« Indépendamment de la personne du fondateur, on reconnaît avec gratitude l’apostolat louable des Légionnaires du Christ et de l’Association Regnum Christi. » Communiqué du Saint-Siège sur le fondateur des légionnaires du Christ, le 19 mai 2006
Quand, dans le cadre d’un livre d’interview, le pape Benoît XVI a été interrogé sur le scandale des abus sexuels perpétrés par des prêtres, et en particulier sur le fondateur de la Légion du Christ et sur la viabilité de sa congrégation, voici ce qu’il a répondu :
La conviction défendue par le pape Benoît XVI, par son délégué à la Légion du Christ et par les dirigeants de la congrégation pourrait être formulée de la façon suivante :
La Légion du Christ produit de nombreux bons fruits ; par conséquent, elle doit être bonne, malgré la vie corrompue et néfaste de son fondateur.
Je reconnais volontiers qu’il y a des « bons fruits » liés à la Légion du Christ, ou, pour être plus précis, aux personnes qui composent la Légion. Mon objectif dans cet article, cependant, est de porter l’attention sur les « mauvais fruits », que les autorités de l’Église ont minimisés ou niés ou renié pendant de nombreuses années. Je vais donc, dans un premier temps, m’attarder à décrire quelques uns des « bons » fruits de la Légion, pour en faire ensuite une relecture plus approfondie. Après quoi, je désignerai un certain nombre de « mauvais » fruits produits par la Légion.
Les bons fruits de la Légion
1. Une croissance rapide de ses membres
Wikipedia définit la Légion du Christ comme une congrégation catholique romaine de droit pontifical (approuvée par le pape), composée de prêtres et de séminaristes étudiant en vue du sacerdoce. Elle a été fondée au Mexique en 1941 par Marcial Maciel, qui a dirigé la congrégation jusqu’en janvier 2005. (…) Le 31 décembre 2010, la Légion du Christ comptait 889 prêtres travaillant dans 22 pays, ainsi que 2373 séminaristes. Son mouvement laïque Regnum Christi compte environ 70’000 membres, et l’ECYD, sa branche destinée aux jeunes, compte quelques dizaines de milliers de membres. Dans son séminaire majeur, le Centre d’Études Supérieures, de Rome, La Légion a environ 300 étudiants qui se préparent à être ordonnés prêtres.
2. Centre international de formation pour les prêtres
Le joyau de la couronne des œuvres apostoliques de la Légion, d’un point de vue catholique, est aucun doute son Centre international de formation sacerdotale à Rome, l’Athénée pontifical Regina Apostolorum. Ce séminaire accueille des étudiants du monde entier pour les préparer à la prêtrise. Etre habilité par le Pape et par les services correspondants du Vatican à former des prêtres au cœur de la chrétienté, à Rome, c’est peut-être l’un des plus grands honneurs pour un ordre religieux ; un fait qui n’aura pas échappé aux jésuites qui étaient, traditionnellement, spécialisé dans la formation des prêtres. L’une des grandes gloires des jésuites, c’est d’avoir été pendant des siècles d’excellents formateurs de prêtres… Alors que la Légion grandissait et gagnait en influence et en prestige, dans les années 60, 70 et 80, beaucoup ont commencé à considérer – sans le dire explicitement – que les légionnaires allait bientôt supplanter les jésuites, « le bataillon du Pape », ses plus proches alliés, ceux à qui avait été confiée la formation des prêtres. Le 4 avril 2002, le site Internet du Regnum Christi proclamait fièrement : « Le nombre croissant des étudiants de l’Athénée Pontifical de la Légion du Christ a commencé l’année avec un message clair : ’préparez-vous pour prendre en main la mission de l’Eglise’ ». Octobre 2001 a marqué le début de la neuvième année scolaire de l’Athénée Regina Apostolorum. Cette année, l’Athénée comptait 1600 étudiants, qui se partageaient en trois facultés : la théologie, la philosophie et la bio-éthique. L’Institut pour les Sciences Religieuses, qui est associée à l’Athénée, est dans sa troisième année et compte aujourd’hui 700 étudiants. Cette année, il donnera des cours de « Pédagogie de la Vie Consacrée » et de « Pédagogie du Ministère Vocationnel ». Le cardinal Camilo Ruini, Vicaire du Saint-Père pour la ville de Rome, et président de la Conférence des Evêques d’Italie, a présidé la messe du Saint-Esprit et a offert le discours inaugural pour la nouvelle année académique. »
3. Écoles, facultés et universités
Au Mexique, les légionnaires gèrent le réseau d’Universités Anahuac, qui comprend huit campus répartis sur l’ensemble du pays. Ils dirigent des centres éducatifs (séminaires mineurs, séminaires, écoles, universités) au Mexique, au Venezuela, en Colombie, au Chili, au Brésil, en Argentine, en Israël, en Corée, en Pologne, en Irlande, en Espagne, en Italie, en France, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, au Canada, aux États-Unis et aux Philippines. Aux États-Unis, les légionnaires possèdent 9 écoles (et offrent leurs services à plusieurs autres écoles) et 2 petits séminaires.
