La Légion du Christ s’effondre-t-elle à l’approche du Chapitre Générale ?
23/12/2013
Dans sa récente lettre de Noël adressée aux légionnaires du Christ, le père Heereman trouve quelque chose de divinement providentiel dans le fait que la date choisie pour le début du Chapitre général soit si proche de la période de Noël.
L’œuvre du père Maciel, avec sa manie obsessionnelle de vouloir tout contrôler, a une histoire peu glorieuse de manigances, de complots et d’intrigues, et autres techniques destinées à attribuer tous les résultats de la Légion du Christ à l’intervention divine. C’est ainsi que quand un supérieur a quelques prémonitions sur les rouages mystérieux de la Providence de Dieu, cela permet surtout de clouer le bec à n’importe quel observateur impartial. Il est particulièrement choquant - ou terriblement naïf - de la part de Heereman d’invoquer la « providence » à propos de ce Chapitre, dont la chorégraphie été soigneusement élaborée à tous les niveaux. On pourrait ainsi objecter, avec raison, que la Légion a fait tout son possible pour empêcher qu’une intervention divine n’altère sa victoire prochaine, craignant sans doute que les voies de Dieu ne coïncident pas tout à fait avec ses propres plans.
Pour ce chapitre, la Légion du Christ s’est donnée deux objectifs : élire un nouveau groupe de supérieurs et approuver une nouvelle version des Constitutions. Une fois cela fait, le monde verra et applaudira une nouvelle Légion irréprochable, brillante, dénuée de tout scandale, et résistante à toute critique. L’Église émettra un profond soupir de soulagement en voyant son fils de prédilection, dont la réputation a été temporairement ternie, revenir à la maison et reprendre son rôle d’ultime espoir de l’humanité. Pourquoi, alors qu’on est sur le point d’assister au miracle divin annonçant la nouvelle naissance de la Légion du Christ, voit-on si peu d’enthousiasme, et comme une certaine appréhension, dans les rangs de la congrégation ?
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce sentiment généralisé d’angoisse chez les membres de la Légion du Christ et du Regnum Christi qui ont tenu si longtemps. Certains sont assez évidents.
Tout d’abord, en ce qui concerne l’organisation du Chapitre lui-même, il semble que ses objectifs aient été entachés et faussés dès le départ. Le jeu des chaises musicales avec les supérieurs a commencé quand la Légion du Christ ne pouvait plus jouer à la sourde oreille devant la clameur générale qui exigeait un renouvellement de l’ensemble des dirigeants, différents de tous les sbires installés par le père Maciel lui-même. Des listes ont été établies, et les vestiges les plus notoires de la vieille garde ont été écartés pour faire place à des remplaçants fiables, et souvent plus jeunes. Pourtant, le critère suprême pour assumer un rôle réel dans le gouvernement de la Légion continue d’être la « loyauté » : en d’autres termes, une fidélité inconditionnelle à la légende, à la version officielle de l’histoire et aux convictions fondamentales transmises par Maciel à ses disciples au fil du temps. Toutes les changements effectués jusqu’à présent par la liste des supérieurs actuels ont été, au mieux, cosmétiques.
Cette « réorganisation du mobilier sur le pont du Titanic » était le prélude à l’élection des participants au Chapitre. Il y a ceux qui participent au Chapitre en raison de leurs positions dans la hiérarchie. Aucune surprise de ce point de vue là. Par contre, regardez bien la liste de ceux qui ont été élus : dans leur majorité, il s’agit de supérieurs nommés récemment ou de supérieurs venant tout juste de perdre leur poste. Simple coïncidence ? Providence divine ? Il n’y a pas un seul participant de ce chapitre qui offre le moindre espoir d’une pensée indépendante, et capable d’auto-critique. Et encore moins de dissidence courageuse. Comment la nouvelle Légion qui sortira du Chapitre, pourrait-elle être véritablement différente de celle qui s’apprête à y entrer, en boitant ?
