Par Nicole Winfield
Au cours du mois dernier, la Légion du Christ a essuyé quelques revers dans ses efforts de réhabilitation, alors que s’achèvent les trois années de mises à l’épreuve destinées à assainir la congrégation défaillante, qui culmineront le mois prochain avec l’élection d’un nouveau Directeur Général. Pourtant, alors que la Légion s’apprête à présenter au monde un nouveau visage, certains membres importants continuent de parler avec nostalgie, et même avec révérence du père Maciel – un prédateur sexuel qui a abusé de ses séminaristes, qui a engendré trois enfants et qui était, d’après les conclusions des enquêteurs nommés par le Vatican « sans scrupule et dépourvu d’authentique sentiment religieux ».
Tout cela signifie que les espoirs d’une réforme radicale de la Légion par les autorités vaticane s’évanouissent, et cela pose la question de ce que le pape François fera avec cette congrégation puissante et riche, lorsque le mandat du commissaire pontifical sera achevé.
Le prédécesseur du pape François, Benoît XVI avait repris en main la Légion en 2010 en nommant un cardinal du Vatican pour la gouverner, après que les enquêteurs aient jugé que la congrégation avait besoin d’être « purifiée » de l’influence du père Maciel. En fait, le Vatican était au courant des crimes de Maciel depuis des dizaines d’années mais avait toujours fermé les yeux, impressionné par son talent certain à apporter des millions de dollars et des milliers de séminaristes à l’Eglise.
Cet échec des autorités romaines est le cas le plus flagrant de son indifférence à l’égard des victimes d’abus sexuels commis par des prêtres. Cela a également terni l’héritage du pape Jean-Paul II, bientôt canonisé, car celui-ci a voulu faire de la Légion un exemple à suivre.
Pour être exact, il y a eu quelques évolutions au cours des trois dernières années passées sous la tutelle du Vatican : la congrégation a ré-écrit ses constitutions ; elle a publié des statistiques sur les cas d’abus sexuels en son sein ; Et un prêtre très respecté de l’ordre a demandé récemment pardon aux victimes du père Maciel, de les avoir ignoré et calomnié. Mais si la tenue d’élection dans la branche laïque semble être un pas important, les membres ont en fait voté pour le statu quo.
Cet état d’esprit a conduit plusieurs dizaines de prêtres désabusés, et des centaines de séminaristes et de membres consacrés, à quitter la congrégation : Samedi, la Légion ordonnera 31 nouveau prêtres, soit la moitié de ce qu’elle ordonnait il y a trois ans.
Le mois dernier, l’un des conseillers responsables du processus de réforme, le père Deomar de Guedes, a annoncé qu’il ne quittait pas seulement sa charge, mais qu’il quittait carrément la congrégation. Un énorme coup de poing qui arrive quelques semaines seulement avant le début de l’assemblée chargée d’approuver les nouvelles constitutions et d’élire un nouveau supérieur.
Dans sa lettre d’adieu, De Guedes a expliqué qu’il n’avait plus la force de continuer. Mais le porte-parole officiel de la Légion, le père Benjamin Clariond a reconnu que De Guedes faisait souvent partie de la « minorité » exigeant des réformes profondes et rapides, et que cette situation a été une source de « tensions ».
« Nous reconnaissons que le processus de réforme a avancé lentement jusqu’à maintenant » a reconnu Clariond dans un courriel. « C’est parce que nous voulons justement faire des transformations profondes, et non une simple opération de maquillage. Cela suppose de toucher aux véritables causes sous-jacentes du problème… Et comme on peut le comprendre, cela prend du temps ».
Mais étant donné que le mandat du délégué pontifical, le cardinal Velasio De Paolis, s’achèvera à la fin de l’assemblée, certaines questions cruciales se posent aujourd’hui… et qui s’annonce comme un test majeur pour le pape François : est-ce que la Légion du Christ a vraiment renoncé aux pratiques sectaires que les évêques français ont récemment dénoncé dans une lettre aux victimes d’abus spirituels ? Est-ce que le pape François approuvera les nouvelles constitutions et donnera à la Légion un certificat médical de bonne santé ? Ou bien prendra-t-il quelques mesures pour continuer à surveiller la congrégation après le départ du cardinal De Paolis ?
