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« Les scandales de la colonie de Cîteaux », Le petit Bourguignon, n°2638, 29 juin 1888, p 1.
LES SCANDALES DE LA COLONIE DE CITEAUX Les Frères Sodomistes. --- 250 enfants souillés.
On trouvera plus loin les premiers détails sur les scandales dont la colonie de Cîteaux est, depuis trop longtemps, le théâtre.
Cette colonie agricole a été créée en vue de la moralisation des enfants vicieux et des jeunes détenus.
On verra comment les Frères de Saint-Joseph, qui administrent et dirigent cette colonie, entendent la « moralisation » des enfants !
Plus de 250 enfants souillés… ! voilà ce que les « bons frères » appellent moraliser l’enfance ! Ces abominations, ces ignominies laissent loin derrière elles tout ce que l’on avait vu jusqu’ici dans les annales cléricales, si fécondes cependant en faits analogues.
N’en finira-t-on donc jamais avec ce vice clérical ? Chaque jour il faut aux minotaures ensoutanés de nouvelles victimes ; chaque jour ces monstres sacrifient à leurs appétits lubriques l’innocente enfance.
Comment peut-il se trouver encore des pères de famille assez imprudents pour oser confier à des soutanes l’éducation de ce qu’ils ont de plus cher au monde ?
Les révélations que nous publions sur les immondes pratiques des frères de Cîteaux dessilleront-elles enfin les yeux des plus incrédules ?
C’est à la magistrature à faire son devoir ; à le faire tout entier, impitoyablement. Il y a là une question de salubrité publique qui s’impose et qui doit passer au-dessus de toutes les considérations d’ordre privé.
Il faut que tous les coupables, où fussent-ils, soient connus et recherchés activement. Il faut que satisfaction entière soit donnée à la morale publique si odieusement outragée. Il faut débarrasser enfin notre contrée de cette pourriture cléricale.
EDMOND DUTEMPLE
LES SCANDALES DE CITEAUX 250 ENFANTS SOUILLES
Evasion d’un enfant. — Graves soupçons. — Constatations médicales. — Descente de justice à la colonie de Cîteaux. — Arrestation du frère Hyacinthe. — Interrogatoire des enfants. — Coupables en fuite. — Arrestation du frère Philippe. — 80 témoins. — Orgies abominables.
Ainsi que nous l’avions annoncé il y a deux jours, et les premiers de toute la Presse dijonnaise et départementale, un scandale clérical vient encore d’éclater dans le département de la Côte-d’Or.
Aussitôt que nous avons été prévenus de ces faits, nous avons, nous-mêmes, ouvert une enquête. Un de nos rédacteurs qui s’est rendu à Cîteaux, hier, nous rappelle les renseignements suivants :
C’est le mardi 19 Juin, que le pot aux roses a été découvert.
Un jeune garçon de cette école s’étant évadé, vint jusqu’à, Beaune ; mais là, n’ayant plus de quoi continuer sa route, il dut, à un moment donné, recourir à la charité publique. Il mendia, et on l’arrêta pour ce fait.
Son identité établie, on lui demanda le motif de son évasion : c’était clair, très clair : il avait déguerpi de chez les bons frères de Saint-Joseph qui tiennent maintenant en leur pouvoir la colonie agricole de Cîteaux, parce que l’un de ces bons frères lui avait fait… ce qu’il n’aurait pas dû lui faire.
Il n’y avait pas à dire « mon bel ami » l’enfant était malheureusement porteur des pièces à conviction et le médecin qui les examina déclara que, en effet,… ça y était !
Grand émoi, vous pouvez le croire, au parquet de Beaune, car malgré toute la haute estime où sont tombés aujourd’hui tous les frocards, on n’ose pas encore agir avec ces gens comme avec tout le monde.
On met presque des gants, pour palper ce monde-là ! Et, par le fait, on n’a peut-être pas tort.
Enfin après avoir bien délibéré, il fut décidé que la justice beaunoise ferait le lendemain mercredi 21 juin, à la première heure du jour, une descente à l’établissement en question. Cette descente de justice aboutit à l’arrestation immédiate d’un frère répondant au sobriquet de Hyacinthe.
Hyacinthe ne s’attendait évidemment pas à ce coup-là ; aussi, s’embrouilla-t-il dès le début de son interrogatoire, et avoua-t-il toutes les sagouineries dont il était accusé.
Le jour même, il était incarcéré à la prison de Beaune.
On crut pendant deux ou trois jours qu’on tenait le seul coupable, la brebis galeuse, ou plutôt, le bouc émissaire de l’établissement ; on se trompait, car petit à petit on acquit la certitude que d’autres chers frères de l’établissement avaient, eux aussi, enseigné la morale à la façon de Hyacinthe.
Une seconde descente devenait donc nécessaire, imminente.
