En réponse à la lettre de Mgr Rey sur la situation du père Thierry de Roucy, fondateur de Points-Cœur, le collectif « L’appel de Lourdes 2013 » publie un communiqué de presse afin d’exprimer sa perplexité quant aux mesures annoncées et son indignation quant à l’absence totale de charité à l’égard des personnes qui ont été affectées, parfois très gravement, par les dysfonctionnements de cette œuvre.
En 2011, le fondateur de Points-Cœur a été condamné par le tribunal ecclésiastique de Lyon pour abus de pouvoir, abus sexuel et absolution du complice. Cette nouvelle a attiré l’attention sur tous les dysfonctionnements de cette œuvre, dénoncés depuis des années par un certain nombre de ses anciens membres ou de leurs familles. C’est ainsi que l’évêque de Fréjus-Toulon, où cette œuvre a son siège, a été amené à ouvrir une enquête. Il vient de rendre compte de ses résultats et des décisions qu’il a prises en conséquence notamment dans une lettre adressée aux familles des personnes engagées dans cette œuvre (nous la faisons figurer à la suite de notre communiqué).
L’activité principale de Points-Cœur, appuyée sur des religieux, religieuses, laïcs engagés à vie (molokaïs), consiste à envoyer des jeunes vivre à quatre ou cinq pendant environ deux ans dans de petits foyers dans les quartiers les plus pauvres à travers le monde. La générosité de ces jeunes est manifeste, mais c’est le fonctionnement de l’œuvre qui est en cause.
La lettre de l’évêque suscite de notre part les commentaires suivants.
Nous relevons avec satisfaction que l’enquête ait constaté :
– les problèmes posés par la doctrine concernant l’exercice de l’autorité et la conception de la paternité,
– l’absence de fondements doctrinaux et ecclésiaux de l’œuvre dans son ensemble,
– la méfiance répandue dans l’œuvre à l’égard de l’Église et de ses pasteurs,
– les lacunes de la formation des molokaïs (prêtres et laïcs définitivement engagés).
Nous nous étonnons en revanche que la générosité et les talents des personnes qui s’engagent à Points-Cœur soient présentés comme un mérite de l’œuvre au point que l’on puisse y voir la « manifestation de l’Esprit et de la charité de l’Église dans une dimension de présence aux pauvres et universelle ». C’est en contradiction absolue avec les autres points de la lettre insistant sur le fait que l’œuvre s’est développée en marge de l’Église et de ses pasteurs.
Il est largement rendu hommage au fondateur sans aucune mention expresse de sa condamnation alors même que le délit d’absolution du complice entraîne en principe automatiquement l’excommunication et que le père de Roucy ne s’est jamais repenti. Il est incompréhensible qu’il n’ait pas été écarté aussitôt connue sa condamnation. Rien non plus sur le décalage entre le mode de vie du fondateur d’une part et son discours sur la pauvreté et le « charisme » de l’œuvre, d’autre part.
On ne trouve aucune référence à une réflexion sur le phénomène d’emprise, celle-ci étant simplement mentionnée entre guillemets alors qu’elle est, selon nous, au cœur du problème.
N’est pas non plus soulevée la grave question des vocations suscitées sous emprise, et donc à réévaluer, ni, de manière générale, la confusion entre for interne et for externe.
Il est seulement fait allusion à la formation et l’accompagnement des volontaires sans autre précision, alors que leur déficience est capitale.
Enfin, et nous en sommes profondément choqués, aucune allusion aux souffrances causées par le mode de fonctionnement de l’œuvre parmi certains de ses membres et leur famille. Certains ne s’en sont jamais remis. C’est d’autant plus curieux que le « charisme » de Points-Cœur est précisément la compassion. Une fois de plus, les victimes sont oubliées.
Concernant les mesures annoncées, tout dépendra de leur mise en œuvre effective. Dans trop de cas, après les promesses initiales, tout se termine par un simple toilettage. Nous appelons donc à une particulière vigilance. A cet égard paraît hautement problématique le maintien, manifestement négocié par l’évêque, du père Marie Guillaume dans la fonction de modérateur général. On s’étonne d’ailleurs qu’il n’ait pas été écarté provisoirement pendant la durée de l’enquête.
Rappelons en effet l’initiative à laquelle le père Marie Guillaume s’est prêté pendant l’enquête canonique de 2005 (car il y en avait déjà eu une). Le père de Roucy avait alors été écarté de la direction de l’œuvre et remplacé provisoirement par le père Laurent. Cependant, les proches du père de Roucy ne se sont pas satisfaits de cette décision (bien que le père L. fût lui-même également très attaché au fondateur) et ont décidé de se soumettre intérieurement et secrètement à l’autorité du père Marie-Guillaume, en qui ils voyaient le substitut du père de Roucy.
Nous citons ci-après le texte envoyé à ce sujet le 28 mars 2005 par le père J. aux molokaïs pendant que le père de Roucy était consigné au Bec Hellouin.
