Ancienne « moniale » de Bethléem, j’y ai passé un nombre d’années suffisamment important pour avoir la légitimité de décrire des dysfonctionnements objectifs qui persistent dans cette structure pourtant reconnue par l’Église.
Après une conversion foudroyante lors d’un pèlerinage, j’ai voulu donner ma vie à Dieu. J’ai cherché vers quelques congrégations et suis finalement arrivée à Bethléem que j’avais connu par mon groupe de prière et mon père spirituel. C’était en 2005.
J’ai quitté Bethléem l’année dernière, en 2013, après y avoir donc vécu 8 ans.
Je n’ai pas perdu la foi et j’ai adressé à la hiérarchie de l’Église, notamment à Rome, un document sur les dysfonctionnements observés. Il est resté sans réponse jusqu’à ce jour.
I. Ce qui m’a attirée à Bethléem
La reconnaissance de droit pontifical.
Me sachant pleinement fille de l’Église, une communauté de droit pontifical me rattachait directement au Pape. De plus, j’étais assurée d’arriver dans une structure validée, éprouvée, sérieuse et désireuse de donner de vraies vocations cloîtrées et contemplatives à l’Église et pour le monde.
L’obéissance dont il est fait mention dès le « mois évangélique ».
J’étais sûre que l’obéissance était un chemin de liberté et de maturité spirituelles, nous rendant toujours plus responsables de nous-mêmes devant Dieu et nos frères.
La présence de la Vierge Marie.
Je lui avais confié ma vie et ma vie spirituelle dès les premiers instants de mon retour à la foi, quelques années avant d’entrer à Bethléem, lors de ma conversion.
II. Des vocations sous pressions
Cependant, malgré cette attirance, j’ai très vite été confrontée à des questions que j’ai régulièrement soumises et pour lesquelles j’ai toujours reçu les mêmes réponses : « Tu es dans l’erreur ! Donne tes pensées à la Vierge. Elle doit les convertir ».
Ces questions concernaient notamment le discernement des vocations fait par Bethléem.
En effet, une communauté qui prétend avoir reçu la paternité spirituelle de Saint Bruno, et donc vivre une vie de solitude comme les Chartreux, ne se doit-elle pas d’être rigoureuse et prudente avant d’accepter « tout le monde » ?
Or, le postulat de base du recrutement est le suivant : « Il y a de la place pour tout le monde à Bethléem ». Où donc est le discernement de cette communauté qui accepte presque toutes les filles se posant la question légitime de la vocation ?
Apprendre que 30 à 50 filles en moyenne prenaient l’habit chaque année, alors que les Chartreux n’accueillent qu’un homme tous les dix ans, ne me rassurait pas du tout !
J’ai mis deux ans avant de prendre l’habit qui marque l’entrée en postulat. Autrement dit, canoniquement, déjà, durant ces deux ans, j’étais tout à fait libre de m’en aller.
Une communauté « normale » ne m’aurait pas gardée plus de six mois en voyant quelqu’un de si peu sûr. Mais si j’avais atterri dans une communauté « normale », je n’en serais certainement jamais partie : je voulais donner ma vie à Dieu dans l’accomplissement plénier des promesses de mon baptême. Et j’étais en route, pleine de confiance en ces sœurs prieures, visiblement si aimantes et respectueuses de l’Église.
Pourtant à Bethléem, tout se passe autrement… Et l’affectivité est la première constituante pour attirer quelqu’un qui arrive. Le mois évangélique en est le premier pas : toutes les sœurs sont « aux petits soins » pour la prieure générale. Et cette dernière est « aux petits soins » pour toutes les nouvelles jeunes hypothétiques recrues qui sont là, rassemblées autour d’elle.
Pour ma part, ce premier mois évangélique était une prise de connaissance avec la communauté. Comme je l’ai dit plus haut, j’étais attirée par Bethléem, du fait de son affinité avec Marie, du fait qu’on entend tout le temps parler de cette notion d’obéissance en tant que chemin de « liberté » et j’étais en confiance de savoir qu’elle avait été reconnue de droit pontifical. C’est là-dessus que je m’appuyais pour avancer.
Car, pour le reste, quelque chose en moi ne se sentait pas à l’aise.
En effet, j’avais repéré le dévolu de la prieure générale, sœur Isabelle, sur ma personne, lors de ce même premier mois évangélique : elle me nommait fréquemment devant tout le monde. Cela n’est pas rien quand on sait à quel point elle est considérée comme « l’incarnation de la Vierge Marie », ou encore « un réel prophète aux multiples charismes ».
Lors de ce premier mois évangélique, j’ai donc ressenti ce comportement excessif à mon égard. Même s’il y avait un côté flatteur, cela m’agaçait aussi. Quelque chose était faux, surfait, trop fait.
J’avais 30 ans en arrivant. J’avais eu une vie solidement ancrée dans le monde avant d’arriver à Bethléem : ayant voyagé et vécu à l’étranger dès mon adolescence, j’ai toujours été ouverte d’esprit et je parlais plusieurs langues. Diplômée d’une école de commerce, je m’étais confrontée au marché du travail, je payais mes impôts comme tout le monde. J’avais obtenu un poste de chargée de clientèle dans un grand groupe d’ingénierie française. Cela faisait un bon nombre d’années que j’avais appris à « rouler ma bosse » et à me construire humainement.
Avais-je besoin qu’on m’accorde autant d’attention pour me sentir être quelqu’un ? Pas franchement. Bien que cette flatterie démesurée fût exaspérante, je me suis faite « embobiner » car j’étais encore très jeune dans ma vie spirituelle.
Dès ma première rencontre en tête à tête avec sœur Isabelle, son regard bleu a pénétré mon regard de façon très désagréable : c’était comme une pénétration, une intrusion dans ma personne au-delà de ce que je voulais et de ce que je pouvais accepter. C’était comme si elle voulait tout savoir de moi, et comme si elle m’aimait elle aussi « depuis toute éternité ». Cela m’a laissé une impression désagréable et encore un sentiment de faux, de surfait.
Par contre, lors du deuxième mois évangélique, j’ai observé un réel changement dans son comportement : je venais de demander une nouvelle fois, à une autre prieure qui m’accompagnait en tant qu’ « ange » lors de cette retraite, comment se faisait le discernement de Bethléem et pourquoi telle sœur était partie. J’ignorais que je touchais un point visiblement tabou ou honteux pour la communauté. La prieure générale a visiblement été aussitôt informée de mes deux questions qui n’ont pas dû lui plaire : du jour au lendemain, je n’existais plus ! Cela m’a laissé perplexe. Je compris sans bien l’entendre à l’époque, que j’avais dû mettre les pieds où il ne fallait pas. Par contre, la même attention démesurée se faisait sentir de nouveau auprès des nouvelles jeunes « voyageuses » (les retraitantes).
Je suis arrivée pour La Toussaint dans le monastère où je suis restée toutes ces années. Je « venais et voyais ». Concept-clé qui avait été proposé à ma « liberté », (autre concept-clé) à la fin du premier mois évangélique.
Toute la communauté était là aussi, « aux petits soins » pour moi. J’aimais beaucoup mes sœurs. J’aimais beaucoup ma prieure. Et j’ai fait confiance parce que c’était une structure d’Église. Mais l’affect restait très important du côté de la communauté, ce qui pouvait pallier certaines carences familiales que Bethléem voulait et aurait pu remplacer : « nous sommes ta nouvelle famille ».
Simple laïque, arrivée depuis à peine 2 mois, j’ai demandé à rentrer pour passer Noël chez moi, pour des raisons familiales que j’avais exposées en toute confiance et transparence à ma prieure. Elle s’y est assez fortement opposé, me donnant un timing serré : pas plus de 2 ou 3 jours maximum : « c’est très ennuyeux que tu t’en ailles pour ce premier Noël : tu vas manquer aux sœurs, tu ne vivras pas notre belle liturgie, tu peux perdre ton appel. Il faut que tu reviennes vite. Tu as déjà posé un acte fort en venant ici, il faut que tu poursuives dans la même ligne ». C’était une pression de toute part : je voulais donner ma vie à Dieu. Je considérais ce temps comme en effet, important. Mais je n’aimais pas qu’on me mette « le grappin dessus ». Et puis, si j’expliquais ouvertement à ma famille comment les choses s’étaient passées pour venir à Noël, celle-ci serait convaincue que quelque chose de pas net planait dans l’air. Or je ne voulais pas de ces tensions. Je croyais aussi ce que ma prieure me disait : « Il est normal que les familles n’acceptent pas un choix aussi radical. Le monde ne comprend plus notre type d’engagement qui est un chemin de liberté. Suivre le Seigneur, c’est prendre le chemin de la Croix, savoir renoncer à ceux qu’on aime. Et n’oublie pas : Il n’est pas venu apporter la Paix, mais le Glaive dans les familles. Tu seras libre lorsque tu renonceras à ta famille charnelle ».
Tous les mots étaient utilisés pour me convaincre que c’était « pure miséricorde » que de m’accorder ces quelques jours en famille à Noël, avec cette supposition que je risquais fort aussi de perdre mon « appel » à trop rester dans le monde. Et j’y ai cru, pensant dans ma grande naïveté que la volonté de Dieu dans ma vie passait par la prieure. Bref, pour éviter tout conflit, j’ai préféré faire croire à ma famille que c’était mon choix personnel de ne venir passer Noël en famille que pour deux jours. Ils devaient s’en satisfaire car, l’année suivante, cela ne se reproduirait plus.
Entre ce que j’ai cru des propos entendus et la réalité objective de l’Église, la différence est pourtant énorme : canoniquement, je n’étais tenue à rien ni à personne : j’étais simple laïque et mon propos à ce moment-là était de « venir et voir ». Non pas d’entrer obligatoirement. Je l’avais très clairement exprimé à ma prieure dès le premier jour de mon arrivée.
Mais cette expérience de Noël, m’engageait déjà vis-à-vis de Bethléem sans que je m’en rende bien compte. Sans que j’en comprenne la complexité. Je m’engageais malgré moi vers Bethléem et ouvertement auprès de ma famille, comme si j’en avais été libre.
De plus, au fil du temps, ma question sur le discernement des vocations demeurait : je sentais tout le côté affect persistant, mais je n’éprouvais aucun critère objectif de discernement pour valider mon appel à la vie de solitude et de silence. Je m’ouvrais sur ces nécessaires critères objectifs et sur l’éventualité de partir trouver ma vocation ailleurs et on me répondait : « Hélène de Dieu, c’est normal ce que tu vis là ! Tous les grands moines partis au désert ont eu la même tentation. Pourtant il y a de la place pour tout le monde à Bethléem. Ne vois-tu pas que c’est la Vierge Marie qui t’a conduite ici ? Et nous, on t’aime ! Remets-toi dans le Cœur de Marie, reprends ton Pacte d’Alliance avec Elle. Mendie-lui la force de sa fidélité et de son renoncement pour adhérer au Projet du Père ».
Mon égo de jeune convertie en était flatté… « Serais-je donc déjà un grand moine ? Vierge Marie, je te promets de t’être docile si ta volonté a été de m’amener dans cette famille monastique : je te donne ma vocation pour que tu me la dises et que tu la réalises. Je suis absolument sûre de toi ».