Tout ce qui brille n’est pas or
1. Défections de membres
Pour commencer, il faut préciser que les chiffres que je viens de citer proviennent de la direction de la Légion du Christ elle-même. Or, si ces statistiques sont « officielles » et apparaissent dans les livres de la Congrégation pour les Religieux ainsi que dans l’Annuaire Pontifical publié chaque année par l’Église catholique, elles n’offrent aucune garantie quant à leur authenticité. Le Vatican n’exerce pratiquement aucun contrôle sur les rapports présentés par la Légion. Les statistiques ne sont pas vérifiées par des sources indépendantes et les archives de la Légion du Christ ne sont pas accessibles. La Légion, bien sûr, ne présente pas le nombre de ses « défections », que ceux-ci aient eu lieu pendant la formation ou après l’ordination sacerdotale. La plupart des membres qui quittent la congrégation s’enfuient discrètement, si bien qu’il est pratiquement impossible de les répertorier, ou seulement de façon anecdotique, à travers quelques rumeurs, ou quand il y a un gros « scandale » qui est repris par les médias et porté à l’attention du public. La véritable question demeure : combien de légionnaires quittent les rangs de la Légion chaque année ?
Il est difficile d’obtenir des statistiques fiables sur les défections de la Légion, car c’est une information qui a toujours été soigneusement contrôlée par les administrateurs de la congrégation. Il était d’usage que les membres quittent dans l’obscurité et le silence, « avec crainte et tremblement », sans en informer leurs compagnons. J’estime – avec certaines réserves – qu’au cours des cinq à sept dernières années, au moins 100 prêtres légionnaires ont quitté la congrégation (sur les 800 qu’elle comptait auparavant dans ses rangs). Depuis 2009, les départs sont devenus un peu plus visibles et certains membres ont même annoncé publiquement les raisons de leurs départs. C’est le cas de quelques brillants prêtres tels que les pères Richard Gill, Thomas Berg, Stephen Fichter, James Farfaglia, et d’autres qui ont réussi leur passage vers le clergé diocésain. L’analyse du père Gill sur la Légion a eu un grand succès dans la presse. Intitulée « La Légion du Christ peut-elle être réparée ? », elle a d’abord été publiée sur le site de Sandro Magister sous le titre : « Légionnaires, les dix questions du père Richard Gill. » A la lumière des premières étapes du processus de réformes de la Légion entrepris par le délégué apostolique, le père Gill formule quelques questions de fond sur l’essence même de la Légion du Christ. Des questions indiquent que l’état d’esprit et les attitudes qui prévalent à l’intérieur de l’ordre n’ont pas changé.
Un coup dur pour la Légion a été la défection en masse de plus de 30 « consacrées » du Regnum Christi, en 2011, pour former une nouvelle communauté religieuse : Totus Tuus. A cette époque, une ancienne membre du Regnum Christi, Nieves Garcia, a écrit un article intitulé : « 340 consacrées ont quitté le Regnum Christi au cours de trois dernières années. Pourquoi ? »
2 . Centre international de formation pour les prêtres
On devrait se demander : mais au fait, de quel droit la Légion du Christ a-t-elle mis en place un institut de formation pour les prêtres catholiques ? Comment le Vatican a-t-il pu permettre à la Légion de s’attribuer une telle mission ? D’où provient la méthode de formation qu’elle utilise avec ses étudiants ? Où la Légion a-t-elle obtenu la sagesse nécessaire pour transmettre la sainteté à des séminaristes du monde entier, ainsi qu’à ses propres religieux ? La spiritualité de la Légion, comme n’importe quel ordre religieux, devrait normalement venir de l’exemple et des écrits de son fondateur. Or, l’exemple du fondateur de la Légion a été complètement discrédité. Les écrits du fondateur, à savoir les douze volumes des « Lettres de Nuestro Padre », ont perdu également toute valeur, sauf peut-être aux yeux des adeptes les plus fanatiques. Ce qui était censé être le joyau de la mystique du fondateur, le Psautier de Mes Jours, s’est avéré être le plagiat d’un livre écrit dans les années 40 par un combattant de la liberté espagnol.
