Comment les évêques de la FSSPX ont ordonné un prédateur homo

Vendredi 14 août 2020

Un prêtre prédateur, qui est devenu tristement célèbre aux États-Unis pour harcèlement et abus homosexuels, a commencé son parcours de prêtre au sein de la Fraternité Saint-Pie X. Cette dernière l’a recruté, formé, ordonné et lui a confié un poste d’enseignement… alors que ses supérieurs savaient qu’il s’agissait d’un prédateur homosexuel.

L’abbé Carlos Urrutigoity (centre)

Pas moins de trois évêques de la FSSPX - Alfonso de Galarreta, Richard Williamson et Marcel Lefebvre – sont impliqués dans la protection et la promotion dont a bénéficié le jeune Carlos Urrutigoity. Le lanceur d’alerte qui a signalé son comportement de harceleur, a, quant à lui, été exclu de la Fraternité.

Les origines de cette affaire conduisent à poser la question de l’implication directe de Mgr Lefebvre, le fondateur de la Fraternité. Il avait été mis au courant de façon précise de la prédation d’Urrutigoity au séminaire. Mais il a donné son feu vert pour qu’il soit ordonné prêtre.

« Carlos Urrutigoity a été formellement accusé d’agression homosexuelle en trois endroits différents, mais chaque fois il a réussi à échapper à la justice en s’octroyant le soutien épiscopal » explique le Pr. Jeffrey Bond. Ce dernier, qui enseignait à la Fraternité Saint-Jean (Society of Saint John, SSJ), a démissionné après avoir découvert la vérité sur l’abbé en qui il avait confiance.

Au séminaire FSSPX à La Reja en Argentine

Séminaire de Notre-Dame Co-Redemptorix, La Reja, Argentine

Urrutigoity est entré au Séminaire Notre-Dame Co-rédemptrice de la FSSPX à La Reja en Argentine dans les années 80. L’abbé Andrés Morello, directeur de 1981 à 1988, a supervisé le séminariste pendant toute cette période. Il a voulu l’exclure du séminaire après avoir été mis au courant de plusieurs actes de harcèlement homosexuel et de tentative de flirt sur d’autres séminaristes.

Le directeur a cependant été arrêté dans cette démarche par le supérieur du district d’Argentine, Mgr Alfonso de Galarreta, qui a ignoré les accusations et a fait transférer le séminariste au prieuré de Córdoba.

Là-bas, au lieu de veiller à son image et de faire taire les critiques afin de pouvoir continuer ses études au séminaire de la FSSPX à Winona aux États-Unis, Urrutigoity a causé des problèmes qui ont mis en évidence son comportement troublant – que Mgr de Galarreta a encore minimisé.

Le jeune Urrutigoity en compagnie d’un enfant

Apprenant qu’Urrutigoity désirait entrer au séminaire de Winona, Morello s’est envolé pour les États-Unis afin de le dénoncer en personne.

« Son imminente ordination dans les ordres majeurs m’a obligé en conscience à écrire un rapport confidentiel au directeur du séminaire de Winona, Mgr Williamson, afin d’empêcher l’accès aux ordres sacrés, » a écrit Morello. « Mgr Williamson en a informé Urrutigoity, alors séminariste, pour qu’il puisse se défendre de nos accusations. »

« En juillet 1989, nous nous sommes rendus à Winona, et Mgr Williamson nous a lu la défense de l’abbé Urrutigoity. Il a défendu son ’humilité’ et nous a accusés de mentir, » explique Morello. « Quelques jours plus tard, le 16 juillet 1989, j’ai été renvoyé de la Fraternité. »

Urrutigoity allait être ordonné prêtre. Il allait devenir professeur au séminaire de Winona, sous la protection de Mgr Richard Williamson.

« [Il est] indiscutable que, dès les débuts de la FSSPX, il y avait une atmosphère complaisante envers le vice d’homosexualité au sein des deux séminaires mentionnés de l’organisation, » explique l’écrivain Patrick Odou.

Son dossier est envoyé à Mgr Lefebvre

L’abbé Urrutigoity dans une célébration moderne en Argentine

L’inconduite d’Urrutigoity a été documentée dans un dossier signé par des prêtres et des séminaristes de La Reja et envoyé à Mgr Marcel Lefebvre. C’était dans le cadre de la demande de Morello, qui voulait lancer une enquête canonique sur Urrutigoity et certains membres de la FSSPX :

Pendant son séjour au séminaire de La Reja, ce séminariste a été dénoncé par un jeune laïc qui vivait au séminaire, pour les raisons suivantes, qui sont devenues plus graves au fur et à mesure. Souvent, le séminariste a abordé avec lui le sujet de la chasteté. Il lui a demandé s’il avait des tentations et ce qu’il faisait dans de tels cas. Il lui a demandé aussi s’il était vierge ou s’il avait commis des actes indécents seul ou avec des femmes.