Règle de Vie, Livre II, 12 – Je promets obéissance à la Vierge Marie, n° 230 : « la moniale qui promet obéissance à Marie ne peut donc que s’engager, en la docilité de Marie à toute Volonté du Père, dans une voie d’obéissance à l’Évangile, aux Constitutions, aux conseils qu’elle reçoit de ses responsables. Ainsi la manière loyale, vigoureuse et réaliste, dont Marie a obéit à Dieu, caractérise de plus en plus l’obéissance de la moniale. »
Un jour, exposant encore mon désir de partir à une sœur responsable, cette dernière me dit : « Ne crois-tu pas que tu serais plus malheureuse encore en retournant dans le monde, en te mariant et en tombant peut-être sur un mari qui te frappe ? »
III. Mon passage chez les néo-chamanes
Du fait de ces doutes lancinants, je finissais par ne pas me sentir bien. J’ai pensé qu’un psychologue pourrait m’aider. J’en ai parlé à ma prieure. Elle m’a dit qu’elle demanderait la permission à la prieure générale, sœur Isabelle. Dans un premier temps, comme je n’étais toujours pas moniale, je ne voyais pas pourquoi son accord était nécessaire. J’ai reçu cette permission quelques jours plus tard, par fax. Dans ce fax, sœur Isabelle me disait combien elle était ravie de pouvoir m’envoyer vers une femme exceptionnelle, une de ses très grandes amies, qui avait aidé tant de petites sœurs à Bethléem et continuait à le faire. Elle rendait grâce à Dieu de ce que la Providence et la Vierge Marie m’avaient conduite juste à côté de l’endroit où cette femme exerçait.
J’ai rencontré cette dernière une première fois au monastère. Elle avait les clés pour y rentrer et je compris alors qu’elle suivait des sœurs sans doute sur place. Mais comme je n’étais pas sœur, il avait été convenu entre ma prieure, elle-même et moi, que j’intégrerais un groupe de thérapie qu’elle constituait pour des patients extérieurs au monastère. Rendez-vous fut pris pour un premier week-end thérapeutique la semaine suivante. Je suis donc allée dans la maison de cette femme, non loin du monastère.
Quand les exercices de groupe ont commencé, je me suis étonnée que les volets soient fermés dans la salle où nous vivions ces exercices. Elle s’en justifiait en disant que, par jalousie, son voisinage la considérait comme une « gourelle » car elle faisait beaucoup de bien.
La soirée du samedi soir, appelée « soirée purge », devait nous délivrer d’esprits mauvais. Moi, je cherchais à arrêter de fumer. Et cette femme m’avait expliqué les grands bienfaits d’une telle soirée au milieu du week-end thérapeutique, via l’absorption de la plante de tabac. Tout cela sonnait vraiment bizarre… Durant la « soirée purge », le groupe est à genoux en cercle. Chacun devant un seau. On a tous avalé en très peu de temps une décoction de tabac de deux litres. Les lumières sont tamisées. On entend des chants incompréhensibles sur une cassette. Pendant ce temps-là, cette femme et amie de longue date de sœur Isabelle passe auprès de chacun de nous, fumant et recrachant la fumée de cigarette sur nos têtes, sous nos vêtements, dans le dos, le ventre, la paume des mains, en chantant parfois elle-même ces mêmes paroles bizarres, avec un « Maria » qui ressort de temps en temps. En fait, ce sont des chants d’Indiens d’Amazonie, en Quechua. Et puis, bien sûr, la plante de tabac fait son effet : très vite, chacun vomit dans le seau qui est juste devant lui… Cela peut durer deux heures au bout desquelles chacun est épuisé. On a presque jeûné le jour même ! De même le dimanche matin, nous ne pouvions pas interrompre la cure pour aller à la messe. Aussi, était-ce cette femme qui nous donnait la communion elle-même, dans une pièce à part. En temps normal, j’aurais pris mes jambes à mon cou et ne serais jamais restée plus d’une ½ heure dans ce lieu.
Mais, animée du désir de faire confiance, je me disais : « ça sent le New Age à 100 %. Mais c’est à toi de t’ouvrir ! Voyons : c’est sœur Isabelle qui t’envoie là. La prieure générale d’une communauté de Droit Pontifical ! Il est évident qu’elle ne peut pas se tromper. Et elles se connaissent toutes deux depuis tant d’années. Cette femme a aidé beaucoup de sœurs. Si vraiment c’était complètement New-Age, ça se serait su. Arrête d’être aussi critique. Fais confiance : ça vient de sœur Isabelle ! Elle ne peut pas ne pas manquer de discernement. Sinon Bethléem ne l’aurait jamais élue prieure générale ! »
J’ai donc suivi ces week-ends « thérapeutiques » pendant à peu près six mois.
Un jour, cette femme me dit : « Je crois que tu as encore besoin de quelques séances de plus. Je te propose de suivre un nouveau groupe que je constitue et ce, gratuitement. Mais en échange, je voudrais que tu viennes le week-end prochain car j’ai un confrère qui sera là. Et je voudrais que tu le rencontres ».
Vu avec ma prieure : elle-même connaît ce confrère. Tout va très bien, donc et je participerai quelques jours plus tard à ce fameux week-end.
Grand bien m’en a pris !
Cet homme nous a parlé de Benoît XVI. Avec l’aide de la Bible et de tous les endroits où il était question d’ours - Benoît XVI venait d’arriver quelques mois plus tôt sur le siège de Pierre et son emblème avait, entre autres, la figure de l’ours - ce médecin nous a carrément démontré que notre Pape était la figure de l’Antéchrist !
Mon sang n’a fait qu’un tour ! J’ai pris la défense de Benoît XVI devant tout le monde. Alors cette femme a tenté de m’humilier devant le reste du groupe. Je n’ai rien dit, mais je n’en pensais pas moins : Je ne reviendrai plus jamais à ces séances. C’était la dernière fois qu’on m’y voyait. Je suis rentrée au monastère. J’ai dit à ma prieure que je ne voulais plus retourner là-bas car c’était complètement New Age. Je lui ai dit que cette femme se servait de la présence et de l’amitié des sœurs pour rattraper son crédit dans la région, mais que ce qu’elle faisait vivre aux participants n’avait franchement rien de catholique. C’était de la fumisterie et j’en étais à présent certaine. Bien sûr, sœur Isabelle en a été informée. J’ai alors rencontré une sœur de son conseil qui m’a longuement écoutée, étonnée de ce que je lui disais. Mais à l’issue de cet entretien, décision allait être prise : cette femme n’accompagnerait plus les sœurs, parce qu’on avait vaguement entendu d’autres choses sur son compte. En effet, je ne l’ai plus revue au monastère. Quoique deux ou trois ans plus tard, on pouvait l’apercevoir de temps à autre à la tribune de l’Église.
A ma sortie de la communauté, j’ai fait des recherches sur Internet pour savoir qui était réellement cette femme. J’ai vite trouvé plusieurs sites qui en parlaient, ou qui parlaient aussi d’un centre en amérique du sud, portant le même nom que la maison en France et dont elle nous parlait si souvent pendant ces week-ends. Des patients partaient régulièrement dans le centre de désintoxication là-bas pour faire une cure ou découvrir l’Ayahuasca, une plante hallucinogène interdite sur le sol français…
Mais plus encore, deux ans avant que sœur Isabelle ne m’envoie vers elle, cette femme et son confrère avaient tous deux été en garde à vue avec trois mises en examen, nourrissant ainsi le volet pénal de ce stupéfiant dossier dont la manipulation mentale constitue l’impalpable toile de fond.
Si tout le voisinage le savait, comment cela aurait-il pu être ignoré à Bethléem ? J’ai su plus tard que même l’évêché avait un dossier sur elle et sur ce lieu.
Comment ne pas considérer comme grave qu’une prieure générale élue par une communauté de Droit Pontifical puisse envoyer ses ouailles auprès de telles personnes pratiquant des thérapies alternatives, de type chamaniste ?
Comment ne pas considérer comme grave que ce discernement soit effectué par un jeune membre qui arrive ? La Famille Monastique de Bethléem, de l’Assomption de la Vierge et de Saint Bruno aurait-elle donc besoin des jeunes pour se trouver, trouver son « charisme » et apprendre le b.a-ba du discernement ?
Plus encore, n’y a-t-il pas foncièrement dans tout Bethléem, un goût certain pour tout ce qui touche à une certaine forme de gnose ou de mysticisme, qui pourrait expliquer la carence dans le discernement ? L’histoire de cette communauté l’explique assez bien.
IV. Une spiritualité viciée au service du nombre
J’ai donc pris l’habit deux ans après être arrivée à Bethléem ; à la fin de mon troisième mois évangélique. J’avais « la boule au ventre ». J’en suis tombée malade : 41 de fièvre, avec une crise de colite aiguë. On m’a dit que c’était à offrir à la Sainte Vierge. Que je sois « stressée » était normal. Je n’ai pas vu de médecin. J’ai juste eu droit à du doliprane périmé pour faire baisser la température.
Pour trouver mon nouveau nom en religion, j’ai été convoquée quelques heures avant la prise d’habit dans l’immense et luxueux parloir de la prieure générale. Cette entrevue ne devait durer que quelques minutes. Elle avait encore une quinzaine de filles à voir pour la même raison.
J’entre après avoir patienté un temps certain. Elle m’accueille. Nous sommes seules toutes les deux. Elle me prend dans ses bras puis elle me dit, ses yeux plantés dans mon regard : « Ôôôô, Hélène de Dieu que j’aime tant, tu sais, j’ai longuement prié la Vierge pour toi. Ôôôô, tu sais, tous les anges du Ciel se réjouissent aujourd’hui. Et moi aussi. Tu entres dans notre grande et belle Famille monastique. Alors, j’ai demandé à la Vierge qu’elle me donne ton nom nouveau. Que penses-tu de sœur “Nadouliyah” ? » (Je ne me remémore plus très bien quel nom incongru elle avait trouvé). Je fais la moue car cela ne me parlait pas. Elle voit mon visage et me propose alors un autre nom. Idem, cela ne me parlait pas du tout. Elle m’en propose alors un troisième. Même chose.
A mon tour, je lui propose deux ou trois noms auxquels j’avais pensé, dont mon prénom de baptême. Après tout, ma sainte patronne est aussi une belle sainte ! Cela ne lui convenait pas.
L’entretien commençait donc à s’éterniser et le ton changea. Ses élans à mon égard, dix minutes plus tôt, se transformèrent en réelle impatience. Et c’est alors que sa prière mystique se métamorphosa en un merveilleux coup de main, en direction de son téléphone. Elle souleva ce dernier pour en retirer une petite fiche remplie de noms, jusque là bien cachée sous son téléphone. Elle m’en lit un premier. C’est au deuxième que j’ai fini par capituler, le trouvant moins absurde que tous les autres proposés jusqu’alors…
Une fois l’habit sur le dos, je suis retournée dans le monastère où j’avais déjà vécu les deux années précédentes. Chargée de volumineux et lourds paquets à y rapporter, je me souviens d’avoir eu de nombreux changements de train.
Notre vie était toute simple, une très belle entente régnait entre sœurs, en général. Quand on est en solitude, on a quand même moins de risque de s’exposer et de se confronter les unes aux autres !
Mais je me sentais toujours aussi mal, voire de plus en plus. Je l’exprimais pendant mes années de postulat et de noviciat, je disais vouloir partir, que ça n’était pas ma vocation. De fait, dans un cahier, je devais écrire en 2 colonnes : « ma pensée me dit que… ça n’est pas ma vocation » tandis que celle d’en face : « Que dit Jésus, que dit Marie » restait bien souvent blanche !
Dans mes grilles d’horaires de transparence, j’indiquais que je devenais insomniaque… Règle de Vie, Livre III, 46 – L’ascèse corporelle, le jeûne, la veille et la maladie, n° 575. « Si Dieu permet que des insomnies interrompent son sommeil, la moniale les accueille comme une grâce, une invitation à prier et à s’offrir elle-même en communion avec tous ceux qui luttent et souffrent dans la nuit du monde. Elle traverse cette épreuve dans l’obéissance et la transparence ».
… que j’avais de terribles migraines. Règle de Vie, Livre III, 46 – L’ascèse corporelle, le jeûne, la veille et la maladie, n° 571. « Elle évite de supprimer les petites souffrances corporelles par un recours facile aux médicaments ».