Ajoutez à cela les quelques intrigues embarrassantes qui se sont enchaînées au cours des dernières semaines : De Guedes qui s’en va en claquant la porte, Izquierdo et d’autres supérieurs qui se retrouvent impliqués dans une affaire d’abus sexuels, Sabadell qui écrit une lettre publique de repentir qui embarrasse la congrégation à cause de tout ce que cette dernière n’a pas fait, et le feuilleton entre Ortega et Sanchez dont on ne sait pas très bien s’il vaut mieux en rire ou en pleurer… Ces hommes sont donc les hérauts de la réforme ? Est-ce que quelqu’un à l’intérieur ou à l’extérieur de la Légion pense vraiment que le Chapitre sera capable de prendre les décisions profondes et drastiques dont la congrégation a absolument besoin pour se débarrasser enfin de l’esprit et de l’emprise nauséabonde du Père Maciel ?
De même, le deuxième objectif du Chapitre, à savoir l’approbation de nouvelles constitutions, a été préparé par un processus qui pose question. Une commission a été nommée pour réviser ce texte, qui est la règle de vie de la Congrégation. Elle s’est réunie à huis clos et a rédigé un nouveau texte, à partir du document originel, qu’elle a ensuite envoyé aux différentes communautés de la Légion du Christ, pour une « discussion ouverte ». Les légionnaires étant libres de rajouter, de supprimer ou de suggérer ce qui leur semblait approprié. Cela paraît légitime, non ?
La lettre de présentation qui accompagnait le projet et ses abondantes notes explicatives sont un mélange mystérieux de candeur et de camouflage. Curieusement, la lettre reconnaît que la tâche qui avait été initialement définie comme une simple « révision » des Constitutions allait plutôt être une réécriture complète des Constitutions, du début jusqu’à la fin. On ne sait pas exactement ce qui, dans la procédure initiale de la commission, a convaincu De Paolis d’adopter une méthode plus radicale.
La « discussion ouverte » des communautés consistait surtout en une série de réunions sous l’œil vigilant des supérieurs. Au cours de ces réunions, certains numéros du texte étaient soumis, ou non, aux commentaires. Ce processus a été fondamentalement compromis par un manque d’information et de transparence.
Imaginez-vous un instant à la place d’un légionnaire lambda, invité à faire une relecture critique de ses Constitutions. Comment une telle chose serait-elle possible ? Hier encore, les Constitutions étaient considérées comme l’expression incontestable de la volonté divine, réglant tout, depuis vos motivations personnelles jusqu’à vos moindres gestes… Hier encore, les constitutions étaient solennellement déposées à côté du Saint-Sacrement tous les 29 juin, pour y être vénérées (nous devions même embrasser le petit livre rouge en quittant la chapelle !)… Hier encore, notre Fondateur prophétisait solennellement : « Si me buscan, me encontrarán en las Constituciones » (Si vous me cherchez, vous me trouverez dans les Constitutions)… Hier encore, vous étiez absolument convaincu que la fidélité aux Constitutions était l’épreuve cruciale de tout vrai co-fondateur…. Et aujourd’hui, on vous demande d’en faire une relecture critique ? Est-ce un piège ? Et d’ailleurs, il est où le problème ? Hier, on nous assurait que c’était la volonté de Dieu et aujourd’hui, il faudrait tout ré-écrire ?
La vérité c’est qu’on n’a jamais expliqué aux légionnaires ce qui n’allait pas dans la Légion. (Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne soient pas capable, pour la plupart, de comprendre par eux-mêmes…) Officiellement, le père Maciel était le seul problème. Mais il est parti… n’est-ce pas ? Alors, pourquoi devrions-nous changer les Constitutions ?
La racine du problème, à savoir de l’incapacité des légionnaires à faire des commentaires pertinents pour changer leurs Constitutions, c’est que les résultats de la visite apostolique n’ont jamais été rendus publiques… pas même sous une forme résumée ou expurgée. Si vous me dites ce qui ne va pas avec un texte et à quoi la version finale devrait ressembler, je peux prendre le texte, supprimer ou modifier ce qui a été diagnostiqué comme problématique et proposer des suggestions qui permettront de mieux approcher l’idéal. Sans cette information, à quoi servent mes commentaires ? Par où dois-je seulement commencer ?
