérieur général, était à mes yeux un véritable père et un homme extraordinaire… mais comment concevoir que cet homme, si extraordinaire, vivait dans des contradictions tellement aberrantes, et suivait un style de vie tellement en opposition avec ce qu’on exigeait de nous… Comment une telle chose pouvait-elle être possible ?

Voici ce que furent, en résumé et à quelques détails près, les expériences similaires qu’ont dû souffrir tant de jeunes et d’adolescents, que Dieu avait confié entre vos mains, dans le dessein de les conduire vers une vie exemplaire de sainteté, mais à qui, vous, au lieu de cela, avez causé des dommages incalculables, et, dans certains cas, irréparables. Tous ceux-là, des jeunes bons et pleins de talents, comme les suivants, sur qui j’ai pu constaté personnellement que vous avez commis les mêmes abus sexuels et dont je cite les noms ci-dessous :

(NDR. Par respect vis à vis des victimes, nous ne publions pas la liste citée dans la lettre originale de Juan José Vaca)

Naturellement, Père, vous savez qu’il ne s’agit là que des noms de ceux dont j’ai connaissance, grâce à des témoignages personnels, mais que la liste des personnes que vous avez maltraité est bien plus nombreuse. En effet, beaucoup ont dû quitter la Légion, alors que d’autres, pour différentes raisons – certaines parfois inavouables – continuent à l’intérieur de l’institution, comme prêtres. Certains d’entre eux perpétuant la chaîne de ces activités homosexuelles et scandaleuses, comme le Père Penilla, pendant la période où il fut recteur d’Ontaneda, ou comme le Père Arumi (Vous a-t-on déjà informé des libertés licencieuses que le P. Arumi s’était autorisé avec certains d’entre nous, depuis les années 57 : attouchements, voyeurisme à travers les portes des douches, etc.?) Comment pouvais-je le tenir au courant de tout cela, à lui qui expérimentait les mêmes activités que les vôtres ?

Ayant souffert de tout cela, vous m’envoyez à Ontaneda, comme réponse à cette lettre angoissée que je vous ai écrite en décembre 1962 et dont vous vous êtes emparé, par l’intermédiaire de quelqu’un, dans ma chambre, à Rome.

Après avoir détruit mon innocence, après avoir abusé sexuellement de moi et avoir attenté contre mon intégrité morale, psychologique et mentale durant tant d’années, vous avez cherché à me faire encore plus mal, quand, à cause des préoccupations et de l’amour d’un fils tourmenté, je vous demandais des explications sur votre conduite et je vous demandais de corriger votre style de vie, pour Dieu, pour votre propre bien et celui de nous tous : A Ontaneda ! Et pour un temps indéterminé ! Un mois et demi plus tard, mes compagnons reçoivent l’ordination sacerdotale, dans un groupe dont je devais faire partie. Ma douleur, ma terrible déception et ma frustration furent telles qu’elles m’ont pratiquement fait perdre toute foi et confiance en l’homme. Ma vie, à vingt-six ans, se brise de façon brutale, en mille morceaux, dans une ambiance comme celle d’Ontaneda de l’époque. Que de privations et de sacrifices sans limites et de tous genres, physiques et morales, avons nous passé dans ce centre !

Dans la situation personnelle dans laquelle je me suis trouvé à Ontaneda, il fallait s’attendre à ce que je ressente, tôt ou tard, la tentation de reproduire quelques unes des activités impures que vous m’aviez enseignées. J’ai attendu et résisté pendant un certain temps ; mais, la tentation, les mauvais souvenirs que vous m’aviez laissé et la situation si pénible de la vie à Ontaneda, m’ont fait tomber ; Cela a été comme une sorte d’échappatoire, afin de ne pas perdre la raison. Oui, je suis tombé, Père ; Mais vous savez bien que je n’ai jamais abusé d’aucun adolescent, de la façon avec laquelle vous abusiez de nous. Ni même de façon lointaine, avec la gravité et l’étendue de vos abus. Sachez que cela n’a jamais été plus loin que de simples caresses, lorsqu’ils étaient endormis ; jamais lorsqu’ils étaient éveillés et sans jamais leur causer de plus grands maux. Cela a duré seulement quelques mois, et, depuis cette époque, je n’ai jamais remis en pratique ce que vous nous aviez enseigné. Cela m’a tellement dégoûté depuis lors, que je n’ai jamais entretenu la moindre pensée à propos d’activités homosexuelles.

