1. Généralités.
1.1. Création.
L’association « Points-Cœur » a été créée en 1990 par le Père Thierry-de Roucy, alors qu’il était supérieur général de la congrégation des « Serviteurs de Jésus et de Marie » (S.J.M. Institut de droit diocésain fondé en 1930 par le Père Jean-Edouard Lamy.)
La congrégation S.J.M. réside à l’abbaye d’Ourscamp (Oise). Elle rassemblait jusqu’en 2002 environ 30 religieux. A l’initiative du Père Thierry, alors supérieur de l’ordre, une partie importante des religieux travaillait pour les Points-Cœur, surtout en Amérique du Sud.
En 1990, le Père Thierry est mis en minorité lors de la réélection du supérieur. On lui reproche une autorité sans partage et une réorientation de la congrégation exclusivement vers les Points-Cœur. Le Père Thierry se sépare alors des S.J.M. Il entraine avec lui une dizaine de religieux. Il installe son œuvre à Vieux-Moulins (prés de Compiègne) qui devient également centre de formation. Il se fait reconnaitre par l’évêque de Piranha (Argentine).
1.2. Objectifs de l’association « Points-Cœur »
Points-cœur est « une œuvre catholique de compassion et de consolation en faveur des enfants les plus rejetés à travers le monde »
« Les Points-Cœur veulent être de petits foyers disséminés dans le monde entier, de simples refuges d’amour et de tendresse, où chaque enfant (de la rue) pourra être aimé, accueilli, écouté, respecté, bref regardé d’un regard qui communique l’ardeur de l’amour. » (charte des Points-Cœur)
Points-Cœur recrute de jeunes volontaires, garçons et filles, appelés « amis des enfants ». Aucune exigence particulière ne leur est demandée : « On ne demandera pas aux Amis des enfants des compétences spéciales en matière d’éducation, de formation, de psychologie ; on leur demandera plutôt d’oser se donner sans compter et d’essayer d’aimer les enfants comme Dieu les aime. » (charte des Points-Cœur)
Chaque Points-Cœur est « d’abord une communauté contemplative ! La prière ne rendra chacun que plus généreux et efficace, et l’Esprit-Saint qui accordera ses lumières dans la prière permettra de découvrir sans tâtonnement les vrais besoins de ceux qui entourent les Amis des Enfants. »
Pour les Amis des enfants, « l’essentiel ne sera pas de faire. Il s’agira d’être un cœur paternel, maternel et fraternel à la fois, un cœur attentif, compatissant et accueillant. » (charte des Points-Cœur)
1.3. La vie d’un Point-cœur
– Prière :
Avec la liturgie des heures, la messe, le chapelet et la méditation, ce sont 3 à 4 heures par jour que les amis des enfants consacrent chaque jour à la prière :
« Ils aimeront dire le chapelet : c’est la prière des pauvres et des petits, et cette prière appellera une présence particulière de la Vierge-Marie, réelle fondatrice de l’œuvre, en chacun de ces petits refuges d’amour. Dans leur oraison quotidienne, les Amis des enfants contempleront le Seigneur Jésus à la crèche et à la Croix où, plus qu’à aucun autre moment de son existence terrestre, Il se montre désarmé, petit et vulnérable. »(charte des Points-Cœur )
Une autre exigence est la confession commune où chacun demande pardon des fautes commises ou manques d’égard vis-à-vis des autres.
– Vie quotidienne :
Les Points-Cœur vivent en général dans une petite maison au confort précaire, d’un quartier trés pauvre. Ils disposent d’une pièce principale, où sont également accueillis les enfants, d’un oratoire et d’un ou deux dortoirs, l’un pour les garçons, l’autre pour les filles.
La nourriture est réduite à sa plus simple expression. Il n’est pas rare que les amis des enfants se fassent inviter à manger chez des plus pauvres qu’eux.
Il n’y a ni lieu, ni temps de vie personnelle.
Quand un Ami des enfants rencontre quelque difficulté que ce soit, le responsable local, habituellement un Molokaï, l’envoie passer une journée de « désert » (Prière, pain et eau)
– Activité :
Les enfants du quartier sont accueillis toute la journée par la communauté. Il n’y a pas d’horaire interdit hormis les temps de prière. Il n’y a habituellement pas d’activité proposée. « L’essentiel n’est pas de faire ». Les Amis des enfants vont à la rencontre des enfants sur leur lieu de vie et peuvent entretenir des relations avec certains parents. Leur manque de formation les empêche de résoudre certains problèmes.
2. Les problèmes rencontrés. Témoignages.
2.1. Recrutement
Les jeunes sont recrutés dès la sortie du lycée. Ils font en général partie des milieux aisés et de milieux sociaux protégés.
« Le premier problème est le recrutement à « Points-cœur ». Je ne pense pas que le discernement des « recruteurs » soit bon. D’abord il n’y a pas assez de temps pour nous connaitre. Comment peut-on reconnaitre une vocation – parce qu’il s’agit d’une vocation et d’un appel de Dieu et non d’une expérience d’expatriation – en 3 week-end et 15 jours de stage avec seulement 2 entretiens avec des responsables. ?…Le manque de discernement fait que Points-cœur envoie des personnes trop fragiles, souvent très jeunes ou difficiles à vivre….
En Italie, 6 jeunes amis des enfants n’ont pas été au bout de leur mission. En Argentine, l’un d’entre eux a été renvoyé dans son pays au bout de 4 mois très difficiles pour lui et ceux avec qui il vivait. Au Liban, 3 personnes, sont rentrées plus tôt que prévu, usées par les difficultés communautaires qu’ils ont portés trop seuls dans leur fragilité. » (A. de L.)
