Les prochains actes du drame légionnaire

Lundi 10 mai 2010 — Dernier ajout dimanche 24 novembre 2019

Voici un article fort intéressant de George Weigel, publié le 5 mai 2010 sur le site First Things, qui offre une analyse très pertinente du Communiqué du Saint Siège.

Au cours de l’année écoulée, les membres et les amis de la Congrégation des Légionnaires du Christ et du mouvement laïque qui lui est affilié, le Regnum Christi, ont travaillé dur pour essayer de « sauver ce qui peut être sauvé » du naufrage créé par la révélation que le fondateur de ces communautés, le père Marcial Maciel Degollado, a vécu une vie de vice, de duplicité et de turpitude morale pendant des décennies, au cours de laquelle il a eu plusieurs enfants ; a abusé sexuellement des séminaristes ; violé les canons sur le sacrement de la Réconciliation ; trompé les papes, les officiels de la Curie, les évêques, ses frères Légionnaires et les membres laïcs du Regnum Christi, et financé tout cela en abusant des contributions versées pour soutenir le travail religieux des communautés qui l’appelaient Nuestro Padre ou Nuestro Padre Fundador.

Le 30 avril, les cinq Visiteurs apostoliques que le Pape Benoît XVI avait chargés d’enquêter sur la Légion se sont réunis au Vatican avec les hauts fonctionnaires du Saint-Siège, pour une session d’une journée à laquelle le pape Benoît s’est joint pendant quatre-vingt-dix minutes.

Le 1er mai, le Saint-Siège a publié une déclaration sur l’affaire de la Légion et sur les premières mesures prises pour sauver ce qui peut être sauvé. La déclaration était sans ambages et reconnaissait que Maciel avait eu des « comportements très graves et objectivement immoraux » dont certains impliquent de « véritables délits et manifestent une vie dépourvue de scrupules et de sentiment religieux authentique. »

La déclaration a en outre déploré ces structures de duperie et d’illusion au sein de la Légion qui avaient facilité la double vie de Maciel, y compris l’ostracisme « de ceux qui doutaient de l’honnêteté de son comportement. » L’impact de cette structure de duperie continue à se faire sentir, poursuit la déclaration, « dans la surprise, la détresse, et la profonde tristesse ressentie par les membres de la Légion » lorsque leurs supérieurs leur ont enfin dit un peu de la vérité sur Maciel. En effet, la déclaration reconnaît que les faits sordides de l’affaire Maciel « pourraient remettre en cause la vocation et le charisme central qui sont ceux de la Congrégation des Légionnaires du Christ et leur sont propres. »

En ce qui concerne les prochaines étapes dans l’immédiat, le Saint-Siège nommera un commissaire ou un délégué pour diriger la Légion du Christ pendant un avenir prévisible. La déclaration du 1er mai laisse entendre, et les sources du Vatican le confirment, que ce délégué aura pleins pouvoirs, y compris pour faire des recommandations au pape sur l’avenir de la Légion du Christ, avenir sur lequel, paraît-il, toutes les options restent ouvertes. Le délégué fera vraisemblablement face à plusieurs des principales préoccupations dégagées par les Visiteurs apostoliques : « la nécessité de redéfinir le charisme de la Congrégation des Légionnaires du Christ », la « nécessité de revoir l’exercice du pouvoir au sein de la Légion », qui doit aller de pair avec la vérité, afin de respecter la conscience et la « nécessité de préserver l’enthousiasme de la foi des jeunes de la Légion ou de ses institutions… au moyen d’une formation adéquate. »

Une commission du Vatican examinera attentivement les constitutions de la Légion ; cet examen devra tenir compte de la façon dont les constitutions actuelles ont facilité les problèmes de la duperie, de l’abus d’autorité, et de la mauvaise formation dans la Légion. Enfin, un Visiteur apostolique, qui doit être nommé prochainement, entreprendra une visite apostolique du Regnum Christi.

