Légionnaires du Christ : la farce continue

Jeudi 27 février 2014 — Dernier ajout samedi 1er mars 2014

Alors que les légionnaires célèbrent la fin de leur processus de réforme, du côté des victimes, c’est la consternation : Après nous avoir évincé de toutes les étapes de leur fameux processus de réforme, les légionnaires n’ont même daigné répondre aux questions que nous leur avions adressées. Et ils disent qu’ils ont changé ! Sic. Nous publions ci-dessous la dernière interview donné par l’ancien légionnaire du Christ Xavier Léger au journal Golias.

Golias Hebdo : Les Pères Capitulaires de la Légion du Christ viennent d’émettre un communiqué dans lequel ils demandent pardon pour les fautes de leur fondateur, et le désavouent publiquement. Que pensez-vous de cet acte publique de contrition ?

Xavier Léger : Ceux qui ont côtoyé pendant des années les Légionnaires du Christ savent qu’il est malheureusement très difficile de leur faire confiance. Il ne faut pas être dupes : cette déclaration avec de grandes formules larmoyantes n’est qu’une grosse opération de communication, manière de dire : « regardez, on demande pardon, maintenant, laissez nous tranquilles. » Sauf que ce communiqué n’a strictement rien changé sur le fond : les Légionnaires reconnaissent que leur fondateur était un criminel, mais cela ils l’avaient déjà fait. Ils continuent à reporter toutes les fautes sur lui et à affirmer que, malgré ses turpitudes, il a été mystérieusement l’instrument de Dieu pour fonder la Légion du Christ. En cela non plus, il n’y a rien de nouveau. Regardez la perversité : c’est juste au moment où ils demandent pardon… qu’ils piétinent encore une fois la vérité, et qu’ils bafouent les victimes ! Ces gens ne s’arrêtent jamais, c’est incroyable !

G. H. : Ils n’auraient donc pas accepté toute la vérité sur le Père Maciel ?

X. L. : Disons qu’ils reconnaissent ses fautes de façon générale, sans entrer dans les détails. Début 2012, le cardinal De Paolis, délégué pontifical pour la Légion du Christ, leur a officiellement demandé de mettre un terme aux investigations sur le sujet, en disant : « Ce n’est pas à nous de juger le père Maciel ! Laissons cela dans les mains de Dieu ! ». Il a même eu des paroles menaçantes à l’égard des Légionnaires qui voulaient connaître la vérité. En effet, beaucoup avaient commencé à se renseigner et à comprendre que les dirigeants de la congrégation leur mentaient.

G. H. : Mais pourquoi les Légionnaires refuseraient-ils de faire la vérité ? C’est impensable !

X. L. : L’histoire officielle de la congrégation, qui était enseignée jusqu’à encore très récemment dans la Légion était celle que le père Maciel avait ré-écrite lui-même… une histoire toute à sa propre gloire bien sûr, mais entièrement fausse. Si vous étudiez les archives sur l’histoire de la congrégation, vous découvrez vite que le mensonge, les manipulations et le crime sont omniprésents dès la fondation, et même avant (Ndlr : pour un résumé de la vie du père Maciel, suivez ce lien). Je crois que si vous vous plongez honnêtement dans l’histoire de la congrégation, vous comprenez rapidement que son véritable charisme, depuis les origines, c’est le mensonge, la séduction et la manipulation. A moins d’être un pervers ou un psychopathe, je ne pense pas qu’on puisse continuer dans cette congrégation après avoir découvert et admis la vérité sur ses origines historiques…

G. H. : Comment expliquez-vous que tant de Légionnaires continuent cependant à adhérer à ce mensonge ?

X. L. : L’un des éléments structurels de la formation légionnaire, c’est la déconnexion entre les intentions et l’agir. Dès leur entrée dans les petits séminaires de la congrégation, les Légionnaires suivent un rythme de vie pré-programmé les privant de toute occasion d’exercer leur liberté… En contrepartie, ils vivent dans une atmosphère très idéologisée. Ces deux éléments (manque de liberté et idéologisation agressive) génèrent des esprits immatures, incapables de discerner le bien du mal, et prêts à tout pour protéger leur congrégation, quitte à mentir, à manipuler et à évincer ceux qui penseraient différemment…

