16/04/2015 à 11:45 par Eloïse Aubé

J’ai été détruite par cette communauté. Quand j’y repense, je me dis : comment ai-je pu vivre une vie pareille ?
En 2001, à l’âge de 20 ans, Myriam, jeune africaine, est enrôlée par la communauté des Travailleuses Missionnaires ™, qui arpente les pays les plus pauvres en quête de nouvelles recrues. Cette famille religieuse propose une formation spirituelle aux jeunes femmes. À cette époque, Myriam pense avoir trouvé sa vocation. Elle n’hésite pas une seconde, et s’engage dans cette communauté. Elle commence par travailler dans une chaîne internationale de restaurants à Marseille des TM : l’Eau Vive.
C’était un travail difficile, il fallait toujours obéir. Nous dormions peu.
Maltraitance psychologique
Puis, Myriam est envoyée dans le Doubs, toujours dans le cadre de sa formation. Les journées sont longues, et la fatigue s’accumule. Peu à peu, l’emprise psychologique s’opère : Myriam et ses consœurs sont privées de leur liberté, et obéissent simplement aux ordres. Comme des animaux.
On ne pouvait parler à personne. Surtout pas aux gens de l’extérieur car selon nos aînés, ils allaient nous empêcher de suivre notre vocation, se souvient la jeune femme, encore émue.
Victime d’un « lavage de cerveau », elle ne s’est jamais sentie manipulée. Seulement triste. Après son escale marseillaise, Myriam prend la route de Domrémy (dans les Vosges) puis, celle de Rome, toujours pour œuvrer dans les restaurants L’Eau Vive. Elle pose ses bagages à Lisieux en 2007. La première année, elle et 18 autres jeunes femmes, originaires d’Asie et d’Afrique, logent au foyer Louis et Zélie Martin.
Débarquement en Normandie
Je me rappelle que nous sommes arrivés en groupe et nous avons aussitôt vêtu notre pyjama. Il était tard, et nous étions très fatiguées. Mais une responsable est venue nous chercher pour nous dire de faire la vaisselle et de nettoyer.
De 6 h à minuit, du lundi au dimanche, ces travailleuses s’activent sans relâche. Un moment de fatigue ? Au placard. Un rhume ou une grippe ? Debout. En 2008, Myriam réside à l’Ermitage Sainte-Thérèse. Ses conditions de travail ne s’améliorent pas. Personne ne semble voir le drame qui se joue dans cette communauté. Pas même les touristes qui résident à l’Ermitage.
Notre responsable mentait souvent aux pèlerins qui s’interrogeaient sur nos conditions de travail. Elle disait que nous nous reposions comme tout le monde. Or, c’était faux.
Autre souvenir : la lecture du courrier. Lorsque les travailleuses recevaient des missives de leurs familles, elles avaient l’obligation de les lire en public. Mais Myriam avait trouvé une stratégie.
Devant tout le monde, je ne lisais pas la vraie lettre. J’inventais une autre histoire pour qu’on me laisse tranquille.
La fuite
En octobre 2007, Myriam est envoyée dans plusieurs villes européennes. Ses journées de labeur se ressemblent. Jusqu’à ce jour de 2011, où une conversation lui met la puce à l’oreille.
J’ai appris que la communauté n’était pas reconnue par le Vatican, ce qui m’a semblé étrange. En plus, nous recevions l’équivalent de dix euros par mois. Mais cet argent servait à acheter des produits pour la communauté ».
Suite à ces révélations, Myriam réfléchit toute la nuit. Au petit matin, alors que ses consœurs sont à la messe, elle feint une migraine pour ne pas se rendre à l’église. Puis, ni une, ni deux, elle prend son sac à main et part en courant.
J’étais terrorisée. J’ai couru à toute vitesse jusqu’au tramway.
Perdue, sans argent ni papier, Myriam contacte des anciens clients du restaurant. Ces derniers lui fournissent un billet de train.
Je suis allée jusqu’à Rome où j’ai retrouvé un prêtre que j’ai connu lors de mon séjour. Il m’a conseillé de me rendre à Caen, auprès d’un de ses amis.
Arrivée dans la cité normande, Myriam trouve de l’aide auprès du 115. Elle a 30 ans.
Liberté retrouvée
Aujourd’hui maman d’une fille de deux ans, elle songe souvent à sa vie d’avant.
J’ai toujours peur que la communauté me retrouve. Je reste traumatisée. Elles m’ont vendu une vie qui n’existait pas.
Suivie par une psychologue depuis un an, elle entame des démarches pour régulariser sa situation en France. Mais son grand bond en avant remonte au 17 mars dernier, lorsqu’elle a déposé plainte au commissariat de Caen contre la famille missionnaire donum Dei pour exploitation d’une personne réduite en esclavage.
Pendant toutes ces années, j’ai cherché ma liberté. Aujourd’hui, je l’ai presque retrouvée.