Par Bernadette Sauvaget —
De lui, Pierre Vignon dit, sur le ton de l’humour, qu’il est le « massif du Vercors », faisant allusion à sa forte corpulence et à ce coin de montagne retiré où il vit. Grande gueule, le prêtre catholique, truculent à ses heures, est de ceux qui ne plient pas. Très investi dans le soutien aux victimes d’abus sexuels dans l’Eglise, exemplaire dans son combat, il a été pourtant très sévèrement remercié, jeudi, par les évêques de ses fonctions de juge au tribunal ecclésiastique de Lyon (Rhône).
« Je déplore cette décision mais je l’accepte. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait cet été car je l’ai entrepris en conscience », commente auprès de Libération, Pierre Vignon. Il avait demandé publiquement, le 21 août, dans une lettre, la démission du cardinal et archevêque de Lyon, Philippe Barbarin. Cette prise de position, rarissime dans un milieu clérical généralement timoré, avait été relayée par une pétition obtenant plus de 105 000 signatures.
Philippe Barbarin, convoqué devant le tribunal correctionnel de Lyon, le 7 janvier prochain, est mis en cause pour ne pas avoir signalé à la justice les agissements de son subordonné l’abbé Bernard Preynat, soupçonné d’abus sexuels sur des dizaines de jeunes scouts dans les années 80.
La démarche de Vignon a singulièrement déplu à la hiérarchie catholique, la plongeant dans l’embarras. Il a très rapidement été signifié au prêtre ce que son évêque, celui de Valence (Drôme) Pierre-Yves Michel, appelait pudiquement « son manque de cohérence ». Sollicité par Libération, ce dernier n’a pas donné suite à notre demande.
En catimini
La sanction est tombée presque en catimini. Le prêtre a été averti par un mail que lui a adressé, jeudi matin Nicolas de Boccard, le patron de l’officialité (tribunal ecclésiastique) de Lyon. « Les évêques ont remis tout à plat et ont repris les nominations à partir du 1er novembre 2018 pour tout le monde. […] Ils n’ont pas souhaité t’inclure dans ces nominations. Tu n’es donc plus juge de l’officialité à compter de ce jour. Il ne m’appartient pas de commenter leur décision », écrit-il à Vignon. La veille, le prêtre avait eu une longue conversation avec son évêque qui ne lui avait pas clairement précisé son avenir.
La décision a été prise par les douze évêques, ceux de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le territoire sur lequel s’exerce l’autorité de l’officialité de Lyon. Parmi ces responsables figure Luc Crepy, l’évêque du Puy-en-Velay (Haute-Loire), en charge du dossier de la pédophilie à l’épiscopat. Sollicité par Libération, il n’a pas donné suite non plus.
Lanceur d’alerte dans plusieurs affaires de pédophilie, très critique vis-à-vis du silence de sa hiérarchie, Pierre Vignon est très apprécié parmi les victimes et très sollicité pour prodiguer ses conseils. « Nous sommes consternés par l’attitude des responsables catholiques qui montrent encore leur incapacité à évoluer et se figent dans un cléricalisme mortifère », nous explique François Devaux, le président fondateur de la Parole libérée. En France, Vignon est probablement le prêtre le plus investi dans la lutte contre la pédophilie et les dérives sectaires au sein de l’Eglise, quitte à bousculer ses cadres.