Bonsoir Marie Hélène
La façon dont vous théorisez les choses me laissent l’impression tenace que vous n’avez pas vécu les violences et les abus.
Je peux tout à fait me tromper à ce sujet bien sûr (effectivement je ne sais rien de vous à ce sujet) : cependant, dans votre discours, je ne ressens pas du vécu, mais plus une répétition théorique de ce que vous avez appris à penser sur le sujet dans le cadre religieux.
Ca fait un drôle d’effet..comme une forme de dissociation.
Or, quand vous passez de l’autre côté du miroir, dans le concret glauque et traumatique quotidien et ce durant des années, à moins de rester dans le déni profond des violences subies (et ça peut arriver aussi, c’était mon cas quand j’étais jeune fille lorsque j’étais encore sous la coupe parentale), vous ne pouvez rapidement plus tenir ce genre de discours théorique et idéal. Ca relève au mieux de l’absurde et au pire de l’automutilation.
Et je ne suis pas du tout d’accord avec vous sur le développement des cancers ou de certaines pathologies qui seraient liés (selon vous) à un manque de pardon. Il me semble que vous faites un contresens complet.
C’est plutôt le silence, le manque de dénonciation de certaines violences, de certains abus, le manque de traitement, de conscientisation de différents traumatismes graves qui peuvent provoquer parfois, pas toujours (il y a aussi des maladies virales, génétiques, physiques idiopathiques), des pathologies graves en réaction.
L’humain a souvent énormément de mal à parler de ce qui lui fait vraiment du mal.
Il va plus souvent retourner le mal qu’on lui a fait sur lui-même ou sur d’autres personnes de son entourage, que d’oser parler de ce qui fâche réellement et de ce qui lui a fait mal ni dénoncer ce mal.
Si autant de crimes restent impunis et se répètent dans le temps, c’est bien parce que c’est très dur de verbaliser et dénoncer la violence…
Et les religions monothéistes n’aident pas du tout à changer la donne, même si on pourrait penser le contraire à première vue. Elles sont plus là pour glorifier la souffrance et l’oppression, comme marques de sainteté. C’est du genre, arrête de te plaindre, souffre en silence, tu auras ta récompense une fois mort. C’est sûr qu’avec ce genre d’injonction, ça libère vraiment les gens de problèmes graves…y a pas de doute 😉
On a aussi maintenant, la version psycho-magique des retraites psycho-spirituelles : qui ressemblent au désenvoûtement des marabouts africains en 7 jours chrono, mieux que certaines commandes par internet. Alors là, c’est Dieu qui est sensé vous guérir et avant, faut charger la mule, créer à la personne déjà en souffrance de nouvelles culpabilités, de nouveaux traumatismes. Lui renvoyer une bonne dose de honte, de faux souvenirs induits…
En réalité, ce type d’injonction culpabilisante condamne les gens au silence pour tout ce qui est grave et qui leur fait du mal. Et ça les place dans la honte d’en parler. C’est comme ça que vous obtenez des tas d’adultes qui souffrent terriblement, mais qui apprennent à tellement se piétiner eux-mêmes dans leur souffrance infinie qu’ils finissent par développer des pathologies graves en réaction ou adopter des comportements d’automutilation ou des comportements criminels envers autrui.
Voyez que ça n’a rien à voir avec le pardon. Mais tout à voir avec la peur de dire clairement les choses. Avec la peur de dénoncer la violence, la peur de l’abandon, la peur de l’exclusion, la peur aussi d’une désintégration complète.
Plus la violence, l’oppression vient d’un milieu familial religieux, plus le silence est épais et quasi obligatoire sur la souffrance. Ce qui va générer des angoisses profondes, une grande peur et une grande solitude aussi.
Cette peur va enclencher chez les personnes en souffrance un déni profond, du relativisme vis à vis des violences subies et comme la souffrance devient insupportable tellement elle est niée année après année, décennie après décennie, que rien n’est traité pour la diminuer (seulement pour la distraire), le corps, le psychisme décompensent et expriment physiquement, neurologiquement, psychiatriquement, ce que la personne ne parvient pas ou plus à s’autoriser d’exprimer.
Si les gens qui ont souffert énormément, osaient davantage s’exprimer sur leurs souffrances profondes, ils se vivraient mieux à tous les niveaux. Ils se libèreraient d’un poids énorme qui pèse parfois très durement sur leur quotidien, comme un boulet ou comme des valises trop lourdes.
Le comble, c’est que pas mal d’humains vont, en plus de leurs propres souffrances déjà lourdes à porter, se charger des valises jamais traitées et assumées de leurs parents, de leurs grands-parents, de tout ce qui n’a pas été traité, assumé, dénoncé depuis deux ou trois générations et qui entretient un non-dit pesant sur toute la famille, génère des comportements violents, etc, etc. De quoi s’aliéner encore un peu plus, des fois que le gars ou la fille ne l’était pas assez…
Essayez d’avancer avec 4 boulets aux pieds, deux énormes valises et un sac à dos bien bourré de pierres et clamer que vous êtes heureuse par dessus le marché. C’est sûr, c’est génial ce genre de vie ! Youpi comme disait Dany Boon dans son sketch du dépressif : je vais bien tout va bien !
La prise en charge psy est accessible aujourd’hui à la plupart des gens au moins en France et remboursée par la Sécu dès lors que la thérapie se fait avec un psychiatre d’hôpital public conventionné. Il n’y a donc aucun frais médical à avancer. Juste se rendre aux rendez-vous, choisir le bon psy, la thérapie la plus adaptée à soi et faire le travail thérapeutique qui s’impose. Il y a même des centres médico psychiatriques en cas de détresse.