« Le nouveau conseil [mis en place autour du père Laurent à la tête de Points-Cœur] est désormais trop ficelé et trop lié aux évêques pour pouvoir transmettre l’esprit du père Thierry… Il ne pourra pas résister, ce n’est pas sa mission. Père Thierry souhaite sans aucun doute que nous soyons dociles à l’Église au niveau du for externe… Aucun supérieur n’a le droit de questionner ou de forcer la porte de la guha [sic] intérieure… Nous avons le droit et le devoir d’être fidèles à notre conscience et donc de suivre celui que nous choisirons comme le visage et la voix de père Thierry. Cette personne devra être à l’écart pour ne pas devoir s’impliquer dans les décisions de l’évêque… Celui qui peut faire l’unité de toute la famille et être le visage de père Thierry et donc du Christ pour moi aujourd’hui est père Marie Guillaume… Par lui, le Christ reste visible, accessible et se donne comme un père. Aujourd’hui, pour moi, suivre Père Thierry, c’est reconnaiître Marie Guillaume comme le père. »
C’est donc sur ce même père Marie-Guillaume, « visage et voix » du père de Roucy que devra s’appuyer le commissaire pour purifier l’œuvre de toutes les déviances induites par le père de Roucy…
Enfin, comment comprendre que l’on ait laissé l’œuvre, malgré tous ses dysfonctionnements, poursuivre le recrutement de volontaires pour la rentrée 2014 comme si de rien n’était (nouveau site web, campagnes de promotion dans les établissements scolaires et universitaires) ? N’est-ce pas une tromperie à l’égard des jeunes qui viennent de s’éparpiller dans les foyers Points-Cœur à travers le monde ?
Yves Hamant, Xavier Léger, Aymeri Suarez-Pazos
Collectif « Appel de Lourdes 2013 » (*)
(*) Ce collectif réunit des victimes et parents de victimes de graves abus commis dans un certain nombre de communautés catholiques. Il s’est constitué à la veille de l’assemblée des évêques de France à Lourdes, en novembre 2013. Les évêques se sont montrés sensibles à sa démarche et lui a répondu par une lettre de leur président, Mgr Georges Pontier.
Dominique Rey
Evêque de Fréjus-Toulon
AUX FAMILLES DES PERSONNES ENGAGEES OU EN COURS DE DISCERNEMENT
POUR S’ENGAGER DANS LES ASSOCIATIONS LIEES A L’OEUVRE POINTS-COEUR
Toulon, le 29 septembre 2014
Chers amis,
Le 26 décembre dernier, j’avertissais les membres de Points-Cœur du lancement d’une enquête sur le Père de Roucy et sur l’Œuvre. Les conclusions de l’enquête menée par le P. Le Bot O.P. ont été rendues au début de l’été. Elles ont fait l’objet d’un travail d’évaluation approfondi en lien avec le Saint-Siège à travers la Congrégation pour la doctrine de la Foi. Je tiens aussi à remercier beaucoup d’entre vous pour avoir rencontré le P. Le Bot et de lui avoir communiqué les informations et témoignages qui ont été utiles à l’enquête. Il ressort de ce travail un certain nombre de décisions dont je tiens personnellement à vous informer.
Ces décisions ne sont pas des peines au sens juridique du terme. Elles expriment le discernement de l’Eglise à travers l’évêque responsable des associations liées à Points-Cœur, en lien étroit et dans l’obéissance aux directives du Saint-Siège. C’est la vigilance de l’Eglise qui s’exerce ainsi, pour le bien de tous et pour le bien particulier des associations de l’Œuvre et de toutes les âmes qui y sont engagées ou qui lui sont liées. C’est donc dans un esprit de confiance et d’obéissance surnaturelles qu’il convient de les accueillir.
Les conclusions auxquelles l’enquête a abouti insistent d’abord sur « les belles réalisations de l’Œuvre » et « la confiance que l’Eglise lui manifeste ». L’enquêteur m’a demandé de manifester la reconnaissance de l’Eglise à l’égard des talents des personnes engagées dans Points-Cœur et de ceux de leur fondateur. La générosité de cet engagement évangélique, notamment dans les pays les plus pauvres, est unanimement reconnue. L’expérience humaine et spirituelle des volontaires dans les Points-Cœur est dans la grande majorité des cas réussie et inoubliable. Les évêques de la plupart des diocèses où un Points-Cœur est implanté témoignent de leur admiration devant le travail accompli auprès des plus pauvres. L’Eglise n’entend pas remettre en cause une telle « manifestation de l’Esprit et de la charité de l’Eglise dans une dimension de présence aux pauvres et universelle » (P. Le Bot). Il s’agit au contraire d’en assurer les fondations ecclésiales et spirituelles. Et c’est à cela que je compte m’employer en tant qu’évêque responsable.