Après quelques années, vous m’avez envoyé à Orange. Je vie continuellement sans jamais réussir à ôter de mon esprit les souvenirs de ces abus que vous avez commis sur moi. Je continue à me rendre compte du style de vie sécularisé que vous meniez : voyageant sans cesse d’un pays à l’autre, de façon compulsive, toujours en incognito, dépensant des quantités énormes d’argent (voyageant toujours en première classe ; vous hébergeant dans les hôtels les plus chers ; allant dans les meilleurs restaurants) ; De façon fréquente et inattendue, vous vous arrêtez à Acapulco, Tequisquiapan, Huston, Miami, Madrid… Et toujours avec la consigne que « personne ne doit savoir où vous êtes ». Quelle lamentable façon de vivre le vœu de pauvreté et les normes de la vie religieuse ! Je ne crois pas qu’il existe une seule personnalité ecclésiastique – et je ne parle pas des religieux – qui jette l’argent par les fenêtres comme vous.

Vous ne célébrez le sacrifice de la Messe qu’en de rares occasions et, bien sûr, avec une dévotion impressionnante, pour susciter l’admiration et l’édification de tous ceux qui vous observent. Combien de fois n’avez-vous pas célébré ces messes, en sortant de l’infirmerie, après avoir abusé de nous ? Seul Dieu sait dans quel état de conscience vous vous trouviez alors. Combien de fois n’avez-vous pas interrompu la messe, vous retirant à la sacristie, pour vous faire une injection, de façon à continuer le Sacrifice Eucharistique dans un état second.

Sans la messe quotidienne, sans la prière de l’Office Divin (car, d’après ce que vous nous disiez, le Pape vous aviez accordé une dispense perpétuelle), sans la prière nécessaire et avec de tels exemples de malhonnêteté personnelle, de mensonge systématique, de viol des consciences… comment aurions-nous pu rester indéfectible, après tout le mal si grave que vous nous aviez fait ? Certains en ont eu marre de toutes ces choses, et ont fini par quitter Légion. Ceux qui ont commencé à parler, vous les avez accusés d’être des « traitres », des « personnes ingrates », des « fils abortifs », les « instruments de la croix que Jésus-Christ vous offrait, pour vous rendre semblable à Lui » (Quelle distorsion de langage et de conscience, Père !). D’autre part, ceux qui n’ont pas parlé, préférant vivre en paix ou éviter les problèmes, ont dû porter en eux le terrible souvenir de quelques expériences, que nous ne souhaiterions jamais à quiconque de vivre.

Effectivement, Père, après avoir passé deux ans à Orange, j’ai succombé à la tentation de me distraire avec de la littérature érotique. (Mais encore une fois, je m’interroge… sur le genre de revues mondaines que vous aviez toujours avec vous, et que vous lisiez jusqu’à des heures indues de la nuit ?). Oui, je suis tombé dans la tentation de regarder de temps en temps des films et des divertissements interdits. Tout cela, je vous l’ai confié, au cours du sacrement de la confession, un soir, dans votre chambre de l’hôtel Hilton de New-York. A partir de ce moment, vous avez décidé de me faire surveiller par des agents privés, faisant ainsi usage de ma confession sacramentelle et abusant de ma sincérité de conscience. Vous aviez déjà fait la même chose avec le père Pedro Martin, et Dieu seul sait avec combien d’autres encore, allant jusqu’à le prendre en photo et enregistrer ses conversations. Peut-être espériez-vous me surprendre dans une mauvaise situation ? Les sommes d’argent considérables que coûtait le financement d’une telle surveillance ne vous importaient apparemment pas. De même que le fait de violer le secret de la confession, ainsi que l’intégrité et les droits privés d’un être humain de plus… cela ne vous posait pas de problème. N’importe quelle dépense était amplement justifiée et commettre tous types de violation supplémentaire, pourvu d’obtenir entre vos mains des faits concrets pour « pouvoir me détruire complètement », selon les intimidations que vous m’avait fait au téléphone et dans votre lettre, dans le cas où, un jour, j’oserais parler et révéler les scandales et les aberrations incroyables de votre vie, auxquels j’ai malheureusement assisté et dont j’ai également souffert, pendant vingt-six longues et terribles années.

