L’abus sexuel ébranle l’Église (article traduit de l’allemand)

Dimanche 22 mai 2016

C’est maintenant seulement que le sujet de l’abus sexuel vient à l’ordre du jour de l’Église catholique. Des victimes s’organisent, des révélations et des plaintes se multiplient chaque jour. Un point particulièrement fort : La traditionaliste Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X est elle aussi soupçonnée.

Article de Bettina Kaps

Aymeri Suarez-Pazos sait qu’il formule de graves reproches mais le président de l’association française d’entraide AVREF est absolument sûr de son fait. Le sigle AVREF signifie « aide aux victimes et familles de victimes d’abus au sein de mouvements religieux ».

« Nous savons qu’il y a beaucoup d’évêques qui protègent des prêtres pédophiles. Et ce sont justement aussi ces évêques qui se présentent depuis peu comme champions du regret et de la compassion pour les victimes. De nouveaux scandales peuvent éclater partout. Il est tout à fait possible que maintenant beaucoup de victimes déposent plainte ».

Suarez-Pazos s’appuie sur des informations données par des personnes concernées qui se tournent vers l’association : C’est là que se sont regroupées des personnes qui ont souffert ou dont les enfants souffrent encore d’abus spirituels ou d’abus au sein de communautés catholiques. Lui-même a été durant 14 ans sous l’influence dominatrice de l’Opus Dei où il était ce qu’on nomme numéraire. Les membres de l’AVREF ne se contentent pas de se soutenir mutuellement. Ils élaborent aussi des livres noirs sur des communautés qu’ils tiennent pour dangereuses. L’une d’elles est la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. L’association traditionaliste qui se groupe autour de feu l’archevêque Lefèbvre, s’oppose aux réformes du Concile Vatican II et s’en tient jusqu’à présent à l’ancien rite de la messe.

Simon N. [1] se sent maintenant si soutenu qu’il veut rendre son cas public. Cet ingénieur de 39 ans dit avoir fréquenté, étant enfant, les écoles et les groupes de jeunesse de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.

« Je peux parler d’abus spirituel ou moral mais j’ai aussi été victime de pédophilie. C’était chez les scouts. Le prêtre de mon groupe m’a fait des attouchements malsains et a même une fois tenté de me violer. J’avais 11 ou 12 ans et l’abus s’est produit pendant plus d’une année. »

En 2005 il découvrit sur un prospectus d’un groupe de scouts la photo de son bourreau. Là-dessus il rassembla son courage, alla voir les responsables de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et demanda des comptes. « Ils m’ont seulement promis qu’à l’avenir le prêtre n’entrerait plus en contact avec des enfants, ont avoué qu’ils avaient fait une erreur et qu’une telle chose ne se reproduirait plus. »

Aymeri Suarez-Pazos insiste sur le fait que l’association AVREF a rassemblé d’autres témoignages sur des cas d’abus commis dans les écoles de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Le cas de la Fraternité Pie-X est justement particulièrement explosif pour ce qui est de la politique de l’Église. En 2009 le pape Benoît XVI avait levé l’excommunication de quatre évêques de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et aspirait à une réconciliation avec les frères séparés. Le pape François mène de même des entretiens qui visent à la réintégration. C’est justement pour cela, dit M. Suarez-Pazos, que l’association AVREF considère qu’il est extrêmement important que les crimes présumés soient bientôt examinés devant un Tribunal. « Il est tout à fait possible que la Fraternité Pie-X devienne, dans un futur proche, une prélature personnelle comme l’Opus Dei, ce qui la rendrait presque intouchable. »

L’ AVREF a encore dans le viseur une autre communauté qui, vue de l’extérieur, est moralement particulièrement stricte : La Fraternité Saint-Jean.

Là aussi il y a eu manifestement des abus sexuels. C’est ainsi qu’un frère de la communauté Saint-Jean a été condamné en 2015 à 8 ans de prison pour viol et abus sexuels. Ce vendredi-ci commence le procès d’un frère qui, depuis, a été exclu de la communauté. Il lui est reproché d’avoir abusé sexuellement d’un adulte et d’un enfant. Nelly Souron-Laporte, avocate, membre de l’ AVREF, dit que cet homme a travaillé auparavant dans un couvent en Côte d’Ivoire et qu’il a été, là-bas, durant des années, en contact avec des enfants.

