Travailleuses Missionnaires : le témoignage de Ginette Senie

Vendredi 19 décembre 2014

Le 31 décembre 1978 naît Anne Ginette SENIE, troisième d’une famille de six enfants. Ses parents sont agriculteurs à FAKENA, petit village du Burkina-Faso. Son papa, très croyant, est catéchiste. Elle y suit ses études primaires, puis passe un concours qui lui permet d’aller au chef-lieu à DEDOUGOU dans un internat tenu par des Sœurs de l’Annonciation. Dossier réalisé par l’AVREF.

Cet internat où elle reste deux années tient également lieu de centre d’orientation pour les jeunes filles désireuses d’entrer dans la vie religieuse. C’est pourquoi les différentes congrégations viennent se présenter. La Famille Missionnaire Donum Dei également. Les responsables de l’EAU VIVE viennent et laissent des dépliants. Ginette a 13 ans : à la fin de l’année elle doit faire une demande.

Après deux semaines de pré-stage elle se décide pour l’EAU VIVE qui recrute les filles à partir de 15/16 ans. A 15 ans elle rejoint la communauté à BOBO DIOULASSO. Elle y passe deux ans, puis ensuite deux ans à Ouagadougou. Théoriquement on y poursuivait les études tout en s’occupant de la restauration. En fait « on avait moins d’heures de cours et d’études (que les autres) ». Les maîtres étaient des maîtres d’école du primaire (alors que les jeunes filles devaient se trouver en secondaire). « On n’apprenait pas grand-chose », déclare Ginette. « On était obligée de demander les leçons à la famille ». La sanction est là : Ginette rate le BEPC à trois points : « la priorité, c’était les restaurants ; toutes les autres, on n’a pas réussi. On a toutes raté » (elles étaient une vingtaine).

Après cela la Responsable Générale des Travailleuses Missionnaires est venue et a proposé de continuer la formation en Europe. Ginette avait 18 ans. On lui a fait des papiers pour monter en France. « J’ai demandé à recommencer une année pour avoir le BEPC. » On lui répond : « le père fondateur a dit qu’on ne va pas au paradis avec les diplômes ». Toutefois on lui promet que la formation continuera en France : en octobre 1998 elle arrive à Toulon. On ne lui donne pas de formation spéciale. Elle est employée comme serveuse en restauration. « On a réclamé parce qu’on nous avait promis de continuer les études ; on nous a dit : Non ! Non ! Il faut apprendre la vie missionnaire ».

On avait des consœurs qui apprenaient le français : elles venaient du Viêt-Nam, des Philippines, d’Indonésie. On était toutes ensemble pour une heure de cours par semaine. Mais nous, on n’apprenait rien : on parlait déjà le français ! « Je faisais aussi de l’apostolat ; j’accompagnais les enfants du chapelet et les jeunes de Donum Dei ». Ils venaient au restaurant aux moments creux.

Question : quel était votre emploi du temps ?

Réponse : Lever à 5h 30. Puis une heure de gymnastique ; la douche. Puis oraison : une aînée lisait les écrits du fondateur. Messe. Puis laudes. Puis réunion de travail pour organiser la journée. Puis le travail : « on travaillait pratiquement toute la journée ». Il y avait une demi-heure de sieste pour celles qui étaient aux cuisines. Le restaurant ouvrait de 11h 30 à 14h30. A 16h : les Vêpres, puis lecture. Surtout les écrits du fondateur : « c’était pratiquement toujours la même chose, et encore la même chose qu’au Burkina. De temps en temps la vie d’un saint ».
Ensuite on travaillait jusqu’à minuit, une heure du matin.

Question : Aviez-vous accès à l’information ?

Réponse : Il y avait des journaux qui traînaient dans le restaurant (laissés par les clients). « Les responsables avaient le droit de les lire. Moi : non. Les plus jeunes, on n’a pas le droit de lire les journaux ».

Question : Et la radio ?

Réponse : Non plus. On regardait les informations à la télévision une fois par semaine le lundi, jour de fermeture du restaurant, plus un film choisi.
On avait le droit d’écrire une fois par mois à la famille. Le courrier met trois mois pour arriver chez moi.