Que je pleurais sans cesse parce que je ne me retrouvais plus moi-même. J’avais l’impression de devenir folle, de ne plus me reconnaître, ni même de me connaître. Je me sentais divisée, frôlant même la schizophrénie. Je me croyais perdue, irrécupérable.
Du fait de mon passage chez les « néo-chamanes », ma prieure m’avait dit : « maintenant, c’est la Vierge, qui sera ta psy. C’est elle qui va te conduire. Tout cela ne sont que des remous psychiques. Prends ton rosaire, accroche-toi à Marie. Fais des métanies. Supplie Jésus. Prends la Bible, chante-la, médite la Règle de Vie, calligraphie-la, reprends ton pacte à la Vierge. Tu connais ton point faible : celui de croire que ça n’est pas ta vocation. Et au lieu d’induire en remontant vers Jésus, tu déduis que tu dois partir. Il faut que tu sois rectifiée dans ta conscience. Tes pensées affaiblissent ta volonté. Alors donne tout ça à la Vierge pour qu’elle convertisse tes pensées. Ta pensée te trompe, tu es trop autonome dans tes pensées et elles t’induisent en erreur. Pose l’acte de foi que tu es heureuse. Marie ne t’a jamais abandonnée jusqu’à présent. Elle va fortifier ta volonté ».
Règle de Vie, Livre IV, 64 – la formation de la conscience, n° 732. : « Dans l’humilité, si elle reconnaît que sa conscience a besoin d’être éclairée, la moniale peut demander l’aide de ses responsables pour discerner ce qui vient de son cœur profond de ce qui vient de sa sensibilité et de son psychisme. Elle demande alors en toute liberté l’aide de la prieure à qui Dieu et l’Église la confient. »
Ou encore : Livre II, 12 – Je promets obéissance à la Vierge Marie, n° 226. : « En sa promesse d’obéir à la Vierge Marie, la moniale lui confie sa propre faiblesse (…) Si la moniale ne cesse jamais de se savoir choisie par Jésus crucifié et glorifié pour être sa disciple bien-aimée, elle ne cesse de recevoir de Lui avec Jean, le disciple bien-aimé de Jésus, le don de la Maternité de sa Mère. Sa faiblesse peut alors recevoir la docilité de Marie. Car la femme qui enfante au désert, quelle que soit l’hostilité du Dragon ne cesse pas de communiquer aux disciples bien-aimés de son Fils la Vie véritable que le Diable veut retirer sans cesse à “ce” qu’elle enfante. »
Livre II, 12 – Je promets obéissance à la Vierge Marie, n° 230. : « La moniale qui promet obéissance à Marie ne peut donc que s’engager, en la docilité de Marie à toute Volonté du Père, dans une voie d’obéissance à l’Évangile, aux Constitutions, aux conseils qu’elle reçoit de ses responsables. Ainsi la manière loyale, vigoureuse et réaliste, dont Marie obéit à Dieu, caractérise de plus en plus l’obéissance de la moniale. »
Livre II, 12 – Je promets obéissance à la Vierge Marie, n° 233. : « Si elle est fidèle en son pacte d’alliance, la moniale qui confie à Marie la responsabilité d’être sa prieure et son staretz invisible, est progressivement guérie des trois blessures suscitées par le péché ancestral. Une telle promesse qui concerne le for interne le plus secret de la moniale, ne relève pas du vœu canonique d’obéissance. Elle est un engagement secret de la moniale envers la Mère de Dieu actuellement vivante dans la Gloire, en telle sorte que la Vierge puisse trouver en la personne de la moniale toute latitude de prolonger sa propre vie immaculée, comme en une humanité de surcroît. La moniale demande à Marie d’être, à côté de sa prieure visible, sa Prieure (…) Marie ne peut qu’être artisan d’unité entre elle-même, sa prieure et tous les représentants de l’Église auprès d’elle. »
A Bethléem, comme tout se vit en dépendance à une instrumentalisation de la Vierge Marie, et que c’est Elle la fondatrice, qui décide de tout pour tout le monde, alors, l’obéissance devient petit à petit anéantissement de son moi. Les aspirations les plus profondes doivent disparaître, étant aussitôt cataloguées sous un vocable moral tel que péché d’orgueil par exemple, ou « conscience psychologique ». Cela n’explique-t-il pas le développement de mal-être profond avec des dégradations de la santé chez bon nombre de sœurs ?
Durant l’année qui a précédé mon départ, j’ai compris à quel point ce langage et cette spiritualité étaient des plus faux dans le seul objectif de garder un membre à l’intérieur de la communauté.
Avec cette spiritualité viciée, tout mal être profond doit être sublimé : « Je souffre ! Mais j’offre tout pour le monde. » Halte là ! Si je suis en souffrance, ça n’est pas « fuir la croix » que de me demander tout simplement « suis-je réellement heureuse et vraie avec moi-même ? Suis-je en paix et unifiée ? »
A Bethléem, il n’y a pas de vœu de stabilité dans un monastère. Mais un vœu de stabilité à l’intérieur de Bethléem. Si bien que dès qu’une sœur est en difficulté et qu’elle le fait sentir à sa communauté, hop ! elle change de monastère.
Là où je suis restée huit ans, j’ai vu défiler beaucoup de sœurs. Des « sœurs en crise » partaient, de nouvelles sœurs arrivaient puis se retrouvaient « en crise ». Peu importe l’âge. L’une d’entre elles, entrée vers la vingtaine à Bethléem, et qui a maintenant la soixantaine, est dépressive. Est-il adapté et humain qu’elle soit enfermée toute la semaine, en solitude ? Et n’y aurait-il pas lieu de l’accompagner ? Car Dieu n’est pas un Dieu sadique et pervers. Il nous veut libres et debout. Il nous désire dans la Vérité de ce que nous sommes et de ce pour quoi nous sommes faits. Il nous veut avec une conscience éclairée.
V. Le manque d’oxygène
Pour ma part, en parallèle de ces actes volontaristes et non plus libres pour correspondre au projet fou de Marie sur moi qui est le Dessein Eternel de Dieu, j’ai très vite manqué d’oxygène. Et pour cause : les rapports au monde et à l’autre deviennent dystrophiés.
1. L’information sur ce qui se passe dans le monde ne circule plus
Il est certain que la vie contemplative ne peut prétendre à être informée de ce qui se passe dans le monde. Il n’est pas nécessaire d’être informé, voire surinformé en temps réel de l’actualité. Je savais, en rentrant au monastère, qu’il n’y aurait plus d’accès à internet, plus de télé, plus de radio. Et cela me semblait juste quant au propos que je voulais m’engager à vivre.
Mais à Bethléem on a plus aucune information sur le monde du tout. A moins que cela ne soit directement lié à Bethléem. Si bien que nous savions, par exemple, l’existence de tensions en Israël car il s’y trouve la prieure générale et son monastère. Donc, il fallait prier pour les soeurs là-bas. Nous avions également appris en 2010 qu’il y avait eu tremblement de terre au Chili, puisque nous y avions un monastère et qu’il fallait prier pour les sœurs. Pour le reste, nous ne savions rien, à part quelques coupures de presse disponibles avec 6 ou 8 mois de retard, voire un an.
Quelques mois avant mon départ, en fin d’année 2013, voilà une autre des raisons qui m’a poussée vers la sortie : grâce à la visite d’un pasteur de l’Église nous avons appris de sa bouche les événements de la « manif pour tous ». Il nous en parlait comme si nous étions, bien sûr, informées et que nous priions à cette intention. Il nous donnait juste les « dernières nouvelles ». Pourtant, nous ne savions rien du projet de la loi Taubira, et pas d’avantage de ces événements historiques qui se déroulaient partout en France depuis sûrement déjà quelques mois. J’étais abasourdie en apprenant une telle nouvelle, mais aussi en constatant qu’on ne savait décidément absolument rien du monde. J’étais abasourdie de prendre encore un peu plus de recul pour constater comment petit à petit mes 2 heures d’oraison quotidiennes, de « combat » et de prétendue prière d’intercession pour le monde depuis presque 8 ans, étaient devenues peu à peu totalement désincarnées…
Nous ne savions décidément plus rien. Moi-même, j’avais fini par vivre au fil des temps liturgiques, comme dans un monde parallèle, totalement désincarnée ; éloignée de la réalité de la vie de mes frères en humanité. J’avais donc fini par capituler peu à peu et sans m’en apercevoir de me tenir informée, d’avoir un cerveau qui fonctionne et un cœur qui bat et prie pour mes frères restés dans le monde.
2. Le courrier
Règle de Vie, Livre III – les relations des moniales avec leurs parents et leurs amis, 53, n° 612. : « Il est permis aux moniales d’écrire à leurs parents tous les deux mois environ. Les moniales ne cherchent pas à maintenir de correspondance habituelle avec d’autres personnes (…) Les moniales n’écriront pas habituellement à leurs amis et ne les inviteront pas à venir les rencontrer. »
Sous prétexte de transparence, le courrier écrit doit être remis à la prieure, dans une enveloppe ouverte. A Bethléem, la prieure a tous les droits pour lire le courrier : « Chaque moniale envoie et reçoit toujours ses lettres au su et au vu de la prieure. Celle-ci peut les lire si elle le juge nécessaire. Elle le fait alors dans un très grand respect du secret et de l’intimité de sa sœur ou de toute autre personne concernée par cette correspondance. Mais il convient surtout que la correspondance habituelle de chaque moniale prenne sa place dans l’accompagnement et l’éclairage spirituel qu’elle reçoit de sa prieure ». (ibid)
De même, Règle de Vie, Livre III, 49 – le silence, n° 591. : « Les moniales peuvent communiquer entre elles par écrit, mais au su de leurs responsables. Chaque fois que cela est possible, les moniales transmettent leurs messages ou leurs demandes par écrit. En effet, c’est par écrit et au su de leurs responsables que les moniales communiquent entre elles. Ce renoncement les aide à mieux discerner ce qui est à dire et ce qui est superflu ».
Dans notre correspondance, aucune information sur la vie au monastère ne doit circuler à l’extérieur.
Comme on apprend peu à peu que tout ce qui relève de la souffrance intérieure, de son impression de dépérir et de son envie de partir ne sont que des « remous psychiques », on combat contre cette pensée, contre l’écoute de soi-même, pour obéir au grand projet de Dieu que la prieure ou ses vicaires nous rappelle : « La Sainte Vierge n’a pas eu de psychisme. Elle a toujours regardé vers Jésus, dans un silence sur elle-même : Silencieuse en ton silence » Règle de Vie, Livre II, 12 – Je promets obéissance à la Vierge Marie, n° 232. : « Toujours essayer de recommencer à être humble transparence de la Vierge Marie auprès de chaque personne humaine. »
Ma prieure, cependant, me laissait garder une certaine correspondance avec ma famille et mes amis. Moi-même, si sociable, je ne pouvais pas couper les ponts avec eux. Et elle l’acceptait. Durant toutes ces années, mes seuls moments de joie furent le courrier que je recevais, ainsi que les visites. Naturellement, comme j’avais fini par croire que toute la souffrance que j’éprouvais, n’était autre que « psychologique » et donc peccamineuse, je n’écrivais jamais rien de mon mal-être. Je restais dans un vocable très « spiritualo-mystique », éludant ainsi ce que j’éprouvais au plus profond de moi. Je n’ai jamais dit que j’étais en souffrance. Je n’ai jamais dit non plus que j’étais heureuse. Je parlais de Jésus ou de Marie. Quitte à écrire moi-même de grandes « homélies » !
