Témoignage d’un ancien novice de la Légion du Christ

Lundi 8 février 2010 — Dernier ajout dimanche 24 novembre 2019

L’ex-nLC qui m’a transmis son témoignage m’a confié avoir attendu de nombreuses années avant d’arriver à raconter son expérience… et puis, l’autre jour, tout est sorti, en deux heures. Comme un ressort tendu pendant des années et qu’on lâche d’un seul coup.

Après tout, le Noviciat est conçu comme une période de discernement et par essence, en sortir n’est pas dramatique sinon le résultat alternatif de cette expérience avec Dieu. Après tout, les vingt-trois mois passés au Noviciat appartiennent au passé et il est inutile de les ressasser.

Certes, oublier, dépasser, continuer font partie des attitudes et des décisions essentielles pour construire sa vie. Deux ou trois semaines après avoir reçu ma soutane, je m’inquiétais du fait que je n’avais pas encore reçu le certificat de baptême et de confirmation que j’avais demandés à mes parents de m’envoyer. Je me sentais dans une situation d’irrégularité qu’il fallait régler au plus vite. J’allai consulter le supérieur, qui me tranquillisa sur cette simple formalité. Il appela tout de même le Frère Administrateur, qui me dit que tout était déjà réglé, que mes parents les avaient envoyés par la Poste. Je ne compris pas que mes parents eussent pu envoyer le certificat sans y joindre au moins un mot pour moi. En fait, je découvris brutalement que le courrier est ouvert, lu par les supérieurs et remis seulement le dimanche si le supérieur considère que son contenu ne peut faire de mal à la vocation de son destinataire.

La vocation chez les Légionnaires est une présomption. On a vocation jusqu’à preuve du contraire. Dans les faits, le noviciat n’est pas une période de discernement mais ce sont deux ans où tout va être fait pour préserver la vocation d’une démonstration contraire. Logiquement, il faut respecter les règles, se faire à la discipline mais il suffit d’entretenir cette façade pour qu’aux yeux des supérieurs, y compris le directeur spirituel-confesseur, tout aille bien.

De toute façon, au début je me retrouvais tout seul avec Dieu. Je ne connaissais pas l’italien, à peine l’espagnol. Je n’interprétais pas toujours bien le mélange de mentalités mexicaine, italienne, cléricale. Peu à peu le brouillard de l’incommunication s’est dissipé et je me suis senti accompagné dans ma « vocation ».

L’expérience de l’internat au lycée, du scoutisme et une éducation familiale très stricte rendaient la discipline du Noviciat abordable. Même le fait de se lever à cinq heures et quart tous les matins, une heure plus tard le dimanche, n’était pas vraiment compliqué. La journée étaient faite de petits défis qui à chaque fois consistaient à être dans les temps. L’horaire exigeait une ponctualité précise. Dans la théorie, il y avait un temps pour tout. Dans la pratique, le noviciat était petit, avec peu de moyens et les services communautaires (ménage, laverie, courses, travaux d’entretien) débordaient sur les temps de préparation personnelle. Se couper les ongles ou cirer ses chaussures était alors tout un défi. Et pourtant, la principale règle était d’être toujours impeccable.

Préparer et maintenir cette façade de discipline religieuse captait la plupart des efforts quotidiens et d’une certaine façon empêchait la réflexion sereine. Les temps de méditation ―une heure le matin de six à sept, avant la messe et encore deux autres heures d’examen de conscience du midi, prière vespertine et du soir et examen de conscience du soir― étaient déjà orientés par leur méthode et le matériel à s’inculquer l’existence de sa propre vocation et à assimiler toutes les facettes de la culpabilité et la disgrâce que supposait une quelconque infidélité à la vocation. Discerner pendant ces moments-là ne pouvait que nous diriger à éliminer ou réduire au minimum les appels de la conscience remettant en question la vocation chez les Légionnaires.

S’exercer à l’esprit critique, remettre en question les apparences pour chercher la vérité est pourtant le plus grand enseignement que j’avais pu retirer de ma scolarité en France. C’est ce qui nous différencie, bien plus que l’esprit cartésien en soi à mon avis. Il était pour moi naturel et de bonne foi de réfléchir et de remettre ce que je recevais en question. Ainsi, ce n’est pas tellement la discipline qui me dérangeait, mais le fait de devoir tout accepter pour argent comptant comme la meilleure chose, celle de la volonté de Dieu. Les décisions des supérieurs étaient toujours parfaites car elles étaient la volonté de Dieu. Même si de toute évidence le supérieur pouvait se tromper, le Légionnaire devait être un simple soldat, ayant émis le vœu religieux de ne jamais critiquer le supérieur même sur ses défauts apparents. Le supérieur était donc intouchable. Ce n’est pas vraiment l’aspect le plus grave ; c’est même très courant dans beaucoup d’organisations humaines. Ce qui est vraiment grave c’est que quand la décision du supérieur a des conséquences graves sur vous auxquelles lui-même n’avait pas pensé, c’est la volonté de Dieu de devoir souffrir ces conséquences « providentielles ».