Elle eut lieu samedi dernier, 23 juin. Cette fois, comme l’autre, on entendit d’abord des témoins, des gosses, des bambins qui retenaient, penauds et capons, ce qu’on leur avait fait, et aussi… ce qu’ils avaient dû faire.
Et cette fois, un nouveau personnage de l’établissement fut désigné comme l’alter ego du cher frère Hyacinthe.
Celui-ci répond au sobriquet moins gracieux de Philippe. L’interrogatoire fut, cette fois encore, assez long ; Philippe, qui avait connaissance des mésaventures de Hyacinthe, ouvrait l’œil, et c’était tout ; ses paroles étaient bien pesées, bien étudiées ; mais devant certains témoignages très affirmatifs, Philippe perdit toute contenance et fit son mea culpa.
Les dépositions des témoins, l’interrogatoire du cher frère durèrent jusqu’à une heure du matin. Les autorités judiciaires rentrèrent à Beaune. Ils étaient quatre au départ, on en comptait cinq à l’arrivée.
Philippe venait à la maison d’arrêt trouver son frère et émule Hyacinthe.
Et de deux !
Mais, parait-il, ce n’est pas tout ; et, comme dans Joséphine vendue par ses soeurs, nous pourrions chanter :
Quand nous serons à dix, nous ferons une croix !
Les divers interrogatoires, les diverses dépositions de témoins qui n’ont rien vu — les faits se passant le plus souvent derrière eux — mais qui ont bien senti de quoi il s’agissait ; celles d’autres témoins ayant parfaitement tout vu, tout cela amène encore une forte suspicion de culpabilité sur trois autres gaillards dont les sobriquets nous échappent.
« Ceux-là, a dit le supérieur de ce lupanar, ne sont plus ici. Amen, Amen dico vobis, ils sont chez nos frères qui cultivent d’autres fermes.
Par là vers Brigué ou Oullins, bien sûr.
Et le saint homme a dû bien rire in petto en ajoutant mentalement : « Cours après, mon vieux ! »
Certes oui, respectable abbé, on courra après, et on ne tardera peut-être pas à les arrêter. Qui sait, à Dijon peut-être, où ils pourraient peut-être bien venir aujourd’hui même, vendredi 29 juin, écouler les produits renommés de votre colonie agricole : beurre, œuf, crème, etc., etc.
Évidemment, si la gendarmerie de Dijon veut ouvrir l’œil, elle trouvera peut-être ici même, sous le simple costume de mercantis, ceux-la que recherchent en suant à grosses gouttes, et la gendarmerie de Nuits et celle de Beaune.
Jusqu’à présent, quatre-vingts témoins ont été appelés et entendus. Beaucoup d’appelés, peu d’élus, dit-on parfois ; ici c’est tout le contraire ; si il n’y a eu que quatre-vingts appelés, il y a eu deux-cent-cinquante élus.
Oui, deux-cent-cinquante élèves, souillés par ces frocards immondes qui devraient subir en récompense de leurs crimes, si la loi était juste, un supplice qui leur ouvrirait toutes grandes les portes du palais des eunuques.
Là, nous devons, pour aujourd’hui, borner notre récit ; il y a des choses qui ne s’écrivent pas, car on ne pourrait détailler, en français, les raffinements d’orgie, les goûts dépravés mis en pratique par ces gens-là, et dévoilés par ces pauvres enfants.
Et on ne sait pas encore tout !
Nous continuons notre enquête personnelle.
Demain nous serons sans doute à même de donner de nouveaux et très intéressants détails à nos lecteurs.

« Les scandales de Cîteaux au Parlement », Le petit Bourguignon, n°2701, 12 juillet 1888, p 1.
LES SCANDALES DE CITEAUX AU PARLEMENT ENERGIQUES RÉSOLUTIONS DE LA GAUCHE RADICALE
Résolutions énergiques décidées Prochaine interpellation
Paris, 11 juillet.
La Gauche radicale de la Chambre des députés vient de tenir une importante séance consacrée tout entière à l’examen des mesures qu’il convient de prendre à l’égard de la colonie de Cîteaux, à la suite des révélations faites par le Petit Bourguignon sur les actes scandaleux, dont se sont rendus coupables les frères de Saint-Joseph.
A l’unanimité, le groupe de la Gauche radicale a décidé qu’il sera IMMEDIATEMENT déposé une PROPOSITION DE LOI TENDANT A LA SUPPRESSION, AVEC SANCTIONS PÉNALES, DE TOUTES LES CONGRÉGATIONS DITES RELIGIEUSES.
L’URGENCE sera demandée sur cette proposition.