Et quand j’avais de la visite, je savais afficher le sourire qui rassure et qui fait croire qu’on est si heureux à Bethléem ! De toutes façons, ces visites de quelques heures étaient des moments d’oxygène, pour le coup. Mais je n’ai jamais rien dit à personne ni de ma famille ni de mes amis, sur ce que j’éprouvais. Je pensais que c’était « mon combat et mon péché » et que ça ne regardait personne. Règle de Vie, Livre III, 53 – les relation des moniales avec leurs parents et leurs amis, n° 610. : « Ce sont aussi son amour, sa bonté et sa joie divine qui aideront le plus sa famille dans le sacrifice qui lui est demandé. »
Il y a juste eu un jour, où une de mes amies est venue me présenter son mari. Lors de sa visite, à un moment, elle sort son téléphone portable et dit à son mari devant moi : « Quand on rentrera à la maison, il va falloir que j’en trouve un autre avec tous les points que j’ai accumulé ». Je lui ai alors dit : « Si tu en as un autre, tu ne voudrais pas me laisser celui-là et me faire parvenir une carte SIM par tels amis qui doivent venir ? » Ils m’ont regardée tous les deux, avec des yeux gros comme des soucoupes. J’ai eu tellement peur de les troubler que je me suis ravisée : « Non, ne t’inquiète pas. Oublie ce que je viens de dire et ne le répète à personne. N’en parle pas à mes sœurs ici. S’il vous plaît, gardez-le pour vous. Je crois que je suis fortement tentée de m’en aller. C’est un gros combat, une très forte tentation. Alors priez pour moi. C’est tout ! Ne parlons plus jamais de ce moment d’égarement que je viens d’avoir. »
3. La formation intellectuelle
« Une moniale de Bethléem, n’est pas censée être une femme savante ». Voilà les propos que l’on entendait encore en 2013 dans les homélies de sœur Isabelle.
A part quelques sœurs privilégiées pour des raisons cachées dans le culte du secret, puisque poser de questions est toujours malvenu, il n’y a aucune formation intellectuelle solide et sérieuse à Bethléem. Aucun accès à la bibliothèque non plus.
La seule nourriture que l’on a ce sont les « homélies » des prieures locales, ou de la prieure générale, la Bible, qu’on lit en solitude la plupart du temps à ras les pâquerettes, un cours d’anthropologie qui s’arrête en plein milieu, on repart sur du grec quelques mois, histoire d’aider une sœur « en crise » à se stabiliser dans le monastère pour qu’elle nous transmette son savoir. On passe à l’hébreu. Et puis on revient à la Règle de Vie de plus de 800 pages à étudier, méditer, rabâcher, calligraphier. A part ça, rien. Rien du tout. Règle de vie, Livre IV, 56 – Le Postulat, n° 651. : « La jeune moniale consacre une année entière à lire et à méditer le texte de la Règle de vie, à en nourrir sa prière, et à se laisser transformer en son cœur et en sa vie par la force structuratrice de la Lumière d’Amour dont ces paroles décryptent le Mystère »
C’est peut-être ici la réalité de Bethléem en son propos : la formation intellectuelle est un réel désert. Et cela est grave car il n’y a plus rien qui soutienne une vie contemplative sans risque d’illusions. Par exemple, toute la spiritualité carmélitaine est proscrite, on ne parle jamais de St Benoît. Je n’ai jamais étudié Saint Thomas d’Aquin, jamais eu de cours de patristique, de philosophie, de dogmatique, de théologie…
Pour certaines sœurs, cela pouvait convenir. Pour moi qui ai toujours été animée de curiosité intellectuelle, il en allait tout autrement. Un jour de désert, n’en pouvant plus de ce vide de lecture, je me suis enfermée dans les toilettes pour lire un annuaire téléphonique. C’est tragi-comique quand j’y repense. C’est surtout particulièrement grave, notamment pour des jeunes de 18 – 20 ans, qui ont précisément besoin à cet âge-là d’être formés à tous les niveaux de leur personne pour développer un esprit critique et libre.
Je manquais tellement de lectures que, lors de ma dernière année à Bethléem et comme je mûrissais mon départ, j’ai résolument décidé de désobéir à la Règle pour obéir résolument à Benoît XVI qui lançait l’année de la foi et qui encourageait l’Église à relire le Catéchisme de l’Église Catholique ainsi que les textes du Concile Vatican II. (Heureusement, le Catéchisme de l’Église Catholique avait été mon livre de chevet durant mes premières années de conversion et je l’avais lu de fond en comble avant d’entrer à Bethléem. Sinon, je serais repartie de Bethléem en ignorant même jusqu’à l’existence de ce document magistériel.)
Un soir, j’ai piqué les clefs de la bibliothèque. J’ai été y chercher le Concile Vatican II. Et là, pendant cette dernière année, j’ai commencé à tout lire : des Constitutions dogmatiques jusqu’aux messages de clôture du Concile, par Paul VI. C’est notamment la lecture de Gaudium et spes qui m’a permis une prise de conscience supplémentaire : toutes ces années enfermées entre 4 murs en des heures d’oraisons qui étaient surtout des heures d’illusions et de repli sur mon nombril. Alors que l’intuition de Jean XXIII était si juste : aimer le monde, s’ouvrir au monde, dialoguer avec le monde.
Je dirais que la seule formation reçue chaque semaine se résume à faire « vitrine » : apprendre à bien se tenir à la liturgie, apprendre à faire de belles métanies devant les icônes de l’église, apprendre à psalmodier, apprendre à s’asseoir dans les stalles, apprendre à tousser, se moucher et pleurer sans faire de bruit…
4. La confession sacramentelle et la confession par écrit à la Vierge
On se confesse tous les jours, par écrit, à la Vierge dans un cahier portant le même nom « cahier de confessions à la Vierge ». Ce cahier a porté différents noms dans l’histoire de Bethléem, mais le principe reste le même. Comme les autres, je devais m’atteler à cette pratique hebdomadaire sans réaliser que non seulement elle n’a strictement rien de sacramentel, mais qu’elle repose sur une théologie plus que douteuse et qui vise à nier et à se substituer au sacerdoce du prêtre.
Pour ce qui est de la confession en tant que telle, ce sacrement est apporté par un confesseur choisi selon les critères de la prieure générale. Si bien que l’approche avec le prêtre qui confesse pourra être différente d’un monastère à un autre. De toutes façons, comme le dit la Règle de Vie, la direction spirituelle ne fait pas partie du sacrement de la réconciliation. Mais aussi, le sacrement en tant que tel est très réglementé : C’est d’abord à la Prieure qu’il faut s’ouvrir, via ce cahier de confession. Et, de fait, il ne peut pas durer plus d’une minute. Dans le monastère où j’étais, il y avait un contrôle régulier de ce temps à ne pas dépasser. Et s’il s’avérait qu’une sœur avait pris cinq ou dix minutes pour se confesser, elle était reprise le samedi suivant, lors du chapitre et des coulpes, devant toute la communauté. Non seulement parce que les prêtres étaient âgés et il ne fallait donc pas les fatiguer mais les ménager – ce qui peut se comprendre – mais aussi et surtout, parce que nous entendions de nouveau que c’était auprès de la prieure, seule, qu’il faut s’ouvrir s’il y a une difficulté. Le prêtre n’est pas là pour ça.
Par la suite, j’ai compris que l’article 630 du Droit Canon n’était pas respecté à Bethléem. On peut y lire notamment que « les membres iront avec confiance à leurs supérieurs auxquels ils pourront s’ouvrir librement et spontanément. Cependant il est interdit aux supérieurs de les induire de quelque manière que ce soit à leur faire l’ouverture de leur conscience ». Or, la discipline à Bethléem est autre : par ce cahier de confessions à la Vierge c’est à la prieure qu’on doit s’ouvrir ; ainsi la confession sacramentelle frôle une sorte de formalité puisqu’elle ne doit pas dépasser la petite minute réglementaire !
Un jour, alors que j’avais très clairement en tête que je ne devais pas du tout parler de mon « psychisme » donc de mes doutes, je voulais tout de même poser une question express à un prêtre, ami de la communauté, sur ce qui m’interpellait… Mais sans me dévoiler sur le fond. Alors, je me suis aventurée.
Je lui demande : « Père, est-ce vrai que tout le monde peut être appelé à cette vie ? » Il me répondit alors aussitôt : « absolument pas ! À vocation particulière, appel particulier ».
En fin de journée, je suis allée trouver ma prieure, en lui demandant comment concilier cette phrase qui me soulageait et me semblait si juste avec les propos qu’on entend sans arrêt à Bethléem : « Tout le monde est appelé à cette vocation… Pour y répondre, il faut mettre son « moi » dehors ». Elle me reprit grandement, en me disant que l’obéissance à la Règle et le silence sur nous étaient notre garde. La preuve ? je m’en trouvais confuse ! Oui, notre vocation serait toujours attaquée, même par des amis, même par des prêtres. Voilà pourquoi nous ne devions jamais nous ouvrir à quelqu’un de l’extérieur ! Je suis retournée dans ma cellule, encore une fois très perturbée. Je croyais que ce prêtre avait cherché à me déstabiliser dans ma « vocation ». Il émettait de sérieuses réserves lorsque je venais me confesser à lui, « Réfléchissez bien avant de faire profession, après ça vous sera plus dur pour vous en aller » et prenait la liberté bien souvent de venir à moi, en me rejoignant avec patience et douceur là où j’en étais. Car il n’était pas dupe de mon enfermement ni du recrutement fait par Bethléem.
Mais j’ai pourtant cru qu’il cherchait à me déstabiliser. Si bien que pendant neuf mois, je ne suis plus retournée me confesser !
Il est à noter également que les homélies des prêtres qui viennent célébrer la messe, ne sont pas les bienvenues. Donc, on n’en a jamais : bien sûr, jamais en semaine, mais pas non plus les dimanches ni les jours de solennités… Ceci est contraire à ce que demande l’Église : Concile Vatican II - Constitution sur la Sainte Liturgie (de Sacra Liturgia), n° 52 : « L’homélie par laquelle, en suivant le développement de l’année liturgique, on explique à partir du texte sacré, les mystères de la foi et les normes de la vie chrétienne, est fortement recommandée comme faisant partie de la liturgie elle-même ; bien plus, aux messes célébrées avec concours du peuple, les dimanches et jour de fête de précepte, on ne l’omettra que pour un motif grave. »
A moins, bien sûr qu’un évêque ou un cardinal ne célèbre lui-même la messe, on ne se permettra pas de lui dire de se taire. (De toute façon, auprès d’eux, le "tapis rouge" est toujours largement, amplement déployé dès qu’ils arrivent dans un monastère. Tout est briqué à l’avance et rien n’est laissé au hasard.)
Mais aux prêtres, on leur demandera sans scrupule et aisément de ne pas dire d’homélie, sous prétexte de « la sobriété et de la simplicité de St Bruno ». Règle de Vie, Livre III, 32 - La célébration de la liturgie au chœur et en cellule, n° 494 : « Au désert, la célébration de la Sainte Eucharistie est emprunte d’un caractère de simplicité et de sobriété. »
5. Les soins
Quand on a la chance de pouvoir aller chez le médecin pour se faire soigner, on est toujours accompagné d’une sœur. Jusque dans le bureau du médecin. Règle de Vie, Livre III, 46 – L’ascèse corporelle, le jeûne, la veille et la maladie, n° 579. : « Dociles à ceux que Jésus et son Église mandatent auprès d’eux, les moniales malades sont reconnaissantes lorsque leur prieure juge bon qu’une moniale les accompagne lors des consultations médicales. De retour au monastère, elles rendent compte de cette visite à la prieure. Elles n’entreprennent pas le traitement prescrit sans son accord. »
Cela dit, les prises en charge immédiates peuvent traîner : durant ma dernière année au monastère, j’ai dû me faire opérer sous anesthésie générale. Il s’avérait qu’on ne pouvait m’opérer sans me faire de transfusion, car j’étais totalement anémiée. Cela faisait en effet quatre ans que je n’étais plus suivie. Quatre ans plus tard, les symptômes de la fatigue s’étaient fait ressentir. J’avais demandé à ma prieure de pouvoir avoir une prise de sang. J’ai dû attendre six mois avant qu’on la fasse. Et de fait, les résultats étaient mauvais : j’étais tombée à 6 d’hémoglobine (ce qui est très bas, la normale étant d’être à 12).
