Pédophilie : Pierre Vignon, le prêtre lanceur d’alerte, sanctionné par sa hiérarchie

Jeudi 1er novembre 2018

Après avoir demandé publiquement la démission du cardinal Barbarin, Vignon n’a pas été reconduit dans ses fonctions de juge ecclésiastique. Un très mauvais signal envoyé aux victimes.

Par Bernadette Sauvaget —

De lui, Pierre Vignon dit, sur le ton de l’humour, qu’il est le « massif du Vercors », faisant allusion à sa forte corpulence et à ce coin de montagne retiré où il vit. Grande gueule, le prêtre catholique, truculent à ses heures, est de ceux qui ne plient pas. Très investi dans le soutien aux victimes d’abus sexuels dans l’Eglise, exemplaire dans son combat, il a été pourtant très sévèrement remercié, jeudi, par les évêques de ses fonctions de juge au tribunal ecclésiastique de Lyon (Rhône).

« Je déplore cette décision mais je l’accepte. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait cet été car je l’ai entrepris en conscience », commente auprès de Libération, Pierre Vignon. Il avait demandé publiquement, le 21 août, dans une lettre, la démission du cardinal et archevêque de Lyon, Philippe Barbarin. Cette prise de position, rarissime dans un milieu clérical généralement timoré, avait été relayée par une pétition obtenant plus de 105 000 signatures.

Philippe Barbarin, convoqué devant le tribunal correctionnel de Lyon, le 7 janvier prochain, est mis en cause pour ne pas avoir signalé à la justice les agissements de son subordonné l’abbé Bernard Preynat, soupçonné d’abus sexuels sur des dizaines de jeunes scouts dans les années 80.

La démarche de Vignon a singulièrement déplu à la hiérarchie catholique, la plongeant dans l’embarras. Il a très rapidement été signifié au prêtre ce que son évêque, celui de Valence (Drôme) Pierre-Yves Michel, appelait pudiquement « son manque de cohérence ». Sollicité par Libération, ce dernier n’a pas donné suite à notre demande.

En catimini

La sanction est tombée presque en catimini. Le prêtre a été averti par un mail que lui a adressé, jeudi matin Nicolas de Boccard, le patron de l’officialité (tribunal ecclésiastique) de Lyon. « Les évêques ont remis tout à plat et ont repris les nominations à partir du 1er novembre 2018 pour tout le monde. […] Ils n’ont pas souhaité t’inclure dans ces nominations. Tu n’es donc plus juge de l’officialité à compter de ce jour. Il ne m’appartient pas de commenter leur décision », écrit-il à Vignon. La veille, le prêtre avait eu une longue conversation avec son évêque qui ne lui avait pas clairement précisé son avenir.

La décision a été prise par les douze évêques, ceux de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le territoire sur lequel s’exerce l’autorité de l’officialité de Lyon. Parmi ces responsables figure Luc Crepy, l’évêque du Puy-en-Velay (Haute-Loire), en charge du dossier de la pédophilie à l’épiscopat. Sollicité par Libération, il n’a pas donné suite non plus.

Lanceur d’alerte dans plusieurs affaires de pédophilie, très critique vis-à-vis du silence de sa hiérarchie, Pierre Vignon est très apprécié parmi les victimes et très sollicité pour prodiguer ses conseils. « Nous sommes consternés par l’attitude des responsables catholiques qui montrent encore leur incapacité à évoluer et se figent dans un cléricalisme mortifère », nous explique François Devaux, le président fondateur de la Parole libérée. En France, Vignon est probablement le prêtre le plus investi dans la lutte contre la pédophilie et les dérives sectaires au sein de l’Eglise, quitte à bousculer ses cadres.

Suite de l’article sur le site de libération.fr

Voir en ligne : https://www.liberation.fr/france/20…

Vos réactions

  • isabelle 2 novembre 2018 01:52

    M’ouais ! Autant je souscris aux témoignages (véridiques), autant je suis prudente face aux attaques internes de la hiérarchie sur les questions de pédophilie au sein d’une Eglise infiltrée et malade.

    ’Un très mauvais signal envoyé aux victimes’ ? Soit ! J’en connais un rayon sur le sujet mais je préfère ne pas rajouter de l’huile sur le feu ici. Mais que fait-on des multiples victimes de pédophilie au sein des institutions dites ’laïques’ ? En particulier de celles de l’éducation nationale !

    Une courte vidéo de ’remise en place’ s’impose avant que ce site ne devienne « L’enfer du décors » !? 😉

    • Dans l’Eglise, le fait de ne plus être appelé par son évêque à exercer telle ou telle fonction ne constitue pas une sanction. Le prêtre est un serviteur, avant tout. Il ne fait pas carrière et n’est en aucun cas propriétaire de sa mission. D’autre part, le père VIGNON d’après ses déclarations, ne croit plus à la justice ecclésiastique….Dans ce cas, pourquoi tient il autant à exercer les fonctions de juge ?

