Résultats de l’enquête ICSA relative à la liberté d’expression des anciens membres de sectes

Mercredi 8 octobre 2014 — Dernier ajout samedi 11 octobre 2014

L’une des choses les plus troublantes dans l’appréhension du phénomène sectaire, c’est la raison du silence des anciens adeptes. L’ICSA a mené une enquête auprès d’anciens adeptes afin de mieux comprendre les mécanismes de ce phénomène complexe, et d’une terrible perversité.

par Michael Langone, le 23 août 2014

Le 2 août 2014, l’ICSA a diffusé un sondage afin d’obtenir des informations relatives aux entraves à la liberté d’expression subies par les anciens adeptes de groupes sectaires.

Bien que cette enquête s’intéressait principalement aux actions en justice intentées par certaines communautés contre ceux qui les critiquent afin de les réduire au silence, l’enquête s’est également intéressée aux autres raisons expliquant pourquoi de nombreuses personnes ont le sentiment d’être entravées dans leur liberté d’expression.

Un e-mail a ainsi été adressé aux 3’580 destinataires de la liste de diffusion de l’ICSA afin de les inviter à répondre à un « sondage sur la liberté d’expression ». 109 personnes ont répondu à l’enquête entre le 2 et le 22 août 2014. Une grande majorité (environ 80%) était des anciens membres de groupes sectaires.

Étant donné qu’une très faible proportion des personnes qui appartiennent au réseau de l’ICSA sont des militants (c’est-à-dire des gens qui tiennent des sites Internet ou s’expriment ouvertement sur tel ou tel groupe), notre échantillon est sans doute représentatif de la population affiliée à notre association, mais nous n’en sommes pas sûrs. En tout état de cause, le nombre de personnes qui ont répondu et la rapidité de leur réponse suggèrent que la question de la liberté d’expression est un sujet qui touche de nombreux membres du réseau de l’ICSA.

Après avoir recueilli quelques informations d’ordre démographique, l’enquête proposait 13 questions à choix multiples. Les réponses à ces questions sont dévoilées ci-dessous :

Questionnaire à choix multiple :

Avez-vous été attaqué en justice pour avoir exercé votre liberté d’expression ?
  • Oui : 14
  • Non : 95

Si vous avez été attaqué en justice, avez-vous en votre possession des documents juridiques que vous seriez disposé à partager ?

  • Oui : 11

Avez-vous reçu des messages contenant une menace implicite d’action en justice ?

  • Oui : 29
  • Non : 77
  • N’ont pas répondu à cette question : 3

Avez-vous reçu des messages à caractère juridique de protestation contre vos critiques, sans toutefois vous menacer de poursuites ?

  • Oui : 24
  • Non : 84
  • N’ont pas répondu à cette question : 1

Avez-vous reçu des menaces verbales ou des intimidations à cause de vos critiques ?

  • Oui : 56
  • Non : 52
  • N’ont pas répondu à cette question : 1

Avez-vous reçu un ou plusieurs appels téléphoniques malveillants à cause de vos critiques ?

  • Oui : 51
  • Non : 57
  • N’ont pas répondu à cette question : 1

Votre site web a-t-il été piraté ?

  • Oui : 14
  • Je n’en suis pas sûr : 24
  • Non : 72

Des gens ont-ils essayé de faire fermer votre site Internet ?

  • Oui : 15
  • Je n’en suis pas sûr : 16
  • Non : 74
  • N’ont pas répondu à cette question : 5

Votre crédibilité ou votre intégrité morale ont-elles été attaquées à cause de vos positions critiques ?

  • Oui : 87
  • Non : 21
  • N’ont pas répondu à cette question : 5

Dans quelle mesure votre travail de prévention a-t-il été entravé à cause des menaces ou du harcèlement que vous avez subis ?

  • J’ai réduit un peu mon travail : 24
  • Je l’ai considérablement réduit : 18
  • J’ai tout arrêté : 8
  • Cela ne m’a pas affecté : 29
  • Je ne suis pas concerné par ce problème : 18

A propos de votre engagement dans un groupe sectaire, merci de cocher les éléments qui s’appliquent à votre situation :

  • Je suis un ancien membre : 86 (40 n’ont coché que cette case)
  • L’un ou plusieurs membres de ma famille sont / ont été engagés : 50 (10 n’ont coché que cette case)
  • J’ai grandi ou j’ai été élevé dans un groupe sectaire : 28 (3 n’ont coché que cette case)
  • N’ont pas répondu à cette question : 15

A noter que, parmi les anciens membres :

  • 15 disent avoir, ou avoir eu, des membres de leurs familles engagés
  • 3 disent avoir grandi dans un groupe sectaire
  • 22 disent avoir les deux (i.e. des membres de leurs familles engagés + avoir grandi dans un groupe sectaire)

Seriez-vous intéressé par une formation sur les aspects juridiques relatifs à la liberté d’expression ?

