Communauté Saint-Jean : l’envers du décor

Mardi 26 mars 2013 — Dernier ajout mercredi 26 mars 2014

Comme tout frère, l’oblat garde strictement et soigneusement le secret sur les affaires de la Communauté. Extrait de la règle de vie des oblats réguliers de la communauté des frères de Saint-Jean. La « Famille Saint-Jean » fête cette année le centenaire de son fondateur vénéré, le Père Marie Dominique, né le 8 septembre 1912 et décédé en 2006.

Le prieur d’Enschede, impliqué en 2000 dans des affaires de mœurs à l’encontre de jeunes, avait été nommé quelques années après prieur de Murat (Cantal), recevant des centaines d’adolescent(e)s.

Dans les années 1990, la communauté des Frères de Saint-Jean avait un prieuré aux Pays-Bas, dans la ville d’Enschede, dépendant du diocèse d’Utrecht. A la tête de ce diocèse se trouvait alors, comme archevêque, le cardinal Adrianus Simonis. Au début de l’année 2000, Mgr Simonis renvoyait de son diocèse deux Frères de Saint-Jean, tous les deux prêtres, l’un prieur du prieuré d’Enschede, l’autre qui occupait une fonction de curé. Lors de ce renvoi, Mgr Simonis faisait parvenir une lettre manuscrite en français (Mgr Simonis manie parfaitement la langue de Molière) de quatre pages (dont nous reproduisons un extrait, voir page 5) au Père Marie Dominique Philippe, fondateur et prieur général de la communauté Saint-Jean. A propos du Frère Marie-Geoffroy, prieur d’Enschede, Mgr Simonis écrivait ceci : « Il ne peut pas revenir aux Pays-Bas et je dois lui retirer la juridiction pour le diocèse. J’ai demandé qu’il suive une thérapie : y-a-t-il des résultats ? Lesquels ? Quels signes de repentir a-t-il manifesté ? Y a-t-il de sa part une prise de conscience ? Des responsables d’organisations de jeunes des Pays-Bas ont menacé de faire éclater le scandale s’ils rencontraient le Père Marie-Geoffroy à Rome avec des jeunes. Les rumeurs selon lesquelles le Père Marie-Geoffroy participerait aux Journées mondiales de la jeunesse à Rome en août 2000 sont-elles fondées ? Qu’a fait la congrégation pour aider les victimes, les paroissiens et les frères ? » Indésirable aux Pays-Bas, le Frère Marie-Geoffroy s’était donc retrouvé en France au prieuré de Rimont, maison mère de la communauté, dans un premier temps. Puis le temps passant et l’affaire ayant pu être étouffée et semblant oubliée, il était assigné par la suite au prieuré de Saint-Germain-des-Fossés, puis en 2008 au prieuré de Murat. Les frères du prieuré de Murat l’élisaient prieur dès 2008, élection qui avait été confirmée par les prieurs généraux Jean-Pierre-Marie puis Thomas. Le Frère Marie-Geoffroy a même été récemment nommé référent pour les oblats séculiers de la famille Saint-Jean. L’affaire d’Enschede est une parfaite illustration de la manière dont les affaires de mœurs sont gérées et de la loi du silence, organisée non seulement au sein de la communauté Saint-Jean mais également au niveau de certains autres responsables religieux.

L’affaire d’Enschede

1- Le Père Marie-Dominique Philippe, fondateur de la communauté Saint-Jean, était encore prieur général en 2000. Il était bien évidemment au courant de cette affaire, de même que le vicaire pour l’Europe et le vicaire général de l’époque. Ils ont appliqué la procédure habituelle qui consistait à déplacer le frère mis en cause, et à attendre d’être sûrs que l’affaire soit bien étouffée avant de le remettre en circulation comme si rien ne s’était passé. En ce qui concerne le Père Marie-Dominique Philippe, c’est une affaire qui met à mal son image de moine-philosophe, de vieux sage détenteur de la Vérité, de « Maître des Trois Sagesses » et de « Prophète de leur Vocation Johannique », comme beaucoup le considèrent malheureusement encore dans la famille Saint-Jean.

