Le père Peter Cronin et la Légion du Christ

Vendredi 1er mars 2013 — Dernier ajout mercredi 1er mai 2013

Le père Peter Cronin (1949-1999), prêtre irlandais, a été Légionnaire du Christ pendant vingt ans… avant de rejoindre l’archi-diocèse de Washington, en 1985. Il est le fondateur d’un réseau d’anciens légionnaires, futur ReGAIN Network. Le 23 octobre 1996, il écrit à Pat Kenny, un animateur de radio, qui s’était intéressé à la question des dérives sectaires de la Légion du Christ.

La Légion du Christ : une Organisation sectaire.

Je suis un prêtre catholique, curé de l’Eglise St Michel Archange : une grande paroisse dans le Silverspring MD, aux portes de Washington DC. Je me suis rendu, il y a une semaine en Irlande, à l’occasion d’un mariage et j’ai entendu quelques commentaires dans votre programme radiophonique à propos de la Légion du Christ. Ils ont d’autant plus retenu mon attention que j’y ai passé une grande partie de ma vie, de 1965 à 1985.

Au tout jeune âge de 16 ans, j’ai obtenu le Certificat de fin d’études à Drimnagh Castle et avec quelques 20 autres élèves, j’ai rejoint les légionnaires qui se trouvaient à Belgard Castle à Clondalkin.

Après avoir postulé pendant les mois d’été, nous sommes entrés au noviciat (2 ans) puis prononcé les vœux de religion. Je fus envoyé à Salamanque en Espagne pour une année d’études classiques et d’espagnol et de là je suis allé à Rome pour étudier la philosophie. Trois ans plus tard j’ai été assigné à l’Institut Irlandais, une école légionnaire de Mexico où j’ai travaillé de 1971 à 1975. Je suis alors retourné à Rome où j’ai étudié la théologie pendant les trois années qui suivent. En 1979, j’étais assigné au noviciat du Connecticut où je suis resté jusqu’en 1985, moment où j’ai quitté les Légionnaires du Christ.

Je suis actuellement prêtre dans l’archidiocèse de Washington. Le problème au centre de la discussion de votre programme semblait porter sur la question de savoir si la Légion du Christ était un ordre religieux dans le sens large ou bien si c’était une secte. Si je me réfère à mon expérience personnelle, je peux dire que l’ordre combine les éléments de ces deux réalités. C’est à la fois un ordre extrêmement conservateur, qui a érigé le programme de formation des étudiants sur le modèle de celui des premiers Jésuites et une bonne partie de son apostolat est calquée sur celui de l’Opus Dei.

Il a ses Constitutions et Règles, des formes d’apostolats spécifiques, des activités comme il en va des autres ordres. Mais simultanément, la Légion recourt à des stratégies et techniques qui relèvent de procédés employés dans les sectes ou groupes sectaires et en cela, il se distingue des congrégations religieuses traditionnelles. En voici quelques exemples :

1. Cet Ordre a le programme de recrutement le plus efficace qui soit au sein de l’Eglise catholique. Le nombre des recrues, c’est ce qui est important pour la Légion en matière de crédibilité et d’approbation par les autorités de l’Eglise. Malgré cette bonne impression il y a une sélection minimale et aucun discernement vrai à savoir s’il y a vocation ou si le mode de vie convient ou non à tel ou tel individu. Les qualités particulières - humaines, psychologiques ou spirituelles- du candidat ne rentrent jamais en ligne de compte. Mais quand l’Ordre jette son dévolu sur un jeune, tout son pouvoir de persuasion et de séduction est mis en œuvre.

2. La Légion recrute abondamment chez les jeunes. Plus ils sont jeunes, mieux c’est. Vers la mi-adolescence pour le noviciat, et encore plus jeunes pour les centres de Vocation. Dans ces écoles, des garçons âgés de 11 et 12 ans sont influencés dans la direction d’une vie pour la Légion. En tous cas, pour ce qui est des écoles à Mexico, en Espagne et aux Etats-Unis (Centre Harbor New Hampshire).