A côté d’« une belle expérience évangélique et une grande générosité », l’enquête identifie en effet aussi « un risque d’enfermement de l’Œuvre sur elle-même et sur sa vision exclusiviste des choses ». Ce risque est qualifié de « grave ». Il est apprécié au regard d’une doctrine « propre » à Points-Cœur ainsi que d’« un manque de maturité ecclésiale » mesuré par le manque « de confiance envers les pasteurs légitimes ». Le rôle du fondateur a enfin été considéré comme « un élément essentiel de ces difficultés » à cause, en particulier, de la doctrine répandue dans l’Œuvre sur l’exercice de l’autorité et la conception de la paternité qu’il y exercerait. Il est bien évident que ces limites sont en général méconnues par les membres de Points-Cœur dont la volonté de servir fidèlement l’Eglise est sincère. Je demanderai qu’un travail d’analyse soit mené dans les associations pour que la portée et les raisons de ces conclusions soient appréciées à leur juste valeur.
Ces conclusions générales de l’enquête ont conduit à l’adoption des décisions suivantes.
En premier lieu, l’exigence d’un encadrement ecclésial de l’Œuvre ressort des informations recueillies par l’enquêteur. Il s’agit de restaurer la confiance de Points-Cœur à l’égard de l’Eglise, mais aussi de l’Eglise à l’égard de Points-Cœur, sur des aspects de l’Œuvre où cette confiance est malmenée. Dans un premier temps, cet encadrement portera principalement sur la fraternité Molokaï, pour laquelle un commissaire est désigné. Selon le droit, il aura le pouvoir de diriger provisoirement la fraternité, notamment pour la mise en œuvre des remèdes aux points d’attention énumérés par l’enquête. Cependant, j’ai tenu à ce que Guillaume Trillard demeure modérateur, sous le contrôle et en lien avec le commissaire. Il leur appartiendra à tous deux de mener à bien, en particulier, une révision canonique des statuts selon les indications de la Congrégation pour la doctrine de la Foi. Le commissaire devra aussi poursuivre avec les membres de l’Œuvre la réflexion sur le charisme de Points-Cœur et sur la nature du ministère sacerdotal de ses membres prêtres. La présence de Points-Cœur dans le monde de l’art et auprès de l’ONU devra faire l’objet d’une évaluation approfondie. Le commissaire devra encore conduire un travail sur la doctrine interne à la fraternité. C’est l’abbé Charles Mallard, prêtre du diocèse de Fréjus-Toulon, qui remplira cette lourde charge. Il est membre de mon conseil épiscopal, professeur de philosophie et de théologie. Il bénéficie aussi d’une solide expérience pastorale.
En deuxième lieu, le rapport d’enquête a relevé des points d’attention concernant la formation et l’accompagnement des volontaires. Mais l’élément principal relatif à la formation concerne les séminaristes qui doivent tous retourner en France. Leur rattachement au séminaire de La Castille ne constituera d’ailleurs qu’un retour à ce qui fut convenu lorsque la fraternité fut accueillie dans mon diocèse. D’une manière générale, c’est le regroupement dans mon diocèse des lieux de formation qui est recommandé par l’enquêteur et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
En troisième lieu, la présence du Père de Roucy dans l’Œuvre est considérée par l’enquête comme « un obstacle à toute évolution et peut-être même à tout contrôle sérieux de son activité ». La forte personnalité du P. de Roucy et la doctrine diffusée dans Points-Cœur sur sa paternité font craindre une certaine « emprise ». Ce discernement de l’Eglise n’enlève rien à ce que le P. de Roucy a donné de bon à Points-Cœur. En lien avec la Congrégation pour la doctrine de la Foi, j’ai longuement apprécié son rôle positif d’un côté, les éléments négatifs que relève l’enquête, de certains de ses enseignements sur le plan spirituel, et les conséquences de sa condamnation d’un autre côté. Compte-tenu des recommandations de l’enquête et des échanges avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, les dispositions suivantes ont été prises : jusqu’à nouvel ordre, la suspension de ses activités ministérielles au bénéfice des membres de Points-Cœur (accompagnement, enseignement…), et son retrait des instances de gouvernement de toutes les associations. Je demanderai au commissaire, en lien avec le P. de Roucy lui-même et avec Guillaume Trillard, de trouver une solution respectueuse de sa personne et de son état de santé.
Parce que ces décisions auront des répercussions au-delà de la fraternité Molokaï, j’ai également désigné un prêtre comme assistant ecclésiastique auprès des autres associations de l’Œuvre Points-Cœur, dont la mission sera de les accompagner et de les soutenir.
J’ai bien conscience que l’énumération nécessairement brutale de ces décisions causera beaucoup de peine aux membres de l’Œuvre et d’inquiétude à leurs familles. Je vous renvoie donc à mon propos introductif, qui n’était pas de pure circonstance. Je souhaite que toutes ces décisions soient accueillies dans un esprit surnaturel avec confiance et obéissance en l’Eglise du Christ que Points-Cœur avant tout veut servir, en espérant que le processus dans lequel nous nous engageons ensemble corrigera ce qui doit l’être, et assurera le maintien de tout le bien que les membres de Points-Cœur apportent déjà à l’Eglise et au monde.
C’est le but que je poursuis en vous assurant de nouveau de ma sollicitude paternelle et de ma prière.
+ Dominique Rey