Règle de Vie, Livre III, 46 – L’ascèse corporelle, le jeûne, la veille et la maladie, n° 579. : « Puisque leur corps ne leur appartient plus, les moniales informent toujours et sans tarder leur prieur de tout symptôme corporel insolite. Elles le font avec autant de clarté que de sobriété et de mesure. Elles sont attentives à ne pas laisser leur imagination amplifier les symptômes de leur maladie ou déformer la réalité. Elles gardent le silence et la discrétion sur elles-mêmes, aussi bien pendant qu’après la maladie (…) selon l’esprit du désert, les moines ne parlent pas de leur santé avec leurs parents. »
De fait, mon père qui venait me voir le lendemain de mon retour de l’hôpital, date vue entre ma prieure et lui qui ne savait rien de mon hospitalisation, est reparti de ses quelques jours au monastère sans avoir jamais su que je venais de me faire opérer. Moi-même je ne devais en effet en parler à personne pour « n’inquiéter personne ».
VI. La casse humaine ou vocationnelle
Comme je l’ai dit plus haut, à Bethléem, on ne fait pas vœu de stabilité dans un même monastère, mais dans toute la famille monastique. Si bien qu’une sœur en crise, selon l’humeur de la Prieure Générale, pourra être envoyée à Beth Gemal pour mieux la garder, ou dans un monastère « placard », là où personne ne va jamais : en Pologne ou en Lituanie, par exemple.
Quatre ans après ma prise d’habit, alors que j’étais encore « novice », j’ai été amenée à accompagner une ancienne jeune sœur qui était « en crise ». Je ne peux malheureusement dire de qui il s’agit dans la mesure où les enjeux familiaux sont trop importants. C’est d’autant plus regrettable qu’à elle seule, elle incarne le système de gouvernance interne et d’absence complète de discernement de Bethléem.
Cette jeune fille et moi avions pris l’habit en même temps. Nous nous connaissions déjà un peu du fait de mes 3 mois évangéliques. Lorsqu’elle a pris l’habit, elle avait aussi une vingtaine d’années. Je me souviens de ce jour où quelqu’un m’a dit : « Oh ! Mais c’est magnifique : c’est une autre Sainte Thérèse : de toute la fratrie, c’est elle qui a eu l’appel en premier, dès son plus jeune âge. » Moi, je me disais : « Mais les “Sainte Thérèse” ne courent pas les rues, voyons ! »
Après notre prise d’habit, nous sommes retournées, chacune, dans nos monastères respectifs. Quatre ans plus tard, ma prieure me fait venir dans son parloir. Elle m’annonce que sœur Isabelle me confie une grande et importante mission, celle d’être « l’ange » de cette jeune femme. Elle me parle d’elle en me donnant son nom de baptême et non plus son nom de sœur… Premier choc en entendant ma prieure : « Mais elle n’est plus sœur « une telle » ? Elle n’est plus dans son monastère ? » Ma prieure me le confirme par la négative et m’explique succinctement que cette jeune fille doit passer par la France pour quelques raisons administratives avant de repartir en Israël.
Ces quelques propos échangés rapidement sans plus de précisions, deuxième choc : je me vois donc dans l’obligation de suivre ma prieure en direction de l’accueil pour rencontrer cette ex petie soeur. A Bethléem, certes, on est toujours informées à la dernière minute des changements mais je n’imaginais pas que je me retrouvais devant « le fait accompli ». J’aurais franchement aimé qu’on m’en informe avant afin de pouvoir organiser mon temps de travail pour le monastère, mais aussi qu’on me demande mon accord en m’expliquant un peu plus la situation afin d’être brieffée sur cette « mission si importante » et sur mon rôle « d’ange ». Car le fait d’être « ange » veut dire tout et n’importe quoi. Une fois de plus, le flou est de mise : de prime abord, il peut s’agir de veiller sur une plus jeune, dans le concret de tous les jours. Mais cela peut aussi signifier veiller sur son chemin spirituel. Or, je n’avais reçu aucune formation pour exercer une telle responsabilité, c’est-à-dire être en mesure de m’occuper de quelqu’un humainement, psychologiquement et spirituellement.
J’ai donc dû me contenter de ces paroles abstraites. Jusqu’à ce que quelques secondes plus tard, le temps d’aller vers l’accueil avec ma prieure, je me retrouve devant cet ex soeur.
Là, 3em choc : je ne la reconnaissais plus ! Elle qui, à l’époque était pleine de joie, sourire aux lèvres, toute fine, était devenue, 4 ans plus tard, une jeune femme triste, silencieuse ou plutôt repliée sur elle-même, avec beaucoup de confusion et une certaine honte. Elle avait aussi pris énormément de poids.
En la voyant dans cet horrible état, je me suis demandée quelle avait pu être la cause d’un tel massacre. Compte tenu de mes propres tortures intérieures, je ne voulais pas plaquer sur elle les doutes qui me tiraillaient. Quelle attitude avoir sinon celle de l’aider comme si elle avait été ma propre sœur et avec cette parole de Jésus dans mon cœur « Faites aux autres tout ce que vous voudriez qu’ils vous fassent » ?
La situation étant très complexe entre cette jeune fille et ma prieure, elles ne se sont rencontrées que deux fois : ce jour là, avec moi, au moment de son arrivée, et un mois plus tard, lorsqu’elle est repartie pour Beth Gemal, à peine quelques minutes.
J’ai donc compris qu’il me revenait la charge de m’occuper d’elle, comme un "ange" lors des mois évangélique. Mais ce que je voulais c’était déjà la mettre en confiance vis-à-vis d’elle-même. Car elle n’en avait plus.
Très vite, une belle complicité, toute simple, s’est réinstallée entre nous. Et au bout de quelques jours, elle a commencé à s’ouvrir à moi, en m’expliquant ce qu’elle avait compris de son parcours chaotique : sa famille était des proches de la communauté, elle avait toujours connu Bethléem, comme façonnée par Bethléem dès le « ventre de sa mère ». Lorsque sœur Marie est morte, elle était encore bien jeune. Mais elle a alors vu tout « l’amour des moniales pour sœur Marie ». Elle avait vu cet « amour », avec les yeux d’une jeune adolescente et s’était « projetée » dans la personne de sœur Marie, voulant lui ressembler plus tard, fascinée par ce défilé de sœurs, toutes plus jolies les unes que les autres dans leur habit tout blanc, au moment de l’ « enciellement » de la fondatrice. Bref, depuis qu’elle était sortie de la vie monastique, elle avait pris conscience que son appel ne reposait que sur l’attrait de l’habit et sur le fait de ressembler à sœur Marie, objet d’un amour et d’attentions remarquables de la part de toutes les sœurs.
Cependant, quand elle a pris l’habit et est arrivée dans son monastère… un jour, elle ne s’est plus levée. Elle n’a rien vu venir. Du jour au lendemain, elle a commencé une réelle dépression qui lui valut de sombrer dans des crises d’anorexie et des crises de boulimie. Avec des envies suicidaires et une tentative de suicide.
Bien sûr, les parents étaient extrêmement en colère. De son côté, elle-même était en colère envers ses parents d’être si en colère… Car pour elle, sœur Isabelle était merveilleuse. Plus encore, Bethléem était toute sa vie et elle n’avait qu’un seul souhait : rentrer de nouveau à Bethléem. Mais elle était encore très attachée à l’habit. Elle en avait conscience et luttait contre, de toutes ses forces aussi. En l’entendant, je me demandais : « Mais comment est-il possible qu’aucune prieure n’ait entendu que son appel reposait sur « l’habit » durant toutes ces années ? Elle, si connue de toutes ! Faut-il que l’orgueil de Bethléem soit si énorme qu’il les aveugle et les rende sourdes ? »
Providentiellement, j’étais tombée quelques semaines plus tôt sur les Exercices de Saint Ignace, et j’avais lu « principe et fondement » que je ne connaissais pas mais qui m’avait éclairée pour moi-même.
Aussi, un jour, je me suis aventurée à lui dire : « Si j’étais toi, comme tu es encore jeune et que tu n’as rien connu d’autre que Bethléem, que tu as grandi au lait Bethléem, que tu connais tout le monde à Bethléem, et que tout le monde te connaît, eh bien, je partirais au moins quatre ans dans un endroit de la planète où Bethléem est inexistant et inconnu. Pars, va voir ailleurs, ouvre-toi au monde. Pose-toi la question du mariage. Fais autre chose, mais coupe complètement avec Bethléem. Car donner sa vie à Dieu peut se faire de multiples façons. La vie consacrée est un moyen. Tout comme Bethléem est un moyen. ça n’est pas sur l’attraction de l’habit que tu dois t’engager dans cette voie. Sinon ça n’ira pas bien loin. C’est au Christ, à l’Eglise et pour le monde qu’on s’engage. Mais tu as fait de Bethléem et de l’habit ta finalité depuis plus de 10 ans. Or, la finalité, c’est Dieu Seul et non pas Bethléem, ni la Prieure Générale, ni sœur Marie ou aujourd’hui sœur Isabelle, ni aucune prieure, ni aucune sœur. Fais autre chose, ouvre-toi à d’autres choses qu’à cet unique univers dans lequel tu t’es construite avec un rêve de petite fille… C’est là-dessus que tu as construit ta personnalité. Mais il n’est pas trop tard ! C’est d’ailleurs le seul moyen pour que tu puisses revenir vers Bethléem, de manière réellement libre dans quelque temps. Pour le moment, tu en es incapable : tout te ramène à Bethléem. Il te faut couper de manière nette et courageuse. Mais le Seigneur ne t’abandonnera pas. C’est là un acte de foi. »ais le Seigneur ne t’abandonnera pas. C’est là un acte de foi. »
Elle a entendu mes paroles. Pourtant son attrait pour l’habit et son désir de rentrer de nouveau à Bethléem étaient si forts que ça n’a rien changé. Le matin de son départ, tandis que je la ramenais à la gare, elle me dit : « je viens d’avoir sœur Isabelle au téléphone et elle m’a dit que si j’étais suffisamment libre par rapport à l’habit, elle me le redonnerait en septembre ». Nous étions au mois d’avril… Je l’ai déposée à la gare. Je suis rentrée au monastère, j’ai reçu la bénédiction de ma prieure, puis j’ai filé dans l’oratoire de ma cellule et j’ai pleuré en promettant à Dieu que si sœur Isabelle lui redonnait l’habit cinq mois plus tard comme elle le lui avait dit, alors je quitterais cette communauté, car je ne pourrais pas cautionner en conscience une telle aberration : comment sœur Isabelle pouvait-elle l’aider en lui faisant miroiter « si tu es suffisamment libre par rapport à l’habit je te redonne l’habit dans quelques mois, en septembre » ! ?
En septembre de cette même année, cette jeune femme n’a pas repris l’habit. Mais elle l’a repris un an plus tard. Elle m’a envoyé une lettre pour m’annoncer ce qu’elle considérait être « une bonne nouvelle ». J’ai lu sa lettre avec émotion : visiblement tout était rentré dans l’ordre : sœur Isabelle avait réussi à remettre en confiance toute la famille. La prise d’habit avait eu lieu dans la plus stricte intimité. Mais à la lecture de sa lettre, je n’ai fait que me demander : « mais où est passée sa personnalité ? Là, je ne l’entends plus… j’entends juste des propos de sœur Isabelle qui sont rabâchés, retranscrits… Mais elle, où est-elle passée ? »
En ce qui me concerne, j’ai fait des premiers vœux 7 ans après mon arrivée à Bethléem. Je voulais respecter le temps demandé par les Constitutions, qui, sur le papier reprennent bien le Code de Droit Canon. Pour moi, c’était : « ou tu t’engages, ou tu dégages ».