  • Oui : 42
  • Non : 22
  • Peut-être : 31
  • N’ont pas répondu à cette question : 16

Aimeriez-vous obtenir un rapport sur les résultats de cette enquête ?

  • Oui : 96
  • Non : 12
  • N’ont pas répondu à cette question : 0

Analyse des commentaires

La dernière question de l’enquête disait : « Dans la zone ci-dessous, merci de décrire comment votre liberté d’expression a été menacée. »

Bien que le rapport ne contiennent pas de noms ni de données démographiques précises, j’ai préféré ne pas publier ces réponses car trop d’entre elles révéleraient de façon implicite, et parfois de façon explicite, l’identité des personnes interrogées. Par ailleurs, certains commentaires font près de 10’000 mots.

Je vais cependant essayer de donner aux lecteurs une idée du type de commentaires faits par les personnes qui ont répondu au questionnaire.

Pour commencer, il faut noter que le sentiment d’être privé de sa liberté d’expression ne se traduit pas nécessairement par des poursuites judiciaires, réelles ou sous forme de menaces. Les personnes interrogées ont déclaré qu’elles se sentaient empêchées dans leur liberté d’expression en raison :

  • d’intimidations par des membres de leur famille
  • de menaces de damnation éternelle, d’exclusion ou d’excommunication
  • de peur de voir leur identité révélée sur certains forum Internet privés ou que des informations confiées dans le secret (lors de « confessions », par exemple) ne soient rendues publiques
  • d’appels téléphoniques exigeant que la personne cesse de critiquer le groupe
  • de peur de voir débarquer chez eux des membres actuels du groupe
  • de peur qu’en critiquant, on perde contact avec les membres de sa famille qui sont encore dans le groupe
  • de plaintes déposées auprès des autorités universitaires, d’associations professionnelles ou d’organismes délivrant des licences
  • de peur de blesser les gens qui se trouvent encore dans le groupe
  • d’un sentiment résiduel de loyauté envers le groupe
  • d’attaques sur les réseaux sociaux
  • de peur que des critiques publiques n’entrainent des poursuites judiciaires
  • de peur de devoir supporter le même type de harcèlement qu’ont subi d’autres personnes, plus engagées dans la critique
  • de tentatives pour les empêcher de témoigner dans un procès
  • de peur d’être déclaré fou
  • de menaces physiques

Bien que ces phénomènes d’inhibition de la parole caractérisent la majorité des personnes qui ont répondu à l’enquête, plus de 10% d’entre eux (14 sur 109) ont été réellement poursuivies en justice, et près de la moitié ont été menacées de poursuites ou ont reçu des lettres d’intimidation juridiques.

Sur les 79 personnes qui ont répondu à la question demandant d’évaluer l’impact sur leur engagement personnel dans la prévention anti-sectes, 8 ont affirmé avoir tout arrêté, 18 ont dit avoir considérablement diminué leur travail et 24 ont dit avoir diminué leur travail. 29 ont affirmé n’avoir pas été affecté par les menaces sur leur liberté d’expression, bien que l’enquête ne précise pas combien d’entre eux n’ont pas été victime de harcèlement ni combien d’entre eux ont poursuivi leur travaux de prévention malgré le harcèlement.

Dans certains cas, les personnes critiques envers les sectes ont parfois été stoppées par des techniques d’intimidation judiciaire : non pas parce qu’elles avaient mal agi, mais parce qu’elles n’avaient pas les moyens de se défendre. Dans d’autres cas, les critiques ont pu manquer de mesure dans leurs déclarations, même si des critiques articulées de façon irresponsables peuvent s’avérer valides au bout du compte.

Ce bref rapport ne développera pas la question des intimidations juridiques, car pour ce faire, il faudrait des informations précises sur des affaires particulières que l’enquête ne fournit pas. Une étude ultérieure pourrait étudier cet aspect du problème.

Il est à noter que plus d’un tiers des personnes qui ont répondu à l’enquête étaient vraiment désireux de recevoir une formation sur les dimensions légales de l’exercice de la liberté d’expression, et que plus de la moitié se sont dit ouvertes à une telle formation.

Ceux qui dénoncent l’utilisation de l’appareil juridique comme d’une arme pour faire taire leurs opposants peuvent encourager les personnes qui critiquent les groupes sectaires en :

  1. soutenant ou en contribuant au développement de ressources visant à rendre les critiques et les dénonciateurs plus prudents et plus efficaces dans leurs témoignages,
  2. et en fournissant une aide légale, pro bono ou par le moyen de subventions, aux personnes critiques envers les sectes dont les ressources économiques personnelles sont infiniment plus petites que les ressources des groupes qu’ils critiquent.
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