Grâce à ses nègres, le père Maciel a également signé un livre intitulé la Formation intégrale du prêtre catholique [2]… il s’agit d’un livre qui défonce des portes ouvertes, plein de banalités et de formules un peu vieillottes. Et il est toujours disponible sur Amazon. Je me demande d’ailleurs si la formation que la Légion dispense aux étudiants de son séminaire international, à Rome, continue à s’inspirer ce livre, qui figure encore parmi les meilleurs ventes d’Amazon, avec 2’035’792 ouvrages vendus. On trouve encore sur le site d’achat en ligne une description glorieuse du père Maciel et de ses œuvres : « la Formation intégrale du prêtre catholique est un manuel désormais classique pour la formation des séminaristes, actuellement utilisé dans plus de 20 séminaires diocésains, dans cinq pays. Fruit de plus de cinquante années d’expérience dans le domaine de la formation des prêtres pour l’Église, ce livre porte un regard perspicace sur la formation sacerdotale pour l’Église d’aujourd’hui et de demain. »
En ce qui me concerne, je me demande si le manuel du père Maciel ne devrait pas être ré-intitulé « La déformation intégrale du prêtre catholique ». Mais je crains que les disciples de la Légion, si facilement éblouis par les apparences, n’apprécient pas ma boutade.
Dans un article daté du 19 juillet 2009, Jason Berry, un journaliste qui critique la Légion depuis quelques années, est allé jusqu’à qualifier de « camp de concentration de Rome » le séminaire d’élite où sont formés en secret les futurs prêtres légionnaires. Voici un extrait de son article :
« L’atmosphère dans cette maison de formation est bizarre, » m’explique d’un air sombre un prêtre de la Légion assis sur un banc, au bord du Tibre, effrayé à l’idée que son nom soit divulgué. « A ce jour, on n’a encore rien dit aux frères sur la pédophilie de Maciel. Leurs courriers sont révisés et leur accès à internet est restreint. »
Il considère que les 320 séminaristes ont subit « un lavage de cerveau. Ces derniers continuent en effet à lire les lettres de Nuestro Padre. Trois ans après que le Saint Père ait condamné le père Maciel, ils étudient encore ses écrits. Si les prêtres peuvent sortir du centre et avoir un peu de temps libre, les frères, eux, sont dans un camp de concentration. » Nous supposons qu’aujourd’hui les choses ont enfin évolué depuis la Visite Apostolique ordonnée par le Vatican en 2010. Il y a eu quelques défections importantes, mais les informations qui nous parviennent depuis l’intérieur indique que l’atmosphère de contrôle et de peur reste très préoccupante.
3. De la fondation d’écoles à la gestion d’hôtels
Au cours des dernières années, en commençant par la mise à l’écart de Maciel par le Vatican en 2006, mais surtout après les révélations sur sa scandaleuse double vie en 2009, il y a eu une chute des dons à la Légion et une diminution du nombre de ses centres éducatifs. Le site Internet de REGAIN a rapporté récemment que « la Légion mets un terme à son action dans la région de Sacramento, en suivant sa décision de 2011 de fermer leur seule université légionnaire aux États-Unis, ainsi que l’École Apostolique de l’Immaculée Conception, un petit séminaire situé à Colfax, en Californie. » REGAIN s’interroge : Pourquoi la Légion ferme-t-elle ses écoles aux Etats-Unis et ailleurs ? « Pourquoi la Légion possède-t-elle des écoles aux meilleurs endroits ? Les écoles de Sacramento et d’ailleurs ont-elle été créées dans une perspective spirituelle, afin de fournir une éducation catholique ? Ou bien ces institutions n’auraient-elles pas été plutôt fondées comme de simples moyens pour d’autres fins ? » L’article proposait l’explication suivante : « Si vous regardez la situation du point de vue économique, la seule raison expliquant pourquoi les légionnaires se retirent d’une zone, c’est parce qu’ils choisissent de rester là où ils font le plus de bénéfices. » Je ne crois pas me tromper en disant que les écoles de la Légion, comme d’ailleurs tous autres « apostolats » de la Légion, sont des moyens pour d’autres fins, moins apparentes : collecte de fonds, visibilité/image et influence. Pour une congrégation dont le fondateur se présentait lui-même comme « un ami du Pape Jean-Paul II », l’image est un élément clé. La Légion tend à se positionner (ou plutôt se « iuxta-positionner », comme dirait José Barba) aux côtés du Pape, du Vatican, de la sainteté et ainsi de suite. Et cela peut expliquer pourquoi la Légion se tourne dorénavant vers la Terre Sainte. La Légion du Christ administre un hôtel à Jérusalem, le « Notre-Dame of Jerusalem Center », et elle est en train d’investir dans un autre grand hotel à Magdala, en Galilée – bien que pour être tout à fait exact, la Légion n’investit pas nécessairement à partir de ses propres fonds, mais demande des dons pour investir l’argent de catholiques dans cet hôtel – mais la « iuxta-position » est un outil très puissant. Si la Légion ne peut plus être associée avec le Vicaire du Christ, elle pourra maintenant être associée avec la terre du Christ, se présentant au monde comme un champion de la paix au Moyen-Orient, un éducateur et un hôte pour les pèlerins venant visiter la terre du fondateur du Christianisme. La propagande toujours très attrayante de la Légion a déjà mis en avant que la Légion avait pris part à des découvertes archéologiques en Terre Sainte !
