Article de Bettina Kaps
Aymeri Suarez-Pazos sait qu’il formule de graves reproches mais le président de l’association française d’entraide AVREF est absolument sûr de son fait. Le sigle AVREF signifie « aide aux victimes et familles de victimes d’abus au sein de mouvements religieux ».
« Nous savons qu’il y a beaucoup d’évêques qui protègent des prêtres pédophiles. Et ce sont justement aussi ces évêques qui se présentent depuis peu comme champions du regret et de la compassion pour les victimes. De nouveaux scandales peuvent éclater partout. Il est tout à fait possible que maintenant beaucoup de victimes déposent plainte ».
Suarez-Pazos s’appuie sur des informations données par des personnes concernées qui se tournent vers l’association : C’est là que se sont regroupées des personnes qui ont souffert ou dont les enfants souffrent encore d’abus spirituels ou d’abus au sein de communautés catholiques. Lui-même a été durant 14 ans sous l’influence dominatrice de l’Opus Dei où il était ce qu’on nomme numéraire. Les membres de l’AVREF ne se contentent pas de se soutenir mutuellement. Ils élaborent aussi des livres noirs sur des communautés qu’ils tiennent pour dangereuses. L’une d’elles est la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. L’association traditionaliste qui se groupe autour de feu l’archevêque Lefèbvre, s’oppose aux réformes du Concile Vatican II et s’en tient jusqu’à présent à l’ancien rite de la messe.
Simon N. [1] se sent maintenant si soutenu qu’il veut rendre son cas public. Cet ingénieur de 39 ans dit avoir fréquenté, étant enfant, les écoles et les groupes de jeunesse de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.
« Je peux parler d’abus spirituel ou moral mais j’ai aussi été victime de pédophilie. C’était chez les scouts. Le prêtre de mon groupe m’a fait des attouchements malsains et a même une fois tenté de me violer. J’avais 11 ou 12 ans et l’abus s’est produit pendant plus d’une année. »
En 2005 il découvrit sur un prospectus d’un groupe de scouts la photo de son bourreau. Là-dessus il rassembla son courage, alla voir les responsables de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et demanda des comptes. « Ils m’ont seulement promis qu’à l’avenir le prêtre n’entrerait plus en contact avec des enfants, ont avoué qu’ils avaient fait une erreur et qu’une telle chose ne se reproduirait plus. »
Aymeri Suarez-Pazos insiste sur le fait que l’association AVREF a rassemblé d’autres témoignages sur des cas d’abus commis dans les écoles de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Le cas de la Fraternité Pie-X est justement particulièrement explosif pour ce qui est de la politique de l’Église. En 2009 le pape Benoît XVI avait levé l’excommunication de quatre évêques de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et aspirait à une réconciliation avec les frères séparés. Le pape François mène de même des entretiens qui visent à la réintégration. C’est justement pour cela, dit M. Suarez-Pazos, que l’association AVREF considère qu’il est extrêmement important que les crimes présumés soient bientôt examinés devant un Tribunal. « Il est tout à fait possible que la Fraternité Pie-X devienne, dans un futur proche, une prélature personnelle comme l’Opus Dei, ce qui la rendrait presque intouchable. »
L’ AVREF a encore dans le viseur une autre communauté qui, vue de l’extérieur, est moralement particulièrement stricte : La Fraternité Saint-Jean.
Là aussi il y a eu manifestement des abus sexuels. C’est ainsi qu’un frère de la communauté Saint-Jean a été condamné en 2015 à 8 ans de prison pour viol et abus sexuels. Ce vendredi-ci commence le procès d’un frère qui, depuis, a été exclu de la communauté. Il lui est reproché d’avoir abusé sexuellement d’un adulte et d’un enfant. Nelly Souron-Laporte, avocate, membre de l’ AVREF, dit que cet homme a travaillé auparavant dans un couvent en Côte d’Ivoire et qu’il a été, là-bas, durant des années, en contact avec des enfants.
« La présomption d’innocence subsiste encore. Mais il y a de forts soupçons que l’homme se soit rendu coupable aussi en Afrique. La communauté Saint-Jean l’a renvoyé en France et remis aussitôt dans un environnement risqué, ce n’était pas adroit ».
