Chaque semaine, ils organisaient une petite réunion pour rappeler les principes à respecter par tous les lapins. Jeannette trouvait cela bien gentil car elle souhaitait par-dessus tout connaître ce fameux jardin et son Propriétaire.
Au bout de quelques années, certaines coutumes commencèrent à lui paraître bizarres : notamment, l’obligation de ne manger que des carottes…cuites.
« A quoi servent nos dents, demanda-t-elle, si ce n’est à ronger et grignoter des crudités ? »
« C’est pour mieux éviter les ruses du renard », lui répondit-on. « Celui-ci cherche à dévorer les lapins qui n’en font qu’à leur tête. En consommant exclusivement nos propres carottes bien cuites, les lapins n’ont plus aucun souci à se faire. »
Une autre de leurs recommandations consistait à fixer le soleil deux heures par jour, quoi qu’il arrive. Parfois, les lapereaux gémissaient de faim ou voulaient attirer l’attention de leurs parents sur leurs jeux mais ces derniers étaient trop occupés à faire les exercices dictés par les jardiniers.
Jeannot remplissait fidèlement les obligations auxquelles chaque lapin du potager s’était engagé. Quand il restait un peu de temps avant de s’écrouler dans son terrier pour dormir, il cherchait un trèfle à quatre feuilles pour l’offrir à Jeannette, pensant qu’elle apprécierait.
J’oublie d’expliquer que chaque lapin avait un jardinier attitré à qui il se faisait un devoir de raconter régulièrement ses peines et ses joies en retour de quoi, il recevait une nouvelle ration de carottes cuites, de quoi tenir deux semaines.
Un sujet sur lequel les jardiniers ne plaisantaient jamais était la propreté. C’est bien simple, il s’agissait de se laver avant même de s’être sali ! Il fallait se rendre chez un jardinier homologué pour vérifier que le pelage brillait de partout. Cette coutume en rendait quelques-uns bien scrupuleux.
En discutant avec d’autres lapines habitant à l’extérieur du grand potager, Jeannette s’aperçut qu’il existait d’autres manières d’aller vers le jardin d’Eden correspondant mieux à sa nature d’herbivore.
Elle en parla à Jeannot mais celui-ci n’en démordait pas : les jardiniers avaient une vision plus haute de la situation qu’eux, pauvres quadrupèdes ! « Justement, lui répondit-elle, ils raisonnent comme si nous étions de la même race, voilà l’erreur ! Et puis, à force de négliger notre dentition, nous finirons par la perdre ! »
Ces réflexions plongeaient Jeannot dans la stupeur. Il partait à la recherche d’un nouveau trèfle à quatre feuilles pour calmer sa lapine et la convaincre de sa bonne volonté.
Il finit par s’ouvrir de ses difficultés à comprendre sa lapine lors d’un entretien avec son jardinier. Mais celui-ci se débina car il n’était pas concerné par la gestion des relations sociales entre lapins qui vivaient dans le même terrier.
A tout hasard, il conseilla de lui offrir un mini râteau ou une mini bêche.
Ce fût à ces paroles que les yeux du cœur de Jeannot s’ouvrirent tout grand : « Ce jardinier a réussi à me faire prendre des vessies pour des lanternes et à me faire chercher midi à quatorze heures » Il rentra en courant et dit à sa Jeannette : « Je te promets que dorénavant, nous croquerons les carottes crues que nous aurons glanées, nous inventerons nos propres galipettes et nous vivrons une belle complicité ! »
« Merci, merci, comme je suis heureuse ! » répondit-elle.
Dès le lendemain, ils firent leurs bagages ensemble et partirent à la recherche d’un terrier accueillant, sans jardiniers organisateurs.