Les mauvais fruits de la Légion
Les complices du père Maciel
Bien sûr, la première pomme vraiment pourrie était le fondateur, le père Marcial Maciel. Certains chercheurs qui s’intéressent à la Légion se demandent comment Maciel aurait pu vivre aussi longtemps une vie aussi dépravée sans l’aide d’autres personnes. Maciel était passé maître en tromperie et en manipulation. Il avait un contrôle absolu sur le cercle de ses victimes sexuelles, et sur ceux qui lui procurait de nouvelles victimes. Il était aussi entouré par un cercle de collaborateurs qui l’ont aidé à rester au pouvoir pendant six décennies. Le délégué pontifical a sans doute fait une grosse erreur en ne virant pas ses complices. Cette opinion a été exprimée récemment par un ancien légionnaire prestigieux, le père Thomas Berg, qui enseigne aujourd’hui la théologie morale au séminaire Saint Joseph, à Yonkers, dans l’Etat de New York.
« …D’abord, il a décidé de laisser plusieurs proches et anciens collaborateurs de Maciel à des postes de gouvernement dans la congrégation. Ensuite – et c’est encore plus inquiétant – le cardinal a fait le choix de renoncer à faire une enquête approfondie et indépendante afin de déterminer si des membres actuels ou d’anciens membres de la congrégation avaient sciemment aidé Maciel. »
Des prêtres pas si saints que ça
L’image immaculée des prêtres de la Légion a commencé à se ternir avec les révélations de 2012 que le chevalier légionnaire, dans son armure étincelante, était tombé de sa monture : un directeur, professeur et auteur de livres de théologie morale, correspondant pour la télévision « spécialiste du Vatican », porte-parole et défenseur de la Légion, père Thomas Williams a eu un enfant alors qu’il était prêtre, en activité. Lui, et ses supérieurs, ont ensuite gardé le secret pendant plus de dix ans. Le National Catholic Register, un journal très traditionnel, qui a même appartenu un certain temps à la Légion, a expliqué :
« Un prêtre légionnaire admet sa paternité et présente ses excuses. Le père Thomas Williams quitte son ministère publique pendant un an. Le père Thomas Williams, l’un des prêtres légionnaires les plus médiatisés quitte son ministère après avoir admis sa paternité. ’Il y a quelques années, j’ai eu une relation avec une femme et engendré un fils. Je suis profondément désolé pour cette grave transgression et j’ai essayé de faire amende honorable,’ affirme le prêtre dans une déclaration datée du 15 mai dernier. ’Mes supérieurs et moi-même avons décidé qu’il serait mieux pour moi de me retirer pendant un an du ministère publique, afin de réfléchir sur l’erreur que j’ai commise et sur mon engagement de prêtre. Je suis vraiment désolé pour toutes les personnes qui seront choquées par cette révélation, et je demande vos prières alors que je cherche à discerner comment réparer mes erreurs.’
Il a aussi demandé pardon aux membres de la Légion et de l’Eglise, ’puisque cette nouvelle scandaleuse les touchera également, au pire moment possible.’
L’identité de la mère et du fils n’a pas été révélée. Le père Williams a également affirmé qu’il était auprès de sa famille, dans le Michigan, subissant actuellement un traitement pour un cancer. »
D’autres légionnaires coupables d’abus sexuels ?
Depuis que la Légion a reconnu publiquement la corruption de son fondateur, en 2009, elle a essayé de le répudier, lui attribuant exclusivement la responsabilité de tous ses crimes et assurant que le cancer ne s’était pas répandu à ses disciples. Récemment, des accusations d’abus sexuels perpétrés par des prêtres légionnaires ont été rapportées au Vatican, qui a ensuite commencé une nouvelle enquête dans la Légion du Christ.