2- Pour les frères ayant occupé depuis 2000 des postes à responsabilité, les vicaires généraux et prieurs généraux étaient forcément au courant. L’exclusion du frère Marie-Geoffroy et sa réduction à l’état laïc n’ont jamais été envisagées. Le fait que cet homme puisse être toujours prêtre ne les choque nullement. Qu’il puisse occuper une fonction de prieur, qui plus est dans un prieuré qui organise des camps de jeunes à longueur d’année avec le plein accord du « Conseil du prieur général » dont le rôle est d’entériner les élections des prieurs, est une réalité qui enlève toute crédibilité et toute confiance dans cette communauté et dans ceux qui, dans l’épiscopat, s’en montrent complices en la protégeant et en la couvrant.

3- Les frères du prieuré de Murat qui ont élu puis réélu Marie-Geoffroy comme prieur ne sont pas forcément tous au courant de son passé. L’omerta est également en vigueur au sein même de la communauté.

4- Le cardinal Simonis : Le prélat a certes fait le ménage dans son diocèse, mais il est clair à la lecture complète de sa lettre, qu’il s’est avant tout préoccupé de préserver à court terme ses propres intérêts en étouffant l’affaire aux Pays-Bas et en renvoyant les frères en France tout en sachant parfaitement que ceux-ci y bénéficieraient également de la loi du silence.

5- Les évêques d’Autun, responsables canoniques de la communauté des Frères de Saint-Jean : Début 2000, Mgr Seguy était en poste à Autun. Mgr Adrianus Simonis, pour sa part, en tant que cardinal, exerçait des fonctions à Rome à la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée (c’est-à-dire l’organisme chargé à Rome de veiller au bon fonctionnement des ordres monastiques). Il est hautement vraisemblable que Mgr Simonis ait informé Mgr Seguy de ces deux affaires et de sa décision d’avoir « expulsé » deux Frères de Saint-Jean des Pays-Bas. En juin 2000, soit très peu de temps après cette affaire, Mgr Seguy, sous la pression de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée, adressait à la communauté une simple remontrance sous la forme d’une monition canonique. L’affaire d’Enschede a vraisemblablement été l’affaire de trop qui a contraint Mgr Seguy à assumer un peu son rôle, alors que jusque-là il avait fait preuve d’une coupable mansuétude à l’égard de la communauté Saint-Jean et de son fondateur. Dans un courrier daté du 21 avril 2001, Mgr Seguy écrivait ceci aux membres du chapitre général des Frères de Saint-Jean à propos de cette monition : « Permettez-moi quelques remarques. Elles ne se veulent pas désobligeantes pour quiconque. » (NDLR : on peut apprécier que Mgr Seguy s’excuse presque d’avoir du écrire sa monition.) La suite prêterait à rire si le sujet n’était pas aussi pénible. Mgr Seguy parle de « soupçons » alors qu’il comptabilise dans le même temps plus de trente cas graves. « Une monition canonique est une peine préventive adressée à celui qui se met dans l’occasion proche (CIC n° 1339§1) de commettre une faute. Elle n’est donc pas un jugement, et l’enquête sérieuse qui la précède ne recueille que des indices convergents vers un grave soupçon. Or ce faisceau d’indices convergents est venu jusqu’à moi par les scandales publics causés par certains frères, par des mises en garde d’évêques, d’archevêques et cardinaux français et étrangers… par les dossiers d’exclaustration, de sécularisation, de réduction à l’état laïc, voire de nullité de profession et d’ordination qui se sont multipliés. Ces cas lourds, parfois très difficiles, ne se comptent pas sur les doigts d’une main, comme on a pu l’affirmer ici ou là, mais sur les doigts de six ou sept mains. Il y a en outre des cas moins difficiles et plus ordinaires. Pour juger à fond de la situation, il aurait fallu demander à Rome la visite canonique de tout l’institut par un visiteur apostolique. Certaines autorités hiérarchiques m’incitaient à le faire. Mais comme je l’avais fait en 1996 en suspendant l’exécution d’une lettre de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée qui demandait, entre autres, la démission de votre prieur général, j’ai voulu épargner à votre institut encore bien jeune une épreuve traumatisante. J’ai préféré vous inciter à vous corriger vous-mêmes. » Cette lettre est accablante pour Mgr Seguy, car elle révèle l’étendue de la connaissance qu’avait Mgr Seguy des turpitudes de la communauté Saint-Jean et de son fondateur et comment il a longtemps bloqué toute sanction y compris venant de Rome. Quand Mgr Seguy conclut en disant qu’il incite la communauté à se corriger elle-même, il se moque des victimes. La dernière décennie démontre que rien n’a changé, les affaires de mœurs et d’emprise continuent. Mgr Rivière, l’actuel évêque d’Autun depuis 2006, se montre le triste successeur de Mgr Seguy en continuant la même politique de complaisance et d’omerta. A cet égard, son intervention, devant la cinquantaine de Frères de Saint-Jean réunis en chapitre à Rimont en avril 2010, est édifiante. Mgr Rivière a avoué ce jour-là que par souci de « miséricorde » (sic !), les péchés commis par certains frères avaient été dissimulés y compris à des évêques, et que, par voie de conséquence, certains évêques n’avaient pas confiance dans la communauté. Par un tel comportement, Mgr Rivière porte gravement atteinte à la moralité de l’institution catholique. En faisant bénéficier les religieux coupables de la protection de son évêché au détriment des victimes isolées et sans défense, Mgr Rivière bafoue les valeurs de l’Evangile. Sa démission, volontaire ou forcée, s’impose comme un signe que l’Eglise de France prend enfin en considération les victimes et non les coupables et que, comme en Irlande et dans d’autres pays, la page de l’omerta est enfin tournée.

