Mise à jour. Tard dans la soirée, la procureur de la République, Carole Étienne, a requis une peine de deux ans de prison avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve de trois ans, ainsi qu’une amende de 15.000 €. Certaines des parties civiles ont réclamé la somme comme réparation de leur préjudice. L’indemnisation des victimes figure parmi les obligations demandées par le ministère public, au même titre que l’interdiction d’entrer en contact avec les victimes, et l’interdiction d’exercer toute activité sociale durant cinq ans.
L’audience s’est terminée à 2h du matin, mercredi 22 mai 2019. Le tribunal rendra son jugement le jeudi 11 juillet 2019.
A la barre du tribunal correctionnel de Caen (Calvados), dès 8h30 mardi 21 mai 2019, l’homme reste stoïque à l’instruction du dossier, concentré à l’extrême, les yeux parfois fermés, dans son costume sobre, pantalon bleu marine, veste grise et chemise blanche. Quand on lui donne la parole, il répond clairement, la voix assurée.
Un avocat sans banc fixe
Alberto Maalouf (30 ans), médecin urgentiste au CHU de Caen, comparaît pour abus de faiblesse et sujétion psychologique envers 19 personnes, membres anciens ou actuels de l’association Notre-Dame mère de la Lumière (NDML), qu’il préside et qui se réclame du mouvement chrétien du Renouveau charismatique. Aucun délit financier ne lui est reproché.
Le parquet considère ces 19 personnes comme victimes d’Alberto Maalouf mais certaines d’entre elles ne partagent pas cet avis et assurent faire partie de NDML de leur plein gré. Une situation atypique qui a nourri un débat sur la place de leur avocat dans le prétoire : avec la partie civile ou la défense ? Le tribunal a tranché en donnant la parole à Me Gervais Doutressoulle en dehors des plaidoiries.
D’abord groupe de prière de six étudiants à l’aumônerie de l’Université de Caen, à partir de 2008, NDML s’est constituée en association en 2011. D’abord avec la caution de l’église.
L’évêque le qualifie de « pervers narcissique »
Suite à une enquête canonique achevée en 2017, l’évêque de Bayeux – Lisieux, Monseigneur Boulanger lui a finalement retiré sa « lettre de mission », l’excluant de fait de l’église. Dans un courrier aux enquêteurs reconnaissant « l’échec » de l’accompagnement de NDML par l’église, Mgr Boulanger a qualifié Alberto Maalouf de « pervers narcissique », pointant des « dérives sectaires, une emprise sur les membres ». Cette décision s’est notamment appuyée sur des « prières de guérison par imposition des mains et des exorcismes » ainsi que des « craintes pour la liberté des personnes à l’intérieur du groupe, qui était très fermé. » La responsable du pôle « prière et guérison » du groupe évoque ainsi à la barre l’exemple d’une femme qui aurait été guérie d’un cancer d usein « par la grâce de Dieu ». L’enquête canonique estimait également que NDML recherchait un « blanc-seing » de l’église afin de « se constituer en communauté religieuse ». Après quelques années d’existence, le groupe a investi deux maisons distinctes pour les hommes, à Verson, et les femmes, à Tourville-sur-Odon, pour vivre en communauté.
En mars 2016, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), alertée par les associations ADFI (Association pour la défense des familles et de l’individu) et Tocsin, alerte le parquet de Caen sur les agissements présumés de cette association. L’enquête de la police judiciaire de Caen permet de recueillir plusieurs témoignages, qui décrivent tous le même fonctionnement.
« Obsession de la pureté »
Sous couvert de veillées de prières et de louanges qui réunissent parfois jusqu’à 300 personnes, de maraudes auprès des démunis, Alberto Maalouf aurait créé une communauté guidée par « l’obsession de la pureté », selon l’expression de Marc*. Frère de la secrétaire de l’association, celui-ci a fréquenté NDML durant un an, entre août 2013 et août 2014. Il raconte :
« Quand je suis rentré des Etats-Unis, où j’avais passé cinq ans et demi au sein de la Légion du Christ pour faire mon séminaire, je n’avais qu’une valise. Ma soeur m’a hébergé. »
Alors âgé de 25 ans, le jeune homme est en quête de « vie sociale » et se « sent comme un ado de 18 ans » quand il rejoint le groupe auquel deux de ses soeurs participent déjà, avant son frère aîné.
