Par Nicole Winfield, Associated Press
Dans une interview sur la place Saint-Pierre, Juan Carlos Cruz se dit honoré que François ait souhaité s’excuser personnellement après l’avoir discrédité, ainsi que les autres victimes, lors de son voyage au Chili en janvier. Sa défense virulente d’un évêque controversé a été l’une des pires bévues de son pontificat car cela a remis en question son engagement dans la lutte contre les abus et les dissimulations.
Alors que François a reproché à d’autres personnes de l’avoir mal informé, Cruz explique qu’il aimerait entendre les explications du Pape pour n’avoir pas su que les victimes – qui n’étaient pourtant pas des militants anticléricaux – avaient accusé publiquement Mgr Juan Barros d’avoir été témoin des abus et de n’avoir rien fait.
« Ce n’est pas un Pape ukrainien : il vient de Buenos Aires, qui est à une heure et quarante minutes de vol du Chili ! », précise Cruz à l’Associated Press. « C’est pourquoi il est vraiment difficile de comprendre qu’il n’était au courant de rien… mais je veux l’entendre, je veux lui parler, je veux écouter ce qu’il a à dire. »
Cruz et deux autres survivants, Jimmy Hamilton et Jose Andres Murillo, auront plusieurs jours de réunions privées et en groupe avec François, à partir de vendredi. Ils seront les hôtes de François à l’hôtel Santa Marta du Vatican.
Le traitement VIP que le Vatican accorde aux trois victimes est un revirement notable, étant donné que les dirigeants de l’église chilienne les ont traités comme des parias pendant des années.
François a invité les trois victimes à Rome après avoir suscité la consternation du peuple chilien quand il a affirmé, lors de sa visite en janvier, que les accusations contre Barros étaient « calomnieuses » et nécessitaient des preuves.
François semblait complètement ignorer que les victimes du père Fernando Karadima (prédateur sexuel et mentor de Barros) avaient signalé que Barros avait assisté aux abus. Leurs témoignages avaient pourtant été jugés suffisamment fiables pour que le Vatican condamne Karadima à une vie de pénitence et de prière. François a même qualifié de « gauchistes » les personnes qui ont fomenté l’opposition contre Barros.
En réponse au tollé que ses commentaires ont provoqué au Chili, François a dépêché le meilleur enquêteur du Vatican pour examiner les accusations contre Barros. Après avoir reçu le rapport de l’enquêteur, François a envoyé une lettre d’excuses aux victimes et les a invitées à Rome.
Le Pape a également donné un avertissement sévère aux évêques du Chili, qui ont l’habitude de discréditer les victimes, d’imposer des peines minimales aux abuseurs, voire de les couvrir entièrement.
Dans cette lettre, François a admis avoir commis de « graves erreurs de jugement et de perception » au sujet de l’affaire Barros, mais il a invoqué un manque d ’« information véridique et équilibrée » qui auraient provoqué ses erreurs. »
Beaucoup de Chiliens ont pointé du doigt l’archevêque à la retraite de Santiago, le Cardinal Javier Errazuriz, qui fut le supérieur de Barros pendant de nombreuses années et qui est l’un des proches conseillers de François.
Dans des courriels, Errazuriz avait en effet qualifié Cruz de « menteur » et de « serpent » cherchant à détruire l’Église chilienne. Barros, Hamilton et Murillo ont poursuivi l’archidiocèse pour avoir dissimulé les abus de Karadima ; leur cas est en appel.
Cruz veut exhorter François à se débarrasser des prélats « toxiques » comme Errazuriz, qui se trouve également à Rome en ce moment pour assister à l’une des réunions régulières du Pape avec ses neuf conseillers.
« Je crois que le Pape est un homme bon et qu’il veut faire le bien », a déclaré Cruz. « Malheureusement, il a écouté les personnes toxiques qui l’entourent et cela doit cesser … Ces personnes doivent partir. Il doit les tenir pour responsables. »
À quelques jours de sa rencontre avec François, Cruz a rencontré le père Jordi Bertomeu, qui s’était rendu au Chili pour interviewer des victimes en compagnie de l’archevêque Charles Scicluna.
« C’est absolument surréaliste que je sois ici devant la basilique Saint-Pierre, que je m’apprête à rencontrer le pape… alors que, pendant des années, des années et des années, ils m’ont considéré comme la personne la plus diabolique au monde », dit Cruz, stupéfait.
« J’aimerais qu’ils fassent la même chose avec tous les survivants. » ajoute-t-il.
ADDENDUM : Déclaration du Directeur du Bureau de Presse du Saint-Siège, Greg Burke, 25.04.2018
En réponse aux questions des journalistes sur la rencontre du Saint-Père François avec des victimes d’abus au Chili, le chef du Bureau de presse du Saint-Siège, Greg Burke, déclare ce qui suit :
« Le week-end prochain, le Saint-Père accueillera à la Maison Sainte Marthe trois victimes d’abus commis par le clergé au Chili : respectivement Juan Carlos Cruz, James Hamilton et José Andrés Murillo.
Le Pape les remercie d’avoir accepté son invitation : durant ces journées de rencontre personnelle et fraternelle, il veut leur demander pardon, partager leur peine et leur honte pour ce qu’ils ont souffert et, surtout, écouter toutes leurs suggestions pour éviter que ces faits répréhensibles se répètent.
Le Pape recevra les victimes individuellement, en laissant chacun parler aussi longtemps que nécessaire.
Le Saint-Père demande des prières pour l’Eglise au Chili en ce moment douloureux, espérant que ces rencontres puissent se dérouler dans une atmosphère de confiance sereine et constituer une étape fondamentale pour remédier et éviter les abus de conscience, de pouvoir et, en particulier, les abus sexuels au sein de l’Église »