M. René Laffon, député de l’Yonne, a été chargé de déposer cette proposition de loi.
La Gauche radicale a également décidé que son président, M. Colfavru, demandera, à la Chambre, au nom du groupe, aux Ministres compétents la FERMETURE IMMÉDIATE DE L’ÉTABLISSEMENT DE CITEAUX ET DE TOUS LES ÉTABLISSEMENTS DIRIGÉS PAR LES FRÈRES DE SAINT-JOSEPH.
Les Ministres seront aussi, au nom de la Gauche radicale, invités à SUPPRIMER LES COLONIES CONGRÉGANISTES PÉNITENTIAIRES conformément à l’amendement de M. Maurice Faure, voté le 28 février de cette année. Le dépôt de la proposition de loi et les interpellations relatives à la fermeture de Cîteaux et aux établissements des Frères de Saint-Joseph auront fort probablement lieu demain jeudi.
On vient de voir les résolutions prises, dans sa séance d’hier, par le groupe de la Gauche radicale de la Chambre des députés.
La Gauche radicale a parfaitement compris que les actes si scandaleux dont Cîteaux-Sodome est le théâtre n’ont rien de particulier à la maison-mère des frères de Saint-Joseph et qu’il importe d’englober dans la même réprobation tous les établissements de cette race porcine.
Les résolutions énergiques votées par la Gauche radicale de la Chambre seront unanimement approuvées par tous les pères, par toutes les mères, par tous ceux qui ayant le droit de procréer ont le respect de l’enfance.
Nous espérons que la Chambre ratifiera, demain, par ses voies, les propositions que la Gauche radicale portera devant elle.
Ce n’est point là, en effet, une simple question de politique ;
C’est une question de haute moralité, d’assainissement, de salubrité publique qui sera portée à la tribune par nos amis de la gauche radicale ;
Lorsque de telles questions se posent, elles s’imposent ;
Aussi, pensons-nous, que les députés républicains émettront un vote unanime tendant à la fermeture immédiate de Cîteaux et de ses succursales.
Quant au Petit Bourguignon il ne peut que se féliciter d’avoir mené contre le hideux repaire où les Frères de Saint-Joseph souillaient depuis si longtemps les enfants, d’avoir mené, en dépit de la mollesse et de l’indolence coupables du Parquet de Beaune, et seul dans la presse bourguignonne une campagne qui va, enfin, aboutir.
EDMOND DUTEMPLE
LES SCANDALES DE CITEAUX NOTRE ENQUETE (Suite)
Négligence inexplicable
Nous tenons de source certaine qu’on s’obstine à ne pas donner aux agents de police des gares les signalements des frères recherchés.
On ne saurait prêter la main d’une façon plus évidente à la fuite générale que se proposent de prendre les frères de Saint-Joseph de Cîteaux.
Quand tous les oiseaux seront envolés, il sera un peu tard de tendre les pièges.
Les commissions rogatoires
Aujourd’hui le chiffre des magistrats chargés par commission rogatoire d’interroger d’anciens élèves de Cîteaux, est considérable ; il y a en effet sur tous les points de la France des jeunes gens qui ont passé par cette colonie, à divers titres.
Jusqu’à présent la plus grande partie de ceux qui ont été entendus racontent des faits monstrueux que la plume ne saurait reproduire.
Enfants réclamés par les parents
Six enfants ont pris le train de 8 heures et demie du matin, hier mercredi, à Nuits. Ces enfants ont payé leurs places au plein tarif.
Ils étaient tous réclamés par leurs parents qui, ont-ils dit, ont envoyé l’argent nécessaire pour assurer leur voyage jusqu’à destination.
Ces enfants ne portaient plus le costume de la colonie. Ils paraissent appartenir à des familles aisées.
Quatre allaient à Paris, deux à Sens.
Tous les jours, c’est par vingt ou trente qu’il faut compter les enfants qui partent de Cîteaux.
Le frère Jean
On nous écrit de Belley qu’on recherche activement dans cette région le nommé Jean Lapierre, en religion frère Jean, natif d’Oyonnax, près Belley.
Cet individu est resté pendant huit à dix jours dans le pays pour y régler des affaires de famille, puis il a disparu.
Renseignements utiles
Nous avons dit, hier, qu’il y avait actuellement douze frères, dont un père, sous les verrous. Sur ces douze prisonniers, il n’y en a encore que dix à Beaune ; les deux autres ne sont pas encore transférés, au moment où nous écrivons ces lignes.