En deuxième année, un religieux de Rome a été affecté comme nouvel assistant de l’Instructeur du Noviciat. Il ne nous connaissait pas encore bien. Je crois qu’une de ses premières tâches a été d’assigner les apostolats : catéchèse, groupe de jeunes, visite des familles, publications. Je devais m’occuper des jeunes de confirmation d’une paroisse voisine. Le jeudi. Le jeudi, c’est le jour de la promenade. J’allais donc être privé de promenade tout le reste de l’année, sauf rares exceptions. Un supérieur avec de l’expérience n’aurait pas pris cette décision car il se serait rendu compte de la conséquence et aurait tenu compte du fait que je n’avais d’autre activité physique que la promenade. Je ne pouvais pas faire de sport et faisait donc autre chose pendant les matchs de foot bihebdomadaires.

Malheureusement, je me suis tout de suite rendu compte de tout cela, et ai manifesté avec une certaine insistance qu’il me semblait que c’était une erreur. Ceci a provoqué une plus grande détermination à me priver de cette promenade. L’Instructeur et son assistant reconnaissaient l’inconvénient mais il n’était plus possible d’y changer quelque chose, c’était la volonté de Dieu.

Je reconnais que j’en ai fait une certaine fixation, mais force est de constater que ne pas changer d’air et faire d’exercice physique à 22 ans alors que tous les autres frères pouvaient se dépenser non seulement en promenade mais aussi au foot m’a envahi peu à peu d’un certain stress, insidieux mais croissant. Ce n’était pas la première injustice, et d’autres frères démontraient beaucoup plus de mérites que moi, sans aucun doute. On me donnait toujours plus de responsabilités : poubelles, lingerie, magasin des fournitures, cuisinier des invités importants et des visites des parents, professeur de latin, d’espagnol (alors que mon niveau était faible, mais en tout cas meilleur que tous les autres et les espagnols disponibles n’avaient pas eux-mêmes beaucoup de notions de grammaire, me justifia-t-on), feuilles de chant, informatique. En fait, le soir j’allais plutôt au lit vers vingt-trois heures, vingt-trois heures trente au lieu des vingt-et-une-heure quarante-cinq communautaires.

J’y voyais une belle occasion de se sacrifier, de prendre la croix, de rendre service aux autres. L’Instructeur me félicitait en disant qu’il oubliait tout ce dont je m’occupais, dans le sens où je résolvais de moi-même tous les problèmes. Mais alors, pourquoi pas de promenade ?

Je fais ici une fixation sur ce qui était un point de détail parmi d’autres expériences et réflexions plus sérieuses sur la vie spirituelle et sur ma vocation. J’avais adopté la méthode de remettre cette dernière en cause à chaque direction spirituelle afin de chercher dans les indications du supérieur la vérité sur tout cela, la promenade, l’approche des vœux, le sens de la discipline légionnaire, la spiritualité, les projets, connaître le Christ.

L’Instructeur a fini par consulter « Nuestro Padre ». Nuestro Padre, avait le don, disait-on, de voir sur simple photo si un novice avait vocation ou non. Dans mon cas, il a envoyé un message à mon instructeur : « El hermano tiene vocación como una cathedral. » Le frère a une vocation grande comme une cathédrale.

Les sacrifices quotidiens prirent tout leur sens. C’était difficile, je souffrais, était triste, découragé, un peu seul. Mais tout était pour le Christ. Je reçus même une lettre signée à la plume par Nuestro Padre. Il m’encourageait en disant que j’étais tout simplement mis à l’épreuve comme l’or dans le creuset. L’effet dura quelques mois mais n’a jamais été accompagné d’une direction spirituelle concrète et profonde. Tout était centré sur l’observation des règles, et la vie spirituelle était réduite au respect de certaines de ces règles. J’étais écouté quand je racontais mes réflexions personnelles, le fruit des méditations mais ce n’était pas le plus important. Le plus important c’était de ne pas avoir de problème, de suivre le rythme de la communauté, d’adhérer au tout-va-pour-le-mieux-dans-le-meilleur-des mondes. Le reste n’était que scorie à éliminer ou à ignorer.

