ARCHIVE : Le Hartford Courant et les premières accusations publiques (1997)

Samedi 26 avril 2014

La première bombe éclate le 23 février 1997, aux Etats-Unis, dans le prestigieux Hartford Courant, le plus grand quotidien du Connecticut. Malgré les pressions exercées par la Légion du Christ, le journal américain prend le risque de publier un article d’investigation co-signé par deux grands noms du journalisme : Gerald Renner et Jason Berry.

Le Supérieur Général d’une congrégation catholique internationale accusé de nombreux abus sexuels

par Gerald Renner et Jason Berry

Après plusieurs décennies de silence, neuf hommes ont décidé de se lever. Ils accusent le supérieur général d’une congrégation catholique internationale d’avoir abusé d’eux sexuellement quand ils étaient jeunes, alors qu’ils se préparaient à devenir prêtres.

Ces hommes, au cours d’interviews réalisées aux Etats-Unis et au Mexique, ont affirmé que le père Marcial Maciel Degollado, le fondateur des Légionnaires du Christ, aurait abusé d’eux en Espagne et en Italie, dans les années 40, 50 et 60.

Plusieurs d’entre eux disent que Maciel prétendait avoir reçu la permission du Pape Pie XII de leur demander des faveurs sexuelles, afin de soulager ses douleurs physiques.

Parmi les accusateurs se trouvent un prêtre, un conseiller d’orientation, un professeur, un ingénieur et un avocat. Certains d’entre eux – qui ont aujourd’hui entre cinquante et soixante ans – pleuraient à chaudes larmes pendant les interviews. Tous affirment être encore hantés par ces évènements.

S’ils ont décidé de réagir aujourd’hui, c’est, disent-ils, parce que non seulement le Pape Jean-Paul II n’a pas répondu aux lettres que deux prêtres lui ont envoyées, en 1978 et en 1989, par les canaux internes de l’Eglise, pour demander d’ouvrir une enquête, mais parce qu’en plus, Jean-Paul II a fait l’éloge de Maciel en 1994, qualifiant ce dernier de « guide efficace pour la jeunesse. »

« Le Pape a réprimandé les allemands pour leur manque de courage durant la période nazie. Nous sommes dans une situation très similaire. Nous avons gardé le silence pendant des années. Ensuite, nous avons essayé de joindre les autorités de l’Eglise. C’est une affaire de conscience », explique José Barba Martin, l’un des accusateurs.

Maciel, qui habite à Rome et se rend souvent au Mexique, a refusé nos demandes d’interview. Mais les Légionnaires ont publié un long démenti en son nom.

« Chacune de ces accusations est fausse. Le père Maciel n’a jamais eu de relations sexuelles d’aucune sorte avec des séminaristes ou des novices, ni n’a jamais eu le moindre comportement inconvenant dont on l’accuse », déclare le père Owen Kearns, porte-parole des légionnaires aux Etats-Unis, basé à Orange, dans le Connecticut. Sa déclaration de 19 pages, plus d’autres documents, a été fournie par l’antenne de Washington du cabinet d’avocat Kirkland et Ellis, de Chicago.

D’après la déclaration de la Légion, Maciel, aujourd’hui âgé de 76 ans, serait la cible d’un complot mené par des hommes aspirant à « une vengeance personnelle contre lui », au point de « fabriquer de toutes pièces ces accusations dévastatrices » et de détruire sa réputation.

Le porte-parole du Vatican, Joaquin Navarro-Valls, n’a pas donné suite aux demandes répétées du Courant par téléphone, par courrier et par fax. Aucun des accusateurs de Maciel n’a déposé de plainte en vue d’une action en justice, ni n’a demandé la moindre indemnisation financière de la part des Légionnaires ou de l’Eglise Catholique. La plupart sont encore de fidèles catholiques, et précisent qu’ils n’attaquent ni la congrégation religieuse, ni l’Eglise Catholique. Tout ce qu’ils demandent, c’est que les autorités de l’Eglise prennent leurs responsabilités sur les comportements sexuels inconvenants de Maciel.

Fondée par Maciel en 1941, au Mexique, la Légion du Christ est l’un des ordres religieux les plus dynamiques de l’Eglise Catholique, et elle recrute les jeunes garçons à partir de 10 ans. Elle affirme avoir 350 prêtres et 2’000 séminaristes – deux fois plus qu’il y a dix ans – dans 18 pays.

Le siège de la Légion aux Etats-Unis est installé à Orange. La congrégation possède un séminaire à Cheshire, où vivent environ 200 nouvelles recrues, qui se partagent un lycée, et le noviciat (qui dure deux ans). Aucune de ces écoles n’est impliquée par les accusations contre le père Maciel.

La congrégation s’est spécialisée dans l’éducation. A côté des séminaires, elle gère plusieurs écoles en Amérique latine, en Europe et aux Etats-Unis, une université à México et des écoles pour les pauvres au Mexique. Kearns explique que la congrégation dirige des programmes de distribution de nourriture, et qu’elle promeut le développement urbain et rural en Amérique Latine. Le Courant a pris connaissance des allégations d’abus sexuels contre Maciel après avoir publié, l’année dernière, des articles relatifs à l’achat par la Légion de deux journaux hebdomadaires catholiques : le National Catholic Register et le Twin Circle. Des rumeurs évoquaient alors les techniques de collecte de fonds utilisées par la congrégation ainsi que la discipline très stricte de ses centres de formation. Trois hommes disaient même avoir été obligés de s’enfuir du noviciat, situé à New Castle, dans l’Etat de New York, car leurs demandes pour pouvoir quitter la congrégation étaient toujours ignorées.

