Le fantôme de Maciel continue à hanter le château

Lundi 30 août 2010 — Dernier ajout dimanche 24 novembre 2019

Beaucoup de maisons des Légionnaires du Christ continuent à exposer le portrait de leur indigne fondateur. Et son système de pouvoir fonctionne toujours. La lettre d’accusation écrite par un prêtre de la Légion à ses chefs. Qui n’ont plus de protecteurs au Vatican

par Sandro Magister

ROME, le 30 août 2010 – La relève de la garde qui est actuellement en cours à la tête de la congrégation vaticane pour les religieux accroît la nervosité des dirigeants des Légionnaires du Christ, héritiers de leur indigne fondateur Marcial Maciel (photo).

En effet le cardinal Franc Rodé, préfet de cette congrégation, qui était leur dernier grand protecteur, va être remplacé car il a dépassé la limite d’âge. On ne connaît pas encore le nom de son successeur mais le nouveau secrétaire de la congrégation a déjà été nommé.

C’est l’archevêque Joseph Tobin. Né aux États-Unis dans une famille irlandaise, il a vécu une expérience pastorale auprès de catholiques hispanophones et a été supérieur général des rédemptoristes, congrégation fondée au XVIIIe siècle par saint Alphonse-Marie de Liguori.

Dans une interview qu’il a accordée à John Allen du « National Catholic Reporter » peu de temps après sa nomination, Tobin a dit ceci à propos des Légionnaires et des décisions prises à leur sujet par Benoît XVI :

« Dans les médias et ailleurs, certains ont construit un château de cartes pour présenter Benoît XVI comme quelqu’un d’indifférent ou de faible en ce qui concerne les abus sexuels commis par le clergé. Mais alors il faudrait qu’ils expliquent pourquoi l’une des premières choses qu’il ait faites en tant que pape a été de traiter l’affaire Maciel. C’est un acte qui en dit long : en effet j’étais à Rome à ce moment-là et j’ai pu me rendre compte de l’incroyable protection dont jouissait Maciel. Le simple fait que Benoît XVI ait agi comme il l’a fait et aussi rapidement est un signe très net que ce pape veut sérieusement corriger de tels abus. Je pense que, théologiquement et spirituellement, les Légionnaires sont confrontés à d’énormes difficultés, en raison du caractère très marqué que la vie religieuse tend à donner à la personne et à l’inspiration du fondateur. … Le désastre est également effrayant du point de vue affectif ».

En effet, bien que les autorités vaticanes aient tout fait pour couper le lien entre les Légionnaires du Christ et leur fondateur – allant jusqu’à le définir, dans le communiqué du 1er mai 2010, comme « dépourvu d’un authentique sentiment religieux » – la figure de Maciel conserve de la visibilité et du poids dans la vie quotidienne de leurs communautés partout dans le monde.

Par ailleurs, s’il est vrai qu’aujourd’hui les pleins pouvoirs pour le gouvernement de la Légion n’appartiennent qu’au délégué pontifical, l’archevêque Velasio De Paolis, il n’en reste pas moins que les dirigeants d’hier sont toujours à leur poste et qu’ils gardent sur la plupart des religieux un très fort ascendant qui découle de la totale communauté de vie qu’ils ont eue avec leur fondateur.

En ce qui concerne les comportements scandaleux de Maciel, ils continuent à affirmer qu’ils n’en ont jamais rien su avant sa mort en 2008.

Mais les autorités vaticanes ne croient pas du tout que ce soit vrai. Elles sont de plus en plus convaincues – et elles l’ont fait comprendre dans le communiqué du 1er mai – qu’au fil des années un « système de pouvoir » et « un mécanisme de défense » s’étaient constitués autour de Maciel et qu’ils étaient conscients de ses méfaits.

On sait que Maciel, protégé par ces complicités, avait l’impudence de passer des week-ends avec ses maîtresses et ses enfants en Espagne et au Mexique, aux frais de la Légion. De faire venir auprès de lui ses maîtresses – présentées comme des bienfaitrices – dans la maison de vacances des Légionnaires située sur la côte d’Amalfi. D’amener ses enfants en audience à Jean-Paul II, qui ne se doutait de rien. De se proclamer innocent des innombrables abus sexuels, commis sur des jeunes gens et des enfants, dont il était accusé.

La lettre reproduite ci-dessous – traduite de l’original en espagnol – prouve à quel point la figure du fondateur continue à influer sur la vie de ses disciples.

L’auteur de la lettre, le père Peter F. Byrne, est un prêtre irlandais de la Légion, qui exerce son ministère dans une paroisse de Cancún, au Mexique, avec deux autres prêtres appartenant à la même congrégation.

Dans sa lettre, adressée au directeur général de la Légion, Álvaro Corcuera, le père Byrne déplore que les photos de Maciel continuent à être présentes partout et que son village natal, Cotija de la Paz, soit toujours un but de voyage lié à sa mémoire.