Voici donc la situation journalière exacte :
A la prison de Beaune
1. Frère Hyacinthe, arrêté à la colonie le 21 juin.
2. Frère Philippe, arrêté à la colonie le 23 juin.
3. Frère Désiré s’est lui-même constitué prisonnier à Beaune, le 3 juillet.
4. Père Barnabé, arrêté à la colonie le 5 juillet.
5. Frère Germain, arrêté à la colonie le 5 juillet.
6. Frère Frédéric, arrêté à Soissons le 7 juillet, amené à la prison de Beaune le 9 juillet.
7. Frère Marc, arrêté à Soissons, avec le précédent, le 7 juillet, amené à la prison de Beaune le 9 juillet.
8. Frère Julien, arrêté à Dreux (Eure-et-Loire), amené Beaune le 9 juillet.
9. Frère Marcel, arrêté à Vougy (Loire), amené à Beaune le 9 juillet.
10. Frère Jean-Antoine s’est constitué lui-môme prisonnier à Beaune, le 9 juillet.
A la prison de Mâcon
11. Frère Claudius, arrêté à Cluny le 8 juillet.
A la prison de Soissons
12. Frère Lucien, arrêté à Soissons le 8 juillet.
Les mandats d’amener
Concernent les six frères dont les noms suivent :
1. Frère Jules — Gros (Jules), né à Lyon.
2. Frère Jean — Lapierre (Jean-François), né à Ordonnaz (Ain).
3. Frère Placide — Vivien (Casimir), né à Elbeuf (Seine-Inférieure).
4. Frère Hippolyte — Lecourt (Jules), né à Paris.
5. Frère Joseph — Jobert (Francois), né à Lyon (Rhône).
6. Frère Henri — Smitt (Henri), sujet anglais.
L’ENQUÊTE À SOISSONS
Les frères de Saint-Joseph de Cîteaux
La succursale de Saint-Médard
Une affaire étouffée
Voici un exemple qui vient confirmer en tous points ce que nous avons dit sur la manière dont sont traités les pauvres enfants confiés aux frères de Saint-Joseph, qu’ils habitent l’école professionnelle de Cîteaux ou l’asile des sourds-muets de Saint-Médard ou les autres établissements de cette vilaine congrégation.
Un enfant sourd-muet boursier de la ville de Compiègne à cet établissement congréganiste, le jeune H… était, vers le mois de mai dernier, renvoyé dans sa famille pour cause de maladie ; cet enfant, qui était entré à l’institut plein de vie et de santé, en revenait pâle, amaigri, languissant ; quelque temps après, il mourut.
Les bruits de mauvais traitements et de manque de nourriture qui couraient sur la mort de cet enfant en disaient suffisamment sur le compte des frères pour motiver une enquête complète. Mais on ferma les yeux, et il allait être procédé à l’inhumation quand, devant les accusations réitérées des parents et de la rumeur publique, le parquet fut à son grand désespoir saisi de l’affaire et, bon gré mal gré, obligé de faire procéder à l’autopsie du cadavre.
Le parquet est clérical, c’est dire que l’affaire fut étouffée. L’autopsie eut lieu, mais ne prouva rien.
Mandats d’arrêt lancés par le parquet de Soissons contre des frères réfugiés à Cîteaux.
Les fondateurs des deux maisons de Cîteaux et de Soissons ont tout lieu d’être fiers de leur œuvre.
Les deux font bien la paire !
Le parquet de Soissons vient, en effet, d’envoyer à Beaune plusieurs mandats d’arrêt contre des frères sortant de l’institution de Saint-Médard.
Les scandales de Soissons sont aussi graves, si ce n’est plus, dit-on, que ceux de Cîteaux.

« Les scandales de Citeaux devant la Chambre », Le petit Bourguignon, n°2702, 13 juillet 1888, p 1.
LES SCANDALES DE CITEAUX DEVANT LA CHAMBRE
Vote de l’urgence sur la suppression de toutes Congrégations religieuses
ARRESTATIONS DE FRÈRES À SOISSONS.- DÉMISSION DU GÉNÉRAL BOULANGER
La première partie de la vigoureuse campagne que le Petit Bourguignon a commencée, il y a seulement quinze jours, contre les établissements insalubres des Frères de Saint-Joseph vient de se terminer hier, devant la Chambre des députés.
Conformément aux décisions prises par le groupe de la Gauche radicale, M. René Laffon, député de l’Yonne, a déposé sur le bureau de la Chambre une proposition de loi tendant à la suppression de toutes les congrégations religieuses.
Cette proposition, malgré une vive résistance de la droite qui combattait là pro aris et focis, a été votée à une forte majorité.
Une simple remarque, en passant :
Nous trouvons, et tous nos lecteurs seront de notre avis, nous trouvons fort étonnant que dans cette discussion provoquée par les scandales de Cîteaux aucun député de la Côte-d’Or n’ait cru devoir intervenir.
Nos députés auraient dû ne pas oublier que le département avait, il n’y a pas longtemps encore, un droit de surveillance sur la colonie de Cîteaux – le dernier enfant assisté du département en a, en effet, été retiré seulement au cours du premier trimestre de 1887.
Or, comme les abominables scandales commis à Cîteaux remontent, pour un certain nombre de faits, à une époque antérieure à 1887, on se demande comment il se fait que les députés de la Côte-d’Or, ainsi d’ailleurs que l’administration préfectorale, ne se soient jamais préoccupés de savoir comment étaient traités dans cette colonie les enfants assistés du département.
