Le premier qui me vient à l’esprit est l’histoire que sainte Thérèse d’Avila raconte au sixième chapitre de son livre des Fondations. Deux bonnes religieuses du couvent de Medina del Campo avaient obtenu, contre les usages alors en vigueur dans les carmels, de recevoir la communion eucharistique chaque matin pour trouver un apaisement à leurs états de nerfs mystiques. Elles se figuraient que si l’aumônier ne leur donnait pas la communion, elles en mourraient. Qui peut songer à laisser mourir froidement quelqu’un ? L’aumônier s’exécutait. On en informa la Madre surtout que cette mode menaçait de conquérir tout le couvent. Cependant, avant de se prononcer, la sainte voulut se rendre compte par elle-même de la situation. Voyant que la raison et la persuasion ne parvenaient à rien, elle prêcha d’exemple. Citons Marcelle Auclair : « - Je m’imposerai donc maintenant de me priver de la communion, comme vous. Si nous mourons toutes les trois, que peuvent espérer de mieux des Carmélites qui ne souhaitent que le Ciel ? Les premiers jours, on crut que les deux sœurs rendraient l’âme ; la Madre demeura inflexible, le temps fit son effet, les choses rentrèrent dans l’ordre. La Madre Teresa avait démontré à Alberta Bautista qu’il est plus méritoire de se plier à l’obéissance que de se laisser aller contre la règle à des élans de piété, ou de se livrer de sa propre autorité à d’extrêmes rigueurs. » Il faut dire que la Madre avait déjà eu l’occasion de redresser la Sœur qui avait une vision un peu trop personnelle et surtout très rigide de la vie religieuse : « Un jour où la Madre présidait à des jeux et chansons, (la sœur) grommela qu’on ferait mieux de contempler le Seigneur (quelle rabat-joie !). Elle y fut immédiatement expédiée : - Allez, ma fille ! Allez contempler dan votre cellule tandis que vos sœurs et moi nous réjouissons ici avec le bon Jésus ! » Le sevrage de ces deux religieuses fut poussé assez loin car la sainte dit qu’elle pouvait à nouveau communier seule sans que ces soeurs en fussent troublées.
Le second exemple est tiré du Journal de la Vénérable Marthe Robin (1902-1981) à la date du vendredi 4 avril 1930. Je ne citerai pas ce texte, qui est beau, en entier, car on peut le trouver sur internet. En voici quelques extraits « Si l’on me demandait : ’’Que vaut-il mieux faire, l’oraison ou la sainte communion ?’’… Les deux sont vivement à conseiller. Mais s’il faut porter une préférence, je crois que je répondrais : l’oraison ; car l’oraison est une disposition et une préparation immédiate à la sainte communion. » (…) « La communion fréquente est un conseil, l’oraison est un divin précepte : ’’Priez, priez sans cesse’’. (…) »Qu’en lisant ces lignes, mon père spirituel ne se méprenne pas sur mes intentions et n’y voie pas un ralentissement dans l’empressement et l’ardeur de mon âme à faire la sainte communion. J’ai voulu seulement parler dans quelle erreur sont certaines âmes qui s’inquiètent beaucoup d’une communion qu’elles n’ont pas pu faire, et qui ne se soucient pas d’une oraison qu’elles auraient pu faire et qu’elles ont volontairement abrégée ou manquée…« Ce n’est pas bien de faire dire aux saints ce qu’ils n’ont pas voulu dire. Il ne faut pas non plus extraire des faits de leur situation et l’appliquer à une autre à laquelle ils ne conviennent pas. Les religieuses espagnoles entichées de réaliser leurs propres vues sur leur sainteté, au point d’en éprouver des sentiments exaltés, ont été remises au pas avec douceur et fermeté par sainte Thérèse. Marthe Robin qui écrivait par obéissance pour son curé, qui était son guide spirituel, ce qui se passait dans son âme, n’a pas voulu édicter un précepte irréformable. Il n’en reste pas moins que ces exemples peuvent nous éclairer dans la période de confinement. Nous nous sommes trouvés dans l’impossibilité de communier aussi souvent que nous l’aurions souhaité. Tout était-il perdu pour nous ? Devions-nous tomber en pâmoison pour qu’on nous porte à tout prix la communion ? Devions-nous en faire des remontrances à nos curés, à nos évêques, et même pour certaines pétitions, à nos hommes politiques (sic) ? Non. La foi est bien plus simple. Même pécheurs, Dieu nous écoute et est proche de nous. »Intimior intimo meo« a écrit saint Augustin dans les Confessions (III, 6, 11) : »plus intime que l’intime de moi-même". Dieu est simple, et libre : nous, pas trop ! Les saints, et pour être plus exact, les saintes, nous ramènent à notre bon sens. Par la foi priante, nous avons un accès direct et plénier à Dieu dans notre intime. Que demander de plus ?
Père Pierre Vignon, prêtre