N’ayant pas été dans d’autres communautés, je pensais que le flou artistique dans lequel je baignais à Bethléem depuis sept ans était normal. J’ai exprimé mon envie toujours vive de donner ma vie à Dieu et de m’engager vers la profession. J’ai aussi exprimé mes terribles angoisses.
La prieure générale m’a alors proposé de faire une retraite ignacienne de 30 jours. Cette proposition m’a mise dans une confiance inouïe car je me suis enfin pleinement sentie respectée dans ma liberté. Je suis partie faire cette retraite, l’habit sur le dos.
Ce me furent 30 jours de repos et de grande paix. Pendant ces 30 jours, je retrouvais peu à peu un axe en moi et la volonté de me donner à Dieu sans plus aucun trouble. D’autant que j’avais un accompagnement d’une profonde solidité. Là, je n’étais plus dans l’illusion de l’oraison. 2 entretiens par jour avec des méditations objectives où je rendais compte des « fruits goûtés » pendant ces temps de méditation. Ma vie pendant ce mois, était résolument « au carré ». Et c’est là que j’aurais voulu rester. J’y ai été si heureuse ! Mais il s’agissait d’une retraite non pas d’un lieu de consécration.
Et j’étais prise « en » Bethléem. Je n’arrivais pas à exprimer cette angoisse auprès de mon accompagnateur. J’étais tellement sûre que c’était psychique ou que ce ne serait pas charitable si je lui exprimais mes doutes sur le discernement de Bethléem. D’autant qu’enfin, après toutes les erreurs passées, sœur Isabelle m’envoyait vers une bonne adresse ! Il me dit à la fin : « écoutez, faites votre demande et vous verrez bien ce qu’on vous répondra ! ». Je n’ai pas osé lui dire : « mais je sais déjà ce qu’on va me répondre ! C’est pour ça que je suis là. »
Après ma sortie, je suis retournée vers ce lieu où, enfin, j’avais trouvé la paix dans mon cœur. J’ai pu longuement parlé avec le prêtre responsable de ce centre. J’avais besoin de comprendre ce qui m’était arrivé. Je culpabilisais encore d’avoir renié mon engagement. Mais il m’a apaisée, me faisant comprendre que vivre une retraite ignacienne alors que cela faisait déjà plus de 6 ans que j’étais à Bethléem n’avait eu aucun sens et qu’il n’aurait jamais dû lui-même accepter que je fasse cette retraite !
Il n’empêche, toujours dedans, et après être revenue de ces 30 jours des exercices de St Ignace, je me sentais un peu dans l’obligation de demander à faire profession. De son côté, sœur Isabelle se rappelait à moi, en m’envoyant un fax : « Donne-moi de tes nouvelles ».
J’ai donc demandé à faire cette profession la boule encore au ventre, car je savais que cela était un engagement important mais je ne discernais plus si je donnais ma vie à Dieu ou à Bethléem. Comme à son habitude pour ce genre de demande, la prieure générale ne se laisse pas longtemps désirer pour répondre illico : « Ma sœur xxx que j’aime plus que tout au monde, c’est avec grande et immense joie que la Vierge est d’accord pour t’accepter à faire profession. »
Mais voilà que l’angoisse m’a reprise de plus belle. Alors, j’ai demandé à ce que la date soit annulée ou déplacée : je ne me sentais pas prête. Ma prieure m’a fortement réprimandée, en me disant que je manquais de détermination et de volonté.
Et le lendemain, elle m’a apporté une prière de délivrance que sœur Marie, la co-fondatrice de Bethléem avec la Vierge Marie, avait écrite.
Dans l’obéissance, je me devais de la dire plusieurs fois par jour et par nuit, avec de grands signes de croix et de l’eau bénite, pour implorer la protection de Dieu contre les attaques démoniaques dont j’étais l’objet.
De fait, l’insistance permanente sur l’existence du démon, quand on vit en solitude entre quatre murs avec personne à qui parler, est tout simplement un enfer ! J’ai retrouvé les nuits blanches quotidiennement pendant les mois qui ont précédé le jour des vœux.
Je l’avais écrit à ma prieure : « Ma sœur Y, je n’ai pas fait d’études de démonologie, mais la seule pensée d’avoir des attaques démoniaques est un supplice. Ce n’est plus vers Dieu que mon cœur se tourne, mais vers mon nombril, m’introspectant tout au long du jour pour savoir d’où “il” va jaillir et j’ai peur ! S’il te plaît, parle-moi d’autre chose, mais pas du démon. »
C’est donc dans la plus grande crainte d’être damnée que j’ai été amenée à faire profession. Code de Droit Canon - Can. 656 – Pour la validité de la profession temporaire, il est requis : 4 (que la demande) soit expresse et émise en dehors de toute violence, crainte grave ou dol.
VII. Vers ma sortie : le mensonge, l’instrumentalisation et les abus du Saint Sacrement
1. La prise de conscience du mensonge de la prieure générale
Ces lignes ne seront jamais lues par les premières concernées : les sœurs qui sont encore à l’intérieur. Mais on ne sait jamais : un parent, un ami ont le droit de venir au monastère avec leur 3 ou 4G, une tablette… Bien sûr, la sœur n’a pas le droit de s’en servir. Mais on peut toujours lui faire un peu de lecture ! C’est du moins ce qu’un parent avait fait pour moi, avec beaucoup d’audace, en me lisant un article du journal La Vie de Laurent Grzybowski « des gourous dans les couvents » pendant que j’étais encore à Bethléem.
Sur le moment, je n’avais certes pas tout compris de ce que dénonçait cet article : "j’étais TROP dedans" et mon cerveau, lavé, avait déjà commencé à ne plus raisonner que par « les pensées de la Vierge ». Tout cela restait bien nébuleux… je ne voyais pas le mal… même si je n’ai pas eu droit à des révélations privées, je connaissais pourtant ce langage et j’avais fini par m’y habituer. J’avais cependant retenu que sœur Isabelle s’était excusée de son erreur jusqu’à Rome, « jurant devant Dieu » que le procédé de traduire et donner des messages de révélations privées à une sœur n’était pas un procédé habituel.
Providentiellement là encore, quelques semaines plus tard, une de mes sœurs m’avait partagé ses propres messages personnels (sans me dire qu’il s’agissait de la fameuse "Vierge Saroueh". Elle me dit juste : « n’en parle jamais, ces messages destinés à nous faire tant de bien ont fait trop de mal à Bethléem et à sœur Isabelle… » ) Alors j’ai compris qu’il y avait un lien direct avec l’article que ce parent m’avait lu quelques semaines plus tôt.
Je tombais à la renverse de découvrir que la prieure générale de Bethléem, sœur Isabelle, tout en proclamant un grand « mea culpa » à Rome comme à la face du monde par le moyen de la presse, n’avait pourtant eu aucune crainte de mentir et de feindre que ce procédé était inhabituel alors qu’il c’était produit un nombre de fois beaucoup plus importants (vu la quantité de messages que cette sœur avait reçu) et auprès de différentes sœurs.
2. Le Saint Sacrement
C’est par une grâce toute providentielle que j’ai commencé à envisager de m’en aller. C’était quinze jours après avoir fait la profession que je venais de vivre. J’étais tellement attachée à l’Église que je n’aurais jamais pu partir si cela n’était pas venu de « plus haut ». Or, un Pasteur de l’Église venait de mettre son discernement sur un autre aspect de la vie à l’intérieur de Bethléem, de manière très claire. Grâce à lui, j’ai compris que je n’étais pas dans l’erreur à propos de la question du Saint Sacrement.
Le Saint Sacrement est accordé par la prieure générale à tout le monde, de manière quasi « industrielle », sans discernement, là aussi.
Dans les Normes Canoniques, Livre III - La divinisation de la vie de chaque moine n° 502 : « seule une moniale professe ou donnée peut garder le Saint Sacrement dans l’oratoire de sa cellule. » L’Église accorde aux moniales qui en reçoivent l’appel, discerné dans l’obéissance, le privilège d’adorer la Présence eucharistique du Seigneur dans l’oratoire de leur ermitage. Cet appel à adorer l’Eucharistie en cellule demande à être continuellement discerné. » Ou encore, dans la Règle de Vie, Livre III - L’adoration eucharistique dans l’oratoire de l’ermitage, n° 511 : « Pour leur permettre de répondre à leur vocation de demeurer stables en cellule afin d’y monter une garde sainte et persévérante selon la sagesse de Saint Bruno, l’Église accorde aux moniales consacrées qui en reçoivent l’appel discerné dans l’obéissance, le privilège d’adorer la Présence Eucharistique dans le lieu même de cette Garde Sainte, l’oratoire de leur ermitage (…) Cet appel à adorer l’Eucharistie en cellule demande à être continuellement discerné. »
Déclaration « sur le papier » des Constitutions, mais non appliquée dans les faits de la vie quotidienne.
En arrivant à Bethléem, me rendant compte que chacune avait le Saint Sacrement dans sa cellule, j’ai moi-même voulu L’avoir pour être semblable à mes sœurs, mais aussi pour me rassurer qu’un sain (ou saint ?) discernement existait quant à une telle demande. Ma Prieure m’a dit que seule, sœur Isabelle, était la gardienne du Saint Sacrement pour Bethléem. Il me fallait donc en faire la demande auprès d’elle par écrit. Ce que je fis.
Son acceptation immédiate quant à une telle demande m’a alors profondément troublée : quelle facilité ! Où était le discernement alors qu’elle ne me connaissait pas ? Comment pouvait-elle juger de la maturité ou de l’irresponsabilité de mon cœur ? Et puis dans le monastère où j’étais nous vivions en caravane. Des caravanes dignement aménagées, mais qui n’empêche pas le réel incarné : 6m² sont aussi vite rangés qu’en désordre, avec un seau hygiénique à moins d’un mètre du tabernacle !
Alors au bout de quelques jours, après examen de conscience dans la solitude de ma cellule, la fin ne justifiant pas les moyens, j’ai demandé le retrait du Saint Sacrement auprès de ma Prieure. Cette demande m’a été refusée et ce, pendant 7 ans : « C’est notre charisme. Nous l’avons reçu directement de l’Église. Donne tes pensées à la Vierge, tu es dans l’erreur ; nous sommes trop petits pour vivre sans le Seigneur en solitude. Il faut que tu Le gardes ! »
A ce sujet, le pire fut pour moi la retraite de cinq jours d’action de grâce de la profession : il s’agit d’une adoration perpétuelle devant le Saint Sacrement. Ainsi, on dort dans son petit oratoire, tabernacle ouvert. On consomme Tagliatelle et Tiramisu, dans son oratoire, tabernacle ouvert ! Tous les repas y passent. Et pour permettre à la jeune « mariée » de ne pas quitter son Époux pendant ces cinq jours, une autre petite sœur lui apporte, jusque dans son oratoire, un beau petit plateau enluciolé et fleuri, décorant ses repas quotidiens.
Ces 5 jours de retraite d’actions de grâce me furent un véritable martyre pour ma conscience : soit je fermais le tabernacle et prenais mes repas à part, mais dans ces cas-là j’étais dans la désobéissance par rapport au « mandat » de Bethléem sur moi. Soit, je prenais mes repas, comme si je jouais à la dînette, devant le Seigneur. Mais c’était ma conscience théologale qui en était grandement perturbée. Et je me demandais : « est-il possible que Benoît XVI soit au courant de cette pratique ? Est-il possible que réellement, il soit d’accord avec ça ? Seigneur, j’ai tellement l’impression de te manquer de respect. Jamais, quand j’étais dans le monde, il ne me serait arrivée de rentrer dans une église en avalant un pic-nique déjeuner, sous prétexte d’être encore plus proche de Toi ».