Dans une conversation particulière, il lui a demandé s’il allait au cinéma, et si les films l’excitaient et lui provoquaient des tentations. Le garçon répondit oui, et Urrutigoity demanda si cela le poussait à chercher des femmes, ce à quoi le jeune homme répondit encore oui. Alors le séminariste demanda s’il envisagerait de faire des actes indécents avec un homme. Le jeune homme répondit non.

Le dossier précise qu’ Urrutigoity lui rendait volontiers visite la nuit, dans son état le plus vulnérable, pour profiter de lui :

Le même témoin a également accusé le séminariste d’être entré dans sa chambre sans frapper au préalable. Une nuit, vers 3h du matin, il s’est réveillé et l’a trouvé dans la pièce en train de le découvrir. L’excuse qu’Urrutigoity a donnée le lendemain était qu’il était entré dans la chambre afin de le couvrir. Avant cet événement, le jeune homme était allé voir l’abbé Canale, un prêtre en qui il avait confiance. Il a ri et lui a dit : “La seule chose que je puisse vous dire c’est de verrouiller votre porte.” L’abbé Canale était donc pleinement conscient de la situation et il n’en a jamais parlé avec le supérieur de la maison.

Le témoin a ajouté qu’un jour, le séminariste était entré dans sa chambre. L’ayant trouvé au lit, il lui a dit qu’il avait de la fièvre. Le jeune homme a répondu qu’il se sentait bien, mais Urrutigoity a insisté sur le fait qu’il devait avoir de la fièvre. Pour le confirmer, il a dit vouloir lui caresser les parties génitales, voir si elles étaient enflammées, et il l’a fait.

Un jour, Carlos Urrutigoity lui a donné un slip. Il a insisté pour qu’il se déshabille et l’essaie devant lui pour voir si ça lui allait. Il lui proposa de prendre ses mesures chaque semaine pour constater son développement physique, nu et le dos tourné vers le mur, ce que le jeune homme refusa de faire.

Il lui a fait une piqûre et a insisté pour lui masser les fesses, ce qu’il a fait.

Le dossier termine en précisant que d’autres actes de harcèlement homosexuel ont eu lieu mais n’ont pas été inclus dans le rapport :

Nous terminons ici le témoignage du jeune homme, et nous tenons à préciser qu’il ne s’agit pas de tous les incidents, seulement de ceux que nous jugeons les plus pertinents.

Un séminariste déclare qu’étant aux toilettes, Urrutigoity l’a touché aux parties intimes, et qu’il lui a souvent dit des choses du genre qu’il “adorait ses fesses” (le séminariste n’avait pas encore reçu la soutane), ou encore : “J’adore ton petit cul bien rond” (en faisant un geste avec les mains).

Un autre séminariste nous dit qu’il l’avait interrogé sur sa vie sexuelle passée et sur ses tentations actuelles.

Mgr Alfonso de Galarreta, premier assistant du supérieur général

Après que Morello eut signalé cette inconduite et demandé qu’Urrutigoity soit exclu, Mgr de Galarreta préféra le transférer au prieuré de Córdoba, à 600 km. Là-bas, Galarreta, qui connaissait parfaitement ses antécédents, laissa Urrutigoity organiser un camp d’été pour hommes :

Deux jeunes gens de la tradition déclarent que lors d’un camp d’été organisé par Carlos Urrutigoity – avec l’autorisation incompréhensible de Mgr de Galarreta, qui connaissait la situation, et alors que le séminariste était “surveillé” dans le prieuré de Córdoba en raison de ses problèmes disciplinaires – il est allé à la rivière avec un groupe de jeunes hommes. Là, il a enlevé ses vêtements en présence des jeunes et est resté en slip. Un des jeunes lui a immédiatement proposé un maillot de bain. Urrutigoity a refusé et préféré se baigner comme ça dans la rivière.

De Galarreta a décidé de ne pas le renvoyer à cause des problèmes que cela aurait pu causer, surtout avec la famille Calderón.

Oubliant cette conduite, Galarreta a offert à Urrutigoity l’occasion de “réhabiliter” son image à Córdoba, où il obtint les recommandations nécessaires pour entrer au séminaire de Winona, dans le Minnesota. Là-bas, il retombera dans les mêmes travers sexuels, cette fois sous la direction de Mgr Richard Williamson.