Je ne sais pas, Père, jusqu’à quel degré de malhonnêteté et de folie, Dieu a permis que vous arriviez. Après avoir lu cette lettre, je ne sais pas quelle sera votre réaction. Ce sera sans doute celle de toujours : m’accuser d’être un fils de la trahison, ingrat, un « instrument de votre calvaire », un « tissu de mensonges et de calomnie », lequel « manque d’imagination, car je ne fait rien d’autre que de répéter ce que l’on dit à votre égard depuis 1946 »… je ne sais pas.

Pour l’amour de Dieu, j’espère que votre réaction sera la seule qui soit honnête et juste : celle de reconnaître les terribles dommages que vous nous avez causés. Renoncer, peut-être, à votre poste de gouvernement et d’honneur, et commencer, une bonne fois pour toute, une vie vraiment correcte aux yeux de Dieu.

Si cela n’était pas le cas, et si vous décidiez de continuer à m’attaquer pour « me détruire complètement », sachez bien que tout ce que vous pourrez présenter à mon Evêque ou bien à la connaissance du public à propos de mon passé ne m’importe absolument pas, même si vous pouvez le prouver avec des photos, que vous auriez obtenu par quelques détectives privés que vous auriez engagé, comme vous l’avez déjà fait avec le Père Pedro Martin. Vous pouvez le faire, de la façon que vous voulez et quand vous voulez ! Je me suis déjà fait à l’idée, Père, que vous êtes capable de faire n’importe quoi. Que n’avez-vous pas déjà fait ? (J’en suis même arrivé à la possibilité que vous chargiez quelqu’un de me donner une leçon, ou de me faire disparaître dans un accident, d’une façon ou d’une autre).

Cette possibilité ne me perturbe en aucune façon, parce que, premièrement, ces choses remontent à un passé strictement privé, dont j’ai honte, et pour lequel j’ai demandé mille fois pardon à Dieu. Ce sont là des chutes qui appartiennent au passé et dont, avec la grâce de Dieu, je n’accepterai jamais qu’elles se répètent dans ma vie. Deuxièmement, parce que, lorsque j’ai quitté la Légion, mon intention a consisté d’abord à oublier les évènements passés avec vous, ensuite, à refaire ma vie en vivant en paix avec Dieu, et enfin, à offrir mon sacerdoce avec simplicité et plénitude à toutes ces âmes que Dieu et ma mère l’Eglise mettraient sur mon chemin. Troisièmement, parce qu’en révélant ces aspects sans importance de mon passé, vous vous détruiriez vous-même, provoquant un dommage de plus infiniment plus grave pour la Légion, un scandale pour tant d’âmes innocentes, et une offense de plus envers l’Eglise et le sacerdoce catholique. Car, si vous décidez de prendre une telle mesure, il me faudra expliquer l’origine et les causes de ces aspects de mon passé, avec lesquels vous prétendez m’intimider. En d’autres termes, Père, je serais dans l’obligation de faire la seule chose que vous me laisseriez : révéler, jusque dans les moindres détails, ces vingt-six années de votre vie dont j’ai été le triste et malheureux témoin.

Malgré tout ce que je vous ai dit, soyez absolument certain, Père, que je ne prendrai jamais l’initiative de révéler votre passé. Dieu m’est témoin que ce ne sont pas mes intentions, car je suis bien conscient des terribles conséquences qui s’en suivraient pour l’Eglise, pour la Légion, et pour vous-même. Vous me connaissez et vous savez que je ne suis pas capable de faire du mal de façon consciente à qui que se soit. Je ne suis pas capable de faire du mal, parce que j’ai trop souffert et supporté cela dans le silence pendant ces vingt-six années. Mais, si vous choisissez cette option, il me faudra défendre mon sacerdoce – étant donné qu’il vient de Dieu et de l’Eglise – et pour ce dernier, je suis prêt à donner, avec l’aide de Dieu, jusqu’au dernier moment de ma vie. En plus de mon témoignage devant Dieu, je possède des preuves nécessaires et irréfutables.

