Père Félix Alarcón : « La Légion, telle que nous la connaissons, devrait être éliminée »

Dimanche 22 décembre 2013

« Les abus étaient permanents, dans tous les centres (…). Le Vatican était au courant de la situation »

Le témoignage déchirant de l’une des huit victimes qui ont dénoncé les crimes de Marcial Maciel.

(Jesús Bastante).- Il a été l’un des tous premiers membres de la Légion du Christ, ainsi que le secrétaire général et personnel du « père Maciel » pendant des années. Le père Félix Alarcón continue à appeler « père » le pédéraste mexicain qui a abusé de lui pendant plusieurs années. Il fait partie du groupe des huit victimes de Marcial Maciel qui ont osé dénoncer le fondateur devant le Vatican, ne récoltant que silence et incompréhension.

A près de 80 ans, et alors que la réunion censée définir le futur de la congrégation est sur le point de commencer, le prêtre sort de son silence et ouvre son cœur. Un témoignage déchirant et, en même temps, plein d’espérance, qui montre comment la foi permet de surmonter toutes les souffrances, même les plus extrêmes. Ainsi que l’amour. « J’ai pardonné à Maciel », m’a-t-il affirmé, en me regardant droit dans les yeux.

Vous avez été la victime des abus du père Maciel, et vous avez été l’un de ceux qui avez écrit au pape pour le dénoncer…

Oui. Il faut comprendre une chose : j’ai vécu tout cela dans un silence absolu. Je ne pouvais en parler à personne. Même pas lorsque j’ai manifesté au père Maciel mon intention de quitter la Légion : quand on m’a envoyé pour ouvrir les premiers centres de la congrégation aux Etats-Unis, j’ai cherché immédiatement un évêque pour m’accueillir dans son diocèse. C’est ainsi que j’ai atterri à Long Island… mais même là, alors que je venais d’intégrer ce diocèse qui manquait de prêtres, je n’ai jamais dit un seul mot sur ce que j’avais vécu. Je n’ai fait le pas que quand un de mes anciens compagnons - qui allait ensuite envoyer la lettre d’accusation - m’a appelé pour me demander de l’aide, afin d’entrer lui aussi dans mon diocèse. Ce que j’ai fait. Il a rejoint mon diocèse, et là, il a suffit de quelques mois pour faire éclater la boîte de Pandore. Je suis allé voir directement l’évêque du diocèse, et je lui ai raconté tout ce que j’avais subi, et quelle était la situation réelle de la Légion du Christ et du père Maciel.

Comment avez-vous réussi à supporter une telle situation dans le silence ?

C’est assez facile à comprendre : nous étions très jeunes et le père avait un charisme incroyable. Il nous apparaissait comme ce qu’il était en réalité : le fondateur d’une congrégation religieuse qui avait réussi à s’installer en Espagne avec un groupe de jeunes garçons pour commencer une nouvelle fondation en Europe. Chacun de nous était confronté à un mystère : comment faire tenir ensemble ce que nous savons sur les abus sexuels et sa condition de fondateur ?

Et la vérité, c’est que pour moi, cela continue à être encore un mystère : comment un tel homme, qui semblait être un saint, a-t-il réussi à convaincre tant de jeunes garçons de la « mission de la Légion » ? Certains étaient encore plus jeunes que moi, et cela nous posait un dilemme. Nous ne comprenions pas ce qui nous arrivait. Nous pensions qu’il devait avoir une terrible maladie pour en venir à faire ce qu’il faisait. On lui cherchait des excuses.

A-t-il essayé de vous faire croire que c’était de votre faute ?

Oui. En ce qui me concerne, en tout cas, j’en suis venu à le croire. Mais toutes les règles de psychologie sur les questions de vie sexuelle disent que celui qui détient le pouvoir sur vous, votre supérieur, est le seul vrai responsable. Il est difficile d’affronter cette contradiction, ainsi que drame de se sentir coupable malgré tout.

Combien de temps avez-vous supporté cela ?