Cet homme aurait organisé des camps de jeunes en Auvergne. Sur cette communauté aussi les responsables de l’Église, selon Aymeri Suarez-Pazos, auraient jusqu’ici toujours détourné le regard.
« Il y a un évêque référent, pour cette communauté : l’évêque d’Autun. Mais Monseigneur Rivière ignore ces affaires, quoique les actes et les plaintes lui aient été communiqués. Il n’agit tout simplement pas. »
Mais en ce moment ce ne sont pas tant la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et la Fraternité Saint-Jean qui font les gros titres mais différents scandales d’abus sexuel au sein de l’Église. L’association AVREF d’aide aux victimes espère que les très récents témoignages venus de Lyon vont maintenant faire tomber le mur du silence dans l’Église et encourager d’autres victimes d’abus à aller vers la police. A Lyon, depuis janvier, plusieurs hommes se sont groupés pour former un collectif et ont ouvert un site Web qui porte le nom de « La parole libérée ». Sur leur page Web déjà 17 victimes ont rendu public le fait que, enfants d’une équipe de scouts, ils ont été victimes d’abus de la part d’un prêtre pédophile.
Le prêtre concerné a avoué ses actes déjà en 1991, mais était encore en fonction jusqu’à l’été dernier. L’évêque de Lyon était au courant depuis 2007. Le cardinal Barbarin dit, dans une interview pour un journal, ne pas avoir retiré le prêtre de son poste parce que ce dernier lui avait assuré que plus rien ne s’était produit depuis 1991. La justice mène maintenant une enquête sur le prêtre mais aussi sur le cardinal. C’est une première en France. Sous la pression des nombreuses révélations, le Président de la Conférence Épiscopale de France, Georges Pontier, a réagi et annoncé des mesures.
« Ce qui nous importe en premier lieu, ce sont les victimes. Il est important que toutes les victimes aient un endroit où elles soient reçues, écoutées, accompagnées. Elles peuvent évidemment aussi rencontrer l’évêque compétent. Toute victime doit pouvoir entrer facilement en contact et être entendue dans nos diocèses. »
Par ailleurs doit être mise en place une commission d’experts sous la direction d’un laïc pour conseiller les évêques quand ils doivent décider si un prêtre soupçonné d’abus peut ou non rester en fonction.
Le collectif « La Parole libérée » a aussitôt rejeté ces propositions. Simon N., qui s’est plaint en vain à Rome contre la Fraternité Saint- Pie X, ne se contente pas non plus de cela.
« Cela ne suffit en rien. Pour les évêques français il devrait être clair qu’on ne peut pas être à la fois juge et partie. Il y avait déjà à Lyon, avant, un service d’assistance pour les victimes. On y réunissait le criminel et une de ses victimes à qui on faisait dire, la main dans la main, un « Notre Père » et un « Je vous salue Marie ». Cela n’apporte rien. La conférence épiscopale doit apprendre comment gérer de telles choses et ne doit pas tout mélanger. »
Aymeri Suarez-Pazos rejette le catalogue des mesures épiscopales comme étant une pure action de comm. Le président de l’AVREF a une exigence : Un évêque qui a couvert de la pédophilie doit se retirer.
« Jusqu’à présent les évêques se serrent les coudes autour du cardinal Barbarin. De ce fait ils se décrédibilisent eux-mêmes. Pour moi, tous ceux qui veulent protéger le cardinal Barbarin ont quelque chose à cacher. Comment puis-je croire dans ces conditions qu’ils veulent vraiment mettre au grand jour les abus ? »
Dans les jours passés aussi, de nouveaux faits sont devenus publics. Dans l’évêché d’Orléans, depuis 2012, un prêtre est accusé de pédophilie. L’évêque a déposé plainte à ce moment-là, mais ce n’est que maintenant qu’il a démis l’homme de ses fonctions de prêtre. « J’aurais dû le faire plus tôt » avoue monseigneur Blacquart dans une conférence de presse. C’est justement cet évêché qui passe pour exemplaire parce qu’il a installé depuis un an déjà un centre d’accueil pour les victimes. Depuis mars il y a déjà eu douze appels.