Peu après avoir passé le portique de sécurité, au détour d’une venelle, une quinquagénaire apparaît. S’apprêtant à gravir les marches du palais de Justice de Paris sur lesquelles s’attardent des fumeurs bavards, son regard croise soudain la Sainte Chapelle de l’Île de la Cité mitoyenne de l’institution judiciaire. Elle se signe, puis file en direction de la XVIlème chambre correctionnelle pour y pénétrer. À l’entrée de la salle d’audience, devant des garde-fous métalliques installés par les gendarmes, les pieds de caméras des télévisions espagnoles et françaises ont poussé comme du chiendent. Sur toutes les lèvres glisse le nom de la seule prélature personnelle de l’Église catholique, fondée en 1928 par le franquiste Josemaria Escrivà de Balaguer, avec laquelle les trois prévenus qui s’apprêtent à comparaître ont un lien étroit : l’Opus Dei. La frêle plaignante vêtue d’un long manteau gris, Catherine Tissier, en est une ancienne membre.
Dix années après le dépôt de sa plainte…
Plus de dix années après le dépôt de sa plainte, la sonnerie du tribunal retentit. Une porte de bois s’ouvre sous un immense buste de Marianne. Par terre se trouvent les 30 tomes de dossiers de l’instruction. Des silhouettes noires s’avancent, puis tout le monde se lève bruyamment pour le rituel juridique, peu avant de communier dans l’altérité. Entrée à l’âge de 14 ans, en 1985, dans l’école hôtelière Dosnon dépendante de l’Opus Dei, Catherine Tissier avait prononcé deux ans plus tard des voeux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, enrôlée dans une organisation que ses membres nomment « l’œuvre », parce qu’ils la croient « inspirée de Dieu ». À l’époque mineure, l’engagement de Catherine a l’ordre se fait à l’insu de ses parents.
L’Opus Dei n’est pas frontalement poursuivie en tant que personne morale, mais au banc des prévenus se trouve Francis Baer, représentant de l’une des associations paravents de « l’œuvre » : l’Association de culture universitaire et technique (Acut). Durant les deux jours d’audience, Baer reconnaîtra du bout des lèvres avoir habité au 5, rue Dufrenoy à Paris (16e) : le siège parisien de l’Opus Dei. Sont également poursuivies Claire Bardon de Segonzac, directrice de l’école d’hôtellerie de Dosnon (Aisne), et Agnès Duhail, secrétaire au Centre international de rencontres (CIR) du château de Couvrelles, deux établissements qui dépendent de l’Acut. Le château de Couvrelles est l’un des deux centres internationaux de formation de l’Opus Dei avec celui de Saint-Laurent-du-Pont, dans l’Isère. L’Opus Dei l’a ouvert en 1963 et, trois ans plus tard, feu Mgr Josemaria Escriva de Balaguer y Albas est même venu y passer deux journées. Officiellement, selon l’Acut, le château sert de « résidence d’application » à l’école hôtelière afin que les élèves puissent y mener des travaux pratiques. Le château opusien comptant 29 chambres, pour 45 lits. Selon ses détracteurs témoignant contre l’Opus Dei à la barre, l’Acut exploite en réalité les élèves comme une main d’œuvre gratuite. Concernant la partie civile, les prévenus sont accusés d’avoir exploité leur ancienne élève, embrigadée à l’âge de 16 ans dans l’Opus Dei.