L’occasion était belle pour nos députés de racheter hier cette négligence en intervenant vigoureusement dans le débat.
Ils ne l’ont pas fait. Nous sommes obligés de le constater, en le regrettant… pour eux.
Heureusement, pour la morale publique, qu’il s’est trouvé à la Chambre d’autres députés qui ont flétri comme il convient les abominables pratiques des cisterciens, et qui ont déterminé le vote d’urgence sur la proposition tendant à la suppression de toutes les congrégations religieuses.
L’incident provoqué par M. Boulanger, et que l’on trouvera dans notre compte-rendu de la séance, a forcé la Gauche radicale à remettre à la prochaine séance la suite de ses résolutions concernant Cîteaux, et notamment la fermeture de cet établissement de haute immoralité. Les déclarations du gouvernement ont, d’ailleurs, laissé entrevoir que cette fermeture n’est plus qu’une question d’heures.
Eh bien ! l’opinion publique, justement révoltée des criminelles pratiques des Frères de Saint-Joseph, qu’ils habitent Cîteaux ou sa succursale Saint-Médard, l’opinion publique exige aujourd’hui la fermeture immédiate pour cause de salubrité publique, de toutes ces infectes Sodomes où, sous le masque de la religion, on empoisonne la jeunesse.
Il faut que tous les députés, – même ceux de la Côte-d’Or – le sachent bien : on est las, enfin, de voir la Justice et l’Administration avoir une aussi inexplicable longanimité envers des misérables qui, comme les Frères de Cîteaux, souillent, dépravent et font dépérir l’enfance.
Si le Petit Bourguignon a le droit de se féliciter d’avoir vu sa rapide campagne aboutir au vote d’urgence tendant la suppression de toutes les congrégations religieuses, nous pouvons cependant assurer nos lecteurs que nous continuerons néanmoins notre campagne jusqu’au jour où cette proposition de loi sera enfin réalisée.
EDMOND DUTEMPLE
CHAMBRE DES DÉPUTÉS Séance du 12 juillet 1888 La séance est ouverte à deux heures, sous la présidence de M. Méline.
LES SCANDALES DE CITEAUX DEMANDE D’URGENCE Sur une proposition de loi tendant à la suppression de toutes les congrégations religieuses
M. René Laffon dépose une proposition de loi tendant à la suppression de toutes les congrégations religieuses, et demande l’urgence.
Voix : Lisez !
Exposé des motifs
M. Laffon donne lecture de ce projet et en expose les motifs.
Les scandales récents de Cîteaux montrent la nécessité de prendre des mesures rigoureuses contre les congrégations religieuses et de porter un remède immédiat et radical.
Encore aujourd’hui, la situation des congrégations religieuses est privilégiée ; il est temps de les ramener sous le régime de la loi commune à toutes les associations non religieuses.
On peut laisser de côté, pour le moment, les congrégations de femmes ; mais toutes les congrégations d’hommes doivent être frappées.
L’exposé des motifs est fréquemment interrompu par les applaudissements de la gauche.
Discours de l’évêque Freppel
M. Freppel déclare remercier M. Laffon d’avoir voulu défendre la morale publique ; mais le zèle de M. Laffon est un peu hâtif, car, dans l’affaire de Cîteaux, il ne s’agit, jusqu’à présent, que de simples prévenus.
Il faut donc attendre que la justice ait statué. (Violentes protestations à gauche).
M. Freppel continue en prétendant que les mêmes faits se passent dans les établissements laïques, notamment dans une colonie agricole du département de la Haute-Marne. (Vives protestations à gauche).
L’évêques d’Angers essaie de défendre l’établissement de Cîteaux en citant l’autorité du comte d’Haussonville.
La colonie de Bologne
M. Rozet déclare que les mêmes faits scandaleux ont été commis dans une colonie laïque à Bologne (Haute-Marne), non par les maîtres laïques, mais par l’aumônier de la colonie. (Vifs applaudissements et rires à gauche).
L’immoralité des congréganistes
M. Sabathier lit une statistique de l’année 1886 suivant laquelle sur 19 instituteurs laïques accusés d’attentats contre des personnes, il y a trois condamnés sur six congréganistes condamnés.
D’ailleurs, de nombreux congréganistes échappent facilement à la justice.
Rejet de la clôture
M. de Cassagnac réclame la clôture de la discussion.
René Laffon proteste contre la clôture en disant que, lui, auteur de la proposition, ne peut pas être entendu, tandis que M. Freppel a pu parler autant qu’il a voulu.
La clôture, mise aux voix, n’est pas prononcée.
La Droite quitte la salle
Une grande partie des membres de la droite quittent la salle des séances. (Applaudissements à gauche).