Si, en effet, tout ce qui concerne l’avenir de la Légion (et, par extension, du Regnum Christi) reste à décider, de sorte qu’une discussion ouverte des options n’est pas possible, les notes qui suivent peuvent être de quelque utilité à ceux qui sont impliqués dans la résolution de ce drame de manière à servir l’Église universelle tout en sauvant ce qui peut être sauvé des Légionnaires du Christ et du Regnum Christi.

1. Le premier impératif pour l’avenir immédiat est de démanteler le « grand récit » de l’histoire de la Légion, à la fois chez les Légionnaires du Christ et dans le Regnum Christi, l’histoire soigneusement ficelée, nourrie et inculquée de nobles œuvres finalement réalisées après d’humbles débuts et souvent des persécutions. Certains de ces travaux de démantèlement ont commencé, si l’on en croit les concessions récentes faites par des légionnaires sur les péchés et les crimes commis par Maciel. Mais il y a toujours la tentation de s’accrocher à un grand récit annoté, dans lequel Maciel apparaît comme un homme imparfait qui a pourtant accompli de grandes choses. Avant que les dirigeants de la Légion n’admettent très récemment les perfidies de Maciel, certains, tant dans la Légion que le Regnum Christi, comparaient Nuestro Padre à Saint-Augustin. Tout cela doit cesser, et le grand récit doit être détruit de fond en comble.

À cette fin, le délégué à la direction de la Légion devrait demander que le Saint-Siège prépare et publie un compte rendu de la double vie de Maciel, avec ses crimes spécifiques décrits un par un. Ce récit serait alors remis à chaque membre de la Congrégation des Légionnaires du Christ et à tous les membres du Regnum Christi, qui seraient invités à signer une déclaration indiquant que « je certifie que j’ai personnellement lu et compris le récit des crimes du père Maciel qui a été fourni par le Saint-Siège. » Avec un tel processus, il serait difficile, voire impossible, de reconstruire toute forme de grand récit. En rendant public maintenant tous les détails du naufrage on créerait ainsi un espace psychologique de réflexion sur l’avenir tout en épargnant au Saint-Siège et au reste de l’Église catholique le goutte à goutte de sinistres révélations mises en lumière pendant des décennies par les journalistes d’investigation et les avocats des plaignants.

2. Au début de son travail, le délégué devrait envisager d’informer les membres de la Congrégation des Légionnaires du Christ et du Regnum Christi que, puisqu’ils se sont livrés à ces institutions sans connaître la pathologie de leur fondateur, ils sont libres de les quitter sans péché, culpabilité, honte ni remords.

Une telle déclaration est essentielle pour mettre fin au chantage moral qui se poursuit encore aujourd’hui (selon des rapports crédibles de familles de séminaristes légionnaires et d’étudiants des écoles du Regnum Christi) : « Puisque tu es venu à nous, c’est clairement la volonté de Dieu que tu sois ici, et tu tournerais le dos à la volonté de Dieu et pècherais si tu partais. »

Il faudrait développer des procédures d’exclaustration rapide pour ceux des membres engagés dans la Légion qui souhaitent adhérer à une autre congrégation religieuse ou être incardinés dans un diocèse. Il sera clair que ce qui doit être sauvé de la débâcle actuelle, ce sont les vocations sacerdotales (beaucoup d’entre elles impressionnantes et de grande valeur pour l’Église), pas nécessairement les vocations légionnaires. Des procédures similaires pour aider les membres laïcs du Regnum Christi à partir sans subir ni pression ni stigmatisation sont essentielles pour une réforme authentique de ce mouvement.

3. Les dirigeants actuels de la Légion, aux niveaux international et régional, doivent être remplacés immédiatement et de manière globale, en nommant des supérieurs provisoires qui serviront selon le bon plaisir du délégué. Le délégué doit enquêter de manière approfondie pour savoir si les membres actuels de la Légion ont été sciemment complices des crimes de Maciel, et il devra procéder à la destitution de ceux qui l’étaient en les excluant de la Congrégation des Légionnaires du Christ.