À la barre, la plaignante Catherine Tissier sera rapidement rudoyée par des questions offensives de la juge, Marie-Christine Plantin. La magistrate faisant état des avis médicaux contradictoires sur son état de santé, réalisés par des médecins. Une assertion logique, puisque Catherine Tissier fut jadis contrainte de consulter des médecins… choisis par des cadres de l’Opus Dei. « Je suis simplement venue dire ce que j’ai vécu » réplique, stoïque, l’ancienne « numéraire auxiliaire ». Son avocat, Rodolphe Bosselut, en résumera le statut lors de sa plaidoirie : « C’est une femme laïque, qui réside dans des conditions austères et travaille toute sa vie, elle n’a pas de contrat de travail, elle ne peut pas sortir du centre sans être accompagnée. Sa raison de vivre : ’Travailler tout le temps pour gagner rien ou pas grand-chose." »
Une femme meurtrie
Face à la juge, la voix de Catherine Tissier est celle d’une femme meurtrie, à l’intonation basse. Mais malgré le récit des souffrances endurées, une franche dignité émane de ses propos. Sans ressentiment ni colère, elle parle avec la témérité d’une suppliciée qui n’a pas baissé la tête. Cela ne semble pas agacer les prévenus, bien au contraire, qui ne ravaleront jamais durant les deux journées d’audiences leur incroyable morgue. Ils l’affichent par une insolente sérénité, et même, parfois, par des sourires à l’encontre des récits les plus scabreux relatés par les anciens membres de l’Opus Dei. Le comportement de la juge, posant sans scrupule des questions brutales à Catherine Tissier, interpellera tous les journalistes qui couvriront l’audience depuis leur box, à l’exception de la journaliste de La Croix qui affirme « comprendre sa logique » puisque selon elle « les deux discours doivent être entendus parce qu’ils sont complémentaires. ». Il n’y a rien de plus faux. Durant les deux jours d’audiences, deux univers totalement antagonistes seront tour à tour décrits par les témoins émargeant encore à l’Opus Dei, face à ceux l’ayant quitté. Le premier, via les témoignages opusiens, est celui d’une école hôtelière Dosnon idyllique où l’Opus Dei est renvoyée à un simple rôle d’aumônerie et dans laquelle on affirme, grâce à un nombre pléthorique de témoignages de professeurs et de cadres de l’école, que les travaux pratiques des élèves ne sont aucunement du travail dissimulé et que les numéraires auxiliaires sont des femmes pieuses, dévouées et généreuses quand il s’agit de besogner. Le second monde, relaté par les témoignages éminemment singuliers d’anciens membres, décrivent un quotidien pestilentiel totalement clos, fonctionnant selon une matrice sectaire où la servitude et l’ignominie sont courantes. En somme, à partir d’un tel clivage généré par des témoignages frontalement opposés, diluer les récits d’anciens membres dans les explications techniques des membres de l’Opus Dei relève en réalité d’une honteuse complicité avec la « Sainte Mafia », qui ne ménage d’ailleurs pas ses efforts pour communiquer à l’aide de contre-feux (voir encadré).
« Nous sommes saisis sur un chef de travail dissimulé et non sur autre chose » assènera sans scrupule, et à plusieurs reprise, la juge Marie-Christine Plantin, à l’égard de Catherine Tissier. La juge n’aura de cesse de vouloir évacuer les arguments de son avocat, Me Rodolphe Bosselut, ce dernier expliquant que le travail dissimulé de Catherine Tissier ne peut pas être véritablement compris si l’on ne tient pas compte de son ancien statut de numéraire auxiliaire, véritable pierre angulaire du fonctionnement sectaire. La partie civile tentera de mettre en avant la manipulation mentale propre aux sectes, décrite comme le fonctionnement naturel de l’Opus Dei. « On nous nomme dès notre arrivée une directrice de conscience, » raconte Catherine Tissier. Elle nous pose des questions sur notre famille, elle sonde notre vie privée, elle nous met en confiance, ajoute-t-elle. Qu’importe ! La juge semble rester étrangement sourde et recontextualise sans cesse les échanges par des questions orientées afin d’aborder le seul « travail ».