Je suis resté quinze ans dans la Légion. J’ai fait mon noviciat et mes humanités classiques à Rome. Ensuite, j’ai étudié à la Grégorienne pour passer ma licence de philosophie. L’ironie du sort, c’est que, alors que je bataillais avec toutes ces choses, je me démenais dans mes études afin de faire honneur à la congrégation. C’est ainsi que j’ai obtenu mes diplômes cum laude, ce qui était loin d’être facile. Ensuite, j’ai fait des études de théologie à l’université de Salamanque, et juste avant d’être ordonné, on m’a envoyé en exil aux Etats-Unis, avec la mission d’ouvrir un premier centre.

Des abus, vous n’en avez subi que pendant la première partie de votre formation ?

Non, les abus ont duré tout le temps, et ont eu lieu partout. Ce qui est mystérieux, et terrible, c’est que lorsque tout a commencé à exploser, chacun d’entre nous a eu une réaction différente. Beaucoup demandaient discrètement : « Mais, toi aussi, tu as subi cela ? » Nous n’avions pas suffisamment de maturité pour penser que nous subissions tous la même chose. Chacun pensait être le seul à subir cela. Et de là naissait un sentiment de honte et le besoin de se cacher. Mais nous avons découvert ensuite que la chose était encore plus perverse que ce que nous pouvions imaginer. En ce qui me concerne, j’ai affronté le père, et cela m’a beaucoup coûté, parce que l’abus psychologique est beaucoup plus grave que l’autre. Oui, je considère que l’abus psychologique est plus grave que l’abus sexuel.

J’avais un petit talent pour le chant, si bien qu’on m’a envoyé chanter dans les abbayes, et qu’on me faisait aussi chanter pour les cardinaux qui venaient nous rendre visite… On m’utilisait un peu pour ça. Ensuite, à un certain moment, on m’a envoyé dans une abbaye pour perfectionner ma technique de chant grégorien, et j’y suis resté un mois. J’ai essayé d’écouter la voix de ma conscience, parce que ma famille avait déjà subi tant de malheurs… Mon père et mon frère étaient enterrés à Paracuellos, et c’est peut-être pour cela que la vie m’a poussé à chercher une relation de paternité. Parce que je n’avais personne que je pouvais appeler « père ». Et le père Maciel l’était. Mais il a cessé très vite de l’être.

Comment l’avez vous affronté ?

Par écrit, parce que ce genre de choses se faisait toujours par lettre. Le soir même, ils m’ont dit que je devais prendre le train et m’en aller. Ils m’ont envoyé aux Etats-Unis. Je l’avais affronté parce que cette histoire de drogue me semblait inadmissible. - La dolantine. Je me souviens encore de sa formule comme du Notre Père : chlorhydrate d’ester éthylique d’acide phénil-méthil-bipéridine-carbonique… - Imaginez la galère pour chercher la drogue ! C’était très dur, terrible, parce qu’en plus, il s’agissait d’une addiction intraveineuse, et nous ne savions plus à qui nous avions affaire. J’ai même pensé quitter le sacerdoce. Cela a été un calvaire épouvantable.

Mais à la fin je suis parti. Ils m’ont envoyé aux Etats-Unis, et cette image de la liberté américaine, pour une personne comme moi, avec mon histoire, était très forte.

Quand vous êtes arrivé aux États-Unis, vous étiez encore prêtre légionnaire ?

Non, je n’avais pas encore reçu l’ordination sacerdotale. Ils m’ont envoyé là-bas, sans m’avoir ordonné. C’était une sorte d’exil, une pratique très commune dans la Légion : tous ceux qui commençaient à devenir un peu trop contestataires, on les envoyait dans un lieu éloigné.

Je suis ensuite retourné à Rome pour l’ordination. Ma mère et ma sœur sont venues également pour assister à l’événement.

Votre famille a-t-elle sur quelques chose à propos de ce qui se passait ?

Oui. Ma mère a rencontré un jour le père Maciel, dans un hôtel de Madrid, alors que celui-ci était complètement défoncé. Et ma sœur également. Mais la situation était très difficile à croire. D’ailleurs très peu de gens voulaient la croire.

Dans les années 80, vous avez écrit la lettre…

Oui. Je n’avais jamais ressenti le besoin de raconter ce que j’avais vécu, jusqu’à ce que ce compagnon dont je vous ai déjà parlé – il s’agit de José Barba – me demande de l’aider à rejoindre mon diocèse. Et c’est à partir de ce moment là que j’ai commencé à m’impliquer dans cette bataille. Je me suis dit à moi-même : « Bon, j’ai gardé le silence, et je suis en paix avec tout cela. Dieu m’a aidé à supporter tout cela… Mais maintenant que je me retrouve au milieu de la mêlée, mon seul objectif doit être de dire la vérité ». Et c’est la ligne que je suis depuis ce moment.

