Travailleuses Missionnaires : le témoignage de Gracia

Vendredi 19 décembre 2014

Gracia vit présentement en France. Elle y a poursuivi des Études Supérieures qu’elle a financées par son travail et est aujourd’hui diplômée d’un Master II en Droit des Affaires. Elle porte un regard lucide sur cette Communauté. Dossier réalisé par l’AVREF.

La fondation des TM au Burkina Faso, dit-elle, a été faite à l’origine à Ouagadougou par une enseignante et un médecin. C’étaient de vraies travailleuses et de vraies missionnaires. Elles avaient leurs activités professionnelles et étaient venues avec cette idée forte du fondateur : « la masse paganisée m’attire ». L’objectif était de former des jeunes filles toutes données à Dieu pour pénétrer chaque milieu professionnel afin d’y témoigner de la lumière du Christ. C’étaient des filles qui avaient leur métier. C’était comme cela partout à l’origine.

Ensuite l’idée des restaurants est venue surtout du recrutement dans les autres pays. Les restaurants EAU VIVE, c’était un moyen de regrouper les filles sans profession particulière. Mais petit à petit, les responsables ont changé l’idée de départ. « Celles du Tiers Monde, on ne les forme pas en tant que telles ».

Nous, on était attirées par cette idée de départ. On nous disait qu’on respecte (chez les TM) les compétences de chacune. C’est cela qui m’a personnellement révoltée. Si je ne peux pas apporter le meilleur de moi, c’est du gaspillage. J’ai été la première à oser demander étudier. J’ai osé demander à passer le bac.

« Tu ne dois pas amener une idée nouvelle » (quand tu es TM). Elles m’ont laissé passer une année. Elles m’ont donné une année pour étudier [1] du BEPC au Bac. J’ai eu plein de problèmes avec les autres cette année là. Et mon nom a fait le tour du monde entier à cause de cela. Dieu merci j’ai réussi ! Pendant cette année là, une des responsable de passage à Ouaga a demandé à ma rencontrer. Avant l’entretien, elle m’a remis une lettre de la part du Conseil dit-elle. C’était une nomination pour Rome à Casa del Clero.

Elle s’attendait à ce que je dise non et lorsque je lui ai dit que c’est d’accord elle était étonnée. Quelque temps après cette nomination a changé et je devais maintenant aller à Lisieux pour sauver une situation. Bref, tout pour me déstabiliser à mon examen au bac. Mais c’est la Famille [2] qui décide ; Ce n’est pas moi qui décide et n’a rien à dire sinon obéir. Il faut savoir que les décisions de mutation sont décidées de là-haut ; on ne te dit même pas ce que tu vas aller faire.

Question : Pouvez-vous reprendre votre parcours et nous dire ce qu’il a été quand vous étiez chez les TM ?

Réponse : J’ai été en France et en Italie. Pour soi disant la formation, j’ai tourné pendant six ans et j’ai fait les fiançailles [3] à Rome. Ma première nomination en tant que fiancée c’était la République Tchèque parce qu’il fallait des filles qui avaient des diplômes car ce pays n’accepte pas de laisser entrer des personnes qui n’ont pas de diplôme. Or on était trois à avoir le BEPC et il en fallait deux pour y aller. Je n’ai pas voulu aller. J’ai refusé : alors j’ai été nommée au Burkina Faso à l’Eau Vive de Bobo-Dioulasso.

En Italie, à Rome, j’étais cheftaine des scouts unitaires de France. Là-bas, à la différence des autres, j’étais souvent à l’extérieur et sorties les week-ends.

Question : Alors vous ne travailliez pas au restaurant ?

Réponse : Si ! On y était souvent le soir jusqu’à minuit/une heure du matin. On finissait quand pratiquement le dernier client était parti. Parfois il n’y avait plus de bus et il fallait rentrer à pied (30 mn a peu près). Mais, surtout, ça ne correspondait plus à mes attentes. J’avais l’impression de ne plus avoir de références. Le passé, c’est complètement vide. Et, au présent, je ne me sentais pas bien là-dedans. La vie que mènent les TM n’était pas en adéquation avec ma foi. A-t-on besoin de vivre ça pour aimer Dieu ?

