Il demande une réforme de la justice ecclésiastique

Vendredi 30 août 2019

Le théologien Nicolas Betticher propose au pape de créer des tribunaux indépendants pour juger des cas d’abus sexuels.

Dans une interview accordée à ce journal, le juriste et théologien fribourgeois Nicolas Betticher jette un pavé dans le bénitier. Éphémère porte-parole de la conseillère fédérale Ruth Metzler, puis de la Conférence des évêques suisses, ex-député PDC au Grand Conseil fribourgeois, vicaire général de l’Évêché de Fribourg, Lausanne et Genève, ce religieux de 59 ans prêche depuis 2017 dans la paroisse Bruder Klaus de Berne. Il est aussi official du Tribunal interdiocésain suisse.

Ce spécialiste du droit canon affirme que le modèle juridique de l’Église, fondé sur un système féodal datant du XVIe siècle, n’est plus actuel. « L’évêque a les trois pouvoirs ecclésiaux, il a la parole, la sanctification et le gouvernement. Il est donc dirigeant, juge et législateur. » Interrogé sur la maltraitance sexuelle des enfants, Nicolas Betticher précise que « l’évêque est celui qui engage le prêtre, il est le juge suprême qui condamne les coupables et qui doit aussi protéger les victimes ; il doit veiller en outre à ce qu’il n’y ait pas de nouveaux cas. Ce modèle est malsain, pas crédible et il n’est guère juste envers les victimes ». De plus, c’est une tâche trop lourde pour les prélats, selon lui.

La Commission pour les cas d’abus sexuels des évêques suisses ne peut-elle pas remédier à ces difficultés ? « Certes, répond le juriste, mais elle ne peut que conseiller, puis transmettre un cas au Ministère public. Elle doit aussi annoncer l’affaire à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, responsable pour tous les cas d’abus de pouvoir dans le monde. Une seule instance romaine est-elle en mesure d’agir pour le monde entier ? Ce n’est pas réaliste. »

« Totalement nouveau »

Estimant qu’il faudrait une Cour de justice pour chaque conférence épiscopale nationale, Nicolas Betticher imagine une configuration mixte. « Il faudrait des spécialistes indépendants, pas uniquement des canonistes, mais des juristes, des psychiatres, et tant des hommes que des femmes. Ce tribunal devrait être habilité par le pape à trancher et à condamner. Certes, cela serait totalement nouveau. »

Il faudrait en outre créer à Rome, en plus des deux tribunaux existants, soit la Rote et la Signature apostolique, une instance de troisième et dernier recours dédiée aux cas d’abus en tous genres. Betticher propose en outre « une première instance qui serait un tribunal interdiocésain national. Et on pourrait instaurer une seconde instance internationale pour plusieurs pays ou par continent ».

Les évêques n’ont pas encore été consultés sur ce projet. « Je vais proposer d’en discuter en septembre lors de la conférence des spécialistes de droit ecclésiastique de Suisse. » Le pape pourrait-il instituer de tels tribunaux ? Nicolas Betticher considère que, « bien entendu, le pape pourrait le faire demain matin. Il pourrait accorder à ces tribunaux nationaux le pouvoir d’agir comme première instance et de prononcer des sanctions. Ce n’est qu’à partir de là que nous serions crédibles. À ce moment-là, nous pourrions lutter contre la dissimulation. Il s’agit de protéger les évêques contre eux-mêmes, contre leur méconnaissance de la manière dont il faut traiter les cas d’abus. Je l’ai souvent vécu personnellement. »

Vicaire général dès 2007, il relève que « nous ne savions pas comment nous y prendre, d’autant plus qu’il n’y avait pas de traces écrites dans les dossiers personnels ». On a beaucoup camouflé, confie encore le chanoine Betticher, « parce que les évêques sont souvent juge et partie. Comment peuvent-ils dénoncer puis condamner un prêtre qu’ils ont connu, intronisé et engagé ? Mon évêque à Fribourg, Mgr Bernard Genoud, en est devenu malade ».

Créé : 16.07.2019, 06h56 Source : https://www.24heures.ch

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