VIII. Analyse objective des dysfonctionnements de la Famille Monastique de Bethléem, basée sur le Code de Droit Canon (CDC)
Pour résumer et mettre en perspective la réalité de la vie à Bethléem avec ce que demande l’Église, je conseille à toute personne désireuse de mieux comprendre les problèmes objectifs que posent Bethléem, de se référer directement au Code de Droit Canon (CDC), Livre II (le peuple de Dieu), Troisième partie (les Instituts de Vie consacrée et les sociétés de Vie Apostolique), Titre II (les instituts religieux).
Je reprendrai ici quelques points principaux :
Can. 589 – Un institut de vie consacrée est dit de droit pontifical, s’il a été érigé par le Siège Apostolique ou approuvé par décret formel de celui-ci ; il est dit de droit diocésain si, érigé par l’Évêque diocésain, il n’a pas reçu le décret d’approbation du Siège Apostolique. Can. 605 – L’approbation de nouvelles formes de vie consacrée est réservée uniquement au Siège Apostolique. Cependant, les Évêques s’efforceront de discerner les nouveaux dons de vie consacrée confiés par l’Esprit Saint à l’Église ; ils en aideront les promoteurs à exprimer le mieux possible leurs projets et à les protéger par des statuts appropriés, en recourant surtout aux règles générales contenues dans cette partie.
1. Concernant le « gouvernement de l’Institut »
Can. 618 – Les Supérieurs exerceront dans un esprit de service le pouvoir qu’ils ont reçu de Dieu par le ministère de l’Église. Que, par conséquent, dociles à la volonté de Dieu dans l’exercice de leur charge, ils gouvernent leurs sujets comme des enfants de Dieu et, pour promouvoir leur obéissance volontaire dans le respect de la personne humaine, ils les écoutent volontiers et favorisent ainsi leur coopération au bien de l’institut et de l’Église, restant sauve cependant leur autorité de décider et d’ordonner ce qu’il y a à faire. Can. 619 – Les Supérieurs s’adonneront soigneusement à leur office et en union avec les membres qui leur sont confiés, ils chercheront à édifier une communauté fraternelle dans le Christ, en laquelle Dieu soit cherché et aimé avant tout.
Je n’ai pas vécu à Beth Gemal, là où se trouve l’actuelle prieure générale de Bethléem. Mais pour les fois où elle est passée dans le monastère où j’étais et pendant les mois évangéliques que j’ai vécu aux Voirons, j’ai pu constater toujours les mêmes choses : où qu’elle se trouve, on ne sonne pas la cloche le matin, afin de la laisser se reposer. Elle n’assiste jamais aux offices au chœur. A moins qu’un évêque ou un cardinal ne soit présent, bien sûr. Jamais non plus à la messe. A moins qu’un évêque ou qu’un cardinal ne soit présent. Sinon, en « coup de vent », le temps de communier, donner la communion, et repartir aussitôt. Mais aussi, son régime alimentaire est autre que celui de la communauté. Des laïcs viennent nous apporter pour notre nourriture les invendus des supermarchés avoisinants. Les fruits et les légumes ne sont pas frais, voire pourris. Bien sûr, un tri est fait avant la préparation des repas pour les sœurs. Seul le repas préparé pour la sœur prieure générale doit être impeccable et frais. Cela se justifie par ses importants problèmes de santé dont on nous parle. Mais aussi, parce qu’elle est l’icône de la Vierge Marie sur terre et qu’on veut donc lui prouver notre amour en lui offrant le meilleur.
Can. 624 – § 1. Les Supérieurs seront constitués pour un laps de temps déterminé et convenable d’après la nature et les besoins de l’institut, à moins que, pour le Modérateur suprême et pour les Supérieurs de maisons autonomes, les constitutions n’en disposent autrement.
A Bethléem, le Priorat (qu’il soit local ou général) est généralement et insidieusement « à vie ». Se référant à cet article du Droit canon, les Constitutions de Bethléem indiquent : Norme canonique de Bethléem, Livre V, n° 807 : « Il n’y a pas de limite au nombre de mandats prioraux successifs car la vie au désert requiert, autant qu’il est possible, une réelle durée dans le service de l’autorité. Une prieure acquiert au fil des ans une meilleure connaissance de son rôle ».
Can. 630 – § 1. Les Supérieurs reconnaîtront aux membres la liberté qui leur est due pour ce qui concerne le sacrement de pénitence et la direction de conscience, restant sauve la discipline de l’institut. § 2. Les Supérieurs veilleront, selon le droit propre, à mettre à la disposition des membres des confesseurs idoines auxquels ils puissent se confesser fréquemment. § 3. Dans les monastères de moniales, dans les maisons de formation et dans les communautés laïques nombreuses, il y aura des confesseurs ordinaires approuvés par l’Ordinaire du lieu, la communauté ayant donné son avis, sans qu’il y ait pour autant obligation de s’adresser à eux. § 4. Les Supérieurs n’entendront pas leurs sujets en confession, à moins que ces derniers ne le leur demandent spontanément.
2. De la validité du noviciat et de la profession :
Can. 641 – Le droit d’admettre les candidats au noviciat appartient aux Supérieurs majeurs selon le droit propre. Can. 642 – Les Supérieurs veilleront avec soin à n’admettre que des candidats ayant, en plus de l’âge requis, la santé, le tempérament adapté et les qualités de maturité suffisantes pour assumer la vie propre de l’institut ; santé, caractère et maturité seront vérifiés en recourant même, si nécessaire, à des experts, restant sauves les dispositions du can. 220.
Une communauté, quand elle ne trompe pas et qu’elle connaît son charisme authentique, est en droit de refuser une personne en son sein, si elle la considère trop immature, trop fragile ou trop indécise pour s’engager véritablement dans la « Sequela Christi », à la suite du Christ. De même, un jeune, jusqu’à sa profession est en droit de repartir, sans même en rendre de compte à personne.
Pour ma part, en arrivant à Bethléem, je savais déjà que les délais étaient longs. Mais j’ignorais absolument que cela était contraire aux règles de prudence de l’Église.
Can. 643 – § 1. Est admis invalidement au noviciat : 4. qui entre dans l’institut sous l’influence de la violence, de la crainte grave ou du dol, ou que le Supérieur reçoit sous une semblable influence.
A Bethléem, la prise d’habit qui est l’entrée en postulat (étape avant le noviciat) correspond déjà à une « incorporation » à l’institut. Au même titre qu’une professe. Si un jeune veut partir, on lui fera éprouver qu’il ne combat pas le combat du moine et que son désir de partir est psychique. De plus, le postulat a une durée de 2 ans. Pour ma part, je suis donc restée 2 ans « école de vie » (avec le petit habit bleu appelé « mélotte » qui est un signe d’appartenance à Bethléem) et 2 ans « postulante » (lorsque j’ai pris l’habit.)
Il est aussi à noter que durant ces 4 ans où l’on m’a considérée comme un « moine en puissance » avant de prendre l’habit, puis comme un « moine » à part entière quand j’ai pris l’habit, je n’ai jamais été déclarée auprès de la sécurité sociale. Il n’y a pas eu de cotisations pour mes points retraite. Un double-langage, non ?
Can 647, § 2. Pour être valide, le noviciat doit se faire dans la maison régulièrement désignée à cette fin. Can. 648 – § 1. Pour être valide , le noviciat doit comprendre douze mois à passer dans la communauté même du noviciat…
A Bethléem, quand je suis arrivée et jusqu’à mon départ en 2013, il n’y avait pas de monastère de formation, de monastère de noviciat. Moniales « novices » et « moniales professes » dans un même monastère vivent en tout point exactement la même vie, les mêmes cours, les mêmes horaires, les mêmes charges, au même rythme, en tout point. Il n’y a donc aucune différence entre les unes et les autres, hormis l’aspect extérieur, à savoir : le foulard pour les novices et la guimpe pour les professes.
Can 649, § 2. Avec la permission du Supérieur majeur compétent, la première profession peut être anticipée, non cependant au-delà de quinze jours.
Il est arrivé occasionnellement que certaines « sœurs » fassent profession très rapidement après leur prise d’habit dans un délai de 2 ou 3 après leur prise d’habit.
Can. 650 – § 1. Le but du noviciat exige que les novices soient formés sous la direction du maître des novices selon un programme de formation à définir dans le droit propre. § 2. Le gouvernement des novices est réservé au seul maître des novices sous l’autorité des Supérieurs majeurs.
A Bethléem, comme il n’y a pas de maisons de formation, « maisons de noviciat », il n’y a pas non plus de « maîtresses des novices ».
Can. 652 – § 1. Il appartient au maître des novices et à ses collaborateurs de discerner et d’éprouver la vocation des novices, et de les former progressivement à bien mener la vie de perfection propre à l’institut.
Normalement, lorsqu’un jeune se présente, on lui demandera de prendre son temps. On lui dira de finir ses études. On le retardera… Certainement en vue d’éprouver un éventuel feu de paille.
Je suis arrivée à Bethléem après la mort de sœur Marie. En ce qui concerne la façon dont sœur Isabelle envisage une vocation, cela n’a rien à voir avec les règles de prudence traditionnelle de l’Église et de bon sens élémentaires. Il en va, en effet, tout autrement : une personne qui arrive doit rentrer aussitôt, sinon « elle perdra l’appel que Dieu a posé sur elle. »
Pour ma part, rien n’a jamais été éprouvé. Je souhaitais et demandais des critères objectifs de discernement. J’exprimais clairement que la solitude me rendait folle et que je dépérissais. Je disais également à ma prieure : « je ne suis même pas fidèle à dire mes petites heures en solitude maintenant, je n’y serai pas davantage après la profession. Mon cœur n’y est pas ». Elle me répondait : « C’est normal, on n’est pas toutes fidèles ! » Enfin, à Bethléem, la distinction entre « for interne » et « for externe » n’existe pas, sous prétexte qu’ « on ne peut pas saucissonner la personne en deux. Cela fait partie du monachisme oriental. »
Can. 653 – § 1. Le novice peut librement quitter l’institut et l’autorité compétente de l’institut peut le renvoyer. § 2. Son noviciat achevé, le novice, s’il est jugé idoine, sera admis à la profession ; sinon il sera renvoyé. S’il subsiste un doute sur son idonéité, le Supérieur majeur pourra prolonger le temps de probation selon le droit propre, mais non au-delà de six mois.
A Bethléem, il n’y a pas de « temps achevé » pour le noviciat qui peut s’éterniser au-delà du concevable. On respecte la "liberté" de chacune sous le propos qu’on la laisse mûrir tranquillement sa décision afin qu’elle la prenne d’elle-même, "librement". A contrario, si elle veut partir, c’est donc bien impossible. C’est la personne elle-même qui demande tout et d’elle-même : à prendre l’habit, à rentrer en "noviciat", à faire "profession", à recevoir le Saint Sacrement. Plus la personne va poser des actes en ce sens, moins il lui sera facile de partir. Cela l’engage encore plus directement, avec l’illusion que c’est elle, en sa liberté, qui l’a faite.
Can 648, § 3. La durée du noviciat ne dépassera pas deux ans. A Bethléem, combien de filles vont rester novices pendant 5, 7, 10 ans ?
Pour que les délais soient rallongés, une demande explicite doit être faite au cas par cas auprès de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vies Apostoliques (CIVCSVA). Cette même Congrégation répond alors au cas par cas.
Est-il possible que la CIVCSVA accorde si fréquemment de tels délais et des délais au-delà de ce que préconise le Droit Canon ? Est-il sinon possible que Bethléem n’informe finalement jamais personne auprès de la CIVCSVA et continue son bonhomme de chemin comme si de rien n’était ?