Ça paraissait surréaliste : il n’y avait pas d’humanité à la base. Il y avait beaucoup de choses qui me révoltaient et je n’avais pas peur de m’exprimer.

Question : Vous avez quand même fait des choses utiles ?

Réponse : Je m’occupais des orphelins au Burkina Faso [4], de tout ce qui était administratif. Mais la bonne volonté ne suffit pas : il faut une formation. On est laïques, quoi ! On est des travailleuses : il faut être formé.

Comment peux-tu travailler efficacement sans avoir une profession ?

J’ai aussi fait la cuisine à Bobo-Dioulasso après les fiançailles. La formation professionnelle : ce sont les aînées qui la donnent… Très peu… C’est vraiment au feeling. Il n’y a rien de prévu : on apprend sur le tas.

J’ai accompli plusieurs tâches toujours sans une vraie formation et je m’en sortais tant bien que mal.

Mais c’est surtout spirituellement que ça ne va pas. On ne sait pas ce qu’est la spiritualité des TM : on pique à gauche, à droite : Ste Thérèse de Lisieux, Jeanne d’Arc, François de Salle,… mais les TM ne sont pas reconnues en tant que telles dans l’Église sinon à travers le Tiers ordre carmélitain. Tout est privé : les fiançailles, les épousailles. C’est une communauté laïque qui ne prononce pas de vœu. Je ne pouvais pas rester dans un truc où il n’y a pas de référence. Arrivez- vous à ressortir quelque chose d’essentiel des statuts ?

Il n’y a pas de ligne directrice ; c’est dirigé de façon arbitraire. J’ai discuté avec les responsables à Rome juste avant de partir : c’est comme si la famille TM leur appartenait… On ne se sent pas impliquée à 100% : tu ne peux pas demander à évoluer ; tu dois exécuter. Tu ne dois pas avoir un charisme personnel. Je faisais en moyenne un an dans chaque Mission. Je ne voulais pas circuler comme ça ; on n’a pas le temps de connaître, de poser sa valise, de mettre en place quelque chose de solide. Ça me déséquilibrait.

Question : Vous insistez sur votre statut de travailleuse laïque. De ce point de vue pensez-vous que le droit du travail était respecté ?

Réponse : Non ! Aucunement ! C’était du travail illégal : on nous a cachées par exemple à l’Eau-vive de Toulon quand j’y étais en 1994-1995 ! C’était les trois jeunes « en formation » plus d’autres qui n’étaient pas déclarés. On ne comprenait pas et pour nous c’était normal pour le bien de la Famille. Il y avait un mot de passe prévu (« banane flambée ! ») et il fallait se cacher quand l’inspecteur du travail venait. On s’est sauvées en haut dans un petit local.

Il n’y a pas non plus de cotisations pour la retraite. Sauf pour certaines dont on ne sait comment le choix est fait. C’est toujours au feeling !

Il faut bien comprendre : les TM sont une association à but non lucratif et les EAU VIVE sont des SARL c’est-à-dire des sociétés commerciales qui font des bénéfices. Tout est géré par les anciennes qui ont connu le fondateur. Il y a un groupe qui a connu le père Roussel, le fondateur. C’est un clan et il n’y a aucune visibilité, sauf pour les jeunes qui se soumettent et pénètrent dans le système. Mais on ne sait pas comment est géré l’argent. Aucune transparence. Il faut travailler c’est tout. Car c’est la mission.

Question : Aviez-vous des papiers en règle ?

Réponse : À Rome on a des papiers de séjour avec un statut « religieux ». En France on a le statut « visiteur » ; on a une carte de séjour renouvelable tous les ans. Les responsables sélectionnent qui doit demander la naturalisation française, mais on ne sait pas comment ça se passe : c’est au feeling. Il y en a qui ont la nationalité française. Je ne l’ai pas eu chez les TM.

Quand on est jeune, en formation, elles (les responsables) gardent les papiers. Quand je devais partir pour la première fois en France, la responsable locale m’a dit de remettre les papiers à la responsable sur place : tu apportes les papiers à la responsable. C’est une grande enveloppe. Tu ne sais pas ce qu’il y a dedans. Quand tu es nommée ailleurs, tu apportes l’enveloppe à la responsable de l’endroit. Et après le voyage, le passeport est aussi récupéré.