L’idée est que la personne doit être mise sous influence aussi tôt que possible pour que lui soit inculqué l’esprit de la Légion de façon à ce qu’aucune autre influence puisse s’immiscer et porter atteinte à sa vocation, à sa « personnalité » de légionnaire. Tenu à l’écart de toute autre influence, le candidat est alors dans sa jeunesse et immaturité rendu très vulnérable au lavage de cerveau.

3. Une fois rentré dans l’Ordre, la personne est soumise à la phase de formation la plus intensive, c’est-à-dire : le lavage de cerveau.

Le terme employé par la Légion pour qualifier cela est le mot de « formation ». Le dit lavage de cerveau advient par une combinaison de divers éléments qui influencent et contrôlent la personne avec grande efficacité, par exemple, la direction spirituelle et la confession.

Le droit canon stipule que les séminaristes et religieux devraient jouir d’une entière liberté de choix pour un confesseur et directeur spirituel. Dans la Légion, ce n’est pas le cas : il n’y a pas de liberté, du tout. Tous les légionnaires reçoivent la confession et la direction spirituelle de leurs Supérieurs, au noviciat, pendant leurs années de formation et même au delà, quand ils sont prêtres.

C’est une véritable aberration, du fait que cela met la personne sous le contrôle absolu du Supérieur. Cela signifie que le Supérieur peut recommander ou non une personne à la prononciation des vœux, à des tâches ou à des postes de responsabilité, qu’il a accès au for intérieur de la personne en question. La confession et la direction spirituelle sont les leviers dans les mains de la Légion pour forcer les individus sous cette emprise à rester dans la Légion. Également pour les convaincre de ce que, recevant leur vocation d’être dans la Légion, de Dieu Lui-même, ils doivent se conformer totalement à la Légion et aux désirs des Supérieurs, lesquels obtiennent ainsi entière gouverne sur la conscience et emprise sur l’esprit de la personne.

Les légionnaires sont constamment exhortés à tout dire aux Supérieurs/directeurs spirituels, à ne rien garder pour eux-mêmes, à ne pas avoir de secrets.

D’autres outils de « lavage de cerveau » sont les conférences, discours, retraites, prêches, constamment diffusés dans les communautés qui répètent inlassablement le message essentiel.

Dans tout cela, le message de base, la toile de fond est que les membres ont « Vocation » d’être dans la Légion et cette appel vient de Dieu, de toute éternité. C’est la volonté de Dieu qu’ils soient là. S’ils ne répondent pas à cette vocation, il y va de leur salut, ils risquent la damnation éternelle.

C’est ce message sous forme de tam-tam incessant qui martèle de son rythme lancinant toute la vie de la Légion. C’est le mode de communication le plus sûr et le plus persuasif parce que continuel, obsédant.

4. Dès l’instant où elle s’engage dans la Légion du Christ, la personne est soumise à un contrôle total de tout ce qu’elle fait, ce qu’elle dit, ce qu’elle pense. La légion se réfère à cela sous le nom d’« intégration » et le légionnaire doit tout faire pour mener à bien intégration de comportement, d’esprit et de volonté. Cela implique une entière conformité à la loi de la Légion, en tout. Sa personnalité doit être transformée en personnalité de la Légion et pour ce faire, il doit perdre sa propre personnalité. Toute forme d’expression d’une individualité quelconque doit être gommée : cela est clairement souligné, dès le début.

Toutefois, cette action est menée de façon subtile, douce même, avec sourire et bonne humeur, de sorte que la victime ne le remarque pas.

5. Quand nous nous sommes engagés dans la Légion, nous avons pensé qu’il s’agissait là d’un Ordre comme les autres grands Ordres:Dominicains, Franciscains ou Jésuites.

Nous avons été trompés du fait que beaucoup de choses nous ont été cachées jusqu’à une date avancée. Il y avait toujours un voile de secret : les visites chez soi, l’apostolat de la Légion (Regnum Christi), le terrain était en constante évolution et changements. Cela prenait des années jusqu’à ce que nous puissions avoir une vision globale des choses.