4. Par le biais de son délégué, le Saint-Siège devrait ordonner à la Légion de suspendre immédiatement tout recrutement des vocations, y compris les retraites et les programmes pour postulants, dont aucun ne devrait être repris sans la permission du Saint-Siège. En même temps, le Saint-Siège devrait charger les évêques du monde entier de surveiller de près les travaux de la Congrégation des Légionnaires du Christ et du Regnum Christi dans leurs diocèses, de telle sorte que la vie spirituelle et la conscience de ceux qui fréquentent les écoles de la Légion et ceux qui suivent une formation menant à la vie consacrée au sein du Regnum Christi soient rigoureusement protégés. Les rapports crédibles de pressions répétées exercées sur les consciences des jeunes devraient se traduire par la suspension immédiate des prêtres légionnaires impliqués.

5. Le délégué devrait faciliter une réflexion théologique sérieuse au sein des Légionnaires du Christ sur ce que la déclaration du 1er mai décrit comme le « vrai noyau » du charisme de la Légion, à savoir, « celle de militia Christi. » Ce charisme ne peut pas être raisonnablement attribuée à Marcial Maciel, mais peut avoir émergé de la ferveur et des bonnes œuvres des membres de la Légion. La façon par laquelle une telle chose a pu se passer exige une sérieuse réflexion sur la dynamique du péché et la grâce dans l’Église et une reconnaissance du fait que le zèle militant pour le travail évangélique de l’Église est un don de l’Esprit Saint à l’Église tout entière, pas simplement à un corps d’élite de religieux au sein de l’Église. En effet, une sérieuse réflexion théologique sur l’avenir de la Légion devra inclure un examen rigoureux de l’ecclésiologie de la Légion et de sa compréhension de la façon dont elle « colle » au sein du Corps du Christ et de sa triple mission d’enseignement, de sanctification et de service.

Historiquement, le charisme d’une congrégation religieuse a été profondément et intimement lié à son fondateur, même si la fondation d’origine a par la suite été divisée et subdivisée (comme, par exemple, avec les Franciscains, dont les différentes communautés vivent néanmoins toutes aujourd’hui en continuité avec le charisme originel de saint François). Dans le cas présent, cependant, le fondateur doit être répudié : quelle que soit la forme canonique qu’une Légion du Christ réformée, reconstituée ou refondée pourrait prendre, son charisme ne peut pas être lié à Marcial Maciel. Comment elle pourrait être lié au patrimoine spirituel de toute l’Église militante, par le biais des vies saintes qui ont en fait été vécues dans la Congrégation des Légionnaires du Christ, voilà une question exigeant une réflexion approfondie et une volonté d’envisager un éventail complet de réponses possibles.

6. Étant donné la nature sans précédent de ce cas – une congrégation religieuse manifestement capable de bonnes œuvres mais qui a été fondée par une personnalité sociopathe – des options autres que la suppression ou la réforme devraient être considérées. S’il est essentiel que le grand récit de l’histoire de la Légion soit répudié en même temps que le fondateur, et si un mécanisme doit être conçu pour veiller à ce qu’un avenir puisse être construit sans le fardeau de ceux qui sont associés avec les maux du passé, alors peut-être qu’un scénario de dissolution suivie d’une refondation pourrait être exploré.

Un tel scénario pourrait se dérouler comme suit : Le délégué au gouvernement de la Légion, après avoir pris les mesures mentionnées plus haut et avoir conclu qu’aucun programme de réforme de l’intérieur n’est susceptible de s’avérer faisable, convoquerait une Congrégation générale de la Congrégation des Légionnaires du Christ. La Congrégation Générale, après avoir réfléchi sur le dossier constitué par les Visiteurs apostoliques, terminerait ses travaux par la dissolution de la Légion actuelle pour ouvrir la voie à une « refondation », la création d’une nouvelle communauté religieuse dédiée aux tâches de la formation des laïcs, au renouvellement spirituel, et à l’évangélisation et à l’éducation catholique qui a caractérisé le meilleur du travail de l’ancienne Légion.