Quelle a été la réaction du Vatican ? Est-ce vrai que Jean-Paul II ne savait rien ?

Je viens justement de lire un livre d’investigation qui explique que le Vatican détenaient plus de 200 documents, ce qui prouve que la situation était connue bien avant qu’ils ne le reconnaissent. Notre lettre date de 1998, alors que Ratzinger était cardinal, et ils se passaient la patate chaude de l’un à l’autre, sans jamais prendre la moindre mesure. Il a fallu attendre plus de 20 ans pour qu’ils se décident à agir.

Ils ont prétendu alors qu’ils ne savaient rien de ce qui s’était passé, mais il y a des documents confondants qui prouvent le contraire.

Barba, l’un des auteurs du livre en question, était l’un des signataires de la lettre. C’est lui qui l’a rédigé. Il possède un diplôme de littérature qu’il a obtenu à l’université d’Harvard. C’est un homme très bien formé. Au moins, un des aspects positifs de la Légion, c’est qu’on y recevait un bonne formation académique, très sérieuse.

Avez-vous reçu une réponse de la part du Vatican ? Que s’est-il passé dans la Légion lorsque vous avez envoyé la lettre ?

Quitter la Légion, c’est être comme mort. Lorsque je suis sorti, la rupture a été totale, si bien que je ne sais pas quelles ont été les réactions à l’intérieur quand nous avons envoyé la lettre au Saint Siège. Tout ce que je sais, c’est que nous avons écrit sous le seau de la vérité. Nous étions enraciné dans la vérité. Nous n’avons jamais cherché à obtenir une quelconque indemnisation. Cette idée n’a jamais effleuré notre esprit. La seule chose que nous demandions, c’était un jugement. Jusqu’à aujourd’hui, alors que la congrégation a commencé à indemniser les victimes, je n’ai toujours rien demandé. Non pas parce que je serais plus vertueux que d’autres, mais parce que c’était ma ligne de conduite. Accepter de l’argent, je crois que cela aurait terni la beauté et la profondeur de ma démarche, de la douleur épouvantable que j’ai supportée, et de la nécessité de chercher de sortie dans cette terrible tragédie.

Par conséquent, je ne sais pas quelle ont été les réactions à l’intérieur de la congrégation. Et pour tout dire : je pense que la majorité des légionnaires l’ignore également.

Je crois que José Barba a déposé la lettre dans les mains du nonce apostolique au Mexique. Est-ce que la lettre est arrivée jusqu’au pape ? Je n’en sais rien. C’est qu’il y a de nombreuses façons d’étouffer ou d’arrêter un document aussi lourds d’implications…

Pensez-vous qu’il soit possible que Jean-Paul II n’ait jamais rien entendu par son entourage ?

Ne demandez pas à un pauvre prêtre de porter un jugement sur le pape, je vous le demande humblement. Je n’en sais rien. Je sais seulement que le pape aimaient beaucoup les légionnaires et le père Maciel, et que le père Maciel lui organisait ses voyages au Mexique, etc.

Il l’a quand même appelé « apôtre de la jeunesse » …

Oui. Et d’ailleurs, c’est précisément ce qui nous poussé à sortir de notre mutisme. Nous nous sommes dit : « Comment est-il possible que le Saint Père ait pu dire une chose pareille ! »

Quand vous parlez de Marcial Maciel, vous continuez à l’appeler « père Maciel »…

Oui, c’est parce qu’il était notre père. On l’appelait « mon père »… Une habitude est difficile à changer. Jusqu’à ce jour, je ne sais toujours pas si le père Maciel était très malade ou bien s’il s’agissait d’un cas de possession démoniaque. C’est terrible tout ce que nous avons découvert sur ses enfants, ses relations avec des femmes… et la réaction du Vatican a toujours consisté à se taire, jusqu’au moment où j’imagine qu’ils ne pouvaient plus rester silencieux. C’est tellement plus facile d’ignorer les petits, les victimes d’un cas comme celui-ci, plutôt que de risquer d’insulter une personne qu’ils avaient eux-mêmes protégé ou mis sur un piédestal dans l’Église.