Il dénonce également la persistance, chez les Légionnaires, d’une « néfaste » pratique qui était en usage du temps de Maciel : contacter des personnes et des familles, classées en fonction de leur richesse, dans le seul but de récolter de l’argent.

De tout cela, le père Byrne tire la conclusion désolée que « les structures de pouvoir imposées par Maciel se maintiennent jusqu’à ce jour ».

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« TOUT CONTINUE COMME AVANT… »

Mexico, le 27 juillet 2010

Cher père Álvaro, estimé dans le Christ,

Je m’adresse de nouveau à vous avec douleur et honte. Ma douleur est d’autant plus grande que je sais que cette lettre est un envoi inutile, comme tant d’autres lettres et suggestions envoyées à vous et à d’autres supérieurs. Mais le silence n’est pas un bon choix car il me rendrait complice de celui qui a abusé de nos frères et leur a volé leur vie.

Ces jours-ci, j’ai eu l’honneur de me rendre dans plusieurs maisons de la Légion (et d’y être reçu avec beaucoup de charité). J’ai pu constater de mes propres yeux que, dans la plupart d’entre elles, il y a encore des photos du village de Cotija, de la maison de Cotija et, chose incroyable, en trois endroits (San Salvador, Cancún, Canada), il y a des photos du père Maciel, entouré de religieux ou des premiers groupes de légionnaires.

Comment est-ce possible, père Álvaro ? Quel message envoyons-nous aux victimes du père Maciel ? Est-ce la bonne manière d’accueillir le communiqué du 1er mai 2010 ?

Père Álvaro, pour l’amour de Dieu et en l’honneur de ceux qui ont souffert l’horreur des abus, la douleur du mépris et de l’oubli, je vous supplie d’ordonner que soient retirées toutes les photos de l’abuseur, de la maison où il est né, de son village et de la fondation qui a été le cadre de ces actes qui ont blessé l’innocence et jeté un tel discrédit sur la Sainte Église.

Je vous supplie aussi de donner des instructions pour que toutes les retraites faites à Cotija soient placées sous le signe de la réparation et pour que le corps du père Maciel soit déplacé depuis l’autel central vers un caveau latéral, où se trouvent d’autres légionnaires (afin qu’il n’y ait que le Christ au centre).

Je suggère que la maison du défunt soit transformée en un lieu de réparation et d’adoration perpétuelle et que le musée soit modifié afin de garder le souvenir des victimes et de garantir qu’elles ne seront jamais oubliées.

Enfin je suggère que l’on offre au diocèse la maison d’en haut (CCI) qui pourrait être utilisée comme séminaire, comme centre de retraites ou comme lieu d’accueil pour les prêtres alcooliques ou pervers.

Ce serait un geste de réparation vis-à-vis de l’Église du Mexique, tellement discréditée à cause de nous.

J’ai également constaté que l’on continue à employer au Mexique la méthode des réunions de leaders, avec ces listes infâmes qui répartissent les personnes et les familles en « triple A, double A, etc. », avec le nom des prêtres qui doivent « cultiver » ces familles pour leur demander ensuite de l’argent.

Père Álvaro, c’est une pratique immorale, contraire au principe selon lequel les êtres humains ne doivent jamais être utilisés comme des moyens en vue d’une fin. Comment un prêtre peut-il aller voir une famille avec une intention aussi matérialiste ? Comment un prêtre peut-il utiliser les sacrements, l’amitié ou la direction spirituelle avec des arrière-pensées ?

Cette méthode a été institutionnalisée par le défunt fondateur, qui a vécu sans scrupules. Comment arriverons-nous à réformer les Constitutions, alors que nous ne parvenons même pas à abandonner des pratiques si évidemment immorales ? Comment arriverons-nous à identifier un charisme, alors que nous ne parvenons pas à identifier de véritables injustices ?

Comment pouvons-nous avoir une culture de la transparence et de l’honnêteté, alors que nous tenons des listes de gens répartis en catégories et que nous avons des rapports avec eux pour des raisons pécuniaires ?

Comment pouvons-nous convaincre les gens de la droiture de nos intentions dans nos rapports avec eux ? Que vont penser les gens quand ils sauront qu’ils figurent sur ces listes néfastes ?

En réalité, Père, je n’espère aucune action de votre part. Rien n’a changé à l’intérieur pendant toute la période de la crise. Tous les changements viennent de l’extérieur (visiteurs, Vatican, pressions des médias ou des conférences épiscopales).

Tout continue comme avant – jusqu’aux photos maudites de l’abuseur sur les murs des maisons – pour que nous nous souvenions des structures de pouvoir imposées par le père Maciel, qui se maintiennent jusqu’à ce jour. Nous continuons à être victimes du père Maciel parce que nous n’avons pas de père ou de pasteur pour nous sortir de la fange dans laquelle nous sommes embourbés.

Je vous salue,

Affectueusement dans le Christ,

P. Peter F. Byrne L.C.

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