Exclusif : les PV d’audition de l’affaire di Falco

Samedi 24 septembre 2016

On pensait l’affaire di Falco enterrée. Or, 14 ans après le classement des plaintes de deux anciens élèves contre l’évêque de Gap, l’affaire rebondit.

L’une des deux personnes qui se présentent comme victimes, assigne Monseigneur di Falco au civil. En novembre 2001, cet homme, qui se fait appeler « Marc », affirmait avoir été agressé sexuellement et violé à de nombreuses reprises par Monseigneur di Falco quand il avait entre 12 et 15 ans. A l’époque, il était scolarisé à l’établissement catholique Saint Thomas d’Aquin dans le 7e arrondissement de Paris, Monseigneur Di Falco étant alors le directeur du Petit Collège. Voici le récit que, « Marc » fait aujourd’hui de ce qui se serait passé : (suite de l’article sur franceinter.fr)

Voir en ligne : https://www.franceinter.fr/justice/…

Vos réactions

  • Jean-Pierre Gosset 8 décembre 2016 12:13

    L’oubli de l’agresseur est sans doute une manière de se rejeter soi-même ; « faire comme si », en relativement bonne conscience, doit aider à se croire guérit. De même, l’impossibilité pour l’agressé enfant ou adolescent de parler clairement, est sans doute une manière de se protéger du déni dans lequel se réfugie l’agresseur. Pouvoir parler à 41 ans, comme Marc me semble précoce, par rapport à deux expériences que j’ai de ce genre de situation. La parole d’une des personnes en cause -très proche depuis longtemps- fut rare et allusive pendant 20 ans ; je ne savais qu’en penser. Puis elle se fit moins floue quoique toujours rare. C’est vers 70 ans, qu’elle a pu cracher le morceau. L’agresseur n’étaient pas clerc mais enseignant de primaire, ce qui aurait pu - à mes yeux- rendre moins difficile la parole. Eh bien non ! L’autre personne a parlé vers 85 ans, là c’était au caté et de la part du curé, je compris enfin pourquoi elle se gardait fièrement du moindre contact avec des clercs.

    • Exclusif : les PV d’audition de l’affaire di Falco 8 décembre 2016 13:46, par Françoise

      Bonjour Jean-Pierre

      Je crois que suivant l’éducation des victimes et l’époque dans laquelle elles ont vécu les abus, les violences, la prise de parole est plus ou moins longue.

      Chez nos anciens, âgés de 80 à 90 ans, il arrive fréquemment qu’ils ne parlent d’abus, de violence que depuis très peu de temps. Parce que leur éducation ne leur a pas du tout permis de s’exprimer contre une quelconque autorité, quelle soit parentale, cléricale, scolaire, patronale. L’époque de leur jeunesse était très restrictive, très fermée d’une façon générale à l’expression, à la plainte des enfants. Même s’il y a toujours eu des exceptions. Il leur a fallu donc plus de temps pour pouvoir sortir du silence.

      Car sauf situation particulière ou caractère particulièrement combattif, les gens ne renient jamais leur éducation. Donc si l’éducation a été sévère du genre, on ne conteste aucune autorité et l’on se soumet à tout, il n’y a que l’approche de la mort qui va permettre à ces personnes de dévoiler leurs traumatismes. Car elles n’ont plus rien à perdre à leurs propres yeux…

      Plus les gens ont vécu une éducation plus libre, et dans une époque moins difficile, plus les victimes de violence pourront parler potentiellement plus tôt.

      Il faut aussi réaliser que tout ce qui prend en compte la parole de l’enfant tant au plan judiciaire que social, démarre dans les années 70. Pas avant.

      Avant les années 70, nous sommes dans la coercition à des fins d’assistance. Donc on juge l’enfant victime, on l’humilie, on le punit comme si c’était lui qui avait commis le crime. Ce qui est aberrant mais néanmoins réel.

      Tous les placements arbitraires d’enfants, d’adolescents y compris victimes de violences sexuelles, montrent que l’idéologie dominante en France comme en Europe est que ces enfants ont besoin d’être enfermés, rééduqués, pour correspondre au schéma social attendu.