Parmi les accusateurs, huit sont mexicains ou américains d’origine mexicaine, y compris un prêtre officiant en Floride, et tous ont réussi leurs carrières professionnelles. Le neuvième est un ancien prêtre légionnaire, d’origine espagnole, qui a dicté sur son lit de mort, en 1995, une déclaration dans laquelle il accusait le père Maciel d’avoir abusé de lui quand il était plus jeune. Parmi ceux qui prétendent que Maciel a abusé d’eux, deux ont participé activement l’installation de la congrégation aux Etats-Unis.

L’un d’eux est le père Félix Alarcon, âgé de 63 ans, qui habite aujourd’hui à Venice, en Floride. C’est lui qui a ouvert le premier centre de la congrégation aux Etats-Unis, en 1965, à Woodmont, un quartier de la ville de Milford, dans le Connecticut. Le second, Juan José Vaca, a été le Directeur des légionnaires aux Etats-Unis, de 1971 à 1976. Cet ancien prêtre, âgé de 59 ans, habite aujourd’hui à Holbrook, dans l’Etat de New York.

Pour sa défense, le cabinet d’avocats de la Légion a produit les lettres de quatre laïcs mexicains – dont deux travaillent actuellement pour la Légion, au Mexique, et un a travaillé pour le frère du père Maciel – affirmant que les accusateurs avaient essayé de les enrôler dans leur campagne dans le seul but de discréditer le père Maciel avec de fausses accusations.

« Ils mentent de façon pitoyable… par loyauté envers le père Maciel, » explique Barba, 57 ans, ancien étudiant de Harvard, et professeur de littérature dans l’une des plus grandes universités du Mexique : l’Instituto Technologico Autonomo de Mexico. Barba affirme que Maciel a abusé de lui lorsqu’il n’était qu’un jeune séminariste adolescent, en juillet 1955, à Rome.

Quelques heures seulement avant la publication de cet article, et juste après que The Courant ait annoncé au cabinet d’avocat de Maciel qu’elle allait publier l’article aujourd’hui, le cabinet d’avocat a informé The Courant qu’un dixième homme ayant également accusé le père Maciel d’abus sexuel s’était depuis rétracté. Ces rétractations ont d’abord été faites lors d’une interview au mois de novembre, puis sous la forme d’une déclaration sous serment, au mois de janvier.

Miguel Diaz Rivera, 62 ans, d’Oaxaca, situé au sud du centre du Mexique, a affirmé dans une autre déclaration sous serment, il y a 15 jours, avoir été encouragé par d’autres anciens légionnaires à faire ces fausses allégations. Professeur et ancien prêtre légionnaire, Dias nie aujourd’hui avoir connaissance des comportements sexuels de Maciel.

La plupart des autres accusateurs ont eux-aussi fait des déclarations sous serment, à propos de leurs allégations contre Maciel. Aucun de ceux-là ne s’est rétracté.

Maciel a survécu à une enquête mené par le Vatican entre 1956 et 1958, pendant laquelle il a été suspendu de ses fonctions de chef de la Légion. Les rapports de cette enquête trainent sous doute quelques part dans les archives secrètes du Vatican.

James F. Basile, l’un des avocats en charge du dossier, déclare que Maciel a été réhabilité, après avoir été blanchi des accusations suivantes : consommation de drogues, détournement d’argent et autres irrégularités – mais rien sur des inconduites sexuelles.

Rituel d’initiation

Les hommes qui font aujourd’hui ces accusations d’abus sexuels, disent qu’ils n’étaient pas de ceux qui avaient porté plainte contre Maciel dans les années 50. En effet, expliquent-ils, à cette époque, ils étaient de jeunes séminaristes qui défendaient farouchement le supérieur général de leur congrégation, qu’ils avaient appris à appeler « Nuestro Padre » (Notre Père).

Les accusateurs affirment que Maciel a abusé plus de 30 garçons, entre les années 40 et le début des années 60. Plusieurs confient que Maciel a entretenu une relation sexuelle à long terme avec eux.

Les récits se recoupent sur le rituel d’initiation sexuelle : La nuit, Maciel convoque un garçon dans sa chambre. Il est sur son lit, se tord de douleur et demande au garçon de masser son ventre. Cela finit généralement par des masturbations mutuelles.

Alarcon, le prêtre de Floride, ajoute que Maciel a profité de lui, « alors que j’étais tout petit, et très jeune. »

Le Courant a pris contact avec le père Alarcon après que les autres l’eurent désigné comme l’une des victimes de Maciel. Alarcon a reconnu les faits.

Le père Alarcon a quitté la Légion du Christ en 1966, pour devenir prêtre diocésain à Long Island, dans le diocèse de Rockville Centre. Il a ensuite été envoyé par son diocèse pour s’occuper de la communauté hispanique installée en Floride.

Vaca, l’ancien Directeur des légionnaires aux Etats-Unis, est entré dans la congrégation après y avoir été invité par Maciel lui-même, alors qu’il avait 10 ans et qu’il vivait au Mexique. Il affirme que le Supérieur Général a commencé à abuser de lui deux ans plus tard, lorsqu’il a été envoyé dans un séminaire en Espagne. Il dit avoir subit une relation psycho-sexuelle avec Maciel pendant douze ans, jusqu’à l’âge adulte, ce qu’il a encore beaucoup de mal à comprendre.