Discours de M. Laffon
M. René Lagon déclare s’étonner que M. Freppel ait pu établir une comparaison quelconque entre l’enseignement laïque et l’enseignement religieux, après les scandales de Cîteaux qui ont si vivement ému l’opinion publique et provoqué l’indignation générale. (Applaudissements à gauche).
M. Laffon continue en citant les nouveaux scandales de Soissons où quatre frères viennent d’être arrêtés.
Continuellement interrompu par la droite, l’orateur lutte difficilement contre ce bruit systématique.
Déclarations du gouvernement
M. Floquet déclare que le gouvernement a repris, dès que les faits ont été connus, tous les enfants dont il avait la tutelle et qui se trouvaient dans des établissements analogues à celui de Cîteaux.
Une commission a été instituée pour savoir si le gouvernement devait retirer la déclaration d’intérêt public à la congrégation de Cîteaux ; le gouvernement croit que la déclaration d’urgence de la proposition Laffon est inutile ; il suffira de la renvoyer à la commission chargée d’examiner le projet du gouvernement sur les associations religieuses.
Discours de M. Faure
M. Maurice Faure lit une statistique montrant l’énorme proportion des congréganistes condamnés, par rapport aux instituteurs laïques.
Réponse de M. Floquet
M. Floquet déclare que le gouvernement ne s’oppose pas à la déclaration de l’urgence ; mais il demande que, après la déclaration d’urgence, la proposition soit renvoyée à la commission des associations religieuses.
Vote de l’urgence sur la proposition tendant à la suppression de toutes les congrégations religieuses
LA DECLARATION D’URGENCE EST PRONONCEE PAR 264 VOIX CONTRE 219. PROPOSITION DE M. BOULANGER SUR LA DISSOLUTION
M. Boulanger dépose une proposition de résolution tendant à la dissolution de la Chambre.
M. Méline déclare que cette proposition est inconstitutionnelle.
M. Boulanger répond que sa proposition n’est pas du tout inconstitutionnelle. Il lit l’exposé des motifs suivant lequel la dissolution est réclamée par les vœux de l’opinion publique comme seule capable de rétablir la tranquillité dans les esprits.
L’orateur lit au milieu des rires continuels un factum semblable à celui lu dans une précédente séance.
M. Boulanger demande l’urgence pour sa proposition.
M. Floquet déclare que le gouvernement est complètement disposé à ne pas conseiller au Président de la République de décréter la dissolution de la Chambre. (Applaudissements à gauche.)
« Le général Boulanger, dit-il, trouve qu’il n’existe pas dans la Chambre une majorité républicaine ; pourtant, lui-même a éprouvé, à ses dépens, qu’il en existait une.
Il nie que le gouvernement ait une majorité. Mais où est-elle sa majorité, à lui, elle réside sur les bancs de la droite ! (Applaudissements répétés à tous les bancs de gauche).
M. Boulanger traite la Chambre d’impuissante ; mais, est-ce bien à lui de reprocher cette impuissance, lui qui n’a jamais assisté aux séances ; lui qui a passé des sacristies aux antichambres des princes ! (applaudissements répétés à gauche).
Le général Boulanger montant à la tribune déclare que M. Floquet a impudemment menti (Tumulte, – cris : À la censure.)
M. Méline déclare qu’il ne peut pas laisser insulter le président du conseil et applique la censure à M. Boulanger.
Démission de M. Boulanger
M. Boulanger répond qu’ayant été attaqué par M. Floquet, il a droit de répondre et, puisque la liberté de la tribune n’existe plus, il n’a plus qu’à se retirer.
En descendant de la tribune il remet sa démission de député du Nord à M. Méline. (Tumulte indescriptible).
M. Méline donne lecture de la lettre de démission de M. Boulanger. (Applaudissements à gauche.)
Séance levée.
LES SCANDALES DE CITEAUX NOTRE ENQUÊTE (suite)
Deux frères qui avaient été arrêtés comme répondant au signalement de deux autres frères recherchés par le parquet de Beaune, ont été mis en liberté.
Ce sont les frères Bonneray, Louis-Frédéric, et Combier, Georges.