Enfin, Père, il me faut vous exposer le point qui me préoccupe et me fait le plus souffrir. Il s’agit de la situation actuelle dans laquelle se trouve ma sœur Tere, laquelle est à votre disposition, dans le mouvement.

Vous savez bien que le style de vie que ces femmes consacrées doivent suivre a lieu, premièrement, dans le dos du Saint Siège, sans aucun statut canonique ni aucune approbation ecclésiastique.

Deuxièmement, le Mouvement Regnum Christi, avec ses méthodes de culture du secret, son absolutisme idéologique et son système d’enfermement des consciences, ressemble plus aux méthodes employées par les sociétés secrètes, que les méthodes ouvertes et simplement évangéliques de notre Mère l’Eglise. Ces méthodes que vous avez créées suscitent au sein de l’Eglise des divisions, et inocule dans les esprits de ses membres une idée qui suscite subtilement l’orgueil et la suffisance : celle d’être des êtres de prédilection, élus par Dieu, œuvrant en marge des évêques qui s’y opposent, au mépris des prêtres diocésains qui travaillent en vérité pour les âmes et qui essayent de les servir, avec un apostolat évangélique, au service de tous types de personnes – et pas seulement les riches et les puissants – et en conformité avec la vie de l’Eglise.

Troisièmement. Le style de vie auquel sont soumises ces femmes est un flagrant abus de leur liberté et de leur conscience personnelle. En effet, vous les avez formé de telle façon, avec tous types d’arguments exposés suffisamment habillement pour qu’ils paraissent conformes à l’Evangile, afin de leur supprimer leur liberté de discernement et de ôter le pouvoir de leur volonté personnelle. Elles en viennent ainsi à devenir incapables de prendre quelques décisions vraiment libres, ayant été conditionnées par tout ce que vous avez réussi à distiller dans leur esprit. Comme vous avez été habile pour les convaincre « qu’au nom de Dieu, elle ont le devoir moral d’obéir à l’appel que Dieu lui-même leur a fait, et de le suivre avec un dévouement inconditionnel », « laissant complètement de côté leurs parents et leur famille », en arrivant à les convaincre de vivre une discipline religieuse, que même les religieuses d’autres congrégations officielles ne vivent pas.

Il est clair que vous avez besoin de ce genre de femmes, pour pouvoir diriger des collèges de filles, et pour mieux pouvoir contrôler, grâce à elles, les différentes activités destinées au femmes. Vous avez su leur inculquer habilement l’idée – comme vous nous l’avez inculqué à nous aussi – que la proximité et les rapports normaux avec la famille sont un obstacle pour le service de Dieu. Dieu n’est-il pas lui-même le Créateur de la famille ? N’a-t-il pas choisi lui-même de vivre une trentaine d’année, dans le sein et l’intimité de sa propre famille ? La famille n’est-elle pas la plus belle et sainte chose que Dieu a offerte à la Création ? Il est clair, Père, que si vous n’imposiez pas une séparation aussi sévère et rigide entre les familles et ces jeunes femmes (comme pour les autres membres de l’institution) vous ne pourriez pas avoir un contrôle aussi totalitaire sur elles, comme cela a été le cas jusqu’à présent. Comment se fait-il que vous n’ayez jamais pu engager l’une ou l’autre de vos sœurs dans ce genre de vie, avant qu’elles se marient ?

Ma douleur et ma préoccupation pour ma sœur ne sont pas seulement le fruit des trois considérations que je viens d’exposer. Il y a également d’autres faits graves de votre vie qui accentuent ma préoccupation pour ma sœur.

Comment pourrais-je rester tranquille, Père, quand je sais que ma sœur a perdu toute sa liberté et a été envoûté par une personne qui nous a fait tant de mal, à tant de jeunes et de religieux ? par une personne qui s’est permis de commettre les activités, que vous m’avez avoué vous-même, avec Mme Camila Barragan (au cours de ce voyage que vous avez fait ensemble de Monterrey à Madrid)… et les visites compromettantes de Mme Virginia Rivero (comme cette visite qui a eu lieu dans le Collège de Rome, pendant laquelle vous avez fait en sorte que personne, sauf deux d’entre nous, se rende compte des deux heures que vous passiez avec cette femme, enfermés dans l’infirmerie, à côté de la porte de service)…

