En réponse au message :
Le combat sans fin de Claire Maximova, ex-carmélite qui veut être reconnue victime de viol par l’Église
Pas toujours, Catherine.
En réalité, les prédateurs sexuels ne s’attaquent pas qu’à des personnes en situation de faiblesse. Aussi curieux que ça paraisse, beaucoup s’attaquent aussi à des personnes qui sont faibles sur le moment, mais sont plus que d’autres, en capacité psychique et force de caractère, à plus ou moins court voire très court terme, de les dénoncer.
Pourquoi ? On va dire que c’est comme une forme d’appel au secours qui ne dit pas son nom chez ces prédateurs. C’est aussi un stimulus d’excitation sexuelle supplémentaire pour eux. Parvenir à contraindre, dominer quelqu’un de beaucoup plus résistant, de plus rebelle, constitue chez ces criminels, un sommet de jouissance.
La plupart des prédateurs sexuels savent qu’ils ont un grave problème comportemental, relationnel compulsif et addictif (aussi bien ceux qui restent passifs que ceux qui sont passés à l’acte). Souvent aussi des problèmes d’impuissance face à un partenaire adulte consentant dans une relation amoureuse classique, en non situation de faiblesse ni de dépendance. Ce qui les complexe énormément. Ce qui explique aussi pourquoi ils vont avoir besoin d’avoir une sexualité criminelle de domination, puisqu’ils ne parviennent pas à avoir une sexualité classique de consentement et d’amour. Ils ont conscience d’être criminels. Et ils en sont par période, pétris de culpabilité et de honte, sans pour autant oser affronter la situation, se dénoncer et engager une thérapie. Ce qui va les amener progressivement, comme pour se dédouaner mais aussi se mettre en danger, à des « choix » (je mets des guillemets car ça relève chez eux plus du pulsionnel que d’un choix véritablement conscient) de victimes qui pourront relativement rapidement les dénoncer. Une part d’eux, la part intuitive, le sait qu’il y a ce risque. C’est à la fois un défi, un sommet d’excitation qui va avec le fantasme de toute-puissance infantile dont ils ne sont jamais sortis, qu’ils n’ont jamais dépassé. Et c’est aussi, quand la dénonciation arrive et les place face à leurs crimes, une forme de soulagement, même s’ils affichent extérieurement un profond déni ou une absence de réaction. Cette dénonciation qu’ils ont à la fois redoutée et espérée, leur permet de mettre un coup d’arrêt définitif ou au moins durablement temporaire à leur activité criminelle, qu’ils n’ont pas d’eux-même la force de stopper mais dont ils mesurent pleinement néanmoins la gravité et la violence.
On l’observe dans différentes affaires criminelles impliquant des prédateurs sexuels. Y compris chez les prédateurs sexuels cléricaux. Le cas Pierre-Etienne Albert des Béatitudes, notamment.
Vous retrouvez aussi ce type de « choix » chez des tueurs en série. Ca fait partie des paradoxes. Mais montre aussi très bien que ces criminels savent parfaitement les risques qu’ils prennent quand ils violent, abusent, agressent physiquement, tuent d’autres personnes.
Mais le « choix » des victimes relevant du pulsionnel la plupart du temps, n’est pas toujours en lien avec l’état de faiblesse ou de dépendance complet de la victime. Surtout chez des prédateurs qui ont une longue pratique criminelle ou seulement très très occasionnelle.
Les victimes qui dénoncent leur(s) agresseurs (10% des victimes de crimes sexuels) font partie des personnes rebelles et donc suffisamment fortes pour briser la spirale criminelle des prédateurs. Les criminels, les institutions qui ont protégé ces criminels, celles qui ne prennent pas le dépôt de plainte policière (pratique illégale mais éminemment classique et courante dans les cas d’agressions physiques et sexuelles lorsque les victimes viennent porter plainte), certains médias, politiques, magistratures ont donc tout intérêt à faire passer ces victimes courageuses pour faibles, consentantes, menteuses, manipulatrices, afin d’inverser la culpabilité tant de l’agresseur que de la société civile qui savait mais n’a pas su prendre la mesure du problème criminel et de la détresse des victimes.
Les prédateurs sexuels étant à grande majorité des hommes (mais il y a aussi quelques femmes), dans une société marquée par le patriarcat, donc la domination masculine, il est très difficile d’entrer en critique et de punir au pénal des hommes pour ce qui relève d’un crime sexuel. Ca constitue pour beaucoup d’hommes et d’autant plus des hommes qui disposent d’une fonction importante de représentation et de pouvoir, une forme d’atteinte à leur intégrité et leur dignité. D’où la difficulté de pouvoir parvenir à une réponse pénale adéquate face aux crimes sexuels. Ce qui requiert d’autant plus de force morale et psychologique chez les victimes, sachant le contexte qui leur est défavorable et l’issue plus qu’improbable d’une réponse judiciaire correcte face au crime subi.
Beaucoup de crimes sexuels passent de crimes à délits parce que sont traités par le tribunal correctionnel et non le tribunal des Assises. L’argument qui prévaut est qu’ainsi, justice est plus rapidement rendue. Sauf que, le crime, car le viol est un crime, devient un délit. Il est donc relativisé au rang du vol dans un magasin. Alors que ça n’a rien à voir. C’est une atteinte à l’intégrité physique, psychique, sexuelle, affective. C’est une désintégration de l’intimité. On est donc face à un relativisme particulièrement destructeur quand le viol est requalifié en simple délit. Vous imaginez à quel point ça constitue une violence supplémentaire pour les victimes ? Et ça induit pour beaucoup de prédateurs sexuels que dans ce type d’acte, la plupart du temps, ils resteront impunis. Parce que l’acte s’il est dénoncé sera jugé en simple délit. Et que si la victime n’a pas la carrure pour gérer, elle ne portera jamais plainte. Les prédateurs peuvent donc continuer à violer en quasi toute impunité.
C’est encore plus compliqué en cas d’inceste, puisque entrent en jeu la dimension affective et de dépendance physique et matérielle avec le ou les agresseurs familiaux. Et là encore, pour les partisans politiques d’une famille idéalisée et jugée intouchable (d’autant plus si issue de milieux aisés, bourgeois et de bonne réputation), les victimes qui dénoncent leurs parents sont vus comme dangereuses et transgressives par rapport aux valeurs sociales et familiales. La justice pénale peine donc à punir les criminels incestueux encore plus que le reste des prédateurs sexuels .
Systématiquement, des projets de loi pénale spécifique concernant l’inceste sont régulièrement combattus. Et lorsque en vigueur quelques années, ils sont retoqués régulièrement par le conseil constitutionnel pour éviter des condamnations en justice trop nombreuses et lourdes.
Face à ces obstacles majeurs à différents niveaux, ces procédures lourdes, il faut donc énormément de courage, de ténacité, de résistance et de résilience aussi pour gérer à la fois sa propre reconstruction par thérapie, formation éventuellement, mais aussi tout ce qui relève des entretiens et démarches judiciaires.
Claire est donc extrêmement courageuse d’avoir engagé tout cela dans un contexte qui n’est surtout pas simple ni sécurisant pour elle. Je lui souhaite de réussir dans toutes ses démarches et de garder force et détermination quoi qu’il arrive.