G. H. : Les Légionnaires reconnaissent donc uniquement les victimes des abus sexuels perpétrés par le Père Maciel ?

X. L. : C’est difficile de remettre en cause une œuvre à laquelle ses membres se sont donnés corps et âme pendant 10, 20 ou 40 ans ! Pendant des années, toutes leurs pensées étaient entièrement focalisées par un seul impératif : sauver l’Église contre les mauvais vents du communisme et du relativisme. Du jour au lendemain, les Légionnaires ont été obligés de reconnaître que le mal n’était pas là où ils pensaient… A ce moment, avec un peu d’humilité, ils auraient pu se dire : « Il y a quelque chose qu’on n’a pas compris : faisons une véritable enquête, écoutons la voix de ceux qui nous critiquent… remettons-nous en cause, pour ne pas prendre le risque d’inoculer dans l’Église de mauvaises choses. » Hélas, ils n’ont pas eu ce réflexe-là et ont simplement changé leur discours, affirmant que le problème était circonscrit au fondateur, et que tout le mal ne venait que de lui. Autrefois, Maciel était le veau d’or de la Légion, et maintenant, il est devenu son bouc émissaire. De là est apparue cette nouvelle et étrange théologie : mauvais fondateur, bonne communauté. Affirmer qu’un affreux violeur d’enfants ait pu être l’instrument de Dieu pour fonder une communauté religieuse, c’est un discours que je trouve révoltant.

G.H. : Les Légionnaires vous ont donné raison pour Benoît XVI : ils avouent aujourd’hui que c’est grâce à lui que la Légion a été sauvée.

X. L. : Hélas, je crains que si les Pères capitulaires évoquent dans leur dernier communiqué l’intervention de Benoît XVI, ce ne soit pas dans un souci de vérité historique. Déjà en son temps, Maciel se servait de Jean Paul II comme d’un bouclier humain, pour se protéger et justifier tout et n’importe quoi : si vous critiquiez le Père Maciel ou la Légion, c’est que vous étiez « contre Jean Paul II ». La figure de Jean Paul II est d’ailleurs sacrément ternie à cause de cela. Aujourd’hui, les Légionnaires reproduisent le même mécanisme : ils s’accrochent à la figure de Benoît XVI pour se protéger, manière de dire : « Oui, logiquement la Légion aurait dû être dissoute, mais c’est Benoît XVI qui a voulu la sauver : donc, si vous n’êtes pas content, prenez-vous en à lui. » Sauf que, bien sûr, le problème est bien plus compliqué : Certes Benoît XVI a commis des erreurs, mais, comme je l’ai souvent dit, il a surtout été induit en erreur. C’est pourquoi, dans la réponse que nous - victimes - avons adressé aux pères capitulaires, nous les avons mis devant leurs responsabilités : les Légionnaires ont tellement menti, manipulé et mis de la poudre aux yeux des autorités romaines, qu’une grande majorité de la hiérarchie s’est laissée séduire. Il est là le vrai problème.

G. H. : A votre avis, qu’aurait dû faire le pape Benoît XVI ?

X. L. : Dans l’Évangile de Matthieu, Jésus- Christ donne un conseil avisé à ses disciples. Je crois qu’il fallait l’appliquer, tout simplement, et sans faire de sentiment : « Tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu. » Mt 7,19. En espérant « sauver la Légion », le Vatican s’est toujours illusionné. Si l’Église avait décidé de dissoudre la congrégation, elle aurait donné un message extraordinaire au monde entier.

Ensuite, je crois que le pape aurait dû demander pardon à toutes les victimes, à genoux, pour les fautes commises par l’institution ecclésiale et par ses prédécesseurs, en précisant : « Nous nous sommes trompés, et à cause de notre manque de vigilance, des milliers de vies ont été profondément affectées, et éloignées de Dieu… Pardonnez-nous ! » Cela aurait été une consolation immense pour toutes les victimes de la Légion du Christ.

G. H. : Et ensuite, que faire avec eux ? Les intégrer dans des diocèses ?

X. L. : Parmi ceux qui pronostiquaient une dissolution de la congrégation, certains proposaient d’envoyer les prêtres et les religieux dans des diocèses ou d’autres communautés religieuses. Je comprends cette idée, mais je ne suis pas sûr que ce soit la bonne solution, car c’est encore vouloir « sauver des vocations », plutôt que de s’intéresser au bien réel des personnes. En ce qui me concerne, je crois que les Légionnaires doivent être considérés comme des victimes, des personnes qui étaient sous l’emprise d’un système coercitif et totalitaire, et dont les fondements spirituels et psychologiques sont complètement déformés. C’est pourquoi je ne suis pas sûr que les Légionnaires du Christ soient aptes à être ré-introduits dans d’autres communautés ou dans des diocèses. Et puis, si vous envoyiez tous les Légionnaires du Christ dans des diocèses… je ne vous raconte pas les dégâts que cela provoquerait !