« CITE DU VATICAN – Le Vatican procède à une enquête sur sept prêtres de la tumultueuse congrégation des légionnaires du Christ, pour des abus sexuels présumés sur des mineurs – preuve que le scandale sur la congrégation au fondateur pédophile ne se limite pas à sa seule personne, explique l’agence de presse Associated Press. (…)
Les investigations marquent la première action connue du Vatican contre des prêtres légionnaires, à la suite des révélations sur le fondateur de la Légion, qui a été longtemps présenté comme un modèle par le Vatican malgré des accusations crédibles – qui seront ensuite avérées – de consommation de drogues, de viols et d’agressions sur ses séminaristes.
La Légion, qui est maintenant sous la tutelle du Vatican, a affirmé que les crimes du père Marcial Maciel étaient les siens, à lui tout seul.
Mais l’enquête du Vatican sur d’autres prêtres légionnaires indique que la même culture du secret que Maciel avait mis en place pour dissimuler ses crimes a permis à d’autres prêtres d’abuser d’enfants – de la même façon que d’autres prêtres d’autres communautés religieuses et diocèses ont fait dans le monde entier.
Les dénonciateurs
L’association REGAIN est née dans les années 90 de l’inquiétude d’anciens légionnaires, de parents et d’amis, de l’état de confusion psychologique, physique et spirituel de membres actuels et sortants de la congrégation. Les statistiques ne sont pas disponibles, mais nous pouvons dire que sur les vingt dernières années, il y a eu un flot constant d’anciens membres qui ont le sentiment d’avoir été maltraités, manipulés et abusés de différentes façons lorsqu’ils se trouvaient dans la congrégation.
La mission de REGAIN consiste à sensibiliser, à mettre en relation et à soutenir les personnes affectées ou blessées par la Légion du Christ et par le mouvement Regnum Christi. Anciens et actuels membres, ainsi que tous ceux qui recherchent la justice, la vérité, des solutions et la guérison, sont invités à rejoindre notre effort.
REGAIN a recueilli de nombreux récits d’infortune provenant de soldats blessés cherchant des renseignements, un soutien ou des conseils, alors qu’ils se remettaient de leur expérience dans la Légion. Alors que des Papes, des évêques et des catholiques crédules faisaient des éloges de la Légion, sur ses méthodes et ses œuvres, REGAIN était le témoin privilégié des ravages causés par les méthodes de la Légion, et par quelques directeurs spirituels ou supérieur de la Légion qui ne portent dans leurs cœurs l’intérêt de leurs membres. REGAIN a a du géré la colère, la confusion, le trouble et la frustration de personnes et de familles affectées. La Légion a même attaqué REGAIN devant les tribunaux, et essayé de l’empêcher d’accomplir sa mission de miséricorde.
Au cours des dernières années, un nouveau blog interactif, et très bien informé, a permis de tenir le publique informé sur les évènements liés à la Légion du Christ et au Regnum Christi : http://www.life-after-rc.com/
En espagnol, il y a également le site suivant : http://blogs.21rs.es/trastevere
Les effets toxiques de la formation légionnaire
En 2012, un groupe de jeunes femmes ayant fait leur scolarité dans un lycée préparatoire au Regnum Christi, dans le Rhode Island, est monté aux créneaux sur la toile. Voici comment elles définissent leur blog :
« Ce blog raconte l’expérience d’anciennes pré-candidates du mouvement Regnum Christi. Plusieurs d’entre nous avons souffert de véritables dommages mentaux, émotionnels et spirituels pendant les années que nous avons passées à l’Académie de l’Immaculée Conception. Nous partageons nos histoires ici afin d’avertir les parents des réels dangers qu’ils prennent en confiant leurs filles à cette institution boiteuse. Ce que vous voyez de vos filles quand elles viennent à la maison pour une semaine à Noël et deux semaines en été ne correspond pas ce qui se passe pendant les 49 autres semaines de l’année.