La seule chose qu’on puisse espérer, c’est que la commission chargée de rédiger le projet actuel des Constitutions ait vu les résultats de la Visite Apostolique, et ait reçu des indications suffisamment claires sur ce qu’il fallait changer. Il ne nous reste qu’à espérer qu’ils ont pris ces indications au sérieux… mais je dois avouer que j’ai de sérieux doutes. Une trop grande partie de ce qui reste des Constitutions, et qui sera bientôt ratifiée par le Chapitre, est encore rédigée dans la langue du père Maciel… ses expressions, sa façon insidieuse de manipuler les cœurs et les esprits, sa vision particulière de l’Église et de la Légion… Tout ça continue à lui ressembler beaucoup trop.
On trouve même une note inquiétante, dans la partie qui traite du vœu privé, dans laquelle on évoque la possibilité de réintroduire le « vœu de charité », celui-là même qui avait été supprimé par le pape Benoît. L’une des armes les plus destructrices de l’arsenal de Maciel pourrait ainsi revenir un jour ou l’autre dans la congrégation !
Tout cela ressemble-t-il à un effort sincère pour réécrire les Constitutions ?
Ils devraient être tous en train s’activer pour purger radicalement les Constitutions des vestiges de son infâme fondateur mais, au lieu de cela, ils donnent plutôt l’impression de semer les graines de son éventuelle réhabilitation.
La manière avec laquelle la Légion a préparé son Chapitre Général laisse peu de doutes sur le fait que la dernière chose que veulent tous les participants, c’est d’effectuer le moindre changement. Peut-on blâmer les légionnaires pour leur manque d’enthousiasme devant une telle perspective ?
Une autre raison, peut-être plus concrète, du malaise actuel, qui va du doute à l’indifférence, est relative à la situation personnelle de chaque membre.
La plupart des légionnaires sont fatigués, pour ne pas dire écœurés, par la débâcle qui a dégrossi les rangs et plombé l’ambiance dans la Congrégation depuis les révélations publiques sur la vie secrète du père Maciel et sur les mécanismes indignes, étriqués et utilitaristes de la Légion du Christ.
Pour beaucoup, l’indignation est devenue un véritable problème de conscience, si bien qu’ils ont fait la seule chose saine et noble : ils sont partis en signe de protestation et servent maintenant l’Eglise, avec simplicité et discrétion, de différentes manières, notamment à travers le clergé diocésain. Nous espérons sincèrement qu’un plus grand nombre encore quittera ce bateau ivre lorsque, après le Chapitre, les choses « retourneront à la normale ». (Petit commentaire à l’attention des prêtres légionnaires : Contrairement à la Légion, l’Église a vraiment besoin de vous et dispose de nombreux postes à pourvoir, qui ne nécessitent pas cette soumission erronée que vous avez connue jusqu’à présent. Alors, pensez-y ! Oui : Vous pouvez devenir l’un de ces prêtres, fructueux et fidèles, dont l’Église a tant besoin, sans tout le scandale, la tromperie et l’absurdité narcissique de la Légion !)
Il y a ensuite des légionnaires - peut-être la majorité silencieuse - qui sont bien conscients de ce qui va mal dans la Congrégation, et qui en souffrent. Certains d’entre eux se sont fait leur propre niche et ont trouvé un sens à leurs ministères, qui les fait vivre. La congrégation prend en charge leurs nécessités quotidiennes ; ce sont de bons prêtres, qui touchent de nombreuses personnes… alors la Légion leur fout la paix. Parfois, ils doivent donner à leurs supérieurs un os à moelle, ou même participer à quelques activités de vie communautaire, ce qui reste supportable. Quitter la congrégation représente pour eux une terrible décision, pleine de risques et d’incertitudes. Lorsqu’un membre de la Légion s’en va, il part sans rien d’autre qu’une chemise sur le dos, et se voit vite qualifié par ses anciens compagnons de traitre, ou de lâcheur. Et c’est pourquoi ils restent : ils ne sont ni stupides, ni aveugles, et peuvent être choqués, à titre personnel, de voir comment vont les choses dans la congrégation. Mais ils restent, parce qu’ils n’ont pas d’alternatives. Tout recommencer après avoir passé 15, 20 ou 30 ans dans la Légion, c’est trop leur demander. Il vaut mieux faire profil bas, continuer à faire du bien autour de soi, et espérer que le pouvoir