Question : Aviez-vous un contrôle médical régulier ?

Réponse : « J’avais eu une angine pas soignée à l’EAU VIVE de Ouagadougou avant d’arriver en France. En France j’ai eu des rhumatismes articulaires : une crise aiguë. Mes chevilles enflaient. Au début la responsable m’a donné des pommades. Je n’avais pas vu le médecin. Des amis de mes parents, des français de Lyon qui les avaient connus quand ils étaient en coopération au Burkina. Ils m’ont connue à l’âge de 2 ans ! Ils sont venus me voir et ils ont vu que j’avais du mal à marcher. Ils ont été surpris. Je leur ai montré la pommade et ils sont allés voir la responsable pour exiger que j’aille voir le docteur et ils ont insisté [1]. Après ça a été bien suivi à Toulon. Mais quand je suis arrivée à Donrémy on a arrêté les soins. Je devais faire les prises de sang et la responsable ne les a pas fait faire. Ça a recommencé à Notre Dame de Consolation [2]. Le docteur qui me suivait à Toulon était là pour ses vacances et il a donné une ordonnance et fait refaire une prise de sang. »

Question : Vous aviez quand même la carte Vitale ?

Réponse : À Toulon on n’était pas du tout déclarées, mais on était avec d’autres jeunes de Wallis et Futuna qui étaient déclarées [3]. Quand il y avait des contrôleurs il fallait se cacher ; il ne fallait pas qu’ils nous voient. Idem à Notre Dame de Conso : quand il y avait des contrôleurs il fallait se cacher.

A Toulon on a eu des problèmes alimentaires, des clients malades après les repas qui n’étaient pas frais. On réchauffait des plats plusieurs fois. Il y a eu visite des pompiers, des contrôleurs. On nous disait : « vous n’êtes pas déclarées, vous êtes comme des bénévoles ». A ND de Conso il y avait un mot de passe : tout le monde se sauvait. [en cas de contrôle].

C’est vrai que, à force de réchauffer (les plats), ce n’est pas bon…

Après ND de Conso, j’ai passé un an à Lisieux. J’y avais beaucoup d’échappatoires ; on avait des temps plus précis de repos. Je partais au Carmel ou à la Basilique quand je ne me sentais pas bien.

Puis je suis arrivé à Rome. Je logeais à la maison St Martin. On allait au restaurant EAU VIVE. Je faisais le service en salle et la plonge. Les journées étaient très longues. Le soir c’était de 20 heures à une heure du matin. On travaillait sans arrêt. Là j’ai fait les « fiançailles ». C’était difficile de dire : maintenant il faut que je parte car mon grand frère était au grand séminaire, puis il a quitté la soutane. C’était un choc pour mon papa qui n’a pas accepté. Alors si moi aussi j’allais partir !

En 2004 on m’a envoyé en mission (sic) à Toulon à nouveau. C’était pour remplacer une congolaise qui avait quitté la Communauté sans rien dire. Elle a eu sa famille tuée au Congo ; elle est allée à Toulon chez des amis et a été accueillie chez une dame.

Là, à Toulon j’ai fait le service de salle et les commandes pendant deux ans. J’étais avec une wallisienne qui a quitté aussi la Communauté. Alors elles lui ont donné 300 Euros. Mais elle avait la nationalité française, elle était déclarée, elle avait ses chéquiers et la carte VITALE. Elle avait une sœur en France : avec sa famille elle a monté un dossier et elles ont été convoquées en justice. Elle voulait ses droits. Les responsables voulaient la renvoyer à Wallis ; le beau-frère est venu et s’est opposé.

Quand la wallisienne est partie j’étais toute seule. Souvent j’ai bavardé avec elle quand elle appelait pour réclamer car le téléphone était dans la salle. Alors elles ont pris peur : un mois après il y avait un fax de la Responsable Générale me demandant d’aller à Ouagadougou. Je devais y aller le lendemain : il fallait me préparer vite. Tout était prêt : il n’y avait plus à discuter.