On les appelle « pré-candidates », c’est-à-dire de jeunes lycéennes que l’on prépare pour se consacrer dans le mouvement fondé par le père Marcial Maciel. Certains commentaires glanés dans l’un ou l’autre de ces témoignages décrivent de sérieux dégâts physiques, psychologiques et spirituels :
1. Grave troubles dépressifs, avec pensées suicidaires et tentatives de suicide ; processus dissociatifs ; etc.
Lettre de « M » au Visiteur Apostolique, Mgr Ricardo Watty, en février 2010 :
Votre Excellence,
Voilà une semaine que je médite sur cette lettre. En effet, depuis que j’ai appris que j’allais avoir l’opportunité de vous présenter une lettre, mon esprit s’est rempli d’idées et d’émotions. J’ai écrit tellement d’histoires sur la souffrance et le chagrin que le Regnum Christi a laissé dans ma vie… une angoisse si grave qui m’a même conduit à attenter à ma propre vie. Je suis sûr que vous n’aurez pas le temps de lire le scénario que j’ai écrit pour raconter, sous forme d’histoires, ce que j’ai enduré comme membre consacrée du troisième degré du Regnum Christi. Ou les 150 pages que j’ai rédigé au sujet de mon « histoire vocationnelle », alors que je me remettais d’une overdose. (…) Avant d’entrer au Regnum Christi, je n’avais jamais fait la moindre dépression. Pendant ma deuxième année, on nous a fait faire un test psychologique, le Minnesota Multiphasic Personality Inventory, conçu pour dessiner des images psycho-analytiques. Sans surprise, j’ai dessiné un saule pleureur, symbole classique de la dépression, et mes résultats au test ont été au dessus de tout ce que j’avais jamais pu voir quand je travaillais moi-même dans un centre de soin. J’ai passé sept jours entier sous médicaments après mon overdose, quand les médecins ont réussi à me sauver. Ma vie a té sauvée parce que, alors que j’étais sur le point de mourir d’une hémorragie interne, j’ai reçu une image dans mon esprit : celle que je pourrais avoir un jour une famille et une vie heureuse, comme écrivain. C’est grâce à cela que j’ai été envoyé à l’hôpital.
2. Violence psychologique perpétrée par des « directrices spirituelles » ineptes, cruelles et manipulatrices causant des ravages moraux.
Une ancienne consacrée écrit : j’aimerais partager une chose avec toutes les anciennes pré-candidates : si vous essayez de comprendre pourquoi on vous a traité comme ça, je vous invite à arrêter et à vous souvenir de ceci : vos formatrices n’avaient STRICTEMENT AUCUNE FORMATION sur comment vous aider à devenir une meilleur personne ; comment respecter vos droits fondamentaux ; comment développer vos talents personnels ou vous aider à discerner une vocation. La seule formation qu’ils avaient reçue, c’était : comment vous amener à accomplir les grands idéaux et la discipline du mouvement… (…) Ainsi, si vous vous sentez troublée parce que vous ne comprenez pas pourquoi quelqu’un vous a traité de cette manière, vous avez déjà entre 80 et 90% de votre réponse. Personne ne vous regardait comme une FIN en soi, mais seulement comme un MOYEN au profit du Mouvement et des statistiques. « M » écrit : Deux, c’est le nombre de personnes à qui j’ai confié mes desseins suicidaires, quand j’étais consacrée : ma directrice spirituelle et ma mère. Ma directrice spirituelle a continué à m’agresser psychologiquement, en s’en prenant toutes mes faiblesses. Ma mère m’a dit que je faisais certainement une dépression, qui pouvait être traitée avec des médicaments et une thérapie. Mon directeur spirituel était très en colère, et puisque ma mère savait que je n’allais pas bien, elles m’ont dit que je devais rentrer chez moi.
Rétrospectivement, je pense que cette personne essayait seulement d’appliquer les règles du mouvement. Mais elle m’a fait beaucoup de mal, me laissant de profondes blessures psychologiques, pour les nombreuses années qui ont suivi. Huit, c’est le nombre d’années que j’ai passé en psychothérapie pour guérir de mon expérience dans le Mouvement, commençant par 3 séances par semaine, et descendant progressivement à une séance par semaine, quand j’arrivais à supporter ma dépression aussi longtemps.
3. L’anorexie mentale et l’abus spirituel
Une fille de notre classe était anorexique et le reste des filles a commencé à manger le moins possible. Quand elle était à l’hôpital, j’ai surprise la directrice de l’école en train de dire au prêtre de ne pas lui donner la Communion tant qu’elle n’aura pas mangé.
4 . Maladies physiques causées par la cruauté de ma supérieur
Dix, c’est le nombre de kilos que j’ai perdu quand j’ai attrapé un mauvais virus après avoir dit à ma directrice spirituelle que je ne comprenais pas comment le Mouvement pourrait accomplir sa mission si tout ce que nous faisions consistait à travailler dans les écoles. Elle m’avait alors répondu que je parlais comme les ennemis du Mouvement. Ma directrice m’a ordonné de reprendre rapidement le poids que j’avais perdu, mais j’étais tellement déprimée que j’étais à peine capable de mâcher la nourriture.
