En hommage aux victimes de cette communauté et à ceux qui ont lutté pour elles durant tant d’années.
Les faits concernant la Fraternité Saint-Jean sont bien connus de l’Avref, dont la fondation en 1998 est due au rapprochement de personnes qui, depuis des années, cherchaient à alerter les autorités de l’Église sur la situation de leur fils ou de leur fille dans l’une ou l’autre composante de cette Fraternité : frères (appelés quelquefois les petits-gris), sœurs apostoliques, sœurs contemplatives…
Ces personnes, entamant ensemble leurs démarches, ont pris conscience de l’ampleur d’un phénomène à l’intérieur de l’Église catholique que les années (les décennies ?) dévoilent peu à peu, et qu’aujourd’hui on décrit comme « dérives sectaires » (c’est ainsi que la Conférence des Évêques de France a créé en 2013 un Bureau des Dérives Sectaires, anciennement rattaché à la Pastorale des Nouvelles Croyances). Il est difficile d’admettre un fait sectaire à l’intérieur d’une institution aussi vénérable et qui se qualifie de sainte, spécialement quand elle se cherche un nouveau souffle et qu’elle croit le trouver précisément dans les mouvements dont on lui dénonce des faits scandaleux ou des comportements problématiques.
Le déni opposé par les autorités est la première expérience qu’ont connue les parents de victimes ou bien les victimes elles-mêmes quand, sorties souvent à grands frais de leurs communautés, elles ont voulu s’en remettre à leur sagacité.
La Fraternité Saint-Jean a longtemps été pour l’Église de France une vitrine, et l’aura de son fondateur, considéré comme un grand intellectuel et maître en spiritualité, n’a pas peu joué en ce sens. Il a été défini par beaucoup, à commencer par lui-même et sa communauté -mais son aura allait plus loin- comme maître des trois sagesses : spirituelle, théologique et mystique.
Que la personnalité d’un tel fondateur fût problématique ne pouvait passer le mur des secrets de conscience, pas même de couloirs, quand bien même il ne pouvait échapper à certaines autorités quelques plaintes, ni à certains placards d’évêchés de gonfler à outrance de dossiers plus qu’embarrassants. Mais les jeux de séduction et les peurs de scandale, un peu les incapacités de croire aux faits peut-être ? la pensée que tout bruit s’éteint de soi-même, que les alléluia et les amen soignent de tout, que les plaignants sont des ennemis de l’Église, que le linge sale se lave en famille, que les supérieurs sont assez grands pour gérer les petits problèmes, qu’un semblant d’admonestation privée suffit, non pas seulement à laver la conscience, mais à faire entendre la bonne raison – tout cela et d’autres choses ont permis que s’étende un voile de silence sous lequel a proliféré jusqu’au plus sordide. Il n’y a pas que des tartufes, au sens d’hypocrites, pour expliquer les complaisances d’orgons, il y a aussi ce que la science de la psyché appelle des perversions, perversions de relations commandées par des perversions psychiques. Il y a un phénomène que Tartufe sans toutes ces connaissances a bien maîtrisé : celui de l’emprise. L’emprise, en amont de tous abus, dont ceux physiques sont les ultimes chaînons, est dans ce cas contemporain, au-delà d’une personne et de son charisme, celle d’un système, d’une structure aliénante.
A l’Église de réfléchir, puisque nous parlons ici d’un cas la concernant, sur les facilités qu’elle offre à de telles déviances. Elles ne nous semblent pas toutes difficiles à débusquer.
Maintenant qu’un voile s’est publiquement levé sur un bout de sabot du fondateur, et quoique la pudique révélation (par le dernier Chapitre de la Fraternité) ait provoqué de fortes réactions de dénis, - non seulement sur certains comportements de sa part, mais sur ceux, quelquefois bien graves, de nombreux frères et disciples ; maintenant que les procès en Assises s’additionnent, alors que quantité de victimes n’osent encore ouvrir la bouche, du moins en public, et se demandent comment simplement se reconstruire, ignorantes quelquefois de l’universalité des méfaits dans cette communauté, il nous a paru qu’il était temps - que les oreilles pouvaient être prêtes - de lever un peu plus le voile, de rendre compte un peu plus du phénomène (quiconque s’intéresse à la presse des dernières années peut s’en faire une idée). Car il ne s’agit pas d’un cas d’étude pour salons, mais d’une réalité qui fait des dégâts encore et toujours, qui n’a pas même payé son passé, fait justice aux victimes, mais qui compte sur la mansuétude d’une absence de justice et d’une miséricorde ignare, pour se contenter auprès des personnes blessées, détruites quelquefois, d’un vague « pardonnons-nous mes frères » (il y a forcément partage).
Il nous semble que la miséricorde n’exclut pas la justice, mais la suppose, que l’esprit de vérité n’est pas seulement dans une profession de foi mais dans une démonstration d’attitude, qu’un homme juste est aussi un homme de justice et de justesse. Or la justice ici, à supposer qu’il y ait quelque aveu, ne semble pas très ajustée. Mais la justice civile se chargera dans les mois et années qui viennent de rétablir la balance. Pour les pauvres gens, il n’y a qu’une voie : celle de respecter ce que professent les abuseurs. Ainsi, ils sauveraient au moins leur âme, à défaut du reste, en mal état, à supposer que leur départ de communauté ne fût pas tout de même de leur faute.
Pour nous, nous portons ce scandale dans nos chairs, pour certains, et ne souhaitons pas le porter dans nos consciences, alors même que tant se sont confiés à nous.
Aymeri Suarez-Pazos, président de l’Avref.