C’est contraire au Directoire où on dit qu’on demande l’avis de l’intéressée. Je suis partie en vitesse ; elles étaient trois à m’accompagner à l’aéroport. Elles avaient mes papiers, mon passeport pour que je ne me sauve pas. Mais j’avais le récépissé pour retirer ma carte de séjour ! Depuis le matin jusqu’à 19 heures, elles étaient trois à m’encadrer. Elles m’ont retiré le récépissé pour la carte de séjour à l’aéroport. C’était le 6 juin 2006. Elles sont parties seulement quand j’étais en salle d’embarquement. Je suis arrivée à Ouaga : les TM de Ouaga m’ont accueillie à minuit et, le lendemain, travail au restau… J’avais droit d’aller voir ma famille, j’avais droit à deux semaines, mais la responsable de Ouaga m’a dit : « Non. On a beaucoup de travail. C’est la saison touristique ». Je n’avais pas d’argent de poche ; on m’avait donné 50 Euros pour le voyage au cas où j’aurais un problème et aussi pour payer le repas dans l’avion. Après, à Ouaga on m’a confié la cuisine : les entrées, les desserts, pendant un an.

Puis il y a eu la visite de la Responsable Générale car il y avait des problèmes avec des filles qui quittaient. Cette année-là en 2007 il y en a une quarantaine qui ont quitté. La Responsable Générale est donc venue ; elle a dit que ça n’allait pas. Nous, on ne savait rien de ce qui se passait. Il y en avait deux qui se préparaient à partir et qui l’ont fait.

Je me suis aussi décidée à partir et j’ai quitté Ouaga : on m’a donné 300 Euros. Il y en a qui ont eu 400 ou 500 euros. Ce qui m’a décidée à partir c’est la Responsable Générale : quand elle m’a reçue, elle ma reproché d’accaparer tous les clients. « Dans la communauté on n’a pas le droit de se faire des amis ».

« Les clients te réclament à Toulon : ce n’est pas un bon esprit ».

On m’a reproché de recevoir de l’argent des amis. « Le père Roussel (le fondateur) a toujours dit qu’on n’a pas le droit de se faire des amis ». Pourtant je n’en avais pas, mais ces paroles m’ont décidée à partir. Je ne suis pas partie tout de suite ; j’étais choquée ; j’ai continué à faire mon travail sous le coup de la colère.

Finalement Ginette quitte la Communauté en octobre 2007. Elle envoie une lettre de démission à laquelle on met du temps à lui répondre. Alors on lui dit qu’elle travaille bien et la responsable de Ouagadougou la retient encore un mois parce qu’il y avait beaucoup de touristes au restaurant.

Ginette disposait encore d’un ticket de séjour en Italie. Elle contacte des amis à Rome et embarque pour cette destination. Arrivée sur place elle est refoulée par les autorités aéroportuaires et doit prendre le vol de retour pour Ouagadougou. De nouveau au Burkina elle est hébergée chez un oncle et refait ses papiers à zéro : cela lui prend trois ans. Elle réussit à se faire demander en France pour du bénévolat par le Directeur de Notre Dame de la Salette et le Vicaire Général de l’Archevêché de Ouaga l’aide à obtenir ses papiers.

Nous étions alors en août 2010. Récemment Ginette a enfin obtenu son titre de séjour définitif et elle est très occupée au Secours Catholique où elle fait du bénévolat. Elle n’est plus seule dans la vie.

Question : Aviez-vous un revenu ? Que vous donnait-on ?

Réponse : On nous donnait 10 Euros par mois à Toulon. Ça me payait les transports, le bus pour aller voir les jeunes de Donum Dei. Ça permettait d’acheter les cartes téléphoniques pour appeler les familles : 7,50 Euros pour 10 minutes de communication. A Ouaga on me donnait 15 Euros par mois : je les avais économisés pour payer le billet pour l’Italie.

Question : Après toutes ces années, aujourd’hui pouvez-vous dire ce qui a été le plus dur pour vous ?