6. La personne qui rentre dans la Légion est systématiquement séparée et éloignée de toute autre influence, particulièrement des parents et de la famille, la culture, l’Eglise et la société en général (le monde). Les personnes extérieures à la Légion sont considérés comme « étrangères ». On parle avec eux dans la plus grande méfiance. Communiquer avec eux n’est admis que sous contrôle et la plus part du temps on en est dissuadé (sauf quand la Légion y voit un intérêt de captation pour atteindre ses buts). Il est interdit aux légionnaires de communiquer avec ces personnes dites extérieures et si c’est le cas, il faut rapporter de tout ce qui a été dit, ce qui a été fait avec elles.

7. Dans la Légion du Christ, l’individu n’a pas de sphère privée, que ce soit psychologique ou physique. Il n’a pas d’espace propre : les Supérieurs ont le droit de rentrer sans frapper dans les chambres, de s’y rendre et de contrôler biens et effets personnels en son absence (et cela sans qu’il le sache). Le légionnaire n’a pas de temps pour lui-même puisque depuis le réveil, tout est intensivement prévu et encadré.

Les membres sont incités à espionner et à rapporter ce qu’ils ont vu, à tout moment. « Nous devons aider fr. John et quel meilleur moyen que de tenir nos Supérieurs au courant, puisque personne d’autre mieux qu’eux peuvent l’aider… » Il y a des règles (au bas mot des milliers qui contrôlent et dirigent chaque fait et geste de la vie (manger, marcher, parler etc…)

8. La garde du secret envers le monde extérieur est aussi un trait caractéristique de la secte. Dans l’Ordre, on s’y réfère sous les vocables de « prudence » ou « discrétion » ou « esprit de réserve ». Du fait que les gens extérieurs constituent une menace, les membres n’ont pas le droit de communiquer avec qui que ce soit d’extérieur à la communauté sans la permission du Supérieur, les membres de la famille y compris. Aucune information sur l’Ordre : ses pratiques, règles, habitudes, plans, Constitutions, Règlements, ne peut être transmise à l’extérieur. Essayez de leur demander une copie de leurs Constitutions, de leurs Règlements, de l’édition complète des lettres du père Maciel, le Manuel du Regnum Christi, les documents du Chapitre…

9. Il y a donc un contrôle absolu de la communication avec le monde extérieur et ce qui en provient : toutes les lettres entrantes ou sortantes - celles des parents ou famille comprises - sont ouvertes et lues par les Supérieurs. Cela vaut pour les novices à tous les stades de formation, pour les prêtres aussi. Les journaux, magazines et livres sont lus et censurés par les Supérieurs.

Il n’est pas possible d’avoir un directeur spirituel ou conseiller extérieur à l’Ordre. C’est interdit.

10. Le même contrôle de la communication avec l’extérieur est exercé à l’intérieur de l’Ordre et entre les membres. Personne ne peut se confier à un autre membre d’aucune façon à l’intérieur de l’ordre, particulièrement s’il a un problème, quel qu’il soit. Il doit en référer au Supérieur et seulement au Supérieur. C’est un contrôle, une vigilance permanente exercée par le Supérieur. Aucune amitié particulière n’est tolérée entre les membres.

11. A l’intérieur de l’ordre, il y a un cruel manque de dialogue, discussion, possibilité de contestation ou d’opposition. Il n’y a de place pour aucun désaccord avec la Légion. Le membre doit accepter tout ce que l’Ordre dit sans questionnement. Chaque règle, chaque ordre, chaque idée de la Légion est d’ordre divin et directement inspirée par Dieu et par conséquent ne saurait être mis en doute. Dès lors, dès que l’on met en question une ligne d’action, une règle, une décision, la personne concernée est punie et peut même être ostracisée, envoyée dans quelque endroit perdu (comme les Missions de Quntana Roo, au Mexique) d’où elle ne pourra plus influencer les autres d’aucune façon.

12.Une autre caractéristique sectaire de l’Ordre est la difficulté d’en sortir. Il est extrêmement difficile de sortir puisque l’on est constamment guidé, encouragé à rester à l’aide de toutes sortes d’arguments et on est spécialement rivé par un complexe de culpabilité. « Vous trahissez votre vocation, vous êtes responsables des âmes qui seront perdues si vous partez… » Quand un membre a pris la décision de partir, il est soigneusement mis à l’écart du reste de l’ordre en étant transféré dans une autre maison ou bien une campagne de rumeurs est répandue parmi les autres membres : « Méfiez vous de fr. Peter, il a des problèmes ».