G. H. : L’ONU vient de rendre un rapport accusant le Vatican d’avoir étouffé de nombreuses affaires de pédophilie. Mais le Vatican se défend, en disant que ce rapport était mal intentionné… Qu’en pensez-vous ?

X. L. : L’affaire Maciel a été l’un des éléments centraux du rapport, parce qu’il représente le paradigme de l’attitude de déni, de mensonge et d’irresponsabilité avec laquelle le Saint-Siège a traité pendant des années nombre d’affaires de pédophilie. La grande faute du Vatican, dans l’affaire Maciel, c’est sa naïveté, qui dépasse à peu près tout ce qu’on peut imaginer. Golias s’apprête à publier un livre [1] qui montre parfaitement que Maciel a mené en bateau les autorités de l’Église pendant des décennies… Le Vatican avait beau recevoir quantité de lettres de dénonciation, ces plaintes étaient classées sans suite, car on jugeait qu’elles n’étaient pas crédibles. Songez que les autorités vaticanes transmettaient même les lettres d’accusation au père Maciel ! A la fin des années 1950, le Vatican a fait une enquête approfondie qui avait conclu sur la culpabilité du fondateur… mais malgré cela, les autorités vaticanes ont tergiversé, puis ont fini par réhabiliter le Père Maciel en lui présentant même des excuses ! Un tel aveuglement est criminel, et on aurait pu espérer qu’avec la crise des Légionnaires le Vatican fasse une enquête pour apprendre de ses erreurs… Mais c’est l’inverse qui s’est produit, aussi incroyable que cela puisse paraître.

Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir dire que les choses ont changé, mais je n’en suis pas sûr. La Légion a fait des opérations de nettoyage interne, sur lesquelles elle a beaucoup communiqué. Mais le problème, c’est que ces opérations adviennent à chaque fois que des groupes de pression menacent de révéler des scandales à la presse… Je crains que la Légion retombe bien vite dans ses vieux démons : la paranoïa, la culture du secret, la manipulation. Et puis, c’est tellement plus simple d’étouffer une affaire de pédophilie en suppliant les familles de ne pas porter plainte… plutôt que de devoir dénoncer soi-même un religieux aux autorités laïques.

G. H. : Que pensez-vous de la nomination du père Eduardo Robles Gil comme nouveau directeur général de la congrégation ?

X. L. : Nous savons que le père Robles Gil a été désigné parce qu’il faisait partie des quelques prêtres de tendance macieliste qui n’avaient pas encore de casseroles. Or, une élection par élimination n’est jamais un bon présage. Je ne connais pas ce prêtre, mais je dois dire que d’après nos informations ma première impression - celle que ma donné le climat autour de son élection - m’a immédiatement rappelé l’ère Maciel. Quand j’ai vu les premières vidéos postées sur la toile, avec toute cette mise en scène grandiose, la haie d’honneur des Légionnaires, les regards pleins d’admiration… j’ai compris, hélas, que la Légion venait de se choisir un nouveau gourou à idolâtrer.

Notez bien que je ne pense pas que le Père Robles Gil soit une mauvaise personne, et c’est peut-être ce qui est le plus ennuyeux, pour ainsi dire. Dans une communauté sectaire, l’aspect pathogène du groupe est souvent proportionnel à la générosité de ses membres. Et c’est ce qui rend ces communautés d’autant plus dangereuses : les membres, par leur gentillesse et leur dévouement, occultent et cautionnent à leurs dépens les aspects dysfonctionnels et immoraux de la structure. Est-ce que cet homme saura faire ce que tous ses prédécesseurs et ce que les pères capitulaires n’ont pas su faire ? J’en doute. Ce sera avant tout un bon Légionnaire, obéissant aux consignes qu’on lui aura donné.

G. H. : Pensez-vous que le pape François puisse encore faire quelque chose ?

X. L. : Je me souviens que le jour de son élection, la Légion a envoyé toutes ses troupes sur la place Saint-Pierre. On pouvait voir la marée noire des Légionnaires grâce aux télévisions qui couvraient l’évènement. Il s’agissait pour eux de gagner la protection du nouveau pape au plus vite, dès le jour de son élection ! Mais cela a été une douche froide pour eux : les Jésuites étaient les ennemis jurés du Père Maciel et des Légionnaires.