Le pape François a déjà affirmé que l’assemblée de la Légion, ou « Chapitre Général », n’était pas la fin du processus de réforme, mais une simple « étape ».
Cependant, on peut s’interroger sur la viabilité du processus lui-même, lorsqu’on apprend que certains responsables de la Légion continuent à parler avec émotion du père Maciel.
Dans une interview avec le journal hispanophone en ligne Vida Nueva, le père Sylvester Heereman a affirmé qu’en dépit de toutes les mauvaises choses que Maciel a pu faire, « celui-ci continue d’être une personne à qui je dois beaucoup, dont je me souviens avec un mélange de gratitude et de compassion, même si je comprends et respecte ceux qui ont souffert à cause de lui et ne peuvent pas partager ces sentiments. »
Récemment, un membre âgé de la branche laïque de la Légion, Alejandro Pinelo Leon, s’est rendu en pèlerinage à la tombe de Maciel, à Cotija, au Mexique : « Notre fondateur nous a enseigné de nombreuses choses, et devant sa tombe, j’ai été ému. Je l’ai remercié pour tout ce qu’il m’a appris sur Dieu, » a-t-il écrit sur sa page Facebook.
Le père Thomas Berg, un prêtre américain qui a quitté la Légion en 2009, explique qu’une telle nostalgie montre qu’une partie importante des dirigeants de la Légion est encore incapable de se séparer de l’influence toxique du père Maciel.
« La résurgence continuelle, en privé comme en public, de l’idée selon laquelle Maciel aurait été un « instrument imparfait certes, mais un instrument de Dieu malgré tout », est la preuve dans les faits que le processus de réforme n’est pas allé suffisamment en profondeur » a-t-il ajouté.
Un autre signe vient de la liste de ceux qui éliront le prochain supérieur : cette liste comprend 19 supérieurs et 42 prêtres élus par des membres de la Légion pour les représenter. Or, parmi les supérieurs actuels, on retrouve de nombreux proches du père Maciel et de son successeur. Les électeurs choisis par les membres de la congrégation pour les représenter incluent des protégés et des proches du père Maciel. L’un d’entre eux a été invité à s’expliquer au sujet d’une correspondance étrange avec une femme qu’il accompagnait en direction spirituelle.
« Avec autant de membres provenant de la vieille garde, tant d’hommes que Maciel lui-même a nommé supérieurs, et de plus jeunes prêtres formés sous leur influence et leur contrôle, il n’y a aucun espoir de réformes sérieuses, » explique Glenn Favreau, qui a quitté la Légion en 1997 avant d’être ordonné prêtre et qui a ensuite co-fondé ReGAIN, une réseau en ligne d’anciens légionnaires que la congrégation a attaqué en justice lorsqu’une partie de des Constitutions de l’ordre a été publiée sur un forum publique, sur la toile.
Clariond, le porte-parole de la Légion, a répondu en affirmant que la liste des électeurs était juste et représentative.
« Si vous considérez que pour 42 participants, ce sera leur premier Chapitre Général, nous ne pouvons vraiment pas parler d’une ’vieille garde’ » a-t-il dit. « Nous sommes très confiants dans le fait que toutes les opinions seront représentées, et que le travail de renouvellement va continuer d’aller de l’avant. »
Mais Xavier Léger, un ancien séminariste français qui a quitté la Légion en 2006, prétend que le processus de réforme de la Légion était vicié à la racine, étant donné que le Saint Siège s’est appuyé presque exclusivement sur des membres actuels de la Légion pour réaliser son enquête.
« On est confronté à un phénomène de dérives sectaires, » accuse Léger, « Or, le témoignage de quelqu’un qui est sous l’emprise d’une secte n’est jamais fiable. »
Pour le père Berg, le prêtre américain, il n’y avait aucune chance que la Légion arrive à se ré-inventer dans une période aussi courte.
« Un environnement aussi toxique ne peut pas être assaini en l’espace de trois années, » explique-t-il dans un courriel à l’Associated Press. « Alors que les légionnaires sont convaincus d’être arrivés au terme de leurs réformes, ils témoignent en fait de leur incapacité à traiter avec la réalité. »