Voici donc, pour aujourd’hui, la situation exacte des détenus :
1. Frère Hyacinthe, arrêté à la colonie le 21 juin.
2. Frère Philippe, arrêté à la colonie le 23 juin.
3. Frère Désiré s’est lui-même constitué prisonnier à Beaune, le 3 juillet.
4. Frère Barnabé, arrêté à la colonie le 5 juillet.
5. Frère Germain, arrêté à la colonie le 5 juillet.
6. Frère Julien, arrêté à Dreux (Eure-et-Loire), amené Beaune le 9 juillet.
7. Frère Marcel, arrêté à Vougy (Loire), amené à Beaune le 9 juillet.
8. Frère Jean-Antoine s’est constitué lui-même prisonnier à Beaune, le 9 juillet.
9. Frère Claudius, arrêté à Cluny le 8 juillet.
10. Frère Lucien, arrêté à Soissons le 8 juillet.
Les mandats d’amener
Concernent les six personnages suivants
1. Gros Jules, dit frère Jules, né à Lyon.
2. Lapierre, Jean-François, dit frère Jean, né à Ordonnaz (Ain) le 19 avril 1831.
3. Lecourt, Jules-Hippolyte, dit frère Hippolyte, né à Paris le 11 décembre 1836.
(…)

« Les Frères de Citeaux en Cour d’Assises », Le petit Bourguignon, n°2849, 7 déc 1888, p 1.
LES FRERES DE CITEAUX EN COUR D’ASSISES Sixième audience. --- Condamnation du Frère Hippolyte
Cour d’assises de la Côte-d’Or
Présidence de M. Fénéon, assisté de MM. Desnaires et Fevre, conseillers à la cour.
Audience du jeudi 6 décembre
L’audience est ouverte à 9 heures du matin. C’est la dernière affaire dégoûtante de la session ; inutile d’ajouter que le héros de cette affaire est encore une frère de Cîteaux.
LE FRERE HIPPOLYTE Frère perceur
Frère perceur à l’atelier de la brosserie de la colonie de Cîteaux, dit l’acte d’accusation, est né à Paris le 14 décembre 1856, il s’appelait, de ses noms de famille, Lecourt, Hippolyte, et était âgé de 31 ans.
Naturellement, il est poursuivi pour attentats à la pudeur.
Le huis-clos
Après avoir reçu le serment des jurés, M. le président des assises donne la parole à M. le procureur général pour déposer telle ou telle conclusion qu’il jugera convenable.
M. le procureur général répond qu’il n’a rien à dire.
La cour délibère cependant et prononce le huis-clos.
Aussitôt que la salle est évacuée, M. le commis-greffier Bordot donne lecture de l’acte d’accusation.
Acte d’accusation
Lecourt Jules-Hippolyte, dit frère Hippolyte, est âgé de 31 ans ; il est né à Paris le 14 décembre 1856, en dernier lieu il était frère perceur à l’atelier de brosserie de Cîteaux.
Il est poursuivi pour attentats à la pudeur.
L’accusé est entré en 1874 au noviciat des frères des écoles chrétiennes et a quitté cette congrégation en 1881. En 1884, il a été condamné pour vagabondage ; admis en 1886 comme novice à l’établissement de Cîteaux, il y prit l’habit religieux, mais fut renvoyé le 8 octobre 1887 pour faits d’immoralité, il a été reçu au mois de janvier suivant à l’abbaye des Prémontrés de Saint-Martin-de-Frigolet, près Tarascon, où il a été arrêté le 15 novembre dernier.
Pendant son séjour à la colonie de Cîteaux, vers la fin de 1886, il s’est fait m… à diverses reprises par l’élève Derolland, Benoît, dit Alfred, alors âgé de moins de 13 ans, étant né à Lyon le 19 avril 1874, et il a pratiqué sur cet enfant des attouchements obscènes ; plus tard, il est allé jusqu’à consommer sur lui des actes de pédérastie.
D’après Derolland, il se livrait à ces pratiques obscènes plusieurs fois par semaine ; tantôt il entrainait cet enfant dans les greniers ou dans les dépendances de la brosserie, tantôt il le transportait dans son lit pendant la nuit, pour assouvir sur lui sa honteuse passion. En septembre 1887, il s’est livré aux mêmes actes sur un autre élève de la colonie, le jeune Mazet Louis-Edouard, alors âgé de moins de 13 ans, étant né à Lyon le 14 octobre 1874 ; cet enfant couchait dans un dortoir dont l’accusé avait la surveillance.
Interrogatoire de l’accusé
Après avoir établi l’identité de l’accusé, M. le Président questionne sur les motifs qui ont amené son expulsion de la colonie de Cîteaux.
D. – Vous avez été chassé de Cîteaux, non seulement pour de simples attouchements sur les enfants, mais pour des actes perpétrés de pédérastie.
R. – Cela n’est pas, je me suis en allé parce que j’ai bien voulu ; je ne me plaisais pas du tout à Cîteaux.
D. – Ce n’est pas ce que l’instruction a établi : mais enfin, nous entendrons les témoins. Vous n’avez jamais eu affaire avec l’élève Derolland ?