En 1976, Vaca a écrit une lettre détaillée à Maciel, dans laquelle il énumère une vingtaine de victimes, qu’il dit avoir remis en main propre au fondateur à Mexico, afin de lui expliquer pourquoi il quittait la congrégation. « Tout ce que vous avec fait s’oppose aux croyances de l’Eglise et de la congrégation, » écrivait Vaca.

Maciel, dit-il, a essayé de le persuader de rester dans la congrégation, tout en esquivant les raisons de son départ. Kearns, le porte-parole des légionnaires, prétend dans sa déclaration que Vaca voulait se venger parce qu’il était incompétent dans son travail, et allait être rétrogradé. Vaca conteste cette accusation, mais reconnaît en même temps qu’un découragement, dû à ses années d’abus sexuels, avait affecté son ministère.

En 1978, ajoute Vaca, il a donné une copie de cette lettre à Mgr John R. McGann, l’évêque de Rockville Centre, à Long Island, qui l’avait accueilli dans son diocèse, comme prêtre de paroisse. Il dit que McGann a transmis la lettre, jointe à une lettre corroborant ses accusations du père Alarcon ainsi que d’autres documents, au Vatican.

Mgr John A. Alessandro, un avocat diocésain en Droit Canonique qui a traité l’affaire de Vaca pour l’évêque, confirme que les documents ont été envoyés à Rome en 1978, ainsi qu’une lettre de Vaca adressée au pape Jean-Paul II, quand Vaca a décidé de quitter le sacerdoce, en 1989.

« Tout ce que je peux dire, c’est que des gens ont été informés à différents niveaux. C’était notre devoir de mettre ces choses entre de bonnes mains. Je ne sais pas pourquoi rien n’a été fait… Il est impossible que de telles allégations restent sans suite, » explique l’avocat canonique.

Alarcon dit la même chose : « Rien n’a jamais été fait. C’est incroyable… Il y a des gens importants à Rome qui esquivent cette affaire. »

Une armée spirituelle

Les accusateurs mexicains étaient considérés dans la Légion comme « les élèves apostoliques », parce qu’ils avaient suivi les méthodes disciplinaires de la congrégation dès l’âge de 10 ans. Les américains et les irlandais qui ont rejoint la congrégation à un âge un peu plus avancé, à la fin de leur adolescence, expliquent dans une interview qu’ils se sentaient comme des « citoyens de deuxième zone » comparés aux favoris de Maciel, les fameux « élèves apostoliques ». Mais ces derniers disent qu’ils n’étaient pas au courant des accusations d’abus sexuels portées par les mexicains.

D’après l’histoire officielle de la Légion, Maciel a fondé sa congrégation religieuse le 3 janvier 1941, alors qu’il n’était qu’un jeune étudiant en théologie de 20 ans et qu’il a rassemblé un groupe d’enfants âgés de 12 et 13 ans.

C’était après qu’il eut quitté deux séminaires – celui de Véracruz, installé à Mexico, en 1938, et un séminaire tenu par les jésuites, à Montézuma, dans le Nouveau Mexique, en 1940 – ce que l’histoire officielle de la Légion qualifie de « malentendus » dus à son désir de fonder une congrégation religieuse. Mais l’un des oncles de Maciel, Mgr Francesco Gonzalez Arias de Cuernavaca, au Mexique, a supervisé sa formation et l’a ordonné prêtre le 26 novembre 1944. Il avait alors 24 ans, un âge jeune pour un prêtre, surtout pour celui qui n’avait pas réussi à achever sa formation dans deux séminaires.

L’idée d’une « armée spirituelle » est venue naturellement à Maciel, qui est a vu le jour le 10 mars 1920, dans une famille nombreuse d’origine française. Dans son enfance, on l’a abreuvé de récits de guerre.

Quatre de ses oncles étaient évêques, et un autre était général. Les anciens légionnaires se souviennent comment Maciel les captivait en leur racontant comment le général s’était battu pour défendre l’Eglise pendant la Guerre Civile Mexicaine, au cours de laquelle de nombreux membres du clergé ont été tués. La guerre s’est achevée en 1920, mais les persécutions de prêtres ont continué pendant les années 30, jusqu’à l’instauration d’un régime autoritaire.

De nombreux mexicains considèrent que l’Eglise a été un refuge spirituel qui a prévalu sur la violence. En outre, la guerre civile espagnole de 1930 a été vaincu par le Général Francisco Franco, un catholique qui avait promis de restaurer la monarchie. Franco a gouverné l’Espagne comme un dictateur, et était admiré par les mexicains conservateurs.

Excellent collecteur de fonds, d’après différents témoignages, Maciel a cultiver de riches patron au Mexique et, plus tard, en Espagne, en impressionnant ses bienfaiteurs avec le programme moral très rigide de cette congrégation quasi militaire.

Il a réussi à obtenir 200’000 pesos, une somme considérable à cette époque, pour commencer son ordre religieux. Il a d’abord choisi le nom de « Missionnaires du Sacré-Cœur », avant de changer pour « les légionnaires du pape », et enfin « les légionnaires du Christ ».

En 1948, Maciel a installé un séminaire légionnaire dans une grande maison à Tlalpan, dans la banlieue sud de Mexico. De grands arbres entouraient la propriété, qui possédait une grand piscine et un lac pittoresque. Parfois Maciel se mêlait aux jeunes, jouant aux billes ou passant de bons moments avec les plus âgés.

Mais il n’avait aucun agenda. On racontait aux enfants que Maciel était un saint vivant, menant une croisade personnelle contre le communisme, au nom du Saint-Père, à Rome.