Avec tant et tant de tristes précédents, Père, il est absolument impossible que je puisse rester tranquille, alors que je sais que ma sœur, comme les autres femmes consacrées, continuent avec vous. Vous comprenez que je ne serai pas en paix tant que je n’aurai pas vu ma sœur libérée de toutes ces pressions morales, et en paix avec notre famille. Avant tout se trouve le bien de son âme, correctement entendu, et son bonheur personnel. L’autre voie, il est impossible que Dieu la veuille, et, je crois qu’il existe de nombreuses autres façons de le servir, de façon exemplaire et féconde, dans un apostolat à temps complet, approuvé par l’Eglise et la hiérarchie.

Vous saurez trouver la bonne façon de libérer ma sœur, sans exercer sur elle toute forme de torture de conscience. Nous proposons, mes parents, ma famille et moi-même, un délai maximal s’achevant à la fin de l’année 1976.

Je vais achever, Père, en vous assurant que je n’ai jamais accepté, dans mon cœur, de conserver quelque rancune que se soit, envers personne, et encore moins envers vous. Je vous ai déjà pardonné sincèrement tout le mal si grave que vous m’avez fait pendant tant d’années. Jour après jour, je prie Dieu et la Sainte Vierge pour vous et pour toutes les âmes simples et bonnes, qui continuent à être envoûtées par vous.

Pour finir, je vous expose par la suite trois demandes formelles, en conclusion de cette lettre :

PREMIEREMENT : la liberté entière de ma sœur Tere, et son prochain retour dans notre famille, sans aucune sorte de pressions de conscience.

DEUXIEMEMENT : Que, pour l’amour de Dieu et le bien de notre sacerdoce commun, vous me laissiez reconstruire maintenant ma vie en paix, et que vous me laissiez vivre tranquille dans mon apostolat.

TROISIEMEMENT : Que, pour le bien de l’Eglise, et de vous-même, vous preniez la décision, une bonne fois pour toute, de : reconnaître les dommages si graves que vous avez fait sur tant d’âmes ; renoncer à votre dignité de gouvernement – qui est la seule voie correcte et juste - ; vivre une vie vraiment transparente aux yeux de Dieu. (je ne crois pas que vous aimeriez finir comme le Supérieur Général des Oblats de Marie, ni comme d’autres personnalités de la hiérarchie catholique…) car les endroits où la vérité finira tôt ou tard par se savoir sont nombreux ! Pourquoi vouloir faire tant de mal à notre mère l’Eglise ?

Voulant être absolument sincère avec vous, je vous informe que l’original de cette lettre, ainsi que onze copies supplémentaires, se trouvent en sécurité, dans des enveloppes fermées, dans un dépôt absolument inaccessible (par sécurité, aucune de ces copies ne se trouve chez moi). Ces douze enveloppes portent déjà les noms et adresses de leur destinataire – quelques personnalités importantes de l’Eglise et de la société, lesquels, éventuellement, seront amenées à prendre connaissance du contenu – et qui se retourneraient immédiatement contre vous… Une telle chose arriverait en deux circonstances : Premièrement, dans le cas où je trouverais la mort ou bien si je disparaissais de façon inattendue. Deuxièmement, dans le cas où vous décideriez de ne pas donner suite aux deux premières demandes que je vous ai faites (dans ce cas, les lettres ne seraient pas envoyées par courrier, mais je les transmettrais personnellement).

Si Dieu permet que vous vous ressaisissiez, Père, je vous promets solennellement, devant Lui, que ces lettres, avec leur contenu, seront détruites immédiatement. Vous pourrez être sûr que je ne révèlerais jamais votre passé.

Si vous avez encore quelque chose à me dire, je vous demande de ne pas le faire par écrit. Je suis à votre entière disposition, et je me rendrais avec joie pour parler avec vous, dans votre hôtel, ou à l’aéroport, en quelque occasion où vous passerez par New York. Mon numéro de téléphone est le (…). Je ferai tout mon possible pour venir à votre rencontre.

Je vous remercie sincèrement pour vos prières. Dieu sait combien je prie tous les jours pour vous, pour tous mes chers compagnons, pour votre mère et vos frères, que j’aimerais beaucoup pouvoir revoir.

Cordialement en Jésus-Christ,

Juan José Vaca

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