Du plan de vie aux mortifications
Pourtant, suite aux manipulation mentales, Catherine Tissier sera effectivement aspirée par ce qu’elle décrit, par des « chaînes invisibles ». Les premières spirales de la pratique religieuse se composent de simples messes ou confessions dont la fréquence augmente peu à peu… jusqu’à l’adhésion à l’Opus Dei. Au bout de trois années, une fois membre, Catherine Tissier adopte un invraisemblable rythme de croisière. Son existence se conforme alors au « plan de vie » mortifère de l’Opus Dei, débutant chaque jour par un lever à 6 heures où il faut embrasser le sol en disant « serviam » (je servirai). S’ensuit de très nombreuses prières et un travail manuel harassant, de 6 heures à 22 heures, au service de l’organisation. Il s’agit pour elle et les autres numéraires auxiliaires d’une folle quantité de diverses tâches d’entretien des locaux, ou du linge des supérieurs hiérarchiques, mais aussi du service, des repas et de bien d’autres choses encore. Le tout ponctué de méditations, de chapelets et de lectures tout au long de la journée. Sont aussi incluses au programme… les mortifications. Catherine Tissier affirme aujourd’hui avoir été amenée, par ses directeurs de conscience de l’Opus Dei, à pratiquer l’autoflagellation en employant pour cela des disciplines, les fouets de cordes qu’on lui a appris à fabriquer elle-même. Elle raconte également avoir fait régulièrement usage de cilices de fer, ces « colliers en ferraille, avec des pointes, que l’on met autour de la cuisse, avant de serrer. Et plus l’on serre, mieux c’est ». Six ans après son entrée dans l’Opus Dei, Catherine prendra l’engagement définitif nommé « la fidélité » et signe pour cela un testament antidaté. Elle sortira de l’Opus Dei à l’âge de 29 ans, après de longues années passées à travailler jusqu’à 12 heures par jour. Quand ses parents la récupèrent, elle pèse 39 kilos et n’est plus capable de se laver elle même. Le médecin généraliste découvre alors la folle quantité de neuroleptiques et d’antidépresseurs à laquelle elle était astreinte, prescrite par un médecin également membre de l’Opus Dei, le docteur Dominique Descout pratiquant à Meulan (Yvelines), à 400 kilomètres de l’école. « Il me prescrivait les médicaments, ainsi que leurs génériques. J’ai découvert que j’étais droguée à très forte dose » dit-elle à la barre. « On m’a mise sous médicament dès lors que j’ai commencé à dire que je voulais quitter l’Opus Dei. » La juge n’en démord pas, et reprenant les propos de Francis Baer, le trésorier de l’Acut, elle demande : « Mais comment expliquez-vous être restée la seule à avoir porté plainte ? ». « Je suis la seule à avoir osé porter plainte » lui réplique Catherine Tissier. Quant à son avocat, il ripostera : « Madame la présidente, il ne nous reste plus qu’à classer toutes les affaires dès lors qu’elles ne comptent qu’une seule partie civile ! ».
Lavage de cerveau
« Durant toutes ces années, j’ai subi un véritable lavage de cerveau, affirme Catherine Tissier. Je n’ai plus de souvenirs personnels avant l’âge de mes quatorze ans. En réalité, ma vie a commencé à l’âge de 30 ans. » Une autre ancienne membre de l’Opus Dei viendra par la suite témoigner pour affirmer que, pour les auxiliaires numéraires, les consultations médicales se font, contrairement à la déontologie médicale, toujours en présence d’une tierce personne « afin de contrôler ce que l’on pouvait dire, pour se plaindre ou exprimer une fatigue ». Revenant à son tour sur le « plan de vie », elle décrit une existence « où nous n’étions pas libres.Tout mouvement devait être justifié, contrôlé » et où l’apostolat joue un rôle pivot. « Pour moi, la dimension sectaire est évidente », affirmera, définitive, cette témoin. La juge, imperturbable, l’interroge alors sur la notion d’engagement… et de vocation. La témoin lui réplique par des mots simple, en décrivant son enfer.
Vient ensuite une autre ancienne membre, Anne-Cécile R., qui raconte comment elle fut embrigadée dès son arrivée à l’école dans un voyage en Espagne : « Nous n’avions pas de temps à nous, pas de temps pour penser, lâche-t-elle, très éprouvée. Quand je suis arrivée, j’ai signé un papier pour donner tout ce que j’avais. J’avais un chèque de ma tante, je l’ai donné. Il y avait également un parfum de ma grand-mère, je l’ai donné aussi. » La juge la questionne sur sa non-réactivité. Elle réplique : « c’était comme ça, on ne cherchait plus à comprendre. Le but de l’Opus Dei, c’était de travailler intensément pour se sanctifier. » Les évocations poignantes se succèdent à un rythme effréné, notamment lorsqu’Anne-Cécile, née dans une famille catholique, rapporte : « J’ai eu le droit d’aller à la cérémonie de mariage de ma soeur, mais la fête, je n’y ai pas eu le droit. Et quand mon grand-père est décédé, je n’ai pas non plus pu vivre ces événements importants avec ma famille. » Ses dernières paroles, elle les prononce avec des sanglots dans la voix : « Je culpabilise encore maintenant, je ne me sens pas bien encore aujourd’hui. C’était il y a vingt ans, pourtant j’ai rien fait de mal, mais je culpabilise de m’être fait berner. Ces quelques années sont un poids énorme pour moi et je ne peux même pas le dire à mes enfants. J’ai honte de m’être fait avoir comme ça, de m’être fait pigeonner. Maintenant je travaille, je sais la valeur de l’argent et j’ai découvert le plaisir de gagner de l’argent par son travail. » Anne-Cécile reconnaît ensuite, en tripotant nerveusement sa carte d’identité, que Catherine Tissier a « beaucoup de courage d’être parvenue à parler, moi je n’aurais jamais réussi à faire ce qu’elle a fait ». Anne-Cécile informe ensuite la juge qui l’interpelle au sujet de l’engagement, que c’est un prêtre jésuite, hostile à l’Opus Dei, qui lui a ouvert les yeux, avant que sa famille ne vienne la sauver. « Oui, on était sous l’emprise, oui, on faisait ce que l’on nous disait de faire, on n’était bonne qu’à travailler et l’on ne prenait jamais aucune décision », conclut-elle.