À la fin des années 40, la Légion s’est étendue en Espagne, lorsque les séminaristes les plus âges de la congrégation se sont vu octroyés les possibilité d’aller étudier la philosophie à l’Université jésuite de Comillas, située dans la région de Santander.

Mais la tendance de Maciel à vouloir débaucher des étudiants pour la Légion aurait généré des frictions avec les jésuites, qui ont rompu les liens avec lui. Les légionnaires ont étudié dans une monastère des environs jusqu’au début des années 50, lorsque Maciel a trouvé un logement à Ontaneda, dans la même région, et qui est devenu un centre légionnaire encore opérationnel aujourd’hui. Après avoir effectué leurs études de philosophie à Ontaneda, les séminaristes passaient à Rome, pour la théologie.

Quand ils recrutaient des jeunes garçons pour la congrégation, plusieurs anciens légionnaires affirment que Maciel avait une obsession pour les enfants aux cheveux blonds et à la peau claire. Vaca dit que lorsque Maciel l’a envoyé en Espagne en 1963, il avait la consigne de recruter « les plus beaux garçons, et les plus intelligents ».

Un voeu supplémentaire

Les légionnaires promettent une fidélité absolue au Pape, et appliquent les trois voeux traditionnels – pauvreté, chasteté et obéissance – comme les membres de tous les autres congrégations religieuses. Mais ils utilisent également un quatrième voeu : celui de ne jamais parler en mal de la Légion, de Maciel ou des supérieurs, et de dénoncer ceux qui auraient enfreint ce voeu.

Les anciens légionnaires se souviennent qu’on leur a enseigné que les femmes étaient des tentatrices, et la masturbation, un péché mortel. Dans une encyclopédie d’art, au séminaire espagnol, la gravure représentant la Naissance de Vénus, de Botticelli, ainsi que d’autres œuvres représentant des femmes dévêtues étaient recouvertes avec dans bandes de papier noir, collées au scotch.

Le paysage était magnifique et la formation classique une chance unique pour des jeunes garçons ayant le goût des études. Plusieurs garçons se sont fait des amitiés qui ont duré longtemps après leur départ de la congrégation.

On expliquait aux garçons que s’ils quittaient la Légion, leurs âmes iraient brûler en enfer. « Vocation perdue, damnation certaine » était le refrain qui obligeait nombre d’entre eux à rester contre leur gré, pendant des années. Parmi ceux qui disent avoir été abusés sexuellement, certains ont eu besoin de suivre une psychothérapie pour surmonter les souvenirs traumatiques.

On leur montrait des films à la gloire de Franco, et on leur racontait des histoires sur les combats héroïques de Nuestro Padre contre la maladie. Les normes disciplinaires étaient moyenâgeuses. Pour conjurer les pensées impures, expliquent les anciens légionnaires, on leur demandait de porter le « cilice », un bracelet en cuir clouté, avec des crochets, qu’ils devaient enrouler autour de leurs cuisses.

« Les pointes entraient dans ma chair et me provoquaient de grandes douleurs, » se souvient un ancien séminariste, « sans pour autant éliminer mes mauvaises pensées. »

La nuit, se rappellent-ils, le silence dans le dortoir était rompu à cause du bruit fait par les coups de fouet que certains garçons s’infligeaient pour se punir de leurs péchés.

Les anciens légionnaires décrivent une culture dans laquelle ils devaient rendre des comptes pour chaque moment passé, et cela non seulement au séminaire, mais également durant leur vie de prêtres : un système de contrôle absolu. Le courrier entrant et sortant était contrôlé, et ils n’avaient pas accès au téléphone. Le voeu de dénoncer quiconque aurait dit du mal de Nuestro Padre ou de la Légion signifie qu’on attendait d’eux qu’ils s’espionnent mutuellement.

Les contacts avec leurs familles étaient réduit au strict minimum. Juan José Vaca explique que « pendant 12 ans, j’ai été retenu en Europe, bien loin de mes parents et de ma famille. Je n’avais pas l’autorisation de les voir ou d’entretenir un contact étroit avec eux. »

Les anciens légionnaires racontent encore que les punitions étaient sévères. Fernando Perez Olvera, 62 ans, ingénieur, se souvient qu’il avait 14 ans lorsqu’il a rejeté les avances sexuelles de Maciel. A partir de ce moment, il a commencé à désobéir aux règles, dans l’espoir de se faire expulser.

Un jour, dit-il, Maciel « m’a enfermé dans une chambre, avec un lit et un table de chevet, ainsi qu’une fenêtre qui devait rester fermée… C’était très dure d’être dans cette prison. » L’isolement a duré un mois, explique-t-il. « Si j’étais resté enfermé plus longtemps, j’aurais sans doute perdu la tête. »

Une autre fois, dit-il, Maciel lui dit de faire ses valises, et lui a donné l’ordre de se rendre à pied jusqu’à la station de train, qui était très éloignée du séminaire. Il est parti en milieu de matinée, et est arrivé à la station vers 19h, épuisé et affamé. Il n’avait pas un sou en poche, et vers 11h, alors qu’il était au bout du désespoir, il a vu Maciel arriver en voiture, pour le ramener au séminaire. Peu de temps après, il s’est fait renvoyé du séminaire et est retourné au Mexique en bateau.

Quelques années plus tard, au milieu des années 50, le jeune frère de Perez, José Antonio Perez Olvera, était convoqué dans la chambre de Maciel, où le fondateur lui exprima sa préoccupation pour la santé de Fernando.

