Légionnaires : la continuité macieliste

Samedi 8 février 2014

La lune de miel du Pape François est terminée. Tout le charme du Pontife religieux bien intentionné est maintenant derrière lui. A court terme, François va devoir faire face à deux défis majeurs : Le rapport très sévère de la Commission sur les Droits de l’enfant des Nations Unies, à Genève ; et la rénovation des Légionnaires du Christ.

par Bernardo Barranco V.

Le Pape Bergoglio doit prendre des décisions qui nous permettront de mesurer jusqu’où il va conduire l’Église, ainsi que ses projets de réformes. C’est un premier thermomètre grâce auquel nous pourrons nous faire une idée plus juste, au-delà des gestes, des paroles et des discours. Presque un an après la démission de Benoît XVI, les attitudes du nouveau Pape François ont permis de faire oublier ou nuancer la profonde crise que traverse l’Église. Le style plus pastoral du Pape a obtenu un bon accueil dans la société laïque du monde entier, parce qu’il représente de sérieux espoirs d’évolution d’une Église réticente au moindre changement. Une Église confinée dans ses réticences léthargiques de tradition, de mémoire et de doctrine, conçues comme des vecteurs absolus de son identité, s’opposant à une réalité contemporaine, décrite comme la décadence de toutes les valeurs, et contaminée par le mal.

Cependant, après presque un an de pontificat, le Pape François fait face à des intérêts puissants et à des inerties structurelles qui maintiennent en place le modus operandi des dirigeants de l’Eglise. C’est ainsi que les réformes et les nouvelles attitudes qu’il demande suscitent la résistance des noyaux les plus conservateurs, provoquant une confrontation entre la mission et l’institution.

Le meilleur exemple de ce dilemme apparait dans le processus des Légionnaires du Christ. Les élections réalisées par une assemblée capitulaire largement dominée par des conservateurs macielistes ont abouti à l’élection d’un nouveau directeur général, Eduardo Robles Gil, également macieliste. La nouveauté réside dans le fait que le Pape a attendu 15 jours pour donner son approbation et a donné l’ordre d’introduire parmi les conseillers généraux deux légionnaires espagnols du courant réformiste : Jesús Villagrasa et Juan Sabadell.

La déclaration du chapitre général extraordinaire des Légionnaires est plus un texte politique qu’un message évangélique. Il n’y a aucune nouveauté importante en terme de contenus, mais il y a des tentatives de simulation. La démarcation d’avec le père Marcial Maciel, auquel ils attribuent de nombreux défauts, vices et pathologies, est désormais connue. Mais ils décrivent ce dernier comme l’assassin solitaire qui a trompé tous les autres. Le message est clair : Maciel a trompé et embêté tout le monde. Depuis la nomenclature légionnaire jusqu’aux dirigeants du Vatican.

Cette focalisation est inacceptable quand on sait que ses plus proches collaborateurs connaissaient tous les détails de sa vie : il suffisait en effet de suivre ses dépenses. Cependant, ils l’ont couvert et ont même fourni la logistique nécessaire pour lui permettre de poursuivre sa vie effrénée. Maciel, c’est le Mario Aburto de notre culture politique, un meurtrier sans relations ni complices. C’est le bouc émissaire de la tradition abrahamique, c’est-à-dire le rituel religieux qui consiste à sacrifier un bouc pour laver la communauté de toutes ses fautes. Non seulement, les Corcuera, Garza et Sada – qui participaient aux délibérations du chapitre ! - auraient dû faire un acte de contrition, mais également les membres de la curie romaine que les légionnaires avaient réussi à corrompre. Il y a là un silence et une omerta mafieuse. Les ouvrages de Gianluigi Nuzzi et de Jason Berry étayent par de nombreux documents la corruption de la curie, qui seule peut expliquer la protection et la bienveillance des Papes, notamment Jean-Paul II, lequel en était même arrivé à désigner le père Maciel comme un exemple pour la jeunesse. Quant à Joseph Ratzinger, si l’on en croit le témoignage d’Alberto Athié, il s’était lui aussi soumis à la logique du silence ; celle que les Nations Unies reprochent aujourd’hui violemment au Saint Siège.

La question la plus sensible évoquée dans l’un des dix points du communiqué se réfère au charisme. Le charisme, au sens religieux, est une grâce, un don spécial que l’Esprit Saint donne pour le bien de l’Église. Les fondateurs des ordres religieux portent ce charisme, qui marque le style, la mission et l’identité de la congrégation. Le texte légionnaire fait valoir qu’ils désirent établir une distinction nette entre le charisme et leur fondateur en affirmant : « une congrégation religieuse et ses traits essentiels ne tirent pas leur origine de la personne du fondateur. Ce sont un don de Dieu que l’Église accueille et approuve et qui vit ensuite dans l’institut et dans ses membres. » Autrement dit : malgré que le fondateur soit incongru, pervers et pécheur, il a été capable de fonder une communauté religieuse saine. Comment est-il possible que Dieu se serve d’hommes et de femmes corrompus et immoraux comme le père Maciel pour infuser le charisme d’une œuvre divine ? Cette thèse s’inspire de l’interview de Benoît XVI par Peter Seewald, qui apparaît dans le livre Lumière du monde (2010), dans laquelle le Pape dit que Maciel reste un mystère et une figure énigmatique, ce personnage tordu ayant fondé une communauté religieuse saine. Autrement dit : une arbre pourri aurait produit de bons fruits. Avec cette logique, on pourrait lancer la béatification de Carlos Slim et d’autres riches magnats.

Les signaux que donnent le chapitre des légionnaires ne sont pas bons. Les légionnaires donnent l’impression de tout changer pour que tout continue pareil. Ils osent affirmer que c’est le Pape et le Vatican qui ont sauvé la Légion. Par là, il faut comprendre qu’au lieu d’une refondation, c’est un sauvetage qui a été fait par Rome. Le problème de fond étant celui-ci : comment réformer une structure depuis ses fondations ? Il ne s’agit pas seulement d’un problème de normes, mais d’une culture religieuse entièrement fondée sur la recherche de bénéfices et l’efficacité financière. Nous ne parlons pas ici seulement de la répression psychologique à laquelle ses membres sont soumis, et que les Nations Unies lui reprochent, mais à la perte de l’individualité et de la liberté. Nous avons affaire à une corruption interne dissimulée derrière de fausses apparences, à une double morale et à l’utilisation du langage de la foi comme d’un langage d’affaires commerciales. En bref : comment parvenir à ce que la Légion cesse d’être une secte lucrative para-religieuse, et se convertisse en une congrégation qui privilégie le salut spirituel au salut matériel ?

Le pardon ne suffit pas, pas plus que des réformes superficielles. Les légionnaires sont sans doute une épreuve décisive pour le Pape François. C’est lui qui aura le dernier mot.

Voir en ligne : http://www.jornada.unam.mx/2014/02/…

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