Certains membres du Regnum Christi n’ont pas pu s’empêcher d’envoyer quelques vacheries à son égard… Et moi, cela m’a redonné un peu d’espoir. hélas, à part de beaux discours, jusqu’à présent, le pape François n’a rien fait : il a béni le processus de réformes et l’élection de l’équipe dirigeante… et il a même nommé un Légionnaire à un poste important de la secrétairerie d’État. Cela m’amène à penser qu’il n’est pas vraiment bien informé sur ce qui se passe à l’intérieur, et que la Légion du Christ a encore beaucoup d’amis et de soutiens au sein du Vatican. Bref, je n’ai plus grand espoir.

G. H. : Quelles sont les conséquences pour l’Église et pour la Légion du Christ ?

X. L. : Immédiatement, je dirais que la première conséquence, c’est l’affliction de tous ceux qui se sont battus pendant des années pour faire advenir la justice et la vérité dans cette affaire. Nous avons le sentiment d’avoir été bafoués par l’Église elle-même, et cela, c’est extrêmement douloureux. Pour les victimes de la Légion, qui espéraient que la Légion fasse d’elle-même une démarche pour leur rendre justice, c’est aussi une grande déception : je pense notamment à ceux que la Légion a abandonnés à moitié mort au long de son chemin, et qui vivent aujourd’hui dans la misère et la précarité. Beaucoup suivaient avec attention l’affaire de la Légion, car elle était un peu le « paradigme » des affaires de dérives sectaires : une action du Vatican aurait été un signe positif pour d’autres affaires. Je pense notamment à la communauté Saint-Jean, aux Béatitudes et à Point-Cœur. Là aussi, c’est la consternation. Ensuite, je pense qu’en passant l’éponge sur la Légion, l’Église envoie un message terrible au monde entier : à savoir qu’elle cautionne des systèmes sectaires en son sein, pourvu que ces derniers soient de bons recruteurs et de bons collecteurs de fonds. C’est consternant.

G. H. : Quel avenir pour la Légion ?

X. L. : La Légion du Christ est un système où tout se tient. Si vous supprimez un élément - en particulier le recrutement intensif, les collectes de fonds et l’environnement coercitif -, l’édifice s’effondre sur lui-même. C’est pourquoi je pense que la Légion va reprendre petit à petit ses vieilles habitudes. En 1959, le Vatican avait blanchi Maciel. En 2014, sous le pontificat du pape François, il a blanchi définitivement la Légion. Le problème, c’est que quand on ne prend pas ses antibiotiques jusqu’au bout, on renforce les bactéries au lieu de les éradiquer. Le risque, c’est que la Légion sorte fortifiée de ce Chapitre, et qu’elle continue à se développer, insinuant dans le reste de l’Église son catholicisme de façade et ses modes de fonctionnement tordus. C’est très inquiétant.

[1Marcial Maciel, la Légion du Christ… et ces salauds de victimes ! Afin de permettre à chacun de se faire une idée juste de la façon avec laquelle le Vatican a géré pendant plus de 70 ans l’épineuse affaire du père Maciel et de la Légion du Christ, Golias a fait une longue investigation. Fruit de cette enquête : un livre unique, qui présente le témoignage poignant de l’une des victimes d’abus sexuels du père Maciel, Francisco Gonzalez Parga, ainsi qu’une sélection de documents clés issus des archives secrètes du Vatican. Un livre qui prouve que l’Église, hypnotisée par les « fruits » apparents de la congrégation, a protégé et encouragé aveuglément son fondateur, allant jusqu’à le faire sortir de prison !

Vos réactions

  • Marco 1er mars 2014 09:07

    Seigneur, à l’aide ! Tes serviteurs sont devenus fous !

  • Thérèse 1er mars 2014 09:06

    Chaque fois que je viens sur votre site, j’ai la nausée. J’aimerais pouvoir vous accuser de calomnies et de mensonges, mais les faits vous donnent raison… Même si mon attachement à l’Eglise en prend un coup, je préfère la vérité, aussi douloureuse soit-elle. Merci pour ce que vous faites. En servant la vérité, vous servez la véritable Eglise du Christ.

    Thérèse

  • Olivier 27 février 2014 17:24

    Mon Dieu, j’ai mal à mon Eglise…

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