Le jour où je suis sorti de la Légion : témoignage

Mercredi 3 février 2010 — Dernier ajout dimanche 24 novembre 2019

Ce jour là, bien que préparé à l’événement par des mois de crise spirituelle, tout va très vite. Un saut discret au centre ville une après-midi pour quelques courses vestimentaires avec l’un d’entre eux. Puis tout se passe dans la discrétion la plus totale, pour que, comme la tradition l’a établi dans ces cas là à la Légion, mon petit drame personnel ne vienne pas perturber la fidélité des autres.

Pour le moment, je prends garde de ne pas être vu ‘en civil’ et je descends furtivement les escaliers de service, direction l’aéroport. Mes deux supérieurs m’attendent au garage. Après un passage furtif au Macdonald histoire de décrisper l’atmosphère, c’est le départ, une nouvelle vie commence.

Le moment viendra bien où mes frères de communauté s’en rendront compte et je sais déjà que les formules toutes faites colmateront la brèche : « ¡se fue ! » (il est parti !) ou « ¡ya no esta ! ») « il n’est plus là ! » ou encore (« ¡no era su camino ! ») « ce n’était pas son chemin ! ». Ces phrases pratiques permettront de ne pas aller plus loin sur la question si des interrogations surgissent à mon sujet.

Pourquoi suis-je resté fidèle aux consignes de silence après être sorti ?

Comme le prescrivent les normes légionnaires, j’éviterai bien sûr toute correspondance avec mes anciens camarades légionnaires (de qui je n’ai pas de nouvelles bien entendu). Les relations sont ainsi coupées, sauf avec mes supérieurs. Des courriers me parviennent avec des recommandations et des explications sur mon avenir à destination de mes parents…

Il est intéressant de noter combien, dans mon cas comme pour la plus part des ex-légionnaires, j’ai respecté les consignes de silence, de discrétion et de non-critique vis-à-vis de la Légion pendant des années après ma sortie. Par exemple, je n’osais pas parler du vœux de ne pas critiquer, aujourd’hui supprimé par le Vatican.

Par ailleurs, les familles et l’entourage n’étaient alors pas du tout prêts à entendre une critique de l’institution.

Pourquoi ai-je eu du mal à prendre du recul ?

Et bien parce que tout est fait pour consolider la Légion. Il me faudra des années pour oser rompre le discours tout fait, ces phrases qui hantent toujours un peu mon cerveau :

  • « Mon expérience à la Légion a été très enrichissante ».
  • « La formation à la Légion est complète ».
  • « Que serai-je devenu si je n’étais pas rentré ?
  • « Comment ne pas remercier Dieu de m’avoir donné cette expérience » ?

Un ancien légionnaire est un homme heureux.

Il faut aussi noter que les premiers mois après ma sortie se sont bien passés. Heureux de sortir, de découvrir le monde, souriant, content de cette fabuleuse expérience… aucun problème à l’horizon. Mentalement on veut donner une continuité à cette expérience de séminariste légionnaire : conquérir le monde pour le Christ, influencer la société, trouver le plan de Dieu pour sa vie et la vie des autres…. Dès lors, travailler dans un métier « simple » peut apparaître comme un véritable échec, en opposition avec les plans mirobolants et des voyages toujours à la portée de la vie légionnaire.

La volonté de Dieu, martèlement intérieur.

Quelle est la volonté de Dieu pour moi ? Que dois-je faire ?… Alors qu’au séminaire, un suivi personnalisé m’assurait une sorte de sécurité, de clarté pour chaque seconde à vivre (je n’exagère pas)… Je me retrouve seul face à moi-même, mes choix d’homme… Il faudra là aussi des années pour prendre conscience des difficultés qu’occasionne cette sortie pour moi sur le plan psychologique, spirituel, humain tout simplement. La difficulté réside sans doute dans l’exercice de sa liberté, dans la perte d’identité, plus qu’à la sortie d’un autre séminaire, bien plus, merci de le croire.

La dite gratitude pour la Légion que je vois dans certains témoignages me fait froid dans le dos. C’est la même gratitude que le père Alvaro ne cesse de répéter à propos du fondateur. Elle empêche de parler des problèmes et de trouver des solutions, de guérir les blessures.

Pourquoi ai-je eu du mal à sortir ?

J’avais déjà essayé à deux reprises de sortir, sans réunir d’arguments assez convaincants aux yeux de mes supérieurs, ou plutôt assez de forces pour imposer ce qui m’apparaissait de plus en plus évident au fil du temps à propos de cette « vocation ».

Il est important de souligner que le discernement est difficile à faire à la Légion, à cause de la soi-disante « vocation légionnaire » : vocation de co-fondateur, vocation à la fidélité et au salut des âmes. Si je ne donne pas ma vie…. Pendant des années, les éventuelles raisons d’une sortie sont balayées, ridiculisées au cours de retraites, de conférences… Cela produit inévitablement une difficulté majeure pour en parler en direction spirituelle, surtout lorsqu’on est jeune et que l’on vient du petit séminaire.

Sans vouloir rentrer dans des détails trop personnels, je dirais que la première fois, j’ai explosé en sanglot dans le parloir en présence de mes supérieurs et de mes parents. Dans le deuxième cas, quand j’ai osé en parler, mon supérieur m’a dit : « je sors mes gants de boxe… » … et je n’ai pas été très loin. Il a fallu que l’eau coule sous les ponts pour qu’enfin, des années après, un légionnaire un peu plus ouvert comprenne ma situation.

Seuls les légionnaires ayant un caractère fort, de la trempe, arrivent à discerner et à faire discerner ceux dont ils ont la charge spirituelle. A mon avis, peu sont les supérieurs à avoir un vrai sens du discernement, surtout au noviciat malheureusement. J’espère que ce témoignage bien incomplet éclairera les familles qui recueillent leurs enfants après des années de vie légionnaire.

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