« Il m’a raconté que mon frère se masturbait très souvent et qu’il était urgent de le délivrer de cette mauvaise habitude, » explique José Antonio Perez, 59 ans, qui est aujourd’hui avocat, à Mexico.

« Je ne savais que penser. Je n’avais jamais parlé de cela avec mon frère, » dit-il. Maciel lui a alors expliqué qu’il avait besoin d’un échantillon de sperme, afin de l’envoyer à un fameux médecin de Madrid, qui pourrait, grâce à ses analyses, trouver un remède au problème de mon frère. L’ancien séminariste dit qu’il était stupéfait, mais tellement soumis qu’il a laissé Maciel le masturber. Ce dernier, après avoir récupéré le sperme dans un flacon, a dit sur un ton apaisé : « C’est pour la bonne cause ».

Après cela, Maciel lui a dit d’aller recevoir la Sainte Communion et « de ne jamais parler à quiconque de cet acte héroïque. »

« Les détails de mon viol pourraient presque être drôles si cela n’avait pas eu des conséquences tragiques pour moi, » explique encore José Antonio.

Entré à la Légion à l’âge de 10 ans, il pensait que « la chasteté était la vertu la plus importante de toutes. » Pour lui, l’expérience avec Maciel était similaire à un « dépucelage », et il se sentait « complice » de cela.

Souffrant d’insomnie et d’anxiété, il a gardé ses distances de Maciel jusqu’à ce qu’il quitte la congrégation, à l’âge de 25 ans.

Aujourd’hui, José Antonio Perez considère l’auto-flagellation des séminariste comme « une forme de transfert psychologique » – Ils devaient se punir pour les péchés de Maciel.

Dispense papale

Arturo Jurado Guzman, 58 ans, enseigne à l’école des langues du Département de la Défense des Etats-Unis, installé à Monterrey, en Californie. Il est entré dans la Légion du Christ à 11 ans. Il dit qu’il avait 16 ans quand Maciel l’a convoqué pour la première fois à son chevet.

Dans un chambre obscure, dit-il, Maciel gémissait à cause de douleur qu’il attribuait à des problèmes abdominaux. « Il m’a demandé de placé ma main sur son ventre, et de commencer à le masser, » soupire Jurado. Maciel lui a alors dit d’aller « de plus en plus bas, » forçant ainsi l’adolescent à le masturber, alors que le prêtre commençait à caresser Jurado.

« Il m’a affirmé qu’il avait reçu une dispense personnelle du Pape Pie XII l’autorisant à pratiquer ces actes sexuels, à cause de ses douleurs, » explique Jurado.

Il s’est soumis aux stratagèmes de Maciel une quarantaine de fois environ. Et le jour où Maciel a voulu pratiquer avec lui une pénétration anale, il a refusé. Alors Maciel a fait appeler un autre garçon.

Vaca, qui allait un jour être le directeur de la congrégation aux Etats-Unis, avoue que sa première aventure sexuelle avec Maciel s’est produite dans les mêmes circonstances. Après quoi, dit-il, « je lui ai dit que je ne me sentais pas bien. Je voulais aller me confesser. Il m’a répondu : « Tu n’as rien fait de mal. Tu n’as pas besoin d’aller te confesser. »

Vaca se souvient que comme son désarroi ne le quittait pas, Maciel lui a dit : « Voilà, je vais te donner l’absolution » – et il a fait le signe de la croix.

Alejandro Espinoza Alcala, 59 ans, qui a été séminariste légionnaire au début des années 50, est aujourd’hui propriétaire d’un ranch, au Mexique. Il raconte que Maciel le faisait venir avec un autre garçon dans son lit, pour se masturber mutuellement. « Je n’arrivais pas à vaincre ma répugnance naturelle, » analyse aujourd’hui Espinoza.

Maciel lui a promis que l’activité était « moralement correcte » parce qu’il n’agissait que comme un simple « infirmier », et que le prêtre avait reçu une dispense du Pape pour utiliser des garçons, et non des femmes, à cette fin.

Il y en a un qui dit avoir réussi a résister aux avances sexuelles de Maciel : c’est Saul Barrales Arellano, 62 ans, qui est ensuite devenu professeur des écoles, dans des établissements catholiques mexicains. Au séminaire, il était apprécié par ses pairs, qui le surnommaient même « le charitable », et pensaient qu’avec un tempérament si dévoué, il deviendrait naturellement prêtre.

Barrales dit que Maciel « m’a demandé de le manipuler cinq ou dix fois, mais je n’ai jamais cédé. » Lorsque Maciel finissait par s’endormir, Barrales raconte qu’il s’allongeait par terre, devant la porte de la chambre, afin d’empêcher que d’autres religieux, plus enclins à obéir aux ordres de Maciel, n’entrent.

Les anciens légionnaires affirme que Maciel semblait se dissocier lui-même de ses actes sexuels, séparant ses activités nocturnes de son ministère sacerdotal.

Il n’a jamais reconnu à l’un ou l’autre qu’une chose inhabituelle s’était produite. Barba, le professeur de littérature, raconte ainsi qu’un jour, après avoir eu une aventure sexuelle avec Maciel, le prêtre s’est habillé calmement, et est parti avec un groupe de jeunes, pour bénir un pique-nique en plein air, sous un grand ciel bleu.