Puis c’est au tour de Paul P., officier de l’armée de l’air de 47 ans, de venir jurer de dire la vérité en levant fermement la main droite comme s’il saluait. Frère d’une victime de l’Opus Dei, il narre son désarroi et celui de ses parents aujourd’hui décédés, restés impuissants face à l’Opus Dei leur ayant volé sa sœur, Nelly. L’avocat de la plaignante pose alors une question pertinente : « Pensez-vous qu’une morale et qu’un cadre strict puisse permettre de s’épanouir ? ». La réponse de l’officier, relevant l’absence totale d’autonomie des victimes de l’Opus Dei et peignant le recours à la manipulation mentale visant l’endoctrinement des numéraires auxiliaires, pulvérise à elle seule l’idée selon laquelle l’engagement au sein de l’Opus Dei sanctifierait ses membres. Par une anecdote, il révèle qu’il a un jour donné un rendez-vous à sa sœur, rendez-vous auquel elle n’a pas été en mesure de se rendre. « La moindre autonomie lui est impossible, affirme-t-il. Ce jour-là, elle m’a dit au téléphone qu’elle n’a même pas été capable de s’acheter un ticket de métro. Elle a 40 ans. » À rebours de l’effroyable récit, la juge questionne « Mais quand on s’engage, on peut toujours mettre fin à l’engagement, non ? ». L’officier riposte : « J’ai évoqué cela avec elle, mais elle n’envisage aucunement une autre vie car elle ne connaît pas autre chose. La dernière fois, elle m’a dit : « Je suis dans ma famille, l’Opus Dei, et je resterai avec eux ». Voilà comment elle envisage son avenir ».
Autre témoin, Bruno D., 34 ans, est lui aussi un ancien membre, mais lui est un ex-directeur de centre de l’Opus Dei qu’il a quittée il y a cinq ans. Il explique d’abord une nouvelle fois aux magistrats ce qu’est une numéraire auxiliaire, puis valide par des arguments les accusations de travail dissimulé qu’il décrit comme courant dans l’organisation : « J’ai moi-même employé des femmes dont je savais pertinemment qu’elles étaient salariées officiellement dans un centre où elles ne travaillaient pas directement. » Plus tard, il poursuit : « Je vivais comme un prince. Je n’ai jamais repassé une chemise moi-même. Quand je venais au Centre International de Rencontre de l’Opus Dei, voisin de l’école Dosnon, je ne faisais jamais rien pour le repas et je ne pouvais pas distinguer les élèves des numéraires auxiliaires. » Face à ces tonitruantes révélations, les nombreux témoins en faveur des prévenus, tous liés à l’Opus Dei, se contenteront de décrire les méandres fonctionnels de l’école Dosnon tels de zélés propagandistes. L’une d’elle, Isabelle Boutin, officiellement professeur de cuisine à l’école, sera particulièrement virulente en affirmant que « les chaînes invisibles de Catherine Tissier, c’est une relecture de ce qu’elle a vécu ». Puis, un autre témoin opusien, affirmant avoir travaillé avec l’abbé Pierre, osera affirmer que « si la justice donne raison à la partie civile, il va falloir fermer toutes les soupes populaires où travaillent bénévolement des jeunes », ses propos servant à justifier le travail non-rémunéré des enfants besognant dans le château de l’Opus Dei. Autre témoin favorable à « l’Œuvre », Aurélia Dejean de La Bâtie, journaliste à Liaisons Sociales, viendra raconter l’organisation des séminaires de l’Opus Dei au château du CIR et affirmera, elle, faire le ménage dans sa chambre et « parfois même changer une ampoule si cela est nécessaire ».