Urrutigoity aux USA

I

Mgr Richard Williamson, qui a défendu Urrutigoity bec et ongles

Au lieu de prendre au sérieux le témoignage de Morello sur Urrutigoity, Williamson a estimé que ce dernier était victime d’une cabale sédévacantiste. Morello défendait cette thèse au séminaire de La Reja, en opposition à Galarreta. Urrutigoity a joué de cette querelle interne pour discréditer Morello en s’opposant à ses vues sédévacantistes et pour manipuler ses opposants en affirmant que les accusations d’homosexualité étaient une pure invention.

C’est ainsi que Williamson en est arrivé à défendre la cause d’Urrutigoity. Il est même parvenu à convaincre Mgr Marcel Lefebvre de l’admettre au séminaire américain malgré ses réticences.

« Mgr Williamson s’est présenté en personne à Mgr Lefebvre avec la défense écrite d’Urrutigoity, » explique Bond. « D’après Mgr Williamson, après avoir lu la défense d’Urrutigoity, Mgr Lefebvre lui a dit qu’il pouvait admettre Urrutigoity au séminaire, mais qu’il devait le “surveiller de près”. »

Mgr Lefebvre accepta finalement qu’Urrutigoity entre au séminaire malgré le dossier détaillé de Morello. Son dossier s’achève par cette requête :

Nous vous prions d’accepter nos excuses, M. l’abbé, de vous avoir écrit sur ces questions désagréables, mais nous considérons que cela était nécessaire puisque personne n’a voulu écouter nos plaintes. Ce qui nous inquiète particulièrement, c’est que a) les supérieurs connaissent cette situation. Que, non seulement le séminariste n’a pas été renvoyé, mais que la solution trouvée à ses problèmes moraux et disciplinaires est simplement de l’envoyer dans un autre séminaire ; b) Carlos Urrutigoity est sur le point de recevoir des ordres majeurs à Winona, aux USA ; c) aucune enquête sérieuse n’a jamais été entreprise.

Nous sommes inquiets et scandalisés par tout cela. C’est en vain que nous avons essayé par tous les moyens d’entamer une enquête. Au contraire, Mgr de Galarreta a empêché de prendre des mesures contre lui. Bien que désormais il reconnaisse son erreur, il ne fait toujours rien pour la réparer.

Mgr Andrés Morello

Galarreta, Williamson et Mgr Lefebvre se sont rendu compte trop tard que Morello était dans le vrai depuis le début.

« Notez également que même ceux qui se trouvaient initialement dans des camps opposés, comme Mgr Williamson et l’abbé Morello, sont maintenant tous d’accord sur ce point : Carlos Urrutigoity est un prédateur homosexuel », écrit Bond.

Comme il a été mentionné ci-dessus, Morello – le dénonciateur de la prédation homosexuelle d’Urrutigoity – a été exclu de la Fraternité quelques jours seulement après avoir témoigné contre Urrutigoity à Winona en 1989.

L’auteur Odou s’est demandé « comment Mgr Williamson pouvait-il avoir autant de pouvoir pour obtenir l’éviction de la Fraternité Saint-Pie X de l’abbé Morello, le directeur d’un grand séminaire ? A-t-il consulté Mgr Lefebvre ? Il semblerait logique que dans une question d’une telle importance, le chef suprême de la Fraternité Saint-Pie X ait eu le dernier mot. »

« Et si la réponse à cette question est positive, nous arrivons à la désagréable conclusion que Mgr Lefebvre a personnellement protégé — véritablement protégé et promu — un Urrutigoity homosexuel jusqu’au sacerdoce et a renvoyé l’abbé Morello, celui qui avait vu juste à son sujet et voulait qu’il soit sanctionné », continue Odou.

Dix ans plus tard, après l’exclusion d’Urrutigoity de la FSSPX pour des activités “subversives” (il a été découvert en train de préparer en secret la fondation de la Society of Saint John), Williamson s’est rendu à Scranton en Pennsylvanie avec un jeune séminariste de la FSSPX. Ce dernier a témoigné devant l’évêque du lieu qu’Urrutigoity l’avait agressé sexuellement.

« Ce jeune séminariste, avec qui l’abbé Urrutigoity avait eu une amitié particulière très étroite à Winona, avait été sous la direction spirituelle de l’abbé Urrutigoity pendant deux ans avant que l’abbé Urrutigoity ne le harcèle, » a expliqué Williamson à Bond.

Soit dit en passant, c’est Mgr Bernard Fellay qui a prévenu Mgr James Timlin, évêque de Scranton, de la conduite d’Urrutigoity, quand il a appris qu’il cherchait à s’établir dans le diocèse de Scranton.