« Si on émettait un doute, on disait qu’on était des Judas »
Barbara*, elle aussi, était vulnérable et en « recherche spirituelle » au moment de sa rencontre avec NDML, après une rupture amoureuse. Elle décrit le comportement d’Alberto Maalouf, qui entretiendrait un certain « culte de la personnalité » :
C’est le chef inaccessible, il fallait passer le « noyau consacré », son cercle rapproché, pour lui parler. Seule leur manière de vivre était acceptable et, si on émettait un doute ou une contradiction, on nous répondait que c’était une manifestation du Diable, on nous culpabilisait en disant qu’on était des Judas.
Plusieurs couples auraient été cassés, les femmes auraient eu interdiction de rester seule avec un homme, de porter des jupes trop courtes, de se baigner en maillot de bain pour ne pas « montrer leur féminité ».
Autant d’éléments que les membres « consentants » de NDML, qui ont fait voeu de chasteté en tant que « fiancé(e)s de Jésus », assurent être des « choix personnels », aucunement des interdictions, un « engagement et non pas une contrainte ». Croix autour du cou, ils défilent un à un à la barre pour se dire « parfaitement libres » de voir qui ils veulent, quand ils veulent, leurs proches comme des amis qui ne font pas partie de l’association. Ils poursuivent leurs activités professionnelles ou leurs études, parallèlement à leur vie en communauté.
Douche écossaise et grenouille dans l’eau bouillante
Les plaignants ont également décrit les « techniques de manipulation mentale » utilisées selon eux par Alberto Maalouf pour intensifier son emprise. Le médecin leur aurait imposé des « prières des frères » pour les humilier au milieu des autres, avant de faire preuve de bienveillance. « La douche écossaise », a raillé un avocat de la partie civile. Barbara, elle, évoque, la « grenouille dans l’eau bouillante », qui ne se rend compte qu’elle va mourir une fois qu’il est trop tard. Alberto Maalouf leur aurait aussi imposé des « missions » éreintantes, comme préparer à deux le repas pour cinquante sans-abri, ou des prières jusqu’à 3h du matin.
Sentiment de persécution
Pour les autres, ces exemples constituent du « ressenti, des interprétations », basés sur des « paroles rapportées » et illustrant la « frustration de gens qui voulaient intégrer le noyau consacré ». Défendant d’une seule voix Alberto Maalouf, tous évoquent la « persécution » dont le groupe fait l’objet, une sorte de « théorie du complot » initié par un compagnon éconduit de l’une des membres du « noyau » et l’association Tocsin. Tous réfutent également les expertises psychologiques dont ils ont fait l’objet et qui les présentent comme « manipulables ».
Présenté comme un « médecin très compétent » par ses collègues urgentistes du CHU de Caen, Alberto Maalouf, de son côté, réfute toute « volonté de dominer » :
« Si ma personnalité forte a engendré de la souffrance chez certains qui présentaient de la vulnérabilité, je le déplore. »
A l’heure où nous bouclions ces lignes (18h30), ces paroles étaient quasiment les seules prononcées par le président de Notre-Dame mère de la Lumière depuis le début de la journée.
Une vice-présidente très volubile
La vice-présidente de NDML, présentée comme le bras droit d’Alberto Maalouf, parfois même comme un « agent secret » au service du gourou chargé de faire remonter les infos, est au contraire très volubile à la barre. Surtout pour défendre son président, un homme « particulièrement bienveillant », avec qui elle s’est posé la question de se fiancer avant de choisir une autre voie. Alberto Maalouf la dépeint comme sa « soeur dans la foi ». Elle estime également que le Renouveau charismatique était « mal compris » dans le diocèse de Bayeux – Lisieux.
L’audition d’Alberto Maalouf, les réquisitions de la procureur de la République, Carole Etienne, ainsi que les plaidoiries des avocats, sont attendues dans la soirée, ce mardi 21 mai 2019.
*Prénoms d’emprunt.