« Fondamentalement, le cas de Maciel est celui d’un dédoublement de personnalité », déclarait Miguel Diaz, dans ses premières déclarations. Avant de se rétracter, Diaz a avoué que Maciel prétendait « souffrir d’une maladie provoquant une rétention de sperme dans ses testicules, occasionnant des douleurs insupportables qui ne pouvaient être soulagées qu’avec des drogues spécifiques… ou par des massages, qu’il m’a demandé de lui faire à plusieurs reprises, et que j’ai bien sûr effectués. »

Consommation de drogues

Les antécédents médicaux de Maciel était une source de curiosité pour les hommes qui accuse le fondateur d’avoir abusé d’eux. Chacun d’entre eux affirme que Maciel était accro à des antalgiques très puissants, même si le Vatican a effectivement passé l’éponge sur cette accusation.

Lorsqu’il était à Rome, Jurado affirme avoir été envoyé une dizaine de fois à l’hôpital Salvator Mundi, afin de se procurer de la morphine. Sous les ordres de Maciel, affirme Maciel, « je lui ai fait de nombreuses fois des injections dans l’avant-bras. »

Barrales, dit « le charitable », celui qui a résisté aux avances sexuelles de Maciel, ajoute que celui-ci l’envoyait à un autre hôpital, située sur l’île Tibérine, pour se procurer de la drogue. S’ils refusaient, explique Barrales, il fallait chercher encore un autre hôpital.

« Nous vivions dans un monde où les gens manquaient de formation. Si j’étais allé à la pharmacie pour demander de la drogue, on ne m’en aurait jamais donné, parce que c’était interdit. Mais quand j’allais dans des hôpitaux tenus par des bonnes sœurs, certaines d’entre elles me donnaient les drogues pour Maciel, » ajoute Barrales.

« La guerre »

L’histoire officielle de la Légion, publiée en 1995, ne fait aucune référence à l’enquête menée par le Vatican contre Maciel, entre 1956 et 1958. Les légionnaires du Christ appelle cette épisode : « La guerre ».

A l’automne 1956, se rappellent-ils, Maciel, qui était désemparé et en larme, a annoncé à ses séminaristes de Rome qu’il lui fallait montrer son obéissance au Pape, malgré le fait que des fonctionnaires du Vatican commettaient l’erreur de faire une enquête contre lui. Maciel étant suspendu de ses fonctions, la confusion se propagea : Comment Nuestro Padre pourrait-il être en conflit avec le Pape Pie XII, qui avait approuvé la Légion du Christ comme une congrégation catholique romaine ?

Maciel s’est alors rendu à Villa Linda, un hôpital situé en dehors de Rome. D’après des certificats établis par trois médecins, dont deux datent de 1956 et le troisième n’est pas daté, produit par le cabinet d’avocat de la Légion, Maciel était en bonne santé, et ne souffrait pas de toxicomanie.

Néanmoins, les anciens légionnaires insistent sur le fait que Maciel était effectivement accro à certains drogues anti-douleur, et ce, malgré tout ce que les médecins ont pu écrire. Ironiquement, ils reconnaissent qu’à cause de cette addiction, ils avaient eux-mêmes une certaine bienveillance à l’égard de Maciel, malgré ses abus sexuels.

Les anciens légionnaires se souviennent du terrible drame de conscience qui s’est posé à eux, devant mettre en balance des années d’études au séminaire contre les intérêts de Maciel.

Jurado, le professeur de langue au Département de la Défense, dit que le responsable du séminaire à Rome avait donné la consigne aux séminaristes de ne pas dire la vérité aux enquêteurs, qui étaient de « mauvaises personnes, avec de mauvaises intentions ».

« Nous étions tous très nerveux, » se souvient Barba, le professeur de littérature. « Si le pape est le chef suprême de la Légion, comment devions nous interpréter le fait qu’il envoie des hommes armés de mauvaises intentions ? Le recteur m’a dit : ’Faites ce que votre conscience vous dicte.’ »

Interrogé par un enquêteur sur ce qu’il pensait de Maciel, Barba se souvient avoir répondu : « C’est un saint » – comme on lui avait répété pendant des années. Le prêtre lui demanda pourquoi. Barba évoqua les souffrances de Maciel dans l’infirmerie. Sur d’autres questions plus pointues, Barba avoue : « J’ai battu en retraite, j’avais trop peur… Je ne lui ai rien dit sur ce que je vivais avec Maciel. »

Jurado reconnaît aussi avoir menti : « Pour moi, c’était une question d’obéissance ».

La pression sur les élèves apostoliques était terrible. Pour ceux qui s’approchaient de l’ordination, admettre une activité sexuelle pouvait se retourner briser des années de préparation, effectuées au Mexique, en Espagne, et maintenant à Rome. Dénoncer Maciel, cela risquer de se retourner contre d’autres religieux, juste avant leur ordination.

Vaca explique : « On nous a expliqué que ces enquêteurs étaient des ennemis de Dieu, qui voulaient avoir la peau du père Maciel. J’ai menti sur la consommation de drogue, et je me suis lancé dans une grande défense et un éloge du père Maciel. » L’enquêteur ne lui aurait pas posé plus de questions.

Au cours des interviews, les anciens légionnaires ont affirmé qu’ils supposaient bien que les accusations de 1956 impliquaient des agressions sexuelles. Ils disent qu’ils sont surpris aujourd’hui d’entendre la déclaration faite par le dernier des quatre visiteurs apostolique encore en vie.

Dans une lettre produite par la compagnie d’avocat, datée du 12 décembre 1996, Mgr Polidoro Van Vlieberghe, évêque émérite de Illapel, au Chili, écrit qu’il trouvait que « toutes les accusations levées contre le père Maciel à cette époque étaient sans fondement. »

L’évêque a ajouté que les accusations faites dans les années 50 « participaient d’une campagne très organisée destinée à discréditer le père Maciel et les Légionnaires du Christ. »

Dans sa lettre, Van Vlieberghe reporte l’accusation sur deux subordonnés de Maciel. Document à l’appui, non daté mais vraisemblablement écrit en 1958, l’évêque accuse deux évêques mexicains, ainsi que la Compagnie de Jésus, d’avoir – « pour des raisons inexplicables » – appuyé les accusations.