La loi du silence est fissurée
« Vous menez le dossier sur un sentier qui n’est pas du domaine de la saisine » reprochera, inflexible, la juge Marie-Christine Plantin à l’avocat de la partie civile Rodolphe Bosselut durant la première journée d’audience. Le soir, le visage de l’avocat n’était guère réjoui, mais il se rassurait : « Quel que soit le procès, la loi du silence est désormais fissurée, car de jeunes numéraires auxiliaires ont parlé. Elles ont livré une expérience identique à celle de Catherine Tissier », confiait-il devant les grilles du palais, avant de reproduire ses propos le lendemain, durant sa plaidoirie.
En ce vendredi après-midi, il souligne d’abord l’entêtement de la juge à ne pas vouloir constater la réalité sectaire de la prélature personnelle du pape, en voulant à tout prix rester sur le terrain du droit du travail, bien plus favorable aux prévenus : « Pas un mot sur la toile de fond de cette affaire ! dénoncera-t-il, ni Opus, ni Dei ! Pourtant, pour moi, il ne s’agit ni d’une croisade médiatique, ni d’une obsession de ma part. Je ne suis ni militant, ni laicard, je suis avocat et je veux qu’il y ait une prise en compte des souffrances vécues. Nous sommes dans un monde clos, ce n’est pas le monde du travail ! », assènera-t-il. « A l’école Dosnon, il n’y a rien qui soit dissimulé, réagit un instant plus tard Claire Bardon de Segonzac. On a eu la fille d’un commissaire de police, d’un sous-préfet et d’une journaliste du Nouvel Observateur, alors s’il y avait eu du travail dissimulé, ça se serait su ! », tranche-t-elle. Peu avant, la procureure Flavie Le Sueur requérait la condamnation de l’ACUT pour « travail dissimulé » et « rétribution contraire à la dignité » dans les établissements hôteliers de l’Opus Dei, via une amende de 30 000 euros d’amende contre l’ACUT. « Le droit du travail a été totalement ignoré », a-t-elle considéré en ajoutant que le statut de numéraire auxiliaire était « le fondement de ce dossier ». Catherine Tissier, durant toutes ses pénibles années de travail pour l’Opus Dei, n’avait jamais signé de contrat de travail. Elle recevait certes des fiches de paie, mais intégralement prise en charge par le système totalitaire de l’œuvre, et elle n’avait jamais réellement perçue les sommes indiquées sur sa fiche de paie. Enfin, lorsqu’elle était affectée à un autre travail, dans un autre centre, pour lequel le nom de la structure écran de l’Opus Dei changeait, elle ne recevait jamais la moindre lettre de licenciement, ni ne signait le moindre nouveau document.
Il n’est pas inutile de préciser que le journal La Croix, qui annonce fièrement ces temps-ci, à grand coup de tambour, ses nouvelles formules, a décidé de ne pas évoquer dans son journal papier cette audience hors-du commun, alors même que l’une de ses journalistes était pourtant dépêchée sur place. « C’est à cause d’une contrainte technique, je travaille pour les pages France et ce sont les pages religion qui auraient dû suivre le procès. Il n’y aura donc qu’un article pour le site Internet » expliquait durant l’audience notre consœur. Le malheureux imbroglio empêchera les lecteurs du quotidien catholique de lire une seule ligne imprimée sur ces témoignages inédits… Le journal, pour toute information dans ses indifférentes éditions suite aux audiences, se contentera d’une brève.
Jean-Baptiste Malet
ENTRETIEN
Les coups ont été rudes en provenance de l’Opus Dei et Catherine Tissier a été traitée de menteuse. Que ressentez-vous après ces longues heures d’audience ?