On parlera de « grande souplesse » à l’intérieur de Bethléem. Mais la réalité est tout autre : il n’y a pas de pression exercée sur une fille pour qu’elle fasse profession. De toute façon, cela reste encore dans le culte du secret absolu. Il y a juste pression pour l’empêcher de partir : « Tu seras libre en t’engageant. Tant que tu n’as pas posé ce choix, tu n’es pas libre. Tu restes encore esclave de ton psychisme. »
Règle de Vie, Livre IV, 65 – La formation de la volonté, n° 737 : « En s’engageant dans le chemin de son éducation intérieure, avec l’aide des moniales plus anciennes que l’Église mandate auprès d’elle pour contribuer à sa formation, la moniale a tout d’abord à apprendre à identifier la nature seulement subjective et psychique de sa sensibilité, c’est-à-dire de son imaginaire, de son affectivité sensible et de sa mémoire. La moniale a à discerner sans cesse entre les actes qui l’orientent vers la Lumière de Vérité ultime, vers le Bien ultime, et les actes qui l’en détournent. Aussi longtemps que la moniale attend autre chose que Dieu, son Bien ultime, pour atteindre un bonheur sensible immédiat mais provisoire, le mouvement intérieur de sa volonté est marqué d’hésitations et de faiblesse devant toutes décisions d’actes réalistes à poser ».
Can. 656 – Pour la validité de la profession temporaire, il est requis : 2 que le noviciat ait été validement accompli.
Avec tout ce qui a été énuméré à la lumière du Code de Droit Canon, peut-on considérer que le noviciat à Bethléem soit valide ? Peut-on considérer que les professions le soient également ?
IX. Les fruits de l’expérience
Un jour, qui fut pour moi un jour de joie et de totale libération, j’ai compris que pour quitter cette communauté, je ne devais plus m’en ouvrir à ma prieure. Il me fallait continuer mon chemin de discernement, absolument seule avec moi-même, et à mon tour, faire la « vitrine » de la bonne petite moniale qui n’a plus de « combat », qui n’envisage plus de partir et qui est au clair avec sa vocation.
Cette dernière année a été pour moi une année de cheminement intérieur ouvert vers la Vérité et la Liberté. J’ai rencontré Dieu dans mon cœur et dans ma conscience, sans plus aucune interférence humaine ou priorale. J’ai compris combien Dieu avait souffert en moi et pour moi de toutes ces années de tromperie. Mais j’ai aussi compris combien Il m’aimait et ne me renierait jamais. Et combien même je demeurais son enfant : ma vie en Lui et avec Lui continuerait encore et par delà cette clôture, au-delà de Bethléem. Une fois seulement, j’ai redit à ma prieure que j’avais compris que je m’étais trompée de chemin, mais que je savais que le Seigneur ne me condamnait pas et qu’Il me laissait libre de mes erreurs, de chacune de nos erreurs. L’essentiel étant de les voir pour se relever et que cela donnait beaucoup de joie à mon cœur. Elle m’a alors répondu : « c’est complètement psychologique ! ». Je voulais un vrai dialogue de fond, je voulais de la loyauté entre nous, pensant peut-être que je n’avais jamais été assez claire jusque là. Mais j’étais de nouveau face à un mur qui n’entendait rien. Alors, j’ai définitivement arrêté d’en parler.
J’ai donc mûri mon départ en silence ; en un vrai et réel silence ! Avec quelques marches en arrière, car j’avais tellement été formatée à l’idée que c’était le démon qui me poussait à partir et à désobéir à la Vierge que j’en mourais de peur !
Mais un jour, j’ai pu partir. C’était donc un an après mes vœux. Je tenais à le faire de manière loyale en en avertissant directement la prieure générale. Mais j’ai préparé mon départ, d’abord en étant obligée d’emprunter dans la caisse de la communauté dix euros pour acheter une carte téléphonique, à l’occasion d’un déplacement en ville. J’ai attendu une nuit que les sœurs dorment pour descendre toute la vallée afin de téléphoner d’une cabine téléphonique du village, à un proche. Il ne m’avait pas entendue au téléphone depuis plusieurs années. Il devait être minuit. Il a mis du temps à comprendre qu’il s’agissait de moi. J’ai ainsi échangé à plusieurs reprises avec ce proche plusieurs dimanches de suite. Seul, le chien de la ferme voisine a été le témoin de ces escapades. A chaque descente et à chaque remontée dans la nuit, il aboyait. Cela a duré un mois. Jusqu’au jour où, à la date convenue pour le bon déroulement de la vie au monastère, ce proche est venu me chercher.
La veille de cette date, ma prieure avait annoncé, lors d’une rencontre fraternelle, que sœur Isabelle m’envoyait en mission. Cette annonce m’a permis d’embrasser mes sœurs une dernière fois. Pour être juste, c’était aussi ce que voulait ma prieure. Et elle voulait également éviter aux sœurs d’être perturbée de ne plus me voir au monastère du jour au lendemain :« Elles ne se doutent de rien. Si elles me posent des questions, je ne saurais pas quoi leur dire et je ne veux pas faire un gros mensonge ». Pour moi, c’était un pincement au cœur, car je savais que je ne les reverrais plus et je les ai aimées. Quant à elles, elles étaient persuadées que je quittais le monastère pour aller dans un autre monastère et qu’on se reverrait lors d’un prochain mois évangélique « quand la Vierge le voudrait » ou si je revenais dans ce monastère « à la fin de mission ».
Quels fruits ai-je retirés de cette expérience ?
Ma relation à Marie reste cabossée. Je veux croire que Marie a gardé son cœur de Mère, tendre et aimant. Mais toutes ces années à Bethléem ont réellement fini par atrophier, pour ne pas dire anéantir, la relation aimante et confiante que j’avais avec Elle. Marie s’est peu à peu transformée pour moi en une femme despote, qui n’avait plus qu’une seule volonté devant laquelle la mienne devait tout simplement ne plus exister.
L’obéissance si détournée, parce qu’infantilisante au plus haut point, est ce que je remets le plus en question aujourd’hui.
La reconnaissance de Droit Pontifical. Je comprends maintenant que cette démarche pour se faire reconnaître à Rome était une stratégie fort judicieuse. D’une part, cela donne confiance à tous, là où j’ai été précisément moi-même trompée. D’autre part, canoniquement, les monastères ne dépendent plus des évêques. Tout au plus, ils ont un droit de regard. Mais ça ne va pas plus loin. Toutes les décisions les plus importantes relèvent donc de Rome. Décisions avec ses aléas…
J’ai lu dans le droit de réponse de frère Silouane qu’une enquête canonique avait eu lieu en 2009. J’ai quitté Bethléem en 2013 et je puis affirmer que je n’ai jamais vu passer qui que ce soit venant de Rome, d’ailleurs ou de l’extérieur à Bethléem dans le monastère où j’étais. Une « enquête canonique » et le coup de stress que cela pourrait engendrer n’a jamais été ressenti. C’était au contraire, l’année d’un « Chapitre Général » de Bethléem.
A moins que l’enquête canonique n’ait été qu’un simple coup de téléphone vers sœur Isabelle ? « Nous avons reçu un dossier… Est-ce vrai tout ce qui est écrit ? ».
Dans une enquête « civique », on cherche à écouter tous les intéressés. Dans le document tel que remis par Fabio B., cela concernait tous les monastères. Tous les moines et toutes les moniales. Donc, vu les circonstances, c’est une enquête qui peut prendre du temps. Or je suis partie en 2013 et je n’ai jamais rien vu ni entendu d’une enquête canonique. Mais, au contraire, toujours le même discours depuis mon arrivée :« Nous sommes tellement, tellement aimées à Rome ! ». Rien, absolument rien ne pouvait laisser entendre que Rome commençait à se pencher un peu sur Bethléem.
De fait, qui dit Rome, dit Ville Éternelle…. N’a-t-on donc pas toute l’Éternité devant soi pour commencer à s’intéresser à une communauté aussi défaillante ! J’use ici d’un ton qui pourra paraître sarcastique parce que je crois, bien au contraire, qu’il y a urgence. Cela fait déjà 15 ans que des plaintes se sont fait connaître (cf. la date de l’article de Laurent Grzybowski dans La Vie, faisant foi « des gourous dans les couvents »).
Serait-il alors possible que l’Institution soit « juge et partie » ? Je pose juste la question…
Mais quand bien même, une enquête ecclésiastique sérieuse et approfondie devrait avoir lieu un jour, je pense sincèrement que tant que Bethléem ne prendra pas conscience « de l’intérieur » en vérité de sa propre dérive profonde depuis si longtemps, tout le monde en restera à un simple dépoussiérage en vue de ne pas faire de scandale et de rassurer les âmes les plus troublées.
Pourtant Bethléem n’est pas une fin. C’est un moyen parmi tant d’autres.
Mais c’est aussi une Communauté qui a toujours réponse à tout : c’est l’Orient, quand ça les arrange, sinon c’est l’Occident qui a le fin mot des explications. Ou encore, quand ça les arrange, elles sont de St Bruno : silence et solitude qui correspond, en fait, et surtout à une « mise au placard ». Et quand ça les arrange, c’est la Vierge Marie car elle n’a pas contristé l’Esprit Saint en l’enfermant dans des cases… Ainsi sont justifiés les changements de dernière minute de la vie communautaire, ou encore la vie de certaines sœurs qui ne vivent pas la solitude, passant autant de temps à l’extérieur qu’à l’intérieur de la clôture, la vie si « à part » de la sœur prieure générale, ou encore les excès quant à la Règle de Vie où de nombreuses pages sont vécues « de manière maximaliste et totalitaire » (Règle de Vie - Livre II, 16 - Je fais voeu de conversion toujours recommencée, n° 312) et d’autres qui devraient être vécues en obéissance à l’Eglise et au Droit Canon, sont vécues de manière totalement arbitraire, pour ne pas dire nulle.
Comment parvenir à maintenir une conscience éclairée, cohérente et vraie dans une telle structure ? Quel est donc ce fameux « charisme » de Bethléem approuvé par l’Église ? Qui a réellement pris connaissance des volumineuses Constitutions de Bethléem ? Comment cette Communauté a-t-elle pu être reconnue de Droit Pontifical avant la validation complète de celles-ci ?
Aujourd’hui, je dirais qu’il y a une erreur quand on pense que Bethléem est une vie très dure, très austère du fait du silence et de la solitude et que, pour cette raison, tout le monde n’est pas fait pour cette vie-là. La réalité est plutôt que Bethléem n’est fait pour personne ! Il y a tromperie. Je crois cette vie prétendument inspirée du monachisme oriental et de la paternité de St Bruno en être une parodie. Le « monachisme oriental » donne un côté exotique. Il n’empêche que, in fine, personne n’y connaît vraiment grand chose.
Certes, un évêque qui m’a écoutée et que j’estime, souhaitait que je ne divulgue pas mon témoignage à d’autres évêques pour qu’on ne s’imagine pas que je réglais des comptes personnels avec Bethléem.
Pourtant reléguer des informations aussi graves et importantes n’est pas pour moi "partir en guérilla". En tant que laïque, adulte et responsable, c’est d’abord à ma conscience que j’ai à rendre des comptes. Je ne peux donc pas rester dans un silence pudique ou complice du « système ». Il est difficile de savoir vers qui se tourner pour être entendu et cru.
Oui, c’est donc en devoir de conscience que j’ai rédigé ce témoignage : puisque dans l’Institution personne ne bouge vraiment par peur ou par méconnaissance de la psychologie humaine, du phénomène d’emprise, de manipulations des consciences, je veux éviter à d’autres de tomber dans cet engrenage insidieux et dans ce leurre. Et je pense à toutes celles qui sont à l’intérieur sans en être heureuse.
C’est en devoir de conscience que je le fais, au nom de ma foi dans le Christ.