Van Vlieberghe affirme qu’il n’y avait aucune allégation d’abus sexuels, malgré une enquête scrupuleuse au cours de laquelle les membres de la Légion avaient « tout le loisir de faire connaître leurs accusations. »

Cependant, José Antonio Perez, l’avocat de Mexico, à qui Maciel a prélevé un échantillon de sperme, se souvient que l’enquêteur ne lui a posé qu’une seule question : « ’Est-ce que le père Maciel ne vous a jamais fait quelque chose d’inconvenant, en vous demandant de n’en parler à personne, même pas en confession ?’ Et je lui ai répondu avec un « non » assuré. J’étais très fier de ma fidélité au père Maciel. »

Lorsqu’il a posé sa main sur la Bible et a menti, explique Perez, « je me suis sacrifié pour lui. Dans mon for interne, je savais que j’étais excommunié. » Il prétend qu’il était à cette époque tellement dévoué à Maciel, à qui il pensait tout devoir, qu’il se sentait fier de le protéger.

Pourquoi maintenant ?

Durant les années qui ont suivi et pendant lesquelles ils ont reconstruit leurs vies, les hommes disent qu’ils avaient trop peur de s’en prendre à Maciel. Le Vatican l’avait disculpé, et avec le pouvoir et l’influence que celui-ci avait gagné, ils craignaient que personne ne les croient.

Leurs angoisses provenaient de leurs nombreuses expériences accumulées autrefois qu’ils ont mis, affirment-ils, des années à surmonter.

Même quand il a été suspendu de ses fonctions pendant l’enquête, les hommes disent que personne n’avait le moindre doute sur le fait que c’était toujours Maciel qui dirigeait la Légion, malgré la présence d’un supérieur intérimaire.

En 1957, alors que l’enquête du Vatican passait à la vitesse supérieure, Barrales, « le charitable », raconte que Maciel l’a envoyé aux îles Canaries, afin qu’il ne puisse pas parler aux enquêteurs. Neuf mois plus tard, Maciel l’expulsait de la Légion, juste avant son ordination. Barrales dit qu’il a été dépressif pendant toute une année, et n’a pas réussi à avouer à ses parents ce qu’il avait vécu dans la Légion.

Arturo Jurado, le professeur de langue de Californie, affirme avoir été rétrogradé brutalement dans ses études, et renvoyé en Espagne. Peu de temps après, il a quitté la congrégation. Barba a quitté la Légion en 1962, de son propre gré. Dans les années qui ont suivi, les autres ont fini par s’en aller.

Au début des années 90, ils ont vu que les abus sexuels commis par des membres du clergé devenaient un gros sujet dans les médias américains et européens, quand les victimes commençaient à parler ouvertement et à critiquer les responsables de l’Eglise qui déplaçaient les pédophiles notoires de paroisse en paroisse.

Un autre facteur déclenchant, disent-il, a été la lettre du pape Jean-Paul II à Maciel, qui qualifiait ce dernier d’être « un guide efficace pour la jeunesse » – une lettre publiée, sous la forme d’une publicité d’une demi-page, le 5 décembre 1994, dans les plus importants journaux mexicains, avec une photo de Maciel embrassant l’anneau du Pape. La publicité célébrait le 50e anniversaire d’ordination sacerdotale du père Maciel.

Les Légionnaires jouissent d’une grande estime à Rome. Le pape a présidé lui-même l’ordination sacerdotale de 60 nouveaux prêtres légionnaires en 1991, et a loué le père Maciel pour sa fidélité à la papauté. Maciel a accompagné le pape dans deux de ses voyages en Amériques.

Les anciens légionnaires sont convaincus qu’un appel direct au Pape pour demander une nouvelle enquête serait vaine, en raison de l’essai déjà infructueux de Vaca.

Lettres au Pape

Malgré deux lettres envoyées au Pape, en 1978 et en 1989, dans lesquels il se plaignait d’avoir été abusé sexuellement par Maciel, Vaca n’a jamais reçu la moindre réponse. A sa lettre de 1978, envoyée au Vatican par le diocèse de Rockville Centre, était joint une lettre de soutien d’Alarcon, reconnaissant avoir lui aussi été abusé.

Des années plus tard, lorsque Vaca a décidé de quitter le sacerdoce et de se marier, il a écrit au Pape Jean Paul II, une lettre datée du 28 octobre 1989, dans laquelle il demandait la dispense formelle de ses promesses sacerdotales. Il racontait une nouvelle fois « toutes ces années d’abus sexuels et psychologiques » commis par Maciel, donnant des détails spécifiques remontant à 1949, à Cobreces, en Espagne.

Maciel « a commencé à abusé de moi sexuellement de la même façon dont j’ai découvert qu’il abusait d’autres séminaristes, » déclarait-il dans sa lettre au pape.

Dans une interview réalisée chez lui, dans sa maison de Holbrook, dans l’Etat de New York, Vaca dit que le pape a ignoré ses accusations sur Maciel. Pourtant, en 1993, il a reçu un document de deux pages, en latin, signé par un cardinal du Vatican, qui demandait la permission de quitter le sacerdoce pour pouvoir se marier. Il s’était déjà marié civilement, mais voulait maintenant pouvoir se marier religieusement. Et c’est l’évêque auxiliaire, Mgr James J. Daly, du diocèse de Rockville Centre, qui a officié.