6 - Mgr Grua, évêque de Saint-Flour, dans le diocèse duquel se trouve le prieuré de Murat : Comme on l’a vu plus haut, Mgr Grua n’est peut-être pas au courant du passé du Frère Marie-Geoffroy. Cet article, dont il aura immanquablement connaissance, devrait l’inciter à demander des comptes à son homologue d’Autun et à agir. Le simple départ du Frère Marie-Geoffroy de Murat ne sera en aucun cas une mesure suffisante. Tant que la communauté Saint-Jean n’aura pas été purgée de la totalité de ses membres déviants, de ses dizaines de « cas lourds voire très difficiles » selon les termes de Mgr Seguy, Mgr Grua doit interdire que des personnes vulnérables, au premier rang desquels des jeunes, puissent fréquenter la communauté Saint-Jean dans son diocèse et donc demander l’arrêt immédiat de tous les camps de jeunes qui s’y déroulent.

7- Mgr Brincard, évêque du Puy, et surtout depuis mars 2011 commissaire pontifical des Sœurs contemplatives de Saint-Jean et assistant de gouvernement des frères de Saint-Jean : de par ses récentes fonctions, Mgr Brincard en connaît déjà un rayon sur les histoires internes de ces communautés et en particulier sur les problèmes de mœurs entre Frères et Sœurs de Saint-Jean (voir notre article prochain). Mgr Brincard serait bien inspiré de prendre rapidement et énergiquement les mesures qui s’imposent, faute de quoi il se verrait exposé aux mêmes critiques que Mgr Rivière. Avec le risque d’engager sa responsabilité pénale s’il s’avérait avoir une part de responsabilité par son silence et son inaction lors d’éventuelles futures affaires. Deux procès sont en attente concernant des Frères de Saint-Jean, Jean-Dominique-Marie-Thérèse et Luigi-Gonzaga, mais pour des faits antérieurs à la prise de fonction de Mgr Brincard. Depuis sa prise de fonction il y a dix-huit mois, Mgr Brincard s’est surtout fait remarquer par son silence et, sur le site de son diocèse, par un usage consommé de la langue de bois.

facsimilé de la lettre du cardinal Simonis

Lors de ce renvoi, Mgr Simonis faisait parvenir une lettre manuscrite en français de quatre pages (dont nous reproduisons un extrait) au Père Marie Dominique Philippe, fondateur et prieur général de la communauté Saint-Jean. A propos du frère Marie-Geoffroy, prieur d’Enschede, Mgr Simonis écrivait ceci : « Il ne peut pas revenir aux Pays-Bas et je dois lui retirer la juridiction pour le diocèse. J’ai demandé qu’il suive une thérapie : y a-t-il des résultats ? Lesquels ? Quels signes de repentir a-t-il manifesté ? Y a-t-il de sa part une prise de conscience ? (…)

Source : Golias Hebdo n° 254 - semaine du 13 au 19 septembre 2012

Revenir en haut