        • Le père Vignon ayant été juge sait précisément ce qu’est une sanction dans le droit canon. Les condamnations ecclésiales se font après une enquête , par un Tribunal ecclésiastique qui peut réduire à l’état laïc, retirer le droit de célébrer certains sacrements, de célébrer la messe en public, interdire d’enseigner, de publier, condamner à faire pénitence dans un monastère pendant un certain temps, si c’est un religieux, l’éloigner de sa communauté, si c’est un supérieur, lui retirer sa charge…… Les excommunier…. Ils ont le droit de faire appel à ces sanctions. Ils n’ont absolument pas le droit( comme d’ailleurs leurs avocats) de trahir le secret de l’instruction, c’est à dire de divulguer quoique ce soit sur le dossier où ils sont incriminés. Donc des déclarations comme celles que le père VIGNON vient de faire ne seraient absolument pas possibles dans le cadre d’une sanction canonique. Il y a des prêtres sous le coup de telles sanctions : certains dont la situation est très médiatisée n’ont pas la possibilité de faire entendre leurs voix, sur ces m^mes médias justement en raison de ce secret de l’instruction. Donc rien à voir avec la situation du père VIGNON.

          • Quand le haut-clergé démet un prêtre d’un poste de juge de l’Officialité parce qu’il a dénoncé une situation d’abus de pouvoir et de mépris, mais aussi parlé de non dénonciation de prêtres pédophiles concernant Barbarin, il s’agit d’une sanction. C’est l’équivalent de ce que vit chaque lanceur ou lanceuse d’alerte sur une situation professionnelle grave. Et c’est bien ce type de sanction que dénonce dans ce message Pierre Vignon.

            • Le père VIGNON est protégé par l’opinion publique. N’importe quel prêtre et juge ecclésiastique ( ou avocat) lambda aurait fait les mêmes déclarations et pétitions serait passé devant un Tribunal ecclésiastique et risquerait la réduction à l’état laïc. Et un prêtre qui ne croit plus à la justice ecclésiale et n’a pas confiance en son évêque peut difficilement rendre la justice en son nom.

              • « N’importe quel prêtre et juge ecclésiastique ( ou avocat) lambda aurait fait les mêmes déclarations et pétitions serait passé devant un Tribunal ecclésiastique et risquerait la réduction à l’état laïc »

                En étant accusé de quel crime ? Liberté de parole, d’opinion ? Défense de la justice ? Autre ?

                • Le constat est cruel pour la partie de cette église qui a gagnée et détient le pouvoir : ce qui se passe avec Pierre Vignon, c’est le même principe qui s’applique pour les victimes des charismatiques qui veulent quitter leur communauté dérivante : la mise à l’écart du groupe, menaces, brimades, chantages. Mais personne le sait car cela se passe en interne !

                  Car chez ces gens là, on ne critique pas, on n’améliore pas, on ne change pas … Et quand on est mis au pied du mur pour changer, comme le pape François l’a demandé… on contourne, !

                  Là, c’est médiatisé, et l’on a recourt à tous les articles des règlements divers et variés. Et si ça ne’’colle’’ pas, bien des artifices peuvent être employés, avec toutes les arguties juridiques.

                  Ceux qui ont déposés plaintes pour le non paiement des charges sociales et qui se retrouvent sans retraite ou presque le savent bien, hélas !

              • Mais quel type de protection, Agapé ? Vous prenez n’importe quel lanceur d’alerte, le soutien public ne sert pas à grand-chose. Qu’on soit dans la vie civile ou religieuse, les conséquences sont les mêmes : la dégradation. Pierre Vignon a certes un soutien populaire et massif des croyants. Mais ça ne lui sert pas à grand-chose compte tenu de la situation qu’il vit. Exactement comme pour la jeune femme qui a dénoncé des situations graves en maison de retraite. Elle aussi dispose du soutien populaire. Mais ça l’a pas empêchée d’être licenciée et salie par l’entreprise où elle travaillait.

                • Le fait que l"opinion publique en parle fait toute la différence. Je pense à ces prêtres ou et religieuses qui ne peuvent pas s’exprimer en évoquant le contenu de leur dossier sous peine de graves sanctions qui lisent sur eux des rumeurs infamantes sans pouvoir répondre. Et qui finissent par s’exprimer à travers un acte désespéré comme le suicide.

                  • Pierre Vignon justement permettait à des religieuses, des religieux, des prêtres de pouvoir décharger, se confier sur des situations difficiles. Je pense notamment à l’affaire qu’il suit sur les religieuses victimes de prostitution dont il avait parlé en juin dernier. Ce sera encore plus dur pour ces femmes sans lui. Le soutien de l’opinion publique ne change pas pour autant la situation inique que Barbarin lui a fait vivre en représailles de sa prise de parole. Pour autant je pense qu’il continuera d’une façon ou d’une autre à aider les victimes du clergé, de congrégations. Et trouvera une façon originale de faire face à l’institution. Celle-ci a encore plus montré en s’attaquant à Pierre Vignon qu’elle n’est pas du tout là pour aider les personnes victimes ni soutenir les clercs et religieux qui montent au créneau pour aider les victimes, mais pour maintenir coûte que coûte un système de pouvoir, d’argent et d’abus. Cela ne fait donc que précipiter l’institution un peu plus dans le discrédit complet. Et dans une mutation progressive vers un sectarisme de même acabit que celui que nous pouvons dénoncer des communautés dérivantes sectaires ici. Perso, ça me donnerait envie d’un happening géant chanté devant chez Barbarin et devant la CEF façon chorale :

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