5 . Emprise mentale
26, c’est le jour du mois de juillet 2002 où j’ai quitté Monterrey, au Mexique et où je suis rentré en avion chez moi. J’étais devenue tellement suicidaire, que je n’arrivais plus à penser clairement, mais si intégrée avec ce que la vie consacrée signifiait que je ne pouvais pas m’empêcher de faire du recrutement dans l’avion. 150, c’est le nombre d’aspirines que j’ai ingurgité le 11 septembre 2003, persuadée que je ne pourrais plus jamais trouver le bonheur, n’étant pas assez bonne pour être consacrée.
6 . Recrutement prématuré
9, c’est l’âge que j’avais quand elles ont commencé à me recruter. Notez bien, s’il vous plait, que je n’avais pas encore atteint l’âge des raisonnements complexes. 30, c’est nombre d’élèves de 6e à qui je donnais la Direction Spirituelle à Monterrey, et que je devais recruter pour la vie consacrée. Je me sens coupable lorsque je me souviens de leurs noms et de leurs visages, et effrayé quand je pense à ce que le Mouvement a pu leur faire dans leur futur.
7. Syndrome de stress post-traumatique
2921, c’est le nombre de jours dans huit années. C’est le nombre de cauchemars que j’estime avoir fait depuis que j’ai quitté la vie consacrée. Je me souviens d’un rêve par semaine, environ, ce qui me permet de dire que je continue à faire des cauchemars pratiquement toutes les nuits, même si je ne m’en souviens pas.
8 . Ignorance absolue sur la sexualité et les relations interpersonnelles, produisant des membres ignorants, immatures et mal équipés pour la vraie vie.
Une ancienne consacrée a écrit : Une chose que je ne comprends toujours pas, c’est qu’on n’ait jamais eu la moindre éducation sexuelle ! Peut-être est-ce la raison pour laquelle tant d’anciennes consacrées éprouvent des difficultés avec les relations sentimentales, émotionnelles, les rendez-vous amoureux et même leurs maris. Si vous avez pu récupérer cette éducation plus tard, vous avez bien de la chance !
Certaines anciennes consacrées ont quitté leur maison quand elles avaient 14 ou 15 ans, et sont revenus à 18 ou 20 ans. Pendant ce temps, beaucoup de vos amis ont des histoires d’amour, des cœurs brisés, ont perdu leur naïveté et ont eu des expériences utiles en matière de sexualité (ainsi que d’autres expériences pas utiles du tout !) Ensuite, quand les anciennes pré-candidates retournent chez elles, tout ces trucs de mecs deviennent très compliquées et elles ne savent absolument pas comment gérer cela. Je trouve que le manque d’éducation sexuelle chez les pré-candidates et chez les consacrées est l’un des aspects les plus « néfastes », même si on ne le remarquait pas clairement. Certaines consacrées ont demandé aux supérieurs majeurs d’inclure quelques livres d’éducation sexuelle pendant leurs années de formation. La réponse a été négative : c’était « imprudent » parce que ces lectures risquaient de les « éveiller ». (oui, je suis aussi restée bouche bée quand j’ai entendu cette réponse).
9 . Rejet de la foi d’enfance (de l’Église catholique)
Je suis toujours croyante ( … ). Cependant, je ne peux revenir dans une Église qui était au courant des horreurs qui avaient lieu dans le Mouvement, mais qui a choisi de l’ignorer pendant plus de cinquante ans… bien avant que je ne le rejoigne, alors que cela aurait pu m’éviter beaucoup de souffrances. Je ne peux pas revenir dans une Église dont le Pape a fait les éloges du Mouvement et de Marcial Maciel tant de fois en public, ce qui était d’ailleurs un élément crucial de ma décision d’entrer et de croire en ce Mouvement… alors que toutes les preuves sur les dérives du groupe étaient si habilement dissimulées. Il est trop tard aujourd’hui pour espérer me faire revenir à l’Église, mais si vous agissez vite et en bien, peut-être arriverez vous à sauver la foi d’autres personnes.