Réponse : La première chose qui m’avait un peu choquée, c’était le fait qu’on n’a pas toutes les mêmes droits alors qu’on fait toutes les mêmes travaux. Cette façon de traiter les gens différemment. On n’avait pas de carte Vitale ; les soins étaient limités. Tous les trois mois on avait le droit de noter sur un papier les demandes de vêtements.
Elles décidaient si vous en aviez besoin : quand on vient d’arriver, la responsable achète tout pour nous. Par exemple elle achète les chaussures pour nous : on donne la pointure. Si ça fait mal aux pieds on n’a pas le choix.
Les anciennes ont connu le père fondateur. Dans ce qu’il disait il y a des choses exagérées : on est quand même des humains ! On ne connaît pas toute sa vie ; elles ne disent pas tout sur le père fondateur.

Question : Avez-vous des contacts avec des TM en poste qui cherchent à partir ?

Réponse : ça a changé. Elles n’ont plus droit aux 10 Euros qu’on nous donnait. Il y en a une qui m’appelle discrètement à partir d’une cabine téléphonique. Certaines qui sont en Amérique latine veulent quitter. Alors ce sont surtout les burkinabés qui sont là-bas car les wallisiennes ne veulent pas : une dizaine en Argentine, cinq ou six au Pérou.
Certaines qui ont quitté ont eu une attestation parce qu’elles sont venues la demander avec le curé de leur paroisse. J’ai tout le temps demandé une attestation. La responsable me l’a donnée après trois ans de réclamations.

Question : Pensez-vous que c’était un travail missionnaire ?

Réponse : Non. Il faut dire aussi : « tant que tu n’as pas fini ton travail, tu ne vas pas à la messe, tu n’as pas le droit d’aller prier [4] ». Ce n’est pas bien.

Question : Pensez-vous que votre témoignage est complet ?

Réponse : Il y a aussi une chose importante quand est dedans : ce sont les « dialogues ». On était onze à Toulon : quatre « épouses » et sept « fiancées ». Chaque épouse devait prendre une fiancée chaque mois pour faire les dialogues, pour raconter ta vie. La responsable choisit la personne avec qui aller. Tous les mois tu dois y aller même si tu n’as rien à dire. L’aînée doit faire un compte-rendu pour la responsable qui fait un compte-rendu pour la responsable générale à Rome. Il y en a qui n’avaient rien à dire : alors elles critiquaient les autres. C’est une mauvaise ambiance. Il y avait les préférées de la responsable qui faisait directement son compte-rendu au Conseil Général. C’était une corvée.

Les deux dernières années j’ai refusé d’y aller.

Source : Le Livre Noir des Travailleuses Missionnaires de l’Immaculée : Eau Vive et Espérances Taries

Ce témoignage a été remis à l’AVREF à la date du 7 mai 2014

Le témoignage est nominatif

L’utilisation du témoignage doit faire l’objet d’une demande à l’AVREF qui contactera le témoin pour lui demander s’il accepte de voir son nom mentionné et sous quelles conditions.

[1Ces personnes pourront témoigner si une procédure est engagée.

[2C’est une maison des Travailleuses Missionnaires dans le Doubs, lieu d’origine du fondateur de la Famille Missionnaire Donum Dei. Elle a été cédée par l’évêché de Besançon à TERRE du CIEL, mouvement de développement personnel qui a eu des démêlés avec la MIVILUDES.

[3Les travailleuses originaires de Wallis avaient la nationalité française. Cela ne posait donc pas de problème de les déclarer. Pour rendre l’activité du restaurant crédible il fallait déclarer un certain nombre de personnes, mais le minimum.

[4Effectivement on lit dans le Directoire : « Le travail devrait être bien fait ! Il faut absolument qu’à l’école vous montiez à cette responsabilité. Il vaut mieux que vous n’alliez pas à la Messe en semaine, que vous n’alliez pas à la communion, que vous ne fassiez pas oraison si le plat cuisiné, enfin si le travail de la restauration n’est pas achevé » (Père Marcel Roussel Galle K7-142/A)

Vos réactions

  • alexandre 19 décembre 2014 20:34

    Hou là là ces témoignages sont poignants : alors on en est où pour cette communauté ? les restaurants ont été arrêtés ? les contrôleurs du travail alertés ? on a là de l’exploitation pure et simple…

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