Qu’avez-vous ressenti à la mort de Maciel ? Qu’avez-vous pensé ? Avez-vous prié pour lui ?

Oui, bien sûr. J’ai même offert une messe à son intention. Je n’ai jamais eu de difficulté à pardonner. Mais je dois avouer qu’il y a une chose qui m’a beaucoup déçu : j’aurais tellement aimé que, lorsqu’il s’est retrouvé le dos au mur, accusé par la haute hiérarchie de l’Église… il sente dans le fond de son âme qu’il avait commis une erreur, et nous appelle, nous, les jeunes garçons dont il a abusé et qu’il a fait souffrir, pour nous demander pardon.

Mais jusqu’à la fin ultime, il a continué à raconter que nous étions des menteurs. Il ne nous a jamais demandé pardon.

Nous avons cessé d’exister pour lui lorsque nous sommes sortis de la congrégation. Il avait été très gentil avec ma famille, et lorsqu’il venait dans notre petite maison de Madrid, ma mère se démenait pour prendre soin de lui. Mais bien sûr, je portais cette souffrance personnelle que je n’avais jamais partagé à personne… Je crois que le seul acte héroïque, c’était de sortir de la Légion.

Vous avez été considéré comme un traître ? Comme qui quelqu’un qui n’avait pas su être fidèle… ?

Exactement. C’est ce que j’ai vécu. J’ai du faire mon chemin sans pouvoir compter sur l’aide de personne. « Cherche toi un évêque ! » est la seule chose qu’ils m’ont dit.

Heureusement, j’ai réussi à être incardiné dans le diocèse de Long Island, où vivait encore l’évêque qui avait fondé le diocèse, ainsi qu’un autre évêque auxiliaire. Ils ont été très bons avec moi. Là, au moins, j’ai pu retrouver le goût de la vie, bien que ma joie n’était pas non plus parfaite. Je ne pensais pas à ma carrière ni à ma situation personnelle. La seule chose qui m’importait, c’était de servir les gens et de partager cette paix intérieure, fruit de toutes ces années de souffrance.

Le 8 janvier prochain, commence le Chapitre général de la Légion, au cours duquel les légionnaires sont censés réformer leurs constitutions, et peut-être mettre un terme final à toute cette crise. Pensez-vous qu’il pourrait y avoir une demande de pardon de la part de membres importants de la Légion, comme celle du père Sabadell, qui a présenté ses excuses aux groupes des accusateurs du père Maciel ?

J’ai lu la lettre du père Sabadell, et je l’ai trouvé très belle. Ce qui m’impressionne un peu moins, c’est de savoir qu’il s’agit d’un membre important de la congrégation. J’aurais été beaucoup plus impressionné si cela était venu d’un membre de la base, d’un prêtre normal. Je répète que j’ai trouvé cette lettre magnifique, comme une fleur apparaissant sur un champ de mines. Ou comme les fleurs fraiches que les femmes allemandes posaient sur les balcons de Berlin, alors que la ville était en ruine. C’est-à-dire, une chose sporadique. Que ce témoignage n’ait pas été accompagné de plein d’autres témoignages, voilà ce que j’ai trouvé vraiment très douloureux. Je me suis même demandé s’ils avaient vraiment changé.

Pensez-vous que la soi-disante réforme de la Légion sera une véritable réforme ?

J’ai entendu qu’il y avait deux groupes, et que l’un de ces groupes veut conserver « la quintessence » de la Légion (mais laquelle ?), et que l’autre est favorable à la conversion. Moi, je crois que le seul chemin, c’est la conversion totale. Une reconnaissance officielle que cela a été une véritable tragédie, et que nous n’avons rien inventé. Que tout cela n’est que la dure et stricte vérité.

C’est aussi pour cela que je suis très déçu de voir qu’il y a si peu d’entre eux qui fassent l’effort de sortir du lot et d’admettre l’histoire réelle de leur congrégation.

Certains de ceux qui sortent de la ligne officielle de la réforme (dont nous ne savons pas jusqu’où elle ira), demandent carrément une refondation. Croyez-vous qu’il faudrait éliminer la Légion du Christ ?