Quelques mois plus tôt, en octobre, j’étais en Suisse pour accompagner l’aumônier légionnaires des laïques consacrées quand un psychologue laïc engagé par la Légion vint au noviciat pour nous faire faire des tests. J’en ai donc manqué une partie. Vers le mois d’avril ou de mai de la deuxième année, selon la version de mon supérieur, le psychologue insistait pour que j’aille le voir à Rome, il voulait me dire quelque chose. Il voulait en fait me poser une question. « Come stai ? » Comment vas-tu ? Il m’a épluché en me la posant plusieurs fois, à chaque fois je répondis mieux jusqu’à en arriver aux larmes. J’ignore encore si tout cela était sincère de sa part ou si c’était en fait une manigance. Je lui en ai longtemps voulu, aujourd’hui je comprends un peu mieux. En fait, il m’a félicité pour ma personnalité, mon intelligence, etc., etc., etc. Il m’a flatté avant de me dire d’une façon tranchante : Je ne peux pas m’exprimer sur ta vocation, mais d’un point de vue humain, je te conseille de partir en courant car ils vont détruire ta personnalité. Pour les légionnaires, la liberté est négative, ils sont oppressants. Pour certains qui ne réfléchissent pas trop, qui aiment suivre le mouvement, cela ne pose pas de problèmes, mais dans ton cas cela va te faire du mal. Ils vont te détruire la personnalité, comme cela arrive à d’autres, et cela peut être grave. Cette affirmation répondait à beaucoup des questions que je me posais au noviciat. Mais elle tomba comme une sentence, grave, inimaginable, scandaleuse. Comment un psychologue de confiance de la Légion pouvait-il la critiquer ? Comment pouvait-il trahir cette confiance ? En fait, je commençais déjà à penser comme on me l’inculquait. Toute critique était une trahison, toute remise en question de la vocation était une infidélité et tout cela ne pouvait être dû qu’à un manque de foi.

J’avais mal à la tête en sortant de l’entretien, qui fut intense, profond. Je ne savais pas non plus quoi faire ; pas de supérieur, pas d’horaire, rien de prévu alors que la communauté à Rome suivait son propre horaire. Peu importe, il faut avoir vécu l’intensité du Noviciat pour mesurer l’importance du choc. Je suis allé me confesser. Je connaissais le père sur lequel je suis tombé par hasard parce qu’il nous avait dirigé des exercices spirituels. Plus tard, il allait devenir un important porte-parole de la Légion pour répondre aux media. Je n’ai pas compris la confession. Je venais demander conseil sur ce qui venait de se passer, et il s’est contenté de me dire que je devais avoir foi et qu’il ne fallait pas critiquer la Légion. Je comprenais encore mieux l’avertissement du psychologue.

Je suis rentré au noviciat le jour même, tard le soir. La première chose que j’ai voulu faire, c’était avertir mon supérieur, c’était urgent. Il n’était pas du tout au courant et n’imaginant pas l’urgence il m’a dit de revenir le lendemain. Je suis tout de même allé me confesser avec lui car je ne savais pas du tout ce que je faisais là et c’était une façon de lui imposer l’entretien. Tout était devenu absurde. Il a découvert la situation dans le cadre de la confession et m’a reçu dans son bureau après les prières. Sa surprise était à la hauteur de la mienne et il ne savait pas trop quoi me dire. Il me dit de ne pas faire attention, le psychologue ne connaît pas la Légion, il n’a pas le point de vue de la foi. Je lui demandai de mon montrer mes tests psychologiques et les conclusions très positives dont le psychologue m’avait parlé à Rome, au moins pour voir si les faits étaient vrais. J’ai dû attendre quelques jours. C’était vrai, tout était positif, encourageant. Devais-je tout abandonner pour me préserver égoïstement ? Je proposai à l’Instructeur d’écrire une lettre à Nuestro Padre. J’y ai exposé la situation telle quelle, en aboutissant à la question suivante « Le sacrifice pour le Christ comprend-il la destruction de sa propre personnalité ? Dois-je persévérer dans ma vocation « de cathédrale » en sachant que je vais me détruire ? ». Je posais là une question de foi, je faisais là une vraie demande d’orientation spirituelle. Le Christ a été crucifié et une réponse positive semblait évidente. En fait non, car si celui qui est appelé à le suivre se détruit en le suivant, va-t-il pouvoir le suivre ? Une vocation sacerdotale implique-t-elle l’élimination de soi ? Quelqu’un vidé de sa personnalité peut-il encore faire preuve d’abnégation authentique, peut-il vraiment vivre les vœux comme une offrande ? La Légion garde-t-elle ceux dont la personnalité finit par être détruite ?