en place ne finisse pas en envoyant tout valser. Parmi ceux « qui ont compris, mais qui préfèrent rester », il y en a quelques uns qui sont un peu cyniques. Ils se sont construits des positions privilégiées, et pensent être intouchables. Ils vont et viennent à leur guise, leurs cartes de crédit n’expirent jamais et personne ne leur demande des comptes. Ils ne sont pas supérieurs. D’ailleurs ils refuseraient certainement d’avoir des responsabilités. Ils ne se font pas d’illusions sur la Légion et sur ses dirigeants, mais ils se battent bec et ongles pour préserver leur petit mode de vie. Ce sont les plus fidèles supporters de la Légion, et, osons le dire, de vrais fayots. En général, ils excellent en manipulation et sont les meilleurs ambassadeurs de la Légion. Lorsqu’on insiste trop sur les aspects critiquables de la Congrégation ou sur le dernier scandale en date, ils ressortent inlassablement l’argument massue, qui met fin à toute discussion : « Le Pape nous a approuvé » [1]. Ils préfèrent esquiver le fait que, depuis 70 ans, la Légion n’a cessé de tromper, d’escroquer et d’embobiner les Papes, les évêques, les fonctionnaires du Vatican et quantité de riches bienfaiteurs… lesquels ont tous « approuvé la Légion ». Il est injuste de reporter toute la faute du désastre légionnaire sur le dos du pape, mais – faute de pouvoir admettre les responsabilités de la Légion - qui d’autre peut-on accuser ?
Quoi qu’il en soit, la majorité des légionnaires, qui veulent « voir, mais rester », a comme dénominateur commun un manque total d’intérêt pour le Chapitre Général, pour les nouvelles Constitutions et pour tous les documents et les lettres qui sont élaborés par la Matrix depuis Rome. Pour eux : « Tout est ok. Foutez-moi la paix, et je ne poserai pas de problème. »
Il y a ensuite un groupe de légionnaires, composé essentiellement de jeunes religieux, pour qui le père Maciel n’est qu’une fausse note, un hiatus, qui ne remet pas en cause ce que la Légion représente à leurs yeux, à savoir un véritable conte de fées. Ils ne connaissent ni ne connaitront sans doute jamais la vérité sur leur histoire. Ils font confiance à leurs supérieurs et sont irrémédiablement enclins à l’exagération et au triomphalisme. Ceux-là sont tout émoustillés par le Chapitre… et après tout, peut-être que l’ignorance leur permet d’être heureux…
Ensuite viennent les « vrais croyants » : ceux pour qui tout le scandale du Père Maciel et les critiques conséquentes sur la Légion sont les résultats d’un immense complot (l’un des nombreux complots contre lesquels Nuestro Padre nous avait pourtant bien mis en garde !) ou, au mieux, un terrible malentendu. « La persécution est réelle et nous avons beaucoup souffert, mais en affichant des regrets appropriés pour des crimes que nous n’avons jamais commis et une humilité envers des agresseurs iniques… nous nous relèverons ». Des plans sont déjà en cours pour ré-écrire l’histoire et les écrits du Père Maciel. « L’avenir reconnaîtra enfin ce qui est nié aujourd’hui : et ainsi Nuestro Padre sera élevé au rang des grands saints et fondateurs, comme il le mérite ».
On aimerait bien que les « vrais croyants » ne soient qu’une poignée de vieillards qu’on sort de temps en temps en chaise roulante pour une merienda-cena [2] , et que personne n’écoute. Cependant, des épisodes comme l’émotion de Pinelo dans la crypte du Fondateur, immortalisé il y a quelques semaines sur son compte Facebook par une prose vernie, montre clairement que la nostalgie du bon père Maciel reste encore très répandue. En tous cas, les « vrais croyants » seront inévitablement déçus par le Chapitre, et pour toutes les mauvaises raisons. Le Chapitre ignorera autant que possible le fondateur et l’histoire de la Légion et, en fait, parlera de la Congrégation comme si celle-ci était miraculeusement descendue du ciel, telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il n’y aura aucune réaffirmation triomphale de Maciel, pour le moment, et les « vrais croyants » devront continuer à attendre… et à espérer.
Au terme de tout cela, il n’est pas difficile de prédire que le Chapitre Général de la Légion du Christ brassera de l’air, ne trompera pas grand monde, et que la majorité sera déçue.
Bonne et joyeuse nouvelle année de merde !