Donc il faut quand même pas mal de mauvaises circonstances (genre le premier CMP ou le premier hôpital psy public est à 200 bornes de son domicile), ou pas mal de mauvaise volonté pour ne pas traiter au moins en partie ses traumatismes. Nous ne sommes plus au 19e siècle où seuls les très riches pouvaient se payer une thérapie (merci à Ambroise Croizat pour la Sécurité Sociale).
Se soigner n’est donc plus vraiment une question de chance en France (sauf à vivre dans un logis rural isolé et ravitaillé par les corbeaux), mais de réel désir de s’en sortir.
Sinon, effectivement, si elle ne fait rien, la personne restera prisonnière de ses souffrances et forcément aussi du triangle de Karpman ( dans une triple position continue de victime, sauveur, bourreau). Mais c’est parfois une démarche volontaire (consciente la plupart du temps) parce que la personne qui adopte ce comportement, y trouvera certains avantages au moins le temps que son corps et sa psyché supporteront à peu près le choc. Quand ça n’ira plus, que le corps, le cerveau diront stop, risque d’implosion donc je fabrique une maladie grave pour alerter l’humain que rien ne va plus, ben souvent hélas, il est trop tard pour démarrer une thérapie…
L’humain est spécialiste de ce type de situation extrême, vous n’avez pas remarqué ? Attendre le dernier moment qu’il n’y ait plus guère d’espoir pour peut-être s’interroger sur ce qui le ronge vraiment et s’y pencher le bout des orteils.
Et encore, parfois, l’humain ne va jamais pouvoir affronter ses souffrances. Jusqu’au bout, il restera figé dans son mal-être, l’entretiendra en étant persuadé qu’il ne peut pas en sortir, genre auto persuasion quotidienne version maltraitante. L’inverse de la méthode Coué.
Personnellement, je trouve ce type de comportement vraiment hallucinant.
Mais finalement logique dans une société où la parole vraie sur les vraies souffrances, n’est que très rarement donnée et encore moins souvent prise en compte et entendue véritablement.
La souffrance est plus souvent traitée comme un spectacle, comme un moyen de faire du buzz médiatique, que comme ce qu’elle est : cri de désespoir, d’appel à l’aide.
L’humain oublie souvent que la souffrance accumulée, niée, réduite au silence est une toxine aussi puissante qu’un poison. Et que s’il ne traite pas et n’évacue pas cette souffrance toxine, elle finit par le tuer.
Pourtant, l’humain apprend dès sa naissance à faire ses besoins et sait rapidement que s’il ne peut pas déféquer, il risque l’occlusion intestinale et d’en mourir.
Alors pourquoi persiste-t-il à s’empoisonner lui-même en traitant par le mépris et le silence sa propre souffrance et ses traumatismes ?
On se le demande…
Ce n’est pas Dieu qui lui demande de se faire autant de mal. C’est l’humain lui-même qui s’auto persuade que c’est Dieu qui lui demande ça alors qu’en réalité, c’est la pression sociale, familiale, religieuse dont l’humain ne veut pas se dissocier ni s’extraire (par peur de l’abandon), qui lui demande d’agir ainsi. Cette pression-autorité sociale, familiale, religieuse est alors sacralisée donc fait autorité sur la personne qui se contraint à agir selon le désir de cette autorité.
Déconstruire ce mode de fonctionnement autodestructeur et appris très tôt dans l’enfance, c’est très compliqué. Et encore plus quand on l’a vécu dans un cadre religieux dans lequel on avait mis tout son enthousiasme et sa confiance et qui au final, s’est révélé complètement abusif et manipulateur.
Pour autant, déconstruire ce type de fonctionnement, c’est le socle indispensable qui permettra à l’humain de reposer des limites, de se recréer une intégrité physique, psychique, émotionnelle, quand celle ci a été bafouée. Sans ce travail de déconstruction, la démarche thérapeutique ne peut pas se mener correctement ni apaiser la personne traumatisée.
Dieu Père est seul capable d’un réel pardon (sur des choses très graves, entendons nous bien, comme des crimes, des abus, des violences physiques, psychiques, sexuelles,etc). Notre humanité n’est pas en capacité de pardonner l’irréparable. Quand elle prétend le faire, c’est la plupart du temps une posture. Et la personne traumatisée découvre au fil du temps qu’en réalité, elle n’a pas réellement pardonné et n’y parvient toujours pas. Accepter de ne pas pouvoir pardonner, c’est accepter son humanité, et en même temps reconnaître son droit à la dignité et à l’intégrité.
Deux pôles qui fondent notre équilibre psycho-affectif humain et nous permettent de disposer de l’autorisation de notre cerveau et d’un sentiment de pleine sécurité (donc bénéficier d’une auto protection) pour s’autoriser à vivre et à agir en harmonie et en autonomie pleine et entière.
Sans l’autorisation cérébrale et l’autoprotection, nous n’avançons pas, ne pouvons pas concrétiser de projet personnel, ni établir des relations constructives.
Chose curieuse, rarement notre institution religieuse cléricale va respecter la dignité et l’intégrité des personnes, même si elle prétend s’en occuper prioritairement parce que cela relève de sa compétence.
Et chose grave, plus l’institution parle de dignité et d’intégrité, plus elle exerce en réalité de contrôle et d’abus sur les individus via des interdits, des dogmes, des lois répressives et abusives.
Pourquoi ce paradoxe n’est-il pas plus dénoncé que ça ?
Mystère et boules de pétanque.