Ce qui a été émouvant, c’est de voir que Catherine Tissier a eu le courage de porter plainte, et qu’à sa suite certaines personnes ont osé parler. J’ai été très touchée par le témoignage d’une ancienne numéraire auxiliaire qui avait quitté « l’œuvre » depuis vingt ans et qui n’en avait jamais parlé. Elle a été d’une simplicité et d’un naturel qui, en fin de compte, relate ce que l’on dit toutes. Toutes les anciennes disent la même chose, décrivent exactement le même processus pour être enrôlées, les mêmes emprises mentales et psychologiques qui nous enferment, non pas avec des chaînes matérielles, mais avec des chaînes psychologiques. La deuxième chose qui m’a frappée, mais qui ne m’a pas surprise puisque ce sont les raisons pour lesquelles j’ai quitté l’Opus Dei moi même, c’est le mensonge. Ces mensonges de la part des gens qui témoignaient du côté des prévenus. Ils ont tout fait pour nier le lien entre l’Acut et l’Opus Dei, pour dire que ça n’avait aucun rapport. Quand on nie ce lien, on nie la réalité du statut de numéraire auxiliaire de Catherine Tissier, donc on nie les conditions de travail et l’emprise sectaire que subissait cette jeune femme.
Dans ses écrits, Josemaria Escrivà de Balaguer promeut lui même le mensonge quand il s’agit de défendre l’Opus Dei…
Oui. Pour lui, l’Opus Dei, c’est directement « l’Œuvre de dieu », cela a été fait par Dieu, et donc c’est au dessus de tout, de toutes les lois humaines, de toutes les lois naturelles. Et donc si pour préserver l’Opus Dei, pour préserver leurs avantages, il faut mentir, ce n’est pas du mensonge, puisque c’est obéir à Dieu.
C’est une justification totalitaire ?
Absolument. Pour moi, les personnes qui sont venues témoigner pour raconter des mensonges étaient de « bonne foi », puisqu’on leur a enseigné depuis dix, vingt, trente ans : « Tu ne mens pas, tu présentes la vérité, la vérité est que tu es membre de l’Opus Dei. L’engagement à l’Opus Dei est secret puisque c’est un engagement personnel, donc tu n’as pas à en parler. Tout ce que tu fais, tu le fais en ton nom, et non pas au nom de l’Opus Dei. » Alors qu’en réalité, elles le font parce qu’elle sont membres de l’Opus Dei et que les supérieurs de l’Opus Dei ordonnent qu’elles fassent ça, qu’elle travaillent, qu’elles construisent telle association fictive, qu’elles fassent travailler les numéraires auxiliaires 7 jours sur 7, 12 heures sur 24. Pour elles, cela leur semble naturel. Donc elles disent ce que l’on nous a appris à dire : « Mais non, j’ai bien un salaire, d’ailleurs regardez j’ai les papiers. » Oui, les papiers, on peut toujours les faire ! On peut toujours verser un salaire sur un compte, mais si la réalité est que ce compte, moi numéraire, je n’y ai pas accès parce que je n’ai pas de carte bleue, parce que mon chéquier je l’ai signé en blanc et qu’il est enfermé dans le bureau de la directrice dont je n’ai pas la clef, et dont elle se servira pour payer les formations des autres membres de l’Opus Dei… Oui, j’ai un salaire, oui j’ai un compte, mais c’est fictif ! Le papier est concret, la fiche de paye correspond à un compte, mais en réalité, c’est faux.
Si cette affaire avait éclaté à l’époque où vous étiez membre, pouvez-vous imaginer aujourd’hui que vous seriez vous aussi allé défendre l’Opus Dei ?