Question : Dans quelles conditions avez-vous quitté ?

Réponse : On m’a donné 300 Euros d’argent de poche au moment du départ, plus le billet d’avion aller simple (pour le Burkina).

Question : Aviez-vous des contrôles médicaux réguliers (visite médicale, ophtalmo, dentiste,…) ?

Réponse : Il n’y a pas de contrôle médical annuel. Il faut dire quand on a mal. Si tu as mal, il faut attendre un peu (l’autorisation d’aller chez le médecin).

Question : Deviez-vous être accompagnée ?

Réponse : Je n’ai jamais été accompagnée personnellement : même jeune, j’allais seule à mon kiné par exemple. Mais c’est une vie très dure.

Ça ne ressemble à rien ; tu ne sais pas pourquoi tu fais ça ; tu es prise dans un système où pour s’en défaire, il faut un courage inouï.

Question : Et vos sœurs vietnamiennes ?

Réponse : Les TM au Viêtnam sont des professionnelles. Elles ont gardé l’esprit du départ. Elles ont su se détacher (des responsables actuelles) et elles se sont développées localement. Ce sont de vraies professionnelles.

Il faut comprendre qu’il n’y a pas de Provinces chez les TM, pas de responsables provinciales : tout le monde dépend de Rome… C’est centralisé à 100% : tu veux te soigner ? Tu demandes à Rome. Le Viêtnam, lui, se détache petit à petit.

Question : Comment faisiez-vous vos courses personnelles ?

Réponse : Quand tu rentres, tu amènes un trousseau. J’ai amené un trousseau ; il y avait une liste : le nombre de pagnes, etc.

Autrement ça s’appelle « faire les provisions ». Tous les mois ou tous les deux mois on vous dit d’écrire ce dont vous avez besoin (les vêtements, les serviettes hygiéniques, etc..) et de déposer la liste devant la Sainte Vierge dans un oratoire. C’est aberrant. Puis la responsable vient ramasser la liste. On n’a pas tout ce qu’on demande en général : il faut attendre les provisions prochaines.

Question : Vous avez bien connu Solange MARE [5] avant son décès…

Réponse : Oui… on lui a dit qu’elle coûtait cher pour accéder aux soins. Elle m’a raconté cette histoire par mail. A sa mort, j’ai dû faire les démarches auprès de sa Banque pour que sa maman récupère l’argent qui s’y trouvait, demander son dossier médical, demander la copie de l’autopsie, suivre l’enquête qui s’est soldée sans suite. Je suis toujours là-dessus car il existe beaucoup des zones d’ombre autour de son décès. Sa maman est inconsolable et pour elle, se sont les TM qui sont à l’origine de ce malheur. Quand elle m’appelle elle me dit que « cette communauté brûlera en enfer ».

Source : Le Livre Noir des Travailleuses Missionnaires de l’Immaculée : Eau Vive et Espérances Taries

Ce témoignage a été remis à l’AVREF vers la date du 7 mai 2014

Le témoignage est anonyme

La levée partielle ou totale de l’anonymat doit faire l’objet d’une demande à l’AVREF qui contactera le témoin pour lui demander s’il accepte de voir son nom mentionné et sous quelles conditions.

[1Gracia avait le BEPC quand elle a demandé pour passer le Bac. Elle veut dire qu’en un an elle a dû assimiler les programmes de seconde, première et terminale pour présenter le Bac. C’était le temps qui lui était alloué avant d’être affectée ailleurs.

[2La Famille, c’est la Famille Missionnaire Donum Dei qui gère les restaurants EAU VIVE.

[3Dans la terminologie des TM les « fiançailles » sont, à l’issue du parcours de formation de plusieurs années, une cérémonie d’engagement privé.

[4La TM qui a créé l’orphelinat au Burkina a fait l’objet de tracasseries et a quitté la Communauté.

[5Nous publions dans ce document le mail de Solange MARE et relatons son destin tragique dû au refus de soins dont elle a été la victime.

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