Le lettre fut envoyée en mai, avec le code LC 0, un code prioritaire, prévu pour les sujets graves, comme ceux concernant la persévérance dans la vocation. Sur les lettres plus ordinaires, on mettait LC 2, LC 1 étant réservé aux supérieurs. C’était une question de logistique : chaque mois un temps était réservé pour que tout le monde écrive au fondateur…

J’attendais une réponse tous les jours. La question était importante, grave et après tout, Nuestro Padre avait déjà pris l’initiative de m’écrire, pourquoi ne me répondait-il pas ? Pourtant, le temps passait et la réponse n’arrivait pas. Mon supérieur ne savait plus quoi me dire et ne me recevait même plus en direction spirituelle. Je m’en plaignais grandement. Un jour, il laissa dans mon alcôve un petit papier : « Abbia pietà de un povero peccatore. » Ayez pitié d’un pauvre pécheur. Était-ce un sarcasme ? Était-ce sincère ? Désespéré ? Dans tous les cas, c’était bizarre. Et la réponse du fondateur n’arrivait pas.

Juin, juillet, la profession des premiers vœux approchait… On m’envoya m’occuper d’un camp de jeunes dans les alpes. Une sorte de petit cadeau pour gagner un peu plus de patience. Mais je voyais que la réponse n’arrivait pas. Je perdis patience et appelai directement la direction générale à Rome, en sautant toutes les étapes et les usages. Là on fit une gaffe. On m’a répondu « Oui, je vais vous passer avec le Père qui s’occupe de vous. » « Oui, la réponse est prête mais Nuestro Padre est en voyage, il ne peut pas signer la lettre. ― Mais quel est le sens de la réponse ? ― Attendez, elle arrivera. » En fait, je devinai que Nuestro Padre n’écrivait pas les lettres. On voulait me faire encore attendre à un peu plus d’un mois des vœux… Était-ce sérieux ?

Il n’était pas question pour moi de partir sans avoir cette réponse. Mais il n’était pas non plus question de professer les vœux sans cette même réponse. Je ne voulais pas continuer à l’aveugle et comptais sur mes supérieurs qui disaient la volonté de Dieu pour qu’ils m’aident. Ils m’avaient affirmé tout au long du Noviciat que j’étais appelé à servir Dieu dans la Légion. Là, plus rien. Le silence. Plus de direction spirituelle, plus rien. J’ai protesté, et là on m’a dit que je manquais de foi. J’avais abandonné ma vie en France, mes études, ma famille que je n’avais vu qu’une fois en deux ans. Dans les lettres que je leur écrivais, suivant les critères établis, je m’y montrais toujours enthousiaste, content. Après avoir envoyé la lettre au fondateur, j’ai arrêté de leur écrire car il était devenu impossible de mentir, même par omission. Et je savais que sinon j’allais être censuré. Un jour, le supérieur m’a dit : « J’ai des nouvelles. Pour vous tranquilliser, vous allez terminer vos études de droit avec nous à Madrid. Vous allez pouvoir réfléchir. ― Et la réponse ? ― Ah, pas de nouvelle. »

Avant d’aller à Madrid, je suis retourné chez moi. On m’a laissé dans le flou et je m’en rassurais comme je pouvais. En fait, la seule chose que je savais, c’est que je n’allais pas professer en septembre car j’exigeais une réponse. Si je n’avais pas fait tant d’histoires, si je n’avais pas tant insisté, on m’aurait mené jusqu’aux vœux. C’était pour eux bien singulier qu’un novice insiste autant, qu’il se batte autant. Pas très bon signe pour eux en fait, car je ne suivais pas si facilement que cela le troupeau et cela les dépassait. Plus de dix ans après, j’ai enfin reçu une réponse indirecte. Pas à mes questions, sinon au pourquoi je n’ai jamais rien reçu : Nuestro Padre s’occupait d’autre chose que de voir si les novices avaient vocation ou non sur photo (ce qui en soi était absurde, la formation sacerdotale n’est pas de la voyance sur photo et sur rapports internes). Et la Légion n’avait pas de réponse pour ceux qui voulaient vraiment réfléchir et discerner. Un mois après être parti du noviciat, je reçus chez mes parents une lettre du directeur territorial. S’adressant encore à moi comme « Frère », il me souhaitait bonne chance pour le temps de réflexion dans lequel je m’étais engagé. Incroyable aujourd’hui. Déconcertant à l’époque.