Moi j’étais dedans, donc j’aurais pu continuer. Le raisonnement est faux, mais il est très « construit », très « logique », très dialectique. La base est fausse. Mais comme elle est faite au nom de Dieu qui est au-dessus de tout, on s’accommode de la base, surtout qu’elle nous est inculquée en permanence, par tous les moyens, avec des formations en semaine, pendant les vacances, etc. À partir d’une base fausse, la suite du raisonnement est complètement logique, donc on y adhère sans aucun problème. Et puis de toutes façons, comme on ne rencontre pas d’autres gens, que l’on est enfermé dans ce système là, que les autres ont toujours tort, etc. On est incapable de raisonner autrement que selon le seul enseignement, la seule logique dans laquelle on baigne 24h/24h. Les témoins de l’Opus Dei, aussi horrible que ce soit, je pense qu’ils ont menti à la barre « en toute bonne foi ». Ils jurent, en levant la main, de dire toute la vérité, puis ne racontent que des mensonges, mais ils ne voient pas où est le problème. D’ailleurs, ce qui est aberrant, c’est que parmi les témoins, il y en a une qui a juré des tas de choses. Cette femme, Isabelle Boutin, a été ma propre directrice. Je sais moi même qu’elle a dit des choses qui étaient fausses, puisque j’ai vécu sous le même toit qu’elle. Je sais, par expérience, qu’elle mentait. Et parfois y compris sur des mensonges qui n’avaient pas d’intérêt pour l’audience. Ils sont dans une telle logique de conditionnement qu’ils peuvent incroyablement mentir, sans scrupule. C’est très douloureux à entendre.
Quel regard portez-vous désormais sur l’organisation du clergé ?
Peu importe la structure, qu’elle soit chrétienne, catholique ou laïque, rien n’est parfait et ne le sera jamais. Parce que c’est fait d’hommes. On est les premiers à le savoir, on est tous limités. On peut tous se tromper, faire des horreurs, enfin… C’est la vie. L’Opus Dei a peut-être parfois des bonnes intentions dans la spiritualité de fond, etc… Mais elle est constituée d’être humains qui peuvent se tromper et ils sont incapables de dire : « Nous sommes des êtres humains comme les autres, on a pu se tromper, faire du mal à des personnes. » Pour eux, dire « pardon, tu as souffert » c’est impossible, et nous qui en sommes sorti, nous représentons des diables, des âmes en perdition. Ils pensent foncièrement que nous n’avons rien compris, que nous avons manqué de générosité avec le Seigneur, etc. Ils sont incapables de se remettre en question, de demander pardon, de reconnaître qu’ils sont des êtres humains comme les autres. Moi, j’aime l’Église à la folie. Mais dans l’Église il y a des gens qui sont des grands saints, et puis il y a des grands imbéciles. C’est partout pareil. Dans les partis politiques et ailleurs. Mais ne plus être capable d’être un être humain normal, et assister à cela, c’est très douloureux pour nous qui venons en disant : « Nous sommes des êtres humains normaux. Nous avons souffert et nous demandons simplement la vérité. » Leurs mensonges sont durs à entendre.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Malet
Passée par Science-Po, Isabel le Schneider, dont le nom d’épouse est désormais Isabelle Muller, fut vice-présidente de l’Association pour la promotion de la famille(APPF),une association traditionaliste souvent considérée comme « satellite de l’Opus Dei ». Isabelle Muller participera à l’organisation de la pétition des maires anti-CUS (futur Pacs) en 1998. Chargée de communication de Philippe de Villiers lorsqu’il était président du Conseil Général de Vendée, Isabelle Muller deviendra vite l’une de ses plus fidèles lieutenants et sera par la suite propulsée directrice de cabinet du président du Mouvement Pour la France. Le 13 juin 2008, elle intervenait sur Radio Courtoisie afin d’évoquer l’école Les Vignes à Courbevoie (Hauts-de-Seine) dont elle est la cofondatrice. Une école réservée aux filles dont l’enseignement religieux est « confiée à la prélature de l’Opus Dei ». Considérée par le site internet de Familles Chrétiennes comme une « bonne adresse », il s’agit du pendant féminin du collège privé Hautefeuille, réservé aux garçons, dont l’enseignement religieux est lui aussi assuré par l’Opus Dei à Courbevoie. Aujourd’hui, Isabelle Muller est l’attaché de presse de trois structures. D’abord, le Syndicat National des Aménageurs Lotisseurs (SNAL), l’unique organisation représentant les professionnels de l’aménagement privé en France. Il regroupe plus de 300 sociétés membres, soit 80% de la profession. Isabelle Muller est également l’actuelle attachée de presse du Mouvement Pour la France de Phillipe de Villiers. Mais surtout, elle est responsable du « Service Information Communication de l’Opus Dei en France ». Assise durant les deux jours d’audience aux côtés de Béatrice de la Coste, porte parole de l’Opus Dei, c’est Isabelle Muller qui fut chargé entre les audiences de renseigner les journalistes en quête d’une parole officielle de l’Opus Dei.
J.-B.Malet