Ayant accepté la décision de la Congrégation Générale de dissoudre la Congrégation des Légionnaires du Christ, le Saint-Siège nommerait une commission, composée en partie de prêtres ainsi devenus ex-légionnaires, d’une intégrité indiscutable, et en partie d’autres prêtres et d’évêques de probité reconnue, afin de recevoir et d’examiner les candidatures de ces prêtres et séminaristes de la Légion – maintenant dissoute – qui souhaiteraient entrer dans la nouvelle communauté.

Cette commission aurait le pouvoir de rejeter les demandes de ceux dont les liens avec le passé de la Légion créerait des difficultés pour l’avenir de la nouvelle communauté. En supposant qu’un nombre suffisant de candidats soient jugés acceptables, une élection serait alors organisée pour constituer un comité chargé de définir la mission de la nouvelle communauté et la rédaction de lois provisoire pour sa gouvernance, sous la supervision d’un délégué apostolique qui présiderait le comité. Cet énoncé de la mission et de la règle de la vie serait alors soumis au processus normal d’examen par le Saint-Siège.

On objectera que cette manière non conventionnelle d’aborder la crise ecclésiastique provoquée par l’affaire Maciel ne peut pas fonctionner : le travail des différentes institutions légionnaires et du Regnum Christi serait gravement perturbé, la question des propriétés serait sans cesse en litige, et une maison ecclésiastique devrait être trouvée pour ceux qui choisiraient de ne pas rejoindre la communauté nouvelle ou qui se seraient vu refuser d’y entrer.

Pourtant, si l’objectif demeure de sauver ce qui peut être sauvé des travaux de la Congrégation des Légionnaires du Christ et du Regnum Christi, il doit y avoir une rupture claire, sans équivoque, et publique avec le passé et avec la personne de Marcial Maciel. Auto-dissoudre l’actuelle Légion et créer une autre communauté religieuse consacrée à la bonne œuvre que la Légion a accomplie – y compris la direction spirituelle d’un Regnum Christi « refondé » – aiderait à casser la fièvre du grand récit et à mettre fin au culte de la personnalité de Maciel, qui ont tous deux fortement contribué à la crise actuelle des Légionnaires du Christ et du Regnum Christi.

En ce qui concerne les questions des titres de propriété, il y aura sans aucun doute des procès, avec ou sans dissolution et « refondation », étant donné les enjeux financiers que les révélations de la double vie de Maciel ont déjà soulevés. Trouver une maison ecclésiastique pour les ex-légionnaires dont les vies passées interdit l’admission à la nouvelle collectivité ne devrait pas être impossible, bien que ce soit difficile.

Proposer d’envisager sérieusement une telle manière de procéder – sans précédent –n’est pas dire qu’une situation désespérée appelle des mesures désespérées, mais c’est affirmer que de grands maux nécessitent le recours à l’héroïsme de la vertu, dans ce cas, l’exercice héroïque des vertus cardinales de courage, de justice et de prudence. Si, comme je crois que nous devons le croire, Dieu peut faire sortir le bien du mal dans cette affaire Maciel, alors l’exercice de la prudence au service de la justice et le courage exigent d’ouvrir un chemin au long duquel le bien qu’on trouve chez les Légionnaires du Christ et le Regnum Christi puisse trouver sa place à l’avenir, en oubliant les chaînes du passé. Cela nécessite de casser ces chaînes, chaînes théologiques, psychologiques, historiques et, on le suppose, institutionnelles.

George Weigel est Distinguished Senior Fellow du Centre de Politique publique et d’éthique de Washington, où il occupe la chaire William E. Simon d’Études catholiques.

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