La promesse des études à Madrid comprenait la vie en communauté avec des Légionnaires, sans statut particulier. Cela s’est bien passé la première année au niveau des études. L’espagnol assimilé avec les cours de droit pris à la dictée n’était pas si difficile et je n’avais jamais été aussi content d’apprendre. J’aidais à l’apostolat en formant des jeunes du Regnum Christi et je m’occupais aussi des repas et des courses avec l’administrateur de la communauté. Tout allait bien, mais je croyais encore à ma vocation et j’attendais toujours la fameuse réponse. J’étais lourd avec mon directeur spirituel, bien gentil mais sans réponse non plus.

Un jour, un fameux et historique instructeur des novices de la Légion, un « saint en vie » logea dans la communauté pour quelques jours. J’ai profité de l’occasion pour tout lui raconter et lui passer les documents : le rapport du psychologue, les lettres envoyées et reçues. Celle dont j’attendais encore et toujours la réponse. Sincèrement, je ne me rappelle pas ce qu’il m’a dit. Rien de concret en tout cas. Il devait étudier la question. Quelques jours plus tard, avant qu’il ne parte, je lui réclamai mes documents. Il ouvra le tiroir du bureau de la chambre des hôtes, et me dit :« Ah, ils ne sont plus là, je ne sais pas où ils sont ». Il était âgé et allait être opéré quelques mois plus tard d’une tumeur au cerveau grosse comme une orange. J’ignore s’il a perdu les documents ou s’il ne voulait pas me les rendre. Ma patience est arrivée à sa fin et j’ai conclu que je ne pouvais pas rentrer dans une congrégation incapable de répondre à mes questions et qui noyait mes inquiétudes comme on noie le poisson. Pendant que je passais mes examens de juin, on m’a prévenu que j’allais devoir chercher à vivre par moi-même l’année suivant. On maintenait ma bourse d’études, mais il n’était plus possible pour la communauté d’accueillir des jeunes collaborateurs (ceux qui donnent un an à la Légion pour aider). Ma situation était différente, mais ce n’était pas possible. Quand je suis revenu pour ma deuxième année, on m’avait désinscrit de l’université, pensant sans doute que je n’allais jamais revenir. J’ai dû me battre, mais ai pu finir mes études avec la bourse, étant par ailleurs stagiaire à 300 euros par mois et complétant avec des cours particuliers de français.

Je restais un membre actif du Regnum Christi mais de moins en moins convaincu. Les rumeurs commençaient à courir, même si j’y faisais attention, je ne les croyais pas vraiment. On me rapporta plusieurs témoignages de source sûre et j’ai connu au cours de mes études plusieurs anciens religieux qui ont repris une vie civile, avec plus ou moins de succès selon le cas. J’ai repris les « rencontres avec le Christ » quand j’ai commencé à travailler, mais j’ai abandonné au bout de quelques mois : y aller le vendredi matin à sept heures du matin avec un travail de 14 heures par jour toute la semaine était dur, plus dur que de se lever à cinq heures et quart.

La décision du Vatican en 2006 ne me laissait plus guère de doute et ceux qui défendaient encore Nuestro Padre me semblaient profondément ridicules ou à plaindre. Aujourd’hui la lumière a été faite sur beaucoup de zones d’ombre. Je n’ai vécu personnellement aucun scandale, n’ai été témoin de rien qui pouvait me faire croire à tout cela sur le moment. Pourtant, sans le savoir, j’avais vécu personnellement une triste réalité : malgré l’ampleur du mensonge et de la farce, malgré les innombrables personnes de bonne volonté et de bonne foi pour donner de la substance à tout ce qui à l’origine n’était qu’un montage intéressé, la Légion devait s’affronter souvent à la misère spirituelle dans laquelle elle se trouvait et n’était pas solvable pour résoudre les vraies questions sur la vocation.

C’est mon expérience et ce sont les conclusions que je tire de nombreuses scènes qu’à l’époque je ne pouvais pas encore interpréter. Quand j’ai découvert ce blog, cela m’a fait un bien fou car les points communs que j’y retrouvais me démontraient que ce n’était pas l’Église qui échouait mais simplement une farce qui malgré un volontarisme démesuré n’a jamais vraiment fait partie de l’Église d’une façon pleine et authentique. Force est de constater que ce qui a été vécu dans la Légion est le fait d’une contrefaçon qui, par nature, ne peut offrir aux fidèles les grands biens de la foi et de l’Église Corps du Christ. Cette constatation est une simple étape dans le cheminement pour comprendre ; je ne laisse pas de côté la grâce de Dieu, le principe supplet Ecclesiae et encore moins la relation personnelle avec Dieu. Mais les Légionnaires font bien du bruit pour que nous puissions écouter Dieu ; ils prétendent même parler en son nom.

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