Je crois que toutes les options sont envisageables dans la mesure où les membres de la Légion sont capables de grandir dans la vérité et de reconnaître leur véritable histoire.

Mais une congrégation peut-elle survivre ainsi ?

La Légion possédait de nombreux éléments pour impressionner les supérieurs de l’Église : une grande formation académique, un sens de la diplomatie pour traiter certains sujets, une discipline de fer… Mais à quel prix !

Je crois qu’il y a beaucoup de personnes à Rome qui pensent que la seule option valable, c’est d’éliminer la congrégation purement et simplement, et que chacun ensuite refasse son chemin.

J’ai été contacté par des familles de légionnaires américains qui étaient angoissés par la situation de leurs fils. L’un d’entre eux a demandé une mutation et a été envoyé dans le diocèse de Milwaukee. Ils ont peur parce qu’il ne savent pas où aller si la congrégation devait être dissoute.

Et la vérité, c’est qu’il y a une très grande anxiété, très innocente, et un engagement réel de la part de beaucoup. S’ils pouvaient faire abstraction du fondateur, et sortir de son ombre… Mais ce qui se passe, c’est que toutes les congrégations religieuses s’appuient sur le charisme de leur fondateur, pour lequel elles ont du respect et un grand amour. Mais si vous regardez le fondateur des légionnaires, tout ce que vous voyez, c’est un mystère épouvantable.

Alors je comprends que pour les membres de la congrégation, c’est très compliqué. J’en viens même à me demander si j’ai le droit de porter un jugement sur la totalité de la vie du père Maciel. Je veux continuer à croire qu’il s’est passé quelque chose que je ne saurais expliquer et que nous ne pouvons pas comprendre, et qui a permis à Maciel de fasciner jusqu’aux plus hautes autorités de l’Église.

C’est pourquoi, ma solution a consisté à sortir en silence, et à ne pas utiliser mon expérience personnelle. La vérité, c’est que j’avais besoin d’avoir un père… et c’est à ce moment là que quelqu’un ma tapé sur l’épaule et m’a demandé si je voulais devenir légionnaire du Christ. Mais ensuite, je suis allé de déception en déception. J’ai dû apprendre à vivre en m’appuyant sur la force intérieure que donne le Seigneur.

Donc, je pense que la Légion, telle que nous la connaissons, devrait être éliminée. Mais quoi qu’il en soit, je leur souhaite tous mes vœux, quelque soit le chemin qu’ils choisiront. Y arriveront-ils ? Ce n’est pas sûr. Mais au moins, aujourd’hui, plus personne n’aura à supporter des situations comme celles que j’ai vécu, et cela les purifiera beaucoup. Cela leur aura permis de nettoyer le champ, pour que la plante puisse pousser sans être parasité par de telles horreurs.

Mais malgré toutes les réformes qu’on peut imaginer, il y aura toujours une certaines continuité. Corcuera, par exemple, s’était retiré pendant un an, mais il vient tout juste de réapparaitre. Et Luis Garza va également faire partie des 61 légionnaires appelés à participer au Chapitre Général…

Je ne connais pas Luis Garza, mais Corcuera si. Quand la Légion a commencé à s’ouvrir à la nécessité de demander pardon aux victimes, il m’a envoyé son secrétaire pour me demander si j’avais quelques inconvénients à ce qu’il vienne me voir, depuis Rome. Et c’est ce qu’il a fait : il y a 4 ou 5 ans, il a pris l’avion pour me rencontrer, et il est resté deux heures dans ma maison. Nous avons achevé notre conversation par une accolade fraternelle entre deux prêtres qui s’acceptent et se reçoivent mutuellement. Après cela, il m’a envoyé des cartes postales de temps en temps. Je crois avoir été le premier à qui ils ont demandé pardon.

C’est-à-dire que pour ne pas être injuste, je ne peux exclure ce processus pénitentiel et cathartique qu’ils se sont imposés en venant me demander pardon. Et je ne leur ai pas refusé.

Et vous avez vraiment réussi à pardonner ?