« La présomption d’innocence subsiste encore. Mais il y a de forts soupçons que l’homme se soit rendu coupable aussi en Afrique. La communauté Saint-Jean l’a renvoyé en France et remis aussitôt dans un environnement risqué, ce n’était pas adroit ».

Cet homme aurait organisé des camps de jeunes en Auvergne. Sur cette communauté aussi les responsables de l’Église, selon Aymeri Suarez-Pazos, auraient jusqu’ici toujours détourné le regard.

« Il y a un évêque référent, pour cette communauté : l’évêque d’Autun. Mais Monseigneur Rivière ignore ces affaires, quoique les actes et les plaintes lui aient été communiqués. Il n’agit tout simplement pas. »

Mais en ce moment ce ne sont pas tant la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et la Fraternité Saint-Jean qui font les gros titres mais différents scandales d’abus sexuel au sein de l’Église. L’association AVREF d’aide aux victimes espère que les très récents témoignages venus de Lyon vont maintenant faire tomber le mur du silence dans l’Église et encourager d’autres victimes d’abus à aller vers la police. A Lyon, depuis janvier, plusieurs hommes se sont groupés pour former un collectif et ont ouvert un site Web qui porte le nom de « La parole libérée ». Sur leur page Web déjà 17 victimes ont rendu public le fait que, enfants d’une équipe de scouts, ils ont été victimes d’abus de la part d’un prêtre pédophile.

Le prêtre concerné a avoué ses actes déjà en 1991, mais était encore en fonction jusqu’à l’été dernier. L’évêque de Lyon était au courant depuis 2007. Le cardinal Barbarin dit, dans une interview pour un journal, ne pas avoir retiré le prêtre de son poste parce que ce dernier lui avait assuré que plus rien ne s’était produit depuis 1991. La justice mène maintenant une enquête sur le prêtre mais aussi sur le cardinal. C’est une première en France. Sous la pression des nombreuses révélations, le Président de la Conférence Épiscopale de France, Georges Pontier, a réagi et annoncé des mesures.

« Ce qui nous importe en premier lieu, ce sont les victimes. Il est important que toutes les victimes aient un endroit où elles soient reçues, écoutées, accompagnées. Elles peuvent évidemment aussi rencontrer l’évêque compétent. Toute victime doit pouvoir entrer facilement en contact et être entendue dans nos diocèses. »

Par ailleurs doit être mise en place une commission d’experts sous la direction d’un laïc pour conseiller les évêques quand ils doivent décider si un prêtre soupçonné d’abus peut ou non rester en fonction.

Le collectif « La Parole libérée » a aussitôt rejeté ces propositions. Simon N., qui s’est plaint en vain à Rome contre la Fraternité Saint- Pie X, ne se contente pas non plus de cela.

« Cela ne suffit en rien. Pour les évêques français il devrait être clair qu’on ne peut pas être à la fois juge et partie. Il y avait déjà à Lyon, avant, un service d’assistance pour les victimes. On y réunissait le criminel et une de ses victimes à qui on faisait dire, la main dans la main, un « Notre Père » et un « Je vous salue Marie ». Cela n’apporte rien. La conférence épiscopale doit apprendre comment gérer de telles choses et ne doit pas tout mélanger. »

Aymeri Suarez-Pazos rejette le catalogue des mesures épiscopales comme étant une pure action de comm. Le président de l’AVREF a une exigence : Un évêque qui a couvert de la pédophilie doit se retirer.