Tous ceux qui sont partis ont fait la même expérience. Le sentiment d’isolement et de solitude chez ceux qui sortent, est terrible.

13. Une fois sortis de Légion, les ponts sont coupés. J’ai passé 20 ans dans la Légion, depuis le jour où je suis parti, je n’ai jamais rien entendu de l’Ordre, jamais reçu de lettre, d’appel téléphonique, encore moins d’invitation à rendre visite ou bien même de visite de leur part (même si pendant 11 ans, j’ai vécu dans un rayon de quelques kilomètres de leur Centre aux alentours de Washington). Je n’ai reçu absolument aucune aide ni soutien pour me déplacer dans un autre diocèse, aucune aide pour continuer dans la prêtrise, aucune marque d’intérêt en tant que personne ou en tant que prêtre. Pendant 20 ans, la Légion a été « ma vie » « ma famille » « mon monde » mais à partir du moment où j’ai passé la porte, le 27 juillet 1985, je n’ai plus jamais rien entendu d’eux. Je suis venu dans ce diocèse directement contre leur gré et il m’a été très difficile d’obtenir les documents nécessaires à mon incardination.

Sortir de l’Ordre est le seul moyen de manifester son désaccord avec la Légion et cette dernière le prend pour une offense, un rejet.

Mon "Exode" de la Légion

Ceci a commencé par un bref message sous forme d’e-mail mais une fois lancé, les vannes se sont ouvertes. J’ai mis du temps à retrouver mon équilibre mais je me sens hors du système de la Légion du Christ. C’est du passé. Il y a 5 ans environ, j’ai mis sur pied un « réseau » d’anciens membres de l’Ordre. Une trentaine dont quelques prêtres, d’anciens prêtres et d’autres qui avaient passé quelques années dans l’ordre comme étudiants. Il existe un réseau semblable en Espagne. Nous communiquons quelques fois par an. Certains se rencontrent ici ou en Irlande pour partager leurs expériences, histoires, faites d’incidents cocasses parfois (Volez une phrase à Paddy Crosby). On pourrait faire un film sur les divers chemins de fuite, les stratégies, les histoires de survie.

Je parle souvent de ma dernière paroisse à Bethesda MD comme d’une voie souterraine étant donné que le responsable précédent (l’Irlandais Mgr Jans Reddy, aujourd’hui décédé) a été très accueillant et compréhensif. Il a été un grand soutien pour plusieurs prêtres qui ont quitté la Légion et se trouvaient dans une phase de transition, au seuil d’une nouvelle vie. Beaucoup de gens ont été profondément blessés dans ce processus de rupture d’avec la Légion et ont mis des années à s’en guérir.

Quitter la Légion a été mon « exode », une libération dans laquelle j’ai senti la force et la présence de l’Esprit-Saint. Heureusement, notre réseau a pu aider d’autres membres, au moment où ils quittaient la congrégation, ou peu de temps après l’avoir quitté.

Biographie du père Peter Cronin

  • 13 janvier 1949 : Peter Christopher Cronin nait à Dublin, dans une famille catholique pratiquante. Il ira ensuite dans une école tenue par les Frères Chrétiens Irlandais (Irish Christian Brothers)
  • 10 juillet 1965 (16 ans) : il entre au noviciat de la Légion du Christ, et poursuit sa formation en Espagne, puis à Rome.
  • 3 janvier 1981 (32 ans) : il est ordonné prêtre et est envoyé aux Etats-Unis et au Mexique pour exercer son apostolat.
  • 1 novembre 1985 (36 ans) : il quitte la Légion du Christ et rejoint l’archidiocèse de Washington, DC
  • 8 septembre 1992 : il décide de fonder "NETWORK", un réseau de soutien pour anciens membres de la congrégation des Légionnaires du Christ. Network est le précurseur de Regain Network.
  • Octobre 1992 : première lettre de Network
  • 22 janvier 1995 (46 ans) : il est installé comme curé de St Michael Church, une paroisse multi-ethnique, à Silver Spring, MD
  • 19 septembre 1999 (50 ans) : il meurt soudainement.

Voir en ligne : ReGAIN Network

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