Le prêtre prédateur exerce en Argentine

L’abbé Urrutigoity célébrant la messe en Argentine

Les manœuvres ultérieures d’Urrutigoity sont bien connues. Timlin l’a chassé de son diocèse. Son successeur, Mgr Joseph Martino, a supprimé la Society of Saint John, lorsqu’il a eu la preuve qu’Urrutigoity harcelait et abusait de jeunes hommes pendant son séjour temporaire à l’Academy St. Gregory, dirigée par la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre.

L’abbé a ensuite trouvé refuge dans le diocèse de Ciudad del Este au Paraguay, sous l’autorité de Mgr Rogelio Livieres Plano. Cet évêque a fait d’Urrutigoity son bras droit et a autorisé la reconstitution de la Society of Saint John.

Lorsque les catholiques du Paraguay ont appris la présence d’un tel prédateur parmi eux, la réaction a été vive. Grâce à cette réaction, le pape François a imposé la destitution de Plano et d’Urrutigoity de leurs fonctions en 2014.

Aux pages 880-82 du rapport du grand jury de Pennsylvanie de 2018, Urrutigoity est expressément présenté comme prédateur. Y sont retenues des accusations selon lesquelles il « avait pour pratique de dormir dans le même lit que les garçons et les jeunes hommes ». Le père d’une victime a par la suite porté plainte pour abus sexuels contre Urrutigoity. Le parquet a ouvert une enquête mais Urrutigoity n’a pas pu être poursuivi parce que le délai de prescription était dépassé. Une procédure civile l’a tout de même condamné à payer 380 000 $ à la victime présumée.

Après le Paraguay, Urrutigoity est retourné en Argentine. Il continue jusqu’à aujourd’hui d’y célébrer la messe et d’y exercer un apostolat sacerdotal.

Morello a ensuite fondé la Compagnie de Jésus et Marie, une société sédévacantiste qui s’efforce de vivre l’idéal de saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus (jésuites).

Williamson a fini par rompre avec la Fraternité. Il s’est réfugié dans la “Résistance” qui accueille d’autres anciens membres déçus de la Fraternité (y compris un certain nombre de prédateurs sexuels).

De Galarreta a été élu au poste prestigieux de premier assistant du supérieur général de la FSSPX, poste qu’il occupe encore aujourd’hui.

« Je suis passé d’un enfant qui voulait devenir prêtre à un enfant qui a perdu la foi », a déclaré une des victimes d’Urrutigoity en 2018. « J’ai dû aller deux fois à la messe depuis 2000, et à chaque fois c’était pour des funérailles. »

Comme dans d’autres affaires de prédateurs sexuels où tout a commencé dans la FSSPX, les dirigeants de la Fraternité ont fermé les yeux à plusieurs reprises sur les écarts dévastateurs d’Urrutigoity. Ils lui ont donné l’occasion de récidiver mainte et mainte fois, laissant la désolation dans son sillage. On n’ose imaginer à quel point l’histoire aurait été différente pour les victimes d’abus sexuels si depuis trente ans les évêques de la Fraternité avaient pris au sérieux les accusations de prédation homosexuelle portées à son encontre.

Au lieu de cela, trois évêques de la Fraternité Saint-Pie X ont été complices, à des degrés divers, de la protection et de la promotion d’un prédateur homosexuel, alors qu’ils ont puni le prêtre qui a tenté de s’y opposer.

Outre-Atlantique, la couverture médiatique s’est focalisée principalement sur Mgr Timlin. Il a payé, et c’est justice, pour avoir fermé les yeux sur le comportement d’Urrutigoity. La part de responsabilité de la FSSPX, oubliée dans les débats, est pourtant incomparablement plus importante ! Sans son aide et sa protection le prédateur n’aurait jamais pu commencer sa “carrière.”

Translation by William Andrews.

Voir en ligne : https://www.churchmilitant.com/news...

Vos réactions

  • Joseph 13 novembre 2020 02:31

    Dans le cas de Carlos Urrutigoity, j’ai su par un argentin de son entourage que son père, pourtant riche (profession libérale) donnait beaucoup d’argent à l’Église et faisait vivre sa famille dans l’austérité (voiture hors d’âge). J’en viens à me demander si l’appât du gain ne serait pas intervenu dans son entrée au séminaire.

    Lors de sa fondation, en mai 1998, la Fraternité Saint-Jean a reçu beaucoup d’argent et ses membres ne se refusaient rien tant qu’il n’avaient pas à rembourser le crédit pour l’achat de leur terrain en Pennsylvanie : mobilier luxueux, soirées d’opéra à New York.

    Par la suite, entre les accusation publiques d’attouchements de la part du séminariste d’une part les alertes des membres du conseil financier voyant la dérive des dépenses, les dons se sont raréfiés et c’est ce qui a en pratique, obligé Mgr Timlin puis Mgr Martino à dissoudre cette communauté qui leur coûtait cher.

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