« Jusqu’à présent les évêques se serrent les coudes autour du cardinal Barbarin. De ce fait ils se décrédibilisent eux-mêmes. Pour moi, tous ceux qui veulent protéger le cardinal Barbarin ont quelque chose à cacher. Comment puis-je croire dans ces conditions qu’ils veulent vraiment mettre au grand jour les abus ? »

Dans les jours passés aussi, de nouveaux faits sont devenus publics. Dans l’évêché d’Orléans, depuis 2012, un prêtre est accusé de pédophilie. L’évêque a déposé plainte à ce moment-là, mais ce n’est que maintenant qu’il a démis l’homme de ses fonctions de prêtre. « J’aurais dû le faire plus tôt » avoue monseigneur Blacquart dans une conférence de presse. C’est justement cet évêché qui passe pour exemplaire parce qu’il a installé depuis un an déjà un centre d’accueil pour les victimes. Depuis mars il y a déjà eu douze appels.

[1le nom a été changé

Voir en ligne : http://www.deutschlandfunk.de/frank…

Vos réactions

  • Françoise 24 mai 2016 00:54

    A chaque fois que l’Eglise institutionnelle cléricale est menacée par des poursuites pénales pour conduites criminelles, elle se dépêche de créer des prélatures ou sanctifie des individus pour protéger des fondateurs et communautés douteuses et les dresser en exemple. Ce qui lui permet de s’assurer jusqu’à présent une certaine impunité et de justifier ses soutiens à des groupes fondamentalistes criminels.

    Une fois qu’on a compris ce mode de fonctionnement, il est plus facile de pouvoir le dénoncer en tant que stratégie politique, manipulation et révisionnisme. Qui n’a strictement rien à voir avec Dieu mais tout avec l’avidité de pouvoir absolu et d’argent.

    Tant que l’ensemble des croyants ne dénoncera pas cela, la situation perdurera. Au-delà même des quelques procès retentissants.

    C’est un procès pénal international contre le Vatican lui-même qui peut stopper ces horreurs. Pas juste des procès locaux. Et le Vatican avait bien mesuré la gravité de la situation bien plus tôt que 2002, puisqu’il avait cru nécessaire, utile de créer dès 1947, des établissements religieux spéciaux pour accueillir et traiter, soigner médicalement des prêtres, religieux aussi bien dépressifs, que toxicomanes et pédophiles. Donc faudrait un peu que F1, les épiscopats mondiaux, cessent de nous prendre tous pour des imbéciles…

  • 23 mai 2016 22:00

    je crois que dans chaque diocese ,il existe des dossiers caches de pretres pedophiles MERCI AUX VICTIMES D AVOIR LE COURAGE ET LA FORCE DE DEVOILER CE QUI A TOUJOURS ETE FAIT EN SECRET AFIN DE FAIRE SORTIR LES EVEQUES DE LEUR IMMOBILISME ! L EGLISE EST ELUE POUR ETRE LA COLONNE , LA DEMONSTRATION DE LA VERITE C EST ELLE QUI EST APPELEE A DONNER L EXEMPLE AUX PAIENS !

  • eglantine 23 mai 2016 11:35

    C’est terrible, et il faut vraiment que les victimes puissent aller faire des déposition à la police : 68 victimes de B Preynat l’ont déjà fait, pour les autres prédateurs, il faut qu’elles aient peur : l’enjeu est leur reconstruction et leur reconnaissance de victimes et la justice : que leurs agresseurs soient sorti des circuits ecclésiaux, punit et soignés mais aussi que nos enfants soient en sécurité quand ils vont au caté ou chez les scouts ! La communauté St Jean : j’espère bien que les victimes vont parler (majeurs ou non d’ailleurs) l’omerta a tenu bien longtemps mais il faudra bien qu’elle cède : c’est vraiment très grave… Les évêques : en espérant effectivement qu’ils soient démasqués dans leurs mensonges et les protections inadmissibles des prédateurs… Cela glace le sang… il n’y a pas de mots pour condamner ces silences coupables … pour Barbarin, il était, au courant très très vraisemblablement depuis 2002, il a été inauguré la paroisse de Preynat, c’était sa première sortie pastorale : il ment donc nous sommes beaucoup à le penser….