10 . Orgueil spirituel et pharisaïsme
Frances écrit : Cela a été pour moi à la fois très surprenant et révélateur de repenser à la vie de fou que nous menions à la pré-candidature. Et pourtant, nous étions bien là, retirée du monde, comme des princesses russes et des nonnes de Narragansett, meilleures que nos pairs parce que nous avons choisi de donner nos vies au Seigneur. Les autres jeunes filles de notre âge, simples mortelles, vivaient des vies flamboyantes et pleines de plaisirs coupables. La vie ne consistait-elle pas entièrement à faire des sacrifice et à renoncer à soi-même ? Pour un groupe qui prêchait la « charité chrétienne universelle », c’est très étonnant de penser à quel point nous passions notre temps à juger tous ceux qui n’étaient pas exactement comme nous. « Oh, elle doit manquer de générosité envers Dieu, elle rentre à la MAISON ! » « Oh, avez-vous entendu ? Unetelle et unetelle s’est amusée / est allée danser / est tombée enceinte / etc. » Sans blague ?! Mais qui étions nous pour juger ou pour dire quelle était la volonté de Dieu pour quelqu’un d’autre que nous ? Nous étions d’une certaine façon meilleures que les autres parce que nous étions des âmes choisies, et que nous donnions nos vies au Seigneur, alors que ceux qui étaient appelées à des vocations comme le mariage, étaient des êtres inférieurs, incapables d’un tel amour et d’une telle dévotion. Cet orgueil puant de nos pensées me dégoûte encore alors que j’écris.
11 . Perte d’humanité et de liberté
Frances déclare : Comment est-il possible que 80 filles vivent si proches les unes des autres, fassent tout ensemble pendant des années… et pourtant se connaissent aussi mal ? En tout, je crois qu’on avait le droit de parler environ 30 minutes par jour, peut-être moins. Le reste du temps, nous marchions comme des robots, saisissant ce qu’on nous permettait de saisir, ni plus, ni moins.
La véritable essence ce que signifie être humain, avoir la liberté de choisir, avait été retiré et rangé dans la plus étroite des boîte : l’emploi du temps. Chaque minute de chaque jour était planifiée… au point que si vous aviez une constipation, bonne chance ! Votre temps libre ne vous permettait pas de remédier à ce problème. Je me souviens qu’un année, après les examens de fin d’année, nous sommes sorties en promenade avec quelques autres pré-candidates, et on s’est mise à hurler, comme dans le film Brave-heart « LIBEEERTÉÉEEEE !!! », ce qui nous valu un long sermon de la part de nos supérieurs, pour avoir eu un comportement aussi inapproprié. Nous étions des adolescentes qui se battaient pour l’amour du Christ.
Pardon et guérison
Quand on lit ces histoires, surtout quand on a soi-même été dans la Légion ou au Regnum Christi et qu’on a subit différents types d’abus, on ressent spontanément de l’indignation, ou peut-être même de l’amertume. Une autre ancienne membre du Regnum Christi, très appréciée, Nieves Garcia, tient aujourd’hui un blog en langue espagnole « Granito de verdad con amor », grain de vérité avec amour. Ses « enseignements » nous aident à digérer ces expériences insipides, invitant chacun de nous à prendre ses responsabilités et à chercher la résolution du problème dans le pardon. Je « tends le micro » à Nieves pour conclure ce propos.
Elle affirme que la somme des bonnes œuvres de la Légion ne pourront jamais justifier les mauvaises choses qui ont été et sont encore faites. Contemplant les vingt-sept années qu’elle a passé dans le mouvement, elle nous dit :
« Lorsque la vérité vient à la lumière, il nous incombe de corriger notre mode de vie. Ce faisant, beaucoup d’entre nous réalisons que nous aussi, nous avons blessé les autres. Nous ne sommes pas des choses, des végétaux ou des « sacs de patates ». Justifier le mal par la somme de bons fruits, c’est accepter que le mal puisse être un moyen légitime pour une bonne fin.
J’ai vécu 27 années dans cette institution. Moi aussi, j’ai fait du mal à d’autres personnes sans le vouloir. Et je leur demande pardon. Mais je ne peux pas continuer à tromper. Ce que je voudrais, pour nous, c’est que nous prenions conscience, que nous demandions pardon et que nous ouvrions à la grâce de la conversion. Nous devons changer. Les gens ne sont pas des chiffres, ou les fruits de ma récolte. Ce sont des personnes humaines, aimées de Dieu pour ce qu’elles sont, et ils méritent un respect absolu. On parle ici de service, pas de jouer les apparences. Dieu connait la réalité : « Ne laissez pas votre main gauche savoir le bien que votre main droite a fait. » Il n’y a qu’en étant vraiment humble que Dieu pourra bénir ceux qui aiment et servent leurs prochains de manière désintéressée.
Il y a eu de bon fruits. Super ! Mais nous ne devons jamais faire de mal à personne, jamais. Et encore moins au nom de Dieu.
Nieves Garcia