Vaca travaille comme conseiller d’orientation dans une université. Il est resté catholique pratiquant, et vit avec sa femme et sa fille de deux ans dans une modeste maison couverte de peintures et de statues religieuses.

Alesandro, l’avocat canonique du diocèse de Rockville Centre, dit que pour des raisons de confidentialité, il ne peut en dire plus sur la lettre de Vaca au Pape, mais qu’il suit la même procédure établie par le Droit Canonique dans chaque cas.

Avec tous les documents que le pétitionnaire voulait soumettre dans son dossier, dit-il, Mgr McGann a écrit une lettre de recommandation.

« Pour des raisons de sécurité, ces dossiers sont d’abord envoyés à la nonciature (à Washington), qui les envoie ensuite à Rome, par valise diplomatique. Ensuite, ils envoient un accusé de réception, et un numéro de protocole ».

Le Vatican a bien accusé réception de la demande de Vaca, précise-t-il.

Le Vatican n’a pas répondu aux questions du Courant sur les raisons pour lesquelles aucune enquête n’a été faite, suite aux accusations présentées par Vaca et par Alarcon. Informé par fax de la nature des accusations, l’archevêque John J. Foley, un Américain chargé des « communications sociales » pour le Vatican, a répondu que le fax « a été transmis aux autorités compétentes. »

L’archevêque a également ajouté avoir envoyé des copies au bureau de presse du Vatican, chargé de répondre aux journalistes. Mais Navarro-Valls, le directeur du bureau de presse, à nos nombreuses requêtes.

Un témoignage de la dernière heure

Le récit sans doute le plus poignant parmi les accusateurs est celui de Juan Manuel Fernandez Amenabar, un prêtre légionnaire qui, dans les années 80 a officié comme président de l’Université Anahuac, à Mexico.

En 1984, Fernandez a tout quitté : son poste, et la prêtrise. Espagnol de naissance, il a vécu à San Diego, avant de revenir à Mexico. Un jour, au mois de mai 1991, il a été foudroyé par un infarctus, et a été hospitalisé à l’Hopital Espagnol, à Mexico, et a perdu une partie de ses facultés d’élocution.

Alors que commençait sa thérapie, une jeune femme médecin, Dr Gabriela Quintero Calleja, qui prenait soin de lui, est devenue petit à petit une amie. Parfois, après avoir fait ses tournées, elle s’asseyait sur son lit, et lui lisait de la poésie. Quintero raconte que pendant les trois dernières années de la vie de Fernandez, elle est devenue plus proche de lui que quiconque. Il lui a raconté son histoire, dit-elle, et même comment Maciel « en trois occasions avait abusé de lui : les deux premières à l’âge de 16 ans, et la troisième à l’âge de 17 ans. »

Le 6 janvier 1995, alors que sa santé se détériorait, Fernandez a dicté une déclaration sur ses expériences, en présence de plusieurs anciens légionnaires. Il a attesté que Maciel « avait essayé de justifier sa consommation de drogue, ainsi que les abus sexuels qu’il a perpétré sur moi, ainsi qu’à d’autres religieux et novices qui ont été ses victimes, comme je l’ai appris plus tard, en prétextant avoir une ’maladie’, et qu’il avait reçu une permission directe de la part de Sa Sainteté le Pape Pie XII… »

Kearns, le porte-parole de la Légion, conteste que Fernandez puisse avoir fait la moindre déclaration dans ses derniers jours, en raison de l’accident vasculaire cérébral qui a altéré ses capacités de parler ou d’écrire. A l’appui, il a fourni une lettre de Raul de Anda Gomez, qu’il décrit comme étant « le médecin de Fernandez. » De Anda suppose que le moribond « ait été la victime de personnes sans principes. »

Mais De Anda est un psychothérapeute, et pas un médecin, et Fernandez n’était pas son patient, explique le Dr Quintero. Dans une interview réalisé à Mexico, elle a expliqué au Courant que Fernandez « a fait sa déclaration en plein usage de ses facultés mentales. » Francisca Toffano del Rio, une psychologue qui faisait partie de l’équipe ayant pris soin de Fernandez, a apporte son soutien au diagnostique de Quintero.

Quintero affirme que De Anda n’a rendu visite à Fernandez que trois ou quatre fois, dans l’hopital. La première fois qu’elle l’a rencontré, dit-elle, De Anda était accompagné par Maciel, qui essayait de convaincre Fernandez de l’accompagner en Espagne, pour être soigné là-bas.

Avec des manières habiles, explique Quintero, Maciel lui a proposé, à elle aussi, d’accompagner Fernandez, et d’aller étudier en Espagne, sous les auspices de la Légion. Mais elle et Fernandez ont refusé.

Lorsque Maciel et De Anda ont quitté la chambre, le patient a lancé au docteur : « Méfiez vous de lui : C’est un renard ! »

Dans une déclaration écrite que Quintera a donné au Courant, elle précise que « son intention était de révéler la vérité qui avait été cachée pendant de nombreuses années, puisque de si nombreux membres de l’Eglise Catholiques semblent ignorer le caractère moral du père Marcial Maciel Degollado. »

Jason Berry, écrivain installé dans la Nouvelle-Orléans, est l’auteur du livre « Lead Us Not into Temptation : Catholic Priests and the Sexual Abuse of Children, », pour lequel il a reçu le premier prix de l’Association de la Presse Catholique.

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