R. – Je connais bien cet élève-là.
D. – Mais vous ne répondez pas à ma question.
R. – J’avais de l’amitié pour ce garçon, mais rien que de l’amitié.
D. – Vous savez de quoi il vous accuse ?
R. – Oui, mais ce n’est pas vrai.
D. – Et l’élève Mazet ?
R. – Celui-là aussi, ce n’est pas vrai.
D. – Vous ne reconnaissez alors aucun des faits qui vous sont reprochés ?
R. – Non, car je ne suis pas coupable. En sortant de Cîteaux je suis allé à Saint-Médard de Soissons ; si j’avais été coupable, j’aurais certainement pu passer en Angleterre sans difficulté ; mais je n’avais rien à me reprocher et comme je ne me plaisais pas plus à Saint-Médard qu’à Cîteaux, je suis parti chez les Prémontrés.
D. – Vous persistez alors dans vos dénégations ?
R. – Oui, monsieur le président.
D. – Huissier, appelez les témoins.
Les témoins Ils sont au nombre de huit.
1er témoin
Derolland, Alfred, 14 ans, à Lyon, a subi toutes les fantaisies lubriques du frère Hippolyte qui, certaines nuits, l’emportait même dans son lit. Il en a prévenu le sous-directeur de l’établissement, le père Guerpillon, mais il n’a jamais su si celui-ci en avait fait part au père Donat.
L’accusé nie les faits bien précisés par le témoin, et complètement relatés par l’acte d’accusation.
2e témoin
Carion, Etienne, 17 ans, est encore élève à la colonie de Cîteaux où sa bonne conduite lui a valu les galons d’adjudant. Il n’a jamais été victime de ce frère, mais il a vu, au dortoir, le frère Hippolyte venir prendre dans son lit son camarade Derolland.
« J’ai fait mon rapport, dit ce jeune garçon, au père Guerpillon, qui a fait une enquête. Une trentaine de mes camarades, qui en avaient vu autant que moi, ont été entendus, mais ce n’est que longtemps après que le frère Hippolyte est parti de Cîteaux.
D. – L’a-t-on renvoyé ?
R. – Je ne sais pas.
L’accusé. – On ne m’a pas renvoyé, je suis parti parce que cela ne me plaisait plus de rester à Cîteaux.
3e témoin
Perrin, Jean, 15 ans, chez ses parents à Lyon, fait une déposition analogue à celle du témoin précédent.
4e témoin
Favaudon, Bertrand, 17 ans, soldat au 4e d’infanterie de marine, a vu le frère Hippolyte dans un grenier, avec le jeune Derolland. La position de l’un et de l’autre ne laissait aucun doute sur l’acte qu’ils commettaient.
5e témoin
Mazet, Edouard, 14 ans, à Lyon ; étant élève à Cîteaux, ce jeune garçon couchait dans le dortoir placé sous la surveillance du frère Hippolyte ; plusieurs fois il s’est réveillé en sentant ce religieux qui se couchait près de lui.
Il déclare avoir été complètement victime du frère Hippolyte.
L’accusé dit que cette déposition est mensongère.
6e témoin
Fauquelle-Blondeau, 14 ans, élève à Cîteaux, n’a pas été touché ; mais il a reçu les confidences de son camarade Mazet qui se plaignait vivement de la conduite du frère Hippolyte à son égard, sans oser, disait-il, en parler au sous-directeur, parce qu’on ne le croirait pas.
7e témoin
Vuillefroy, Charles, 16 ans, chez ses parents, à Soissons, a été élève à Cîteaux, il y a un an, et était sous les ordres du frère Hippolyte.
Il a été la victime complète de ce religieux et au dortoir.
L’accusé nie le fait.
8e témoin
Poulain, Léon, 40 ans, secrétaire de la colonie de Cîteaux, déclare formellement que le frère Hippolyte a été congédié pour faits d’immoralité.
M. le Président. – En qualité de secrétaire de la colonie, vous étiez parfaitement au courant de ce qui s’y passait. Vous rappelleriez-vous si on n’a jamais fait d’enquête sur la conduite scandaleuse du frère Hippolyte.
Le témoin. – J’en ai tout de même entendu parler, mais je ne sais pas par qui.
Suspension d’audience
L’audition des témoins est terminée à 11h et demie du matin.
L’audience est suspendue pour jusqu’à une heure et demie, et, à la reprise de l’audience, la parole est à M. le procureur général pour soutenir l’accusation.
Réquisitoire et plaidoirie
M. Fochier, procureur général, dans un réquisitoire très énergique, relève une à une toutes les charges qui pèsent sur l’accusé et demande aux jurés un verdict sévère qui forcera la Cour à faire pleine et entière justice.
Me Berteaux, du barreau de Lyon, plaide l’acquittement pur et simple de son client.
Le verdict
Trois questions sont posées aux jurés, qui répondent affirmativement à la première, en écartant les deux autres.
Condamnation
En conséquence de ce verdict, la Cour, après en avoir longtemps délibéré, condamne le frère Hippolyte LECOURT à cinq années de réclusion, aux frais et dépens envers l’Etat, et fixe au minimum la contrainte par corps.