    • Bonjour Eglantine

      Je crois aussi que certaines victimes en ont simplement marre. Certaines ont vécu déjà des procès, ont porté plainte et ont vu l’affaire étouffée. Je pense en écrivant cela aux victimes de Di Falco. L’affaire ressort ces temps-ci mais est-ce que les victimes voudront repartir dans un procès, une médiatisation alors qu’elles ont déjà souffert sur le premier ? Pas forcément. Pourtant di Falco devrait être jugé et l’omerta, la protection globale de l’épiscopat français et de certains politiques le concernant, devrait être dénoncée. Ce qui est bien, c’est que l’avocat a ressorti récemment le dossier et livré différentes informations à la presse concernant les pressions de Di Falco sur les victimes. J’ai lu ça sur la partie média de la Parole Libérée ces jours-ci.

      http://www.laparoleliberee.fr/quoi-de-neuf-m%C3%A9dias/articles-de-presse/

      On sait maintenant un peu mieux à quoi s’en tenir. Et on peut faire des comparatifs avec l’attitude de Barbarin et de l’épiscopat actuellement. Les dévoilements successifs sont très instructifs quant aux procédures utilisées par le clergé.

      https://drive.google.com/file/d/0B9ujtdHYptg9OUJqaWlzMzN6eDdMZWkxYWNyRFFta08yNG5V/view?pref=2&pli=1

      Je constatais tout à l’heure que l’attitude du haut-clergé sur les dernières affaires concernant la FSSPX, fonctionne exactement comme pour le père Réginald Fitzgerald alertant la hiérarchie vaticane de l’irréformabilité des prêtres pédophiles. C’est le déni quasi total de l’avertissement du collègue (pour la FSSPX, c’est le père Lefèvre qui a alerté le Vatican sur les comportements pédophiles de différents prélats) et le Vatican va jusqu’à prétendre que l’avertissement n’était pas nominatif alors que le père Lefèvre a donné son identité propre quand il dénonce les faits, les auteurs et les victimes de prêtres de la FSSPX. C’est là que l’on voit à quel point on marche sur la tête sur ces questions au plan institutionnel.

      • Bonjour, Françoise.

        Ce que vous dites au sujet du P. Lefèvre m’intrigue. Ce prêtre (que je ne connais pas du tout) aurait donc dénoncé à Rome des abus sexuels dans la Fraternité Saint-Pie X ? Puis-je vous demander de quel pays ou de quelle congrégation est ce prêtre ? Cela m’intéresse beaucoup parce que j’ai connaissance aussi de pédophilie dans ce milieu traditionaliste, or c’est un trou noir de l’information : la presse parle régulièrement de scandales sexuels dans le clergé diocésain ou certaines communautés mais un article comme celui-ci sur la pédophillie chez les intégristes, c’est (médiatiquement) tout neuf. Merci donc pour les précisions que vous pourrez m’apporter.

        • Il s’agit d’un prêtre suisse, Pauline. Voici le site qui traite de la pédophilie au sein de la FSSPX :

          http://www.stop-pedos-trad.is/wp/

          Vous y trouverez nombre d’informations.

          Vous pouvez aussi consulter le livre noir de la FSSPX rédigé par l’AVREF.

          Bonne lecture !

          • Merci pour votre réponse, Françoise. StopPédosTrad.is et le Livre Noir FSSPX de l’Avref… tiens, je vois que nous avons les mêmes lectures. Je suis ces deux sources avec intérêt et, connaissant des victimes de pédophilie dans le milieu FSSPX, je les ai encouragées à se manifester à la faveur de ce début de rupture de l’omerta.

            Ce que je me demandais, c’est si l’abbé Lefèvre dénonce des abus sexuels dans le milieu d’Ecône depuis plusieurs années (avant ces deux références auxquelles vous et moi nous référons). A-t-il été un pionnier, avant l’Avref et ce blog islandais ? Et, au juste, savez-vous de quel diocèse suisse il est ?

            • Je n’en sais rien du tout. Il me semble que ce prêtre fait partie du diocèse de Fribourg. Il dépendait de Mgr Genoud je crois, si je me rappelle l’article lu sur le sujet il y a quelques jours dans la presse suisse. Ca m’énerve de ne pas le retrouver. J’aurais dû le mettre en favori à la lecture mais l’attitude de ce prêtre m’a interpellée. Preuve qu’il y a quand même des prêtres qui réagissent pour dénoncer les crimes pédophiles.

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