      Pour cela tous les moyens de pression physique, psychologique, tous les moyens de punitions sont acceptables. C’est ainsi que sont constatés des privations de nourriture très régulières, des cachots, des violences physiques parfois jusqu’à la torture, l’absence d’intimité, l’absence de respect, le travail forcé, le manque d’accès à l’éducation scolaire, même minimum (l’enfant interné, placé doit rapporter financièrement ce qu’il coûte, même si l’établissement reçoit des subventions publiques et privées).

      On est donc dans une logique de terreur mais aussi de négation de la parole de l’enfant, qui ne cessera vraiment qu’au milieu des années soixante, lorsqu’enfin, les états européens (et encore pas tous) vont commencer à se fournir en véritables assistants sociaux et éducateurs, pédopsychiatres formés à l’université et dans des écoles spécialisées, où là, l’enfant est écouté, pris en considération et non traité comme un pestiféré que l’on doit mener à la baguette, réformer par tous les moyens et faire trimer comme une bête de somme.

      Ce changement va libérer la parole des générations suivantes d’enfant.

      L’arrivée des droits de l’enfant en 1989 mais aussi le développement de la pédiatrie, de la pédopsychiatrie, va encore accélérer les choses.

      Vous ne devriez donc pas vous étonner du dévoilement plus rapide de Marc dans l’affaire Di Falco. Il est au contraire très logique, compte tenu de l’évolution sociale, politique vis à vis des enfants et des traumas de l’enfance et de la gestion sociale, médicale, judiciaire de ces traumas.

      Et il faut se réjouir du raccourcissement de délai dans la prise de parole. Parce que plus le délai est court, plus les traumatisés ont de chance de pouvoir traiter la souffrance et en sortir, se reconstruire. A 80 ou 90 ans, c’est fini…Et souvent, du fait du silence, vous avez toute une panoplie de pathologies qui se sont développées pour aider la personne à tenir dans le silence, et ces pathologies qui peuvent aller des tocs à des phobies en passant par tout un tas d’addictions, d’obsessions, de dépressions, vont pourrir la vie des victimes, comme si l’agresseur ou les agresseurs continuaient à leur faire du mal.

      Donc plus la parole est possible rapidement, plus tôt les victimes peuvent sortir de l’emprise de l’agresseur. Parce que non seulement il faut soigner, réparer le corps, la psyché, l’affect meurtris, mais il faut aussi que la victime puisse sortir de l’emprise de l’agresseur. Et ça peut prendre des années, voire plusieurs décennies.

      Actuellement, les professionnels de santé et les associations de victimes donnent en moyenne 16 ans à une victime d’abus sexuels comme de viol, pour commencer à pouvoir parler clairement de ce qui lui est arrivé.

      Ce qui ne veut pas pour autant dire qu’elle est sortie de l’emprise de l’agresseur. Parce que cette étape, elle n’est parfois jamais franchie par les victimes. Car elle nécessite un immense et très long travail personnel psy, que toutes les victimes ne sont pas prêtes à mener.

      Relier par exemple l’agresseur et les agressions à l’éducation reçue à la maison, c’est quelque chose de trop atroce, de trop déstabilisant, donc d’inacceptable. Ce qui fait que souvent, le travail thérapeutique s’arrête à ce moment-là de découverte. Alors que c’est seulement à cette étape-là que pourrait démarrer la sortie d’emprise d’avec l’agresseur.

      Mais ça reste compliqué, très difficile. Critiquer sa propre famille, c’est prendre le risque de se retrouver seul, abandonné. Et souvent la victime l’est déjà de par les violences subies, qui génèrent plus d’exclusion que de soutien familial. Alors ajouter encore plus de solitude et d’exclusion, ce n’est pas de l’ordre du possible.

      Et puis la famille est un support à fantasmes et à idéalisation très fort. Sa mise en cause reste inacceptable pour pas mal de gens. Religieux ou pas.

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