2.2. Prière et formation
Face aux nombreuses heures de prière journalières, certains amis des enfants réagissent avec soumission. D’autres veulent profiter de ces instants pour approfondir leur foi. Mais les obstacles sont nombreux.
« J’avais aussi du mal à prier et n’avais pas le temps de lire l’écriture. José me conseillait de ne pas lire à l’adoration, ce n’était pas le moment. Quand j’avais un peu de temps on me conseillait de lire le texte pour l’école de communauté – texte de Communion et Libération ou texte du père Thierry. » ( S.D.)
« On nous fait considérer le père Thierry comme un grand saint qui détient la vérité. Le livre, le Totum, avec ses textes est la bible des Points-Cœur… Le père Thierry y décrit le charisme et prodigue conseils et réflexions théologiques. Il oscille poétiquement de paragraphes en paragraphes entre des idées parfois contradictoires, flatterie, paternalisme et accusation… C’est ainsi qu’il fait dire que s’expliquer, c’est se méfier ; que la dépression est le refus de Dieu ; qu’aimer c’est descendre dans la fange ; que se taire c’est aimer ; que la tension est le seul fruit de notre méchanceté ; que se reposer ce n’est pas assez aimer ; revendiquer c’est être égoïste ; se défendre c’est n’être pas docile à l’Evangile… Dans le Totum est exposé clairement l’idéologie de la compassion, de la Croix et de la pauvreté… » (A. de L. )
Le père Thierry assume pleinement une paternité dont il est le centre :
« Il n’y aura pas de chapelle à l’intérieur de notre compagnie si tout est immédiatement rapporté au père, que ce soit moi, que ce soient mes successeurs… Notre communauté est une dans la mesure où elle est appelée à être toute tournée vers celui qui en est le père… Ce qui me passionne dans Points-Cœur, c’est qu’on fasse un. C’est qu’on soit tourné vers l’UN. Qui est le sacrement de l’unité de notre communauté : le père de la communauté ; c’est le sacrement de l’unité de notre communauté. C’est pour ça qu’on doit l’aimer. » (Paroles du père Thierry relevé par Jérôme)
2.3. L’Obéissance
« Notre manière de réfléchir sur chaque question et sur chaque détail concret doit être non pas ce qu’il faut faire, mais quel est le regard que le père Thierry pose sur cette réalité. Ainsi pour moi, obéir, c’est donner ma vie pour l’œuvre du père Thierry. J’ai bien conscience en disant cela que c’est une affirmation extrêmement choquante… pour le monde, mais je pense qu’il faut avoir la simplicité de reconnaitre que les choses sont ainsi… Ca veut dire que toute relation d’obéissance dans la fraternité Molokaï est vécue en référence au père Thierry. » (Jérome)
« Nous ne faisons pas vœu d’obéissance dans notre engagement, mais nous avons le désir d’obéissance et surtout une grande confiance devant nos responsables. Mais lorsqu’on écrit nos difficultés, on n’a pas de réponse ni d’encouragement… » (A. de L.)
2.4. Confusion du for interne et du for externe au sein de l’œuvre Points-Cœur
« Petit à petit, j’ai été encouragée à écrire et à faire part de ma mission et de mes réflexions à mon visiteur mais aussi au père Thierry… Le père Jacques B., mon référent spirituel, envoyait tout ce que je lui écrivais concernant mon for interne au père Thierry, ou lui faisait part de tout ce que nous échangions lors de nos entretiens. Il est arrivé que le père Jacques m’écrive que ce qu’il me répondait provenait d’un échange qu’il avait eu avec le père Thierry. J’ai même été invitée à envoyer aussi mes lettres, concernant mon for externe comme mon for interne au père Thierry directement : cela est considéré comme un avancement dans ma confiance envers Dieu et permettant aussi de mieux intégrer le charisme de Points-Cœur » (S.D.)
2.5. Pendant l’enquête canonique
Une enquête canonique a été déclenchée à la suite de la plainte d’un jeune pour viol, Cette enquête a précédé la condamnation du P.Thierry par le tribunal ecclésiastique en 2013. Elle a duré 4 ans.
Pendant 6 mois le P. Thierry a été mis à l’écart, à l’abbaye du Bec Hellouin.
Durant ce temps-là, « il a été présenté comme celui qui souffre l’agonie du Christ, portant les souffrances infligées pour nous qui vivions au sein des Points-Cœur et pour les pauvres. Il était alors facile pour moi comme pour d’autres, de penser que le fondateur était un authentique mystique, que les mystiques sont souvent incompris et persécutés, mais que nous avions la chance de pouvoir, nous, croire qu’il vivait quelque chose de très grand. » (S.D.)
Après la condamnation du P. Thierry en 2013, le même discours a été tenu aux Molokaï.
2.6 La culpabilisation
A S.D. qui s’étonnait d’avoir été envoyée à deux seulement en Haïti, pays dangereux, ou qui demandait pourquoi le père Thierry n’était quasi jamais présent aux temps de prière, mais toujours occupé à je ne sais quoi dans son bureau, « le père Jacques soit évitait de répondre, soit il répondait en porte à faux : c’est-à-dire qu’il insinuait que je manquais de confiance, que je n’arrivais pas à voir tout ce qu’il y a de beau et qui vient de Dieu dans la mission, et que ce serait plutôt cela que je devais voir et laisser tomber le reste. La cause de tout cela, disait-il, est mon orgueil et mon refus d’accepter mes faiblesses, d’être petite, de mourir à moi-même, d’être la dernière. La confusion s’est installée en moi et j’ai commencé à mal dormir et à maigrir, à m’angoisser. Alors le P. Jacques me ramenait au fait que le Christ avait aussi souffert, connu l’angoisse. J’étais donc dans la bonne voie pour mourir à moi-même et porter cela avec le Christ en croix. » (S.D.)