J’ai pardonné à tout le monde, y compris à Maciel. Ce qui, en revanche, est plus difficile pour moi, c’est d’accepter le fait que ce dernier n’ait pas eu le courage de nous demander pardon lorsque tout cela est arrivé aux plus hautes instances vaticanes, et que les dirigeants de l’Eglise avait commencé à mettre des qualificatifs sur ses conduites. Je ne sais pas s’il vivait encore dans l’univers de la drogue, mais ce que je regrette vraiment, c’est qu’il ne nous ai pas réuni pour nous demander pardon. Je me demande comment un homme de Dieu n’ait jamais su y arriver. Je me suis vraiment rendu compte que le père Maciel échappait peut-être aux limites du naturel. Que cela relevait du surnaturel et de Satan, qui, comme dit la chanson, « recherche celui qu’il dévorera »… Oui, ça, j’ai du mal à le pardonner.

Avez-vous des contacts avec sa fille ou d’autres membres de sa famille ?

Non, aucun. Personne n’est jamais venu à ma rencontre. Rendez-vous compte : ils ont envoyé des évêques au Mexique et en d’autres lieux pour rencontrer les victimes, mais moi, personne ne m’a jamais contacté. Et je crois que c’est parce qu’ils craignaient que je leur dise la vérité. Ils ne voulaient pas écouter un prêtre qui allait leur dire la vérité. Je pense qu’ils avaient intérêt à ne pas franchir ce pont.

Car en ce qui me concerne, personne n’a jamais cherché à me rencontrer. Et je crois comprendre qu’ils ne voulaient pas prendre ce risque. J’ai vraiment peur que ce soit cela la raison : ils ne voulaient pas interroger un prêtre comme moi, pauvre et humble, qui, malgré toutes ses imperfections, est resté prêtre. Je crois qu’ils n’ont pas osé me poser la question, et cela m’a causé une grande inquiétude intérieure et beaucoup de tristesse. Parce que cela m’oblige à me demander comment cette Eglise que j’aime, dans laquelle je suis né et dans laquelle j’espère mourir, a-t-elle pu s’écarter du chemin de la vérité au point de ne jamais faire l’effort de chercher comment les choses se sont vraiment passées… Oui, cela fait beaucoup souffrir, et j’ai du mal à le pardonner.

Mais bon, je le pardonne aussi. Qui suis-je moi pour juger la vie du père Maciel ?

En tant que victime, vous avez pourtant toute la légitimité pour le faire…

Oui, je le sais, mais en tant que prêtre, je ne vois pas les choses ainsi. Pour moi, je n’avais besoin que de peu de choses : sortir de la Légion, retrouver mon chemin sans l’aide de personne, me mettre au service de mes paroissiens aux États-Unis, continuer ma vie tranquillement, et n’avoir pour règle de conduite que de dire la vérité quand je me suis retrouvé pris dans cette affaire. Et la vérité, je l’ai raconté au Vatican, aux journalistes, aux enquêteurs sur la pédophilie…

Pensez-vous que le pape François arrivera à résoudre ce problème ?

J’ai des espoirs démesurés en lui. Le pape me semble être un homme extraordinaire. J’espère qu’il ne nous maltraitera pas, parce qu’il est en train de toucher à des zones très sensibles… Mais il a un sacré caractère, une grande bonté et un excellent contact humain, c’est-à-dire à peu près tout ce que nous n’avons jamais trouvé dans la curie romaine, qui stoppait tout ce que nous envoyions pour éviter que cela n’arrive tout en haut.

Je crois que le pape François touche les cœurs, grâce à sa foi et parce qu’il croit en quelque chose de sérieux. Que Dieu le bénisse et le garde ! Et qu’on ne le maltraite pas, parce qu’il y a de nombreux intérêts en jeu. Il va devoir être très prudent, même si, dans le fond, seule la protection de Dieu soit vraiment nécessaire.

Qu’attendez-vous, alors, du Chapitre Général de la Légion ?

J’ai été très impressionné par la gentillesse du père Corcuera. Les autres, je ne les connais pas, mais je suis très reconnaissant envers le légionnaire qui a osé nous demander pardon en publique. C’est presque un miracle ! Ce qui me fait souffrir, c’est qu’il y n’y ait pas plus de témoignages de cette nature. J’ai essayé de donner le mien, en ouvrant